dimanche, octobre 13 2013

Chantal Thomas - L'Échange des Princesses

Il y a eu aussi des lectures, Goncourt des Lycéens oblige, même si je n'en suis pas partie prenante - plutôt spectatrice, ou compagne. Il est si plaisant de voir les élèves dévorer quelques pavés, se les échanger, et en débattre avec âpreté, ou s'interroger, perplexes. J'ai donc, après La Claire Fontaine lu successivement Le Quatrième mur de Sorj Chalandon, L'Échange des Princesses de Chantal Thomas, et Au Revoir là-haut de Pierre Lemaître.

Et puis il y a eu, jeudi, la rencontre organisée dans le cadre du prix par la FNAC et l'association rennaise Bruit de Lire, à Lille, avec neuf ! des auteurs. Deux plateaux, successivement des auteurs liés par un rapport à la grande Histoire (Sorj Chalandon, Pierre Lemaître, Laurent Seksik pour Le cas Eduard Einstein, Frédéric Verger pour Arden, et Jean-Daniel Baltassat pour Le Divan de Staline), puis quatre liés plutôt par un rapport au monde contemporain et/ou à l'intime : Yann Moix pour Naissance, Boris Razon pour Palladium, Thomas B. Reverdy pour Les Evaporés et enfin Karine Tuil pour L’invention de nos vies. Neuf auteurs et quelque 130 jeunes gens entre 14 et 18 ans, venus du nord, de l'est de la France, et pour la première fois, de Bruxelles. Nous y avons passé toute l'après-midi. C'était très excitant, passionnant, passionné, les auteurs y ont parlé tout aussi bien de l'alchimie qui en eux les conduisait à l'écriture, que de pure cuisine romanesque, temps du récit ou apostrophes au lecteur, ou désir vampirique de s'emparer des histoires des autres, et de quelle légitimité peut-on se prévaloir ? Mais baste, ne mettons pas la charrue avant les bœufs – il faudrait bien qu'un jour un linguiste inspiré invente une autre métaphore que celle-ci, si décalée de toute réalité non seulement contemporaine, mais même simplement agricole... et parlons d'abord de mes lectures.

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dimanche, septembre 29 2013

Spleen et rêveries sentimentales

C’était aujourd’hui Jean-Bernard Pouy, un de mes Papous* préférés, qui proposait à ses camarades le texte du « Diagnostic littéraire à l’aveugle », un jeu de dégustation littéraire absolument redoutable. Un joueur propose un texte d’une quinzaine de lignes, et les autres émettent toutes sortes d’hypothèses pour en deviner l’origine : texte en français ou traduit, si l’auteur est un homme ou une femme, à quel genre il appartient, et enfin de quelle époque et de qui il pourrait bien être. La première fois où je l’ai écouté, j’ai attribué à Agatha Christie (et certains des joueurs l’ont fait aussi) un texte qui était en fait de Marguerite Yourcenar. Ça rend modeste… 

Aussi ai-je été toute fière de reconnaître que la balade sur les bords de Marne évoquée aujourd’hui devait être de Diderot, à cause d’un « mélancolique Ecossais », en qui je pensais bien identifier le père Hoop, occasion pour Diderot de définir, dans l’une de ses délicieuses lettres à son amie Sophie Volland, « ce que c’est que le spleen ».

En voici le début. Diderot est chez le Baron d’Holbach, dans sa propriété du Grandval.

« Au Grandval, le 31 octobre 1760.

Vous ne savez pas ce que c’est que le spleen, ou les vapeurs anglaises ; je ne le savais pas non plus. Je le demandai à notre Écossais dans notre dernière promenade, et voici ce qu’il me répondit :

“ Je sens depuis vingt ans un malaise général, plus ou moins fâcheux ; je n’ai jamais la tête libre. Elle est quelquefois si lourde que c’est comme un poids qui vous tire en devant, et qui vous entraînerait d’une fenêtre dans la rue, ou au fond d’une rivière, si on était sur le bord. J’ai des idées noires, de la tristesse et de l’ennui ; je me trouve mal partout, je ne veux rien, je ne saurais vouloir, je cherche à m’amuser et à m’occuper, inutilement ; la gaieté des autres m’afflige, je souffre à les entendre rire ou parler. Connaissez-vous cette espèce de stupidité ou de mauvaise humeur qu’on éprouve en se réveillant après avoir trop dormi ? Voilà mon état ordinaire, la vie m’est en dégoût ; les moindres variations dans l’atmosphère me sont comme des secousses violentes ; je ne saurais rester en place, il faut que j’aille sans savoir où. C’est comme cela que j’ai fait le tour du monde. Je dors mal, je manque d’appétit, je ne saurais digérer, je ne suis bien que dans un coche. Je suis tout au rebours des autres : je me déplais à ce qu’ils aiment, j’aime ce qui leur déplaît ; il y a des jours où je hais la lumière, d’autres fois elle me rassure, et si j’entrais subitement dans les ténèbres, je croirais tomber dans un gouffre. Mes nuits sont agitées de mille rêves bizarres : imaginez que l’avant-dernière je me croyais marié à Mme R..... Je n’ai jamais connu un pareil désespoir. Je suis vieux, caduc, impotent ; quel démon m’a poussé à cela ? Que ferai-je de cette jeune femme-là ? Que fera-t-elle de moi ? Voilà ce que je me disais. Mais, ajoutait-il, la sensation la plus importune, c’est de connaître sa stupidité, de savoir qu’on n’est pas né stupide, de vouloir jouir de sa tête, s’appliquer, s’amuser, se prêter à la conversation, s’agiter, et de succomber à la fin sous l’effort. Alors il est impossible de vous peindre la douleur d’âme qu’on ressent à se voir condamner sans ressource à être ce qu’on n’est pas. Monsieur, ajoutait-il encore avec une exclamation qui me déchirait l’âme, j’ai été gai, je volais comme vous sur la terre, je jouissais d’un beau jour, d’une belle femme, d’un bon livre, d’une belle promenade, d’une conversation douce, du spectacle de la nature, de l’entretien des hommes sages, de la comédie des fous : je me souviens encore de ce bonheur ; je sens qu’il faut y renoncer.”

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mercredi, avril 24 2013

Camus - L'Etranger, en images

L’Étranger de Camus dans la version graphique de Jacques Ferrandez est sorti ! Il a été évoqué à l'émission L'Humeur Vagabonde de Kathleen Evin sur France Inter, hier soir. Ecoutez-la, ce type est passionnant, et l'émission, de la belle ouvrage.

On peut en feuilleter quelques pages ici, sur le site de Gallimard.

mardi, février 12 2013

" Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde..."


J’ai attrapé au vol, hier, dans l’émission Les Traverses du Temps de Marcel Quillévéré sur France Musique, cette jolie tirade sur le rire, dite par Roland Giraud, qui joue Alex, le nouveau Philinte d' Un Homme trop facile ? la comédie d’Eric-Emmanuel Schmitt :

« Ne riez pas, parce que votre rire n’est pas le mien. Votre rire blesse, condamne, méprise, un rire plein de vilaines humeurs ! tandis que moi, mon rire, il nous rapproche. Lorsque je m’esclaffe, je ne juge pas, je ne dénonce pas, je compatis, je m’attendris. Je ris de nous, des pauvres êtres maladroits et bornés que nous sommes. Mon rire ne m’exclut pas de l’humanité, il m’y plonge. C’est un rire plein d’affection. Il y a de la sagesse et de l’amour dans mon rire, dans le vôtre seulement de la distance et du mépris. »

Alceste est à la mode. Il est à bicyclette au cinéma, et c’est Philippe Le Guay – toujours pas vu, mais à Amiens, il faut viser, un jour sur deux à 17 heures –, il est à l’affiche au théâtre, bientôt aussi à Amiens, et encore à la Gaîté Montparnasse, où se joue Eric-Emmanuel Schmitt.

Je m’en réjouis. J’adore Le Misanthrope, j’adore cette comédie si élégante, si cruelle, si douloureuse, si cocasse. J’aime l’âpreté sincère d’Alceste, qui cède à l’occasion devant le fat Oronte (« Je ne dis pas cela » ...) avant de lâcher la bride à son ire, j’adore sa tirade sur le naturel avec « sa petite chanson ringarde » comme l’avait écrit il y a bien longtemps l’une de mes élèves. Je l’aime jusque dans sa muflerie répétée, avec Célimène qu’il ne cesse de quereller, qu’il assomme de leçons de comportement, qu’il soupçonne explicitement – hélas avec raison – , comme avec la gracieuse Eliante à qui il vient abruptement offrir les restes de son cœur dans un accès de dépit, avant de se dédire. Une chose me heurte : que jamais il n’appelle Philinte par son nom, que jamais il n’en reconnaisse l’amitié opiniâtre. J’aime sa classe, et ses ridicules, et cette hubris ou cette mania de la sincérité qui le font épingler à tous coups, et plus que tous par Célimène. J’adore la délectable scène de duel verbal entre Célimène et Arsinoé, où la vilaine prude se fait suavement déchiqueter par celle qu’elle a eu le tort de venir provoquer jusque chez elle. J’aime la composition et le rythme savant de cette comédie, la plus grande, la plus belle, la plus triste.

dimanche, février 10 2013

La voix de Jón Kalman Stefánsson

En attendant que j'aie le temps de chroniquer Le Cœur des hommes, le dernier volume des aventures du 'gamin' qui restera jusqu'à la fin anonyme, ces quelques mots pour accompagner ma furia poétique de ce début d'année. Magnifique roman, déjà lu et relu, avec sa syntaxe si particulière, ce flux mi-narratif, mi-vocal, comme si l'on entrait de plein pied dans le mouvement du dialogue ou du monologue intérieur des personnages. En ce moment même, on entend sur France Culture la voix de Stefánsson parlant avec Colette Fellous, et celle de Colette Fellous lisant Stefánsson. C'est l'émission Villes-Mondes, aujourd'hui consacrée à Reykjavik. Stefánsson y fait un passage fugitif*, mais dense, quelques minutes, écoutez-le.

Il se souvint alors de ces quelques vers, ou disons plutôt que les lignes se déversèrent dans ses veines, telles une énergie pure, les vers d’un poème qu’il avait lu dans une revue que Gísli lui avait prêtée, un étrange poème, composé par un auteur américain. Je suis le poète de la chair, je suis le poète de l’âme. Le gamin était hypnotisé mais cela ne valait pas pour Gísli, trop de bruit avait-il dit, trop de dispersion, trop lâche, le texte  se réduit de lui-même en morceaux qui ne sauraient servir à personne, ne va pas perdre ton temps avec ça. C’est pourtant ce que le gamin fit précisément, il passa son temps à recopier le poème extrait de Feuilles d’herbe de l’Américain Walt Whitman, dans la traduction d’Einar Benediktsson. Aucune rime, pas le moindre soupçon de rime et d’allitération, des phrases compactes portées par une énergie pure et indomptée, et quelque chose d’immense, comme la promesse d’un monde plus large, d’une terre plus vaste. Adossé à la clôture, avec derrière lui les deux sorbiers qui s’efforçaient de tendre leurs branches vers la lumière, il baissait les yeux tandis que le poème lui emplissait le sang.

Vous trouverez, ici, les premières pages du roman, et la table des matières.
* L'interview de Stefánsson, traduite par Éric Boury, se trouve vers 18'20''.

dimanche, février 3 2013

Deux poèmes saisis au vol

Je retranscris le texte qui suit à l’écoute, différée, d’une émission  de Sophie Nauleau, sur France Culture, « Ça rime à quoi ». La poétesse invitée est Michèle Finck, que je ne connaissais pas. Qu’elle veuille excuser, si elles sont erronées, la disposition et la ponctuation très classiques du texte de prose-poème qui suit. A lire en respectant les blancs, les souffles, les silences entre les mots, tels que les revendique cette poétesse à la douce voix concentrée, fervente, violemment retenue dans ce qu’elle appelle « la scansion du noir », « conversion de la perte, conversion de la violence en quelque chose qui est de l’ordre du rythme », « comme si rythmer le noir rendait le noir plus supportable » - et partageable avec le lecteur.

          Mademoiselle Albatros

 Je suis dans le pavillon un peu délabré de l’hôpital psychiatrique de la ville de S*, en France, près de la frontière allemande. Je marche en suivant les spirales aseptisées des couloirs à côté du psychiatre, le docteur H., d’origine germanique. Soudain, nous longeons une chambre d’où s’échappent quelque chose comme des cris ou des couinements d’oiseau blessé. Sur la porte de la chambre, il y a un nom, mademoiselle Albatros. Comme je regarde le psychiatre d’un air interrogatif, il me dit :

-          « C’est une femme à qui la poésie est montée au cerveau. Elle se prend pour l’oiseau d’un poète de votre langue, un certain Bidenler. Elle murmure sans cesse les mêmes mots : ‘Ses ailes de géant l’empêchent de marcher’, et en effet, elle ne peut presque plus marcher, sauf à tous petits pas, dans sa chambre, en trébuchant. Parfois, elle agite les bras, de façon gauche, comme pour s’envoler. L’hiver, elle mange un peu de neige, sur le rebord de sa fenêtre grillagée.

-          Baudelaire ! » dis-je en portant la main à mon cœur, comme si la façon dont ce médecin germanique avait écorché ce nom m’avait atteinte au centre de mon être. Puis tout à coup, brûlant tous mes vaisseaux, presque malgré moi, je crie : « Cette femme, mademoiselle Albatros, c’est moi ! cette chambre, c’est la vie ! ouvrez la porte, les fenêtres, crevez le plafond, éventrez les murs, laissez-la s’envoler, elle a le crâne tatoué d’étoiles filantes...

-          Ne vous emportez pas, dit le psychiatre, j’ai des cas beaucoup plus intéressants à vous montrer. Celui-ci est un peu passé de mode, ne trouvez-vous pas ? mais peut-être est-ce assez pour aujourd’hui ? ».

Et puis celui-ci, encore, avec ses silences tels que je les ai entendus.

De givre et de feu

 

Père et fille touchent du doigt le givre
de la musique
sur les mots et les ronces
ils écoutent les sons s’ouvrir devant eux
comme des livres
aux enluminures invisibles mais audibles

 

la fiancée du vent
neige

père dure peu
fille l’épèle
dans le noir et prend feu
fait pousser des étoiles dans la poussière
parle avec les lèvres suturées du père
à l’intérieur d’elle
écrit à deux bouches
mots brûlés vifs dans le haut-fourneau du cri

fille fera neige avec un peu de feu

 

Voilà pourquoi je me suis risquée à transcrire ces deux très beaux poèmes, extraits du recueil Balbuciendo.

mardi, décembre 25 2012

Alessandro Baricco - Emmaüs

Rembrandt - Les Pèlerins d'Emmaüs, détail. Paris, Musée du Louvre.

Il m’arrive souvent de me demander si c’est moi qui ne comprends rien, ou s’il y a un problème ailleurs. Ainsi d’Emmaüs, de Baricco. Que j’ai lu d’une traite, et dont la justesse sincère m’a saisie, dès les premiers mots. Et puis le libraire m’a signalé - c’était au Musc et la Palme, le 9 décembre – son éreintage. Surprise, j’ai écouté pérorer Arnaud Viviant. Un joli nom. Apparemment le personnage est convaincu de son importance – wikipédia signale qu’il a eu autrefois quelque stature dans le monde de la critique. Pour qui l’écoute aujourd’hui incidemment, il lui en reste la boursouflure, mais certes pas la force de conviction. Et pour moi qui le découvrais, c’est tout au plus un arrogant vieux con radiophonique.
Et Emmaüs est un beau roman, écrit et composé, sur l’exaltation et le désastre dans la vie d’adolescents chrétiens, en Italie, années 70.

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lundi, octobre 15 2012

Petit miracle de l’herméneutique modeste….

L’atelier de Vincent Josse, c’est souvent un moment de découvertes, artistes de tout poil, connus ou inconnus.

Samedi dernier, c’était Jacques Ferrandez, né en 1955 à Alger (un pays), illustrateur, et auteur d’un vaste cycle de Carnets d’Orient sur la période coloniale, avant la guerre d’Algérie, puis sur l’Algérie de la guerre. Un type chaleureux, pas idéologue pour un sou, passionné.

Bref, Jacques Ferrandez est en train de mettre en images L’Etranger de Camus (entreprise ambitieuse et pleine d’embûches, car comment rendre cette écriture blanche ?).

Quoi qu’il en soit, voilà l’illustrateur confronté à une question pratique : Lorsque Meursault se rend au cinéma avec Marie, le jour de la mort de sa mère, il va voir – et rire à - un film de Fernandel. Lequel ? Camus écrivait L’Etranger en 1938 : quels sont en 1938 les films de Fernandel ? Wikipedia en donne six, parmi lesquels Ferrandez en a cité deux : Barnabé, et Le Schpountz, de Pagnol.

Le Schpountz, où Irénée Fabre, le commis épicier, manifeste pour la première fois devant un public de gens de cinéma goguenards son talent de comédien. Comment ? en se livrant à un pur exercice de style à la Queneau, réciter sur différents tons – y compris « comique » - un article du code civil. « Le plus court et le plus net, je dirais presque le plus tranchant : ‘‘Tout condamné à mort aura la tête tranchée’’. » 

CQFD. Petit indice ironique dissimulé au cœur du texte, en attendant un herméneute minutieux et perspicace. Que voici venu. Merci à lui.

            Photo prise sur le site (en lien) du blog de Vincent Josse.

dimanche, septembre 23 2012

Emmanuelle Guattari - La Petite Borde

J’ai entendu Emmanuelle Guattari à l’émission de Colette Fellous Carnet Nomade. Elle y évoquait d’une voix menue mais fervente le livre qu’elle vient de publier au Mercure de France, La Petite Borde, où elle évoque ses souvenirs d’enfance à La Borde, la « résidence psychiatrique » ouverte où elle a grandi, elle, la fille de Félix Guattari, philosophe et psychanalyste, compagnon du psychiatre Jean Oury dans cette aventure thérapeutique singulière. Je l’ai écoutée raconter ses souvenirs d’enfance parmi les « pensionnaires », comme ceux de « la chauffe » qui transportaient des grappes d’enfants en 2CV cahotante jusqu’à l’école, avec, je dois le dire, la nostalgie d’un temps où la sécurité ne dévorait pas la vie, et où régnait une forme d’humanisme généreux et inventif  dont je me sens moi-même le fruit, et dont le monde d’aujourd’hui semble avoir fait litière. D’où l’intérêt du récit d’Emmanuelle Guattari, né d’une requête de la garderie de La Borde, menacée de fermeture administrative et qui réclamait des témoignages d’anciens.
Je dois dire que j’ai préféré la tradition orale telle que contée à la radio au texte publié. Dans un souci infiniment respectable de retenue, l’autrice a limité ses récits à des éclats d’enfance, sur le mode de l’allusion et du suspens. L’expérience y perd un peu de chair, parfois même de clarté. Et puis, pourquoi ce mot de « roman » pour un texte qui relève si manifestement de l’autobiographie ? Il n’en reste pas moins un joli petit livre sobre dans sa forme matérielle, et qui touche par la justesse de son ton, et le mélancolique tissage qui le constitue de joies et de chagrins.

dimanche, septembre 2 2012

La voix de Serge Joncour

Serge Joncour, c’est d’abord une voix. Et même une voix et une diction : une voix un peu voilée, un peu blanche, avec des aigus gouailleurs, une diction bègue, trébuchante, ponctuée de silences brefs, et des salves de pitreries verbales irrésistibles. C’est une star des Papous, Joncour. Aux publiques, il fait rire les salles aux éclats. La première fois où je l’ai vu, c’était à la SCAM, pour un hommage à Bertrand Jérôme, avec Bertrand et ses copains papous. Un immense type rouquin, plus ou moins rasé, l’air d’un Flamand (le peuple, pas l’oiseau), dépliant sa haute et gauche stature en même temps qu’Hélène Delavault, autre grande rouquine, pour aller lire son texte. Aux Papous, l’une de ses spécialités, c’est Les Grands airs des aires de repos, un jeu d’étymologie loufoque des aires d’autoroute, suivi d’une chanson. Et le jour des funérailles de Bertrand, il a lu un texte chaleureux dont je me souviens qu’il traitait de l’aire de repos « Repos ». Avec ses airs de ne pas être là, ou d’idiot à la Bourvil, il a quelque chose de profondément amical. Je l’aime beaucoup, et pourtant, je n’ai jamais lu aucun de ses livres. J’avais commencé Combien de fois je t’aime, un recueil de nouvelles qui me plaisaient bien, et puis il s’est égaré en voyage, et je ne l’ai ni repris ni retrouvé.

Et voilà qu’il est passé chez Rebecca Manzoni  ce matin (MERCI ! quelle bonne idée!), à l’occasion de son nouveau roman, L’Amour sans le faire, et de la sortie de Superstar, le film inspiré de son roman L’Idole, qui est sélectionné pour la Mostra de Venise - ce qui lui posait un problème de costume (comme je le comprends !). C’est drôle, ils n’ont pas parlé des Papous. Mais de lit à faire le matin et de Marguerite Duras, de Dewaere, de Ricoré, des enfants et des adultes, et de la bonne position pour écrire, question éminemment papoue. Du métier d’écrivain, avec ses poussées d’inspiration et le long labeur qui les relie. Des voix que l’on entend en soi pour ses personnages. Ça m’a donné envie de retrouver mon petit recueil, et d’essayer L’Amour sans le faire. Les deux titres s’emboîtent, et tous deux sont réussis. Et au moins, ça me fera aborder la « rentrée littéraire » en territoire ami.

En haut : L'hommage de Patrick Gromy pour les vingt ans des Papous en 2004.
En bas : Les Papous au salut, au Quai des Rêves de Lamballe en novembre 2011, photo ©Raphaëlle Rivière pour Radio France, prise sur le site des Papous. S. J. c'est le grand barbu tout de traviole, à côté de Françoise Treussart.

samedi, septembre 1 2012

Les livres à la radio

Je n’aime pas les mondanités. Clara Dupont-Monod a sévi longtemps sur France Culture à l’émission littéraire de Massé-Scaron, haut-lieu désormais disparu du small talk germano-pratin. Je l’ai entendue aux Affranchis d’Isabelle Giordano sur France Inter, émission vulgaire et ricaneuse remplacée en cette rentrée par une autre encore plus vulgaire. La voici à la tête d’une émission littéraire sur France Inter : Clara et les chics livres, inspirée quant à son titre par Clara et les chics types, un film des années 80, avec Adjani dans un de ses beaux rôles, et une brochette d’acteurs de choix, comme Thierry Lhermitte ou Daniel Auteuil. On est loin du film : j’ai écouté cinq minutes. C’est insupportable de fatuité minaudière. J’arrête. Heureusement – j’ai vérifié – il y a toujours Ça Peut pas faire de mal, petite merveille portée par le souffle passionné de Guillaume Gallienne, à 18 heures.

dimanche, août 12 2012

Histoires, chansons, souvenirs...

je m'souviens ma mère m'aimait
Et je suis aux galères
Je m’souviens ma mère disait
Mais je n’ai pas cru ma mère
Ne traîn’ pas dans les ruisseaux
T’bats pas comme un sauvage
T’amuse pas comme les oiseaux
Elle me disait d’être sage

J’ai pas tué, j’ai pas volé
J’voulais courir la chance
J’ai pas tué, j’ai pas volé
J’voulais qu’chaque jour soit dimanche

Je m’souviens ma mère pleurait
Dès qu’je passais la porte
Je m’souviens comme elle pleurait
Elle voulait pas que je sorte
Toujours toujours elle disait
T’en vas pas chez les filles
Fais donc pas toujours c’qui t’plaît
Dans les prisons y a des grilles

J’ai pas tué j’ai pas volé
Mais j’ai cru Madeleine
J’ai pas tué j’ai pas volé
J’voulais pas lui faire de peine

Je m’souviens ma mère disait
Suis pas les bohémiennes
Je m’souviens comme elle disait
On ramass’ les gens qui traînent
Un jour les soldats du roi
T’emmèneront aux galères
Tu t’en iras trois par trois
Comme ils ont emmené ton père

Tu auras la tête rasée
On te mettra des chaînes
T’en auras les reins brisés
Et moi j’en mourrai de peine
Toujours, toujours tu rameras
Quand tu s’ras aux galères
Toujours, toujours tu rameras
Tu penseras p’t'être à ta mère

J’ai pas tué, j’ai pas volé
Mais j’ai pas cru ma mère
Et j’me souviens qu’elle m’aimait
Pendant que je rame aux galères *

 


J’adorais cette chanson que j’ai apprise en colonies de vacances. Elle fait partie des chansons qui m’habitent, avec L’Auvergnat de Brassens, un jour interprétée – j’avais six ans - par le groupe des ‘grandes’ vêtues de toges blanches (des draps, sans doute), à la fête de fin de séjour du « home d’enfants » François et Suzon, à La Bourboule, où je séjournais pour cause de rhino-pharyngites.


Je viens de lire - autre fascinant raconteur d’histoires – un volume de souvenirs de Joseph Kessel Ami entends-tu (encore un chant qui donne la chair de poule, et je me souviens d’Anna Marly, il doit y avoir une dizaine d’années, à l’émission matinale de Pierre Assouline sur France Culture, contant de sa voix passionnée les circonstances de sa composition : le livre de souvenirs qu’elle a écrit s’appelle : Anna Marly, troubadour de la Résistance), livre où Kessel raconte à son ami Jean-Marie Baron des épisodes de sa vie intense de journaliste et  d’aventurier. Il y a dans sa parole si vivante une absence totale de moralisme – mais non de sens moral – qui a par les temps qui courent a quelque chose, certes, de dangereux, mais d’infiniment salubre et
qui éloigne tout penchant au préjugé. C’est là que j’ai découvert aux petites heures du matin que ce Galérien était un chant d’origine russe traduit par Kessel et Druon. Mon carnet de chant en donne une version où manquent les bohémiennes, la version recopiée ci-dessus est peut-être un peu bancale. J’en ai écouté ce matin une version des Compagnons de la chanson (très belles voix) terriblement mélodramatique. Yves Montand, c’est mieux, mais je ne sais pas encore mettre de son sur ce blog, alors allez l’écouter par vous-mêmes !

* Paroles : Maurice Druon. Musique: Chant traditionnel russe, Arrangement: Léo Poll - 1942 Ed. Nuances 1950

Une interview de Kessel sur les archives de la télévision suisse romande. Et une photo de lui - ce merveilleux visage d'homme - trouvée sur le site de l'Internaute.

samedi, août 11 2012

Pierre Barouh - Encore la radio

J’adore les gens qui savent conter des histoires. Comme Jean Renoir, avec sa faconde et son accent parigot. Il y en a des heures enregistrées à l’INA et ça se trouve en CD. Ce matin, c’était Pierre Barouh, chez Philippe Meyer, La Prochaine fois je vous le chanterai. Pierre Barouh est quand même l’auteur, excusez du peu, d’A bicyclette, la célébrissime chanson d’Yves Montand, où l’on apprend qu’en studio Montand s’est trompé sur le texte :

« Quand le soleil à l’horizon / Profilait sur tous les buissons / nos silhouettes/ on revenait fourbus contents / le cœur un peu vague pourtant / de n’être pas seul(s ?) un instant /avec Paulette… » et Montand s’est trompé : « de n’être pas un seul instant » ce qui change beaucoup de choses : « Une erreur infime et l’image se rétrécit totalement », dit Pierre Barouh. Yves Montand a corrigé en public. Il y a une autre histoire de chanson avec Montand, avec Le Kabaret de la dernière chance. « J’la raconte ? Bon, eh bien voilà : » Ça s’écoute ici.

Un type généreux, passionné, humaniste jusqu’au bout des ongles. La suite sera samedi prochain, il y a de très belles chansons. De la belle ouvrage radiophonique. Et il y a un livre de souvenirs ! Les Rivières souterraines, 2011, chez A vos pages.

mercredi, août 1 2012

"Bonnes feuilles", feuilles mortes, feuilles de chou...

Deux extraits de « bonnes feuilles » entendus par inadvertance sur France Culture. La première fois, c’était Amélie Nothomb. Une voix acide, qui m’a rappelé celle de Karin Viard, mais avec une diction tellement trébuchante que je me suis inquiétée pour la comédienne. Raté, c’était l’autrice, qui lisait elle-même l’incipit de son roman-de-la-rentrée. Une resucée de Barbe Bleue version colocation, avec sombre et mystérieux séducteur au nom espagnol, lequel proposait pour un loyer dérisoire (500 euros, quand même) un appart grand luxe dans quelque chose comme le XVIe arrondissement. L’héroïne se nomme Saturnine, elle est belge, elle n’en peut plus de partager le deux-pièces et l’hospitalité de sa copine Corinne à Marne-la-Vallée, et la brochette de bourgeoises chics qui attend avec elle dans l’antichambre a flairé en elle la future élue du fascinant Don Juan qui les fait toutes rêver.
Sur fond de banalités diverses, catalogue d’agences immobilières, études sociologiques sur les appartements parisiens ou le regard hypothétiquement porté par les Français sur les Belges ou sur les aristocrates, l’autrice, qui en est à son vingtième roman mais à son soixante-treizième enfantement (ce qui fait un total de 53 fausses-couches si je sais compter, quelle santé ! – ou quel gâchis), l’autrice donc accumule les formules gnomiques, sentences et autres aphorismes, dans un style qui associe quelques afféteries (un « brushing impavide », hypallage ?) avec un lot de platitudes, et emploie l’insupportable tournure « l’insupporter » qui m’insupporte. Elle parle de son œuvre avec ardeur et conviction, et une sorte de naïveté aveugle et satisfaite. Sachez quand même qu’il s’agit d’une réhabilitation du personnage de Barbe Bleue ignominieusement traité par Perrault, et de son droit au secret.

Cette fille doit largement friser la cinquantaine, et l’énergie qu’elle met à se mettre en scène au lieu de travailler son talent a quelque chose de profondément pathétique.

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lundi, juillet 23 2012

Voix de l'été

Une belle émission de l’été, sur France Inter, les samedis et dimanches de 14 à 15heures : Tout Compte fait, produite et animée par Paula Jacques, qui est elle-même écrivain. Aussi les questions sont-elles perspicaces et sensibles, l’écoute attentive, et l’émission, un vrai bonheur. J’y ai entendu, quasi par inadvertance, Rezvani, dont le verbe emporte, René de Obaldia, à la fantaisie malicieuse et grave, et hier, Marie (Raphaëlle) Billetdoux, dont je ne connaissais que les titres de quelques-uns de ses livres (Prends Garde à la douceur des choses, parce que c’est un vers si beau de Paul-Jean Toulet) et rien de l’œuvre – encore de l’autobio, pour la dernière -.
J’ai évité Onfray, parce que non, vraiment, mais je vois dans les archives qu’il y a eu, entre autres, Mona Ozouf ou Patrick Chamoiseau… Annie Ernaux, aussi, que je suis sûre de ne pas écouter. L’émission a pour objet de dresser « des portraits grandeur nature d’écrivains, de philosophes, d’ethnologues et autres aventuriers de la pensée et de la créativité. », et l’on remarque à quel point, en ce qui concerne les écrivains, ceux de la francophonie y sont nombreux, dont Paula Jacques, née au Caire est elle-même issue.

En Arles

Dans Arle, où sont les Aliscans,

Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

            Et clair le temps,

 

Prends garde à la douceur des choses.

Lorsque tu sens battre sans cause

            Ton cœur trop lourd ;

 

Et que se taisent les colombes :

Parle tout bas, si c’est d’amour,

            Au bord des tombes.

Paul-Jean Toulet – Contrerimes, romances sans musique
(avant 1920)

 

dimanche, mai 13 2012

A propos de 'clinquant', fulminations lexicales à sauts et à gambades

Mais bon sang, ils peuvent pas dire « clinquant » au lieu de dire « bling-bling » ????? - « en toc, tape-à-l’œil, tapageur(-se), maniéré(e), prétentieux(-se), factice » ????? Ni « défi » au lieu de « challenge » - qui au passage est un mot issu de l’ancien français, lequel est lui-même issu du latin « calumniare », marrant, non ?
On leur apprend pas non plus le vocabulaire, dans les écoles de journalisme ? Ce matin, c’est à propos de cuisine, dans l’émission « On va déguster » sur France Inter. Que j’écoutais après « Eklectik » de Rebecca Manzoni/ Jacques Audiard, en me disant que France Inter proposait désormais des émissions de grande qualité, construites, documentées, inventives, avec des voix de radio [des fois, il y a la voix sans la qualité : la minaudière, frétillante, inquisitoriale, arrogante, paternaliste, insupportable Pascale Clark, par exemple], alors que France Culture avait perdu cette touche de la voix, qui était, avec la passion de transmettre de ses producteurs(-trices) d’autrefois, sa griffe. Donc Rebecca Manzoni, avec sa voix, son sens du silence, son attention aux gens qu’elle interviewe, la connaissance et le respect qu’elle a de leur travail. Et la façon qu’elle a de les rendre intéressants, de les transmettre, en somme, même quand a priori ils ne font pas partie des références de l’auditrice que je suis. Joey Starr, par exemple, que j’ai écouté presque à mon corps défendant (mais avec intérêt)… (mais pas Annie Ernaux, non, au-dessus de mes forces). Jacques Audiard, c’était un bonheur, avec sa diction trébuchante, sa modestie, et cette passion de la forme juste, qui lui a fait peupler sa « minute de solitude » conclusive par la lecture d’un passage de « Forme et signification » de Jean Rousset, consacré à Flaubert, par lettre à Louise Colet interposée. Sur l’art de faire tenir ensemble, dans une forme de déséquilibre, de beaux passages fignolés, puis défignolés. Alors, si les hôtes d’ « On Va déguster » ont la passion de la bonne cuisine, des produits goûteux et du terroir, que ne l’expriment-ils dans une langue elle aussi ancrée en terroir, en archaïsmes, savoureuse, en somme ? Au lieu de parler de « cuisine bling bling » !

Il y a un autre mot qui florit par les temps qui courent dans les propos moutonniers des journalistes et autres chroniqueurs. De « marinisme » ou « mariniste », pour ma part, je ne connaissais que la langue affectée, précieuse, maniérée (presque une anagramme) du Cavalier Marin, Giambattista Marino, dont l’« Adonis », offert à Louis XIII en 1623, bouleversa l’Europe galante et précieuse du XVIIe. (C’est l’une des sources de L’Adonis de La Fontaine, dédié à Fouquet). Poète brillant, le Cavalier, est quasiment le vulgarisateur du concetto, la pointe ou chute galante qui irrite tant Alceste dans le sonnet d’Oronte…

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samedi, février 25 2012

Thomas Hardy à la radio

Ce n’est pas un Gallienne du meilleur cru (la lecture est un peu précipitée, le résumé approximatif, et les épisodes pas forcément les mieux choisis), mais c’est quand même un Gallienne très honorable, et il est consacré à Thomas Hardy : Tess d’Urberville et Jude l’Obscur.

C’est le « Ça peut pas faire de mal »  de ce soir, et il doit être réécoutable un bon bout de temps.
(Le fils aîné de Jude et Sue est appelé « le petit père le Temps », je ne sais pas pourquoi il ne l’a pas dit, c’est un nom – et un personnage - si étrange !)

dimanche, novembre 13 2011

Considérations dominicales décousues

      Comme je parlais avec enthousiasme de Trollope à mon amie Soizic la libraire, elle a évoqué à son tour un auteur dont j’ignorais tout, William Wilkie Collins, aussitôt emprunté à la bibliothèque.
      - Eh oui, les livres coûtent vraiment très cher, en particulier pour les dévoreurs et – reuses dont je suis, sans parler de la place sur les étagères, ou  plutôt des étagères elles-mêmes, qui commencent à sérieusement manquer, et il va falloir que je procède dès que possible à un très sérieux désherbage, suffit de trouver le temps. Non que je m’apprête à passer à la « liseuse », sous prétexte que le livre serait un objet désuet, caduc, démodé, dépassé, archaïque, obsolète, périmé, suranné, passé de mode, anachronique, fossile, has been ! c’était le sujet du Répliques de Finkielkraut samedi, que j’écoutai d’une oreille tout en vaquant, et qui confrontait François Bon, que sa pratique d’une littérature plus aléatoire, ouverte, protéiforme, sur la toile, incline à ranger l’objet-livre au magasin des antiquités, et Beigbeder, qui non, mais dont les propos en général m’effleurent ou m’insupportent, question de voix, et comment dire… d’épaisseur ? Et je me demandais, en les écoutant, s’il leur arrivait de penser que la moitié de la population terrienne n’avait pas forcément un accès libre à la technologie raffinée que supposent ces objets, ni à l’électricité. Ou même qu’en cas de panne, le bouquin dans le sac, la boîte à gants, la poche, restait indispensable.
      Rien de tel qu’un bon vieux livre, de préférence épais et costaud, même si, du coup, il faut faire des choix. Sans parler des pratiques de sybarite, telles que la lecture dans la baignoire – « encore un petit peu d’eau chaude s’il te plaît » avec mouvement ad hoc des orteils sur le robinet et salut mental à Ariane en ses monologues aquatiques. Un livre dont les pages s’enflent et se boursouflent, depuis la simple humidification  par rebord interposé ou éclaboussures de douche jusqu’à la chute complète dans la baignoire, c’est un livre abîmé, mais en quelque manière complice, et quoi qu’il en soit toujours lisible, telle mon édition de Dona Flor et ses deux maris de Jorge Amado, terriblement gondolée. Mais une liseuse dans la baignoire ? Indépendamment du fait que l’atmosphère tropicale de la salle de bain risque de lui être antipathique, une chute dans la baignoire ne peut qu’être fatale, et voilà 99 euros à la baye. Et le sable, à la plage ? Non, décidément, pas pour l’instant.

      Donc W. Wilkie Collins. Un ami très proche de Dickens, avec lequel il a même écrit un roman, Voie sans issue, selon le catalogue de la bibliothèque, et dans la revue duquel il a publié nombre de ses œuvres (vingt-sept romans, entre autres !). C’est Phébus qui s’est chargé de la republication de ses romans, dont je viens de lire Cache-cache (Hide and Seek) (et vive les longs week ends et les nuits d’hiver). A propos, ai-je jamais écrit ici que j’adorais Dickens, et par-dessus tout Oliver Twist ?

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mercredi, mars 9 2011

"La fiente de l'esprit qui vole", comme il disait, le père Hugo...

... qui ne crachait pas dessus...
Petit festival de calembours, pour accompagner d’un sourire la venue du printemps. Anthologie cueillie ces derniers dimanches chez Les Papous dans la tête de Françoise Treussard. Merci à Patrice Delbourg (il le porte à la rime !), papou de grande classe, collectionneur de jeux de langues:

Renaissance : « Quand Titien à Blois, le Caravage passe »…

Et de Maurice Biraud, homme de radio et comédien, récital : « les Brahms m’en tombent / Austère, Liszt / Tatiana Poulenc, y’a n’a pou’ l’autre / Mendelssohn toujours trois fois/ Qui dort Borodine ! »...  ;-D

Bon appétit !

samedi, décembre 4 2010

A propos de lecture (s) / propos de lectrice

J'écoute Finkielkraut, que j'aime bien malgré sa propension à la prophétie catastrophiste, sa parole possédée de pythie en proie à la transe. Il parle de livres et de lecture avec Charles Dantzig et Michel Crépu, et cite une prof  - Catherine Henry ? - qui s'émeut de ne plus pouvoir faire lire ses élèves, à cause de toutes les esquives que leur permettent les "nouvelles technologies".

J'ai une réponse, moi, absolument pas dans l'air du temps. Le meilleur moyen de partager une lecture avec une classe, une fois que l'on a obtenu d'eux une forme de discipline, c'est de lire avec eux, à voix haute, en classe. Évidemment ça demande du temps, et une pratique du commentaire cursif plus que de la sacro-sainte "lecture analytique". Mais ça marche, je l'ai fait, entre autres avec des garçons dont certains ne touchaient jamais un livre, dont l'un, 18 ans, m'a dit n'avoir jamais LU un livre. On a lu, ensemble, presque tout Le Vicomte pourfendu. Je leur dois un moment de bonheur pédagogique que j'ai déjà conté à satiété et que j'écris à présent : tout en commentant le texte avec eux (réponses à leurs questions, réflexion partagée sur les excentricités du récit) je me suis interrogée à voix haute sur le fait que c'était la moitié droite du vicomte qui était la mauvaise -

        «  - Je ne comprends pas, d'habitude, c'est le côté gauche qui est considéré comme néfaste...
           - Mais madame, (enfin, à quoi tu penses ?), la moitié droite, c'est la moitié sans cœur ! »

 Je considère cette mince anecdote comme la justification absolue de cette manière de travailler. Cela signifie que même une « mauvaise classe » peut apporter quelque chose à un professeur, dès lors qu'il y a échange. Cela signifie aussi que le livre les occupe, et se met à les habiter, même si ce n'est pas forcément un « grand livre », n'en déplaise à Finkielkraut et à ses invités.

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lundi, août 30 2010

Bettencourt, l’autre

Les ballons

Au printemps, leurs femmes gonflent comme des ballons et s’envolent. Les maris doivent les tenir en laisse avec un cordon. A la terrasse d’un café, on les rencontre ainsi par trois ou quatre attablés, leur laisse à la main. Vingt ou trente mètres au-dessus d’eux, s’ils ont bien voulu donner de la longueur, leurs femmes sont en train de faire salon. « Amène-la, me disait mon voisin, qu’on voie un peu la tête qu’elle a. » Mais nous eûmes beau nous y suspendre à trois, rien n’y fit.

Les maris pendant cette période ont une démarche légère, leurs pieds posent à peine sur le sol. Mais, qu’arrive un mauvais plaisant qui coupe la corde, adieu la mère de nos enfants. Portée par les alizés, elle ira se perdre au-dessus des océans, dans ce domaine de rêve et de légende qui leur sert de halo. (avec la voix de Pierre Mondy)

Pierre Bettencourt -
Fumeur de pipe observé par un enfant peau-rouge
, 1969

Ecoutant, sourire aux lèvres, d’antiques émissions de France Culture  Mi-Fugue, mi-raisin (1976 !), par mon cher Bertrand Jérôme - je tombe sur une « fable » ( ? les « Fables Fraîches pour lire à jeun » ont été publiées en 1986, je ne sais donc pas quelle était la source de Bertrand Jérôme en 76, la revue Bizarre ?), puis deux, puis trois, de Bettencourt. Le nom ayant investi depuis quelques mois les ondes radiophoniques et les médias pour de fort nauséabondes raisons, un œil sur gougueule me fait découvrir l’existence d’un Pierre Bettencourt, beau-frère désormais défunt (2006) de madame-qui-défraie-la-chronique. Et la découverte en vaut la peine. Imprimeur et éditeur confidentiel pendant la guerre d’Artaud, Michaud, Ponge, il était aussi écrivain et peintre ? plasticien ?, ami de Dubuffet, auteur d’une œuvre marquée de sauvagerie et de sadisme en quelque sorte policés, apprivoisés ? Les textes sont brefs, cocasses, enlevés, étranges. Il y a une intéressante interview du Matricule des Anges en 97, où vous en découvrirez assez, je l’espère, pour avoir envie, comme moi, de pousser plus loin l’investigation http://www.lmda.net/mat/MAT01983.html .

Découverte de la Chine par une jeune souris montée sur un cheval jaune, 1969

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vendredi, août 6 2010

Bonheur radiophonique

Ça s’appelle Ça Peut pas faire de mal, c’est de 5 à 6 sur France Inter, c’est une émission de Guillaume Gallienne. Je ne connais pas beaucoup ce jeune homme semble-t-il très médiatique, il est sociétaire du Français,  travaille à la radio et à la télé, on le voit dans des films... pour ma part, j’ai pu le voir dans Les Garçons et Guillaume, à table ! spectacle-autobiographique-d’un-seul-homme, à la fois abruptement impudique (il s’agit d’identité sexuelle dans son rapport avec l’histoire familiale), cruel, mais ni exhibitionniste ni vulgaire, et drôlissime. Extraordinaire aisance physique et verbale, un pouvoir de suggestion qui donne le sentiment de le voir en scène avec tous ses interlocuteurs alors même qu’il est tout seul, c’est un spectacle étonnant, époustouflant. Bref, passant par hasard sur France Inter au fil d’un long voyage en voiture, je suis tombée sur cette émission. Il y lisait du Maupassant., voici ce qu’en dit le site (car je découvre que ces émissions sont des rediffusions d’une série qui m’avait totalement échappé !!!) : extraits de

- La Parure, Contes du jour et de la nuit (1885) - nouvelle brocardée à répétition dans Ada ou l’Ardeur, où elle est attribuée à la gouvernante, Mlle Larivière... de diamants ^^, qui signe Guillaume de Montparnasse :-)
- Les Épingles, in La Main gauche (1889), je l’ai pour ma part découverte sur l’inépuisable site de la Bibliothèque électronique de Lisieux où Maupassant est fort bien représenté
- Bel Ami (1885)
- Le Petit fût, in Les Soeurs Rondoli (1884)
- Le Horla (1887)
Avec la voix de Jean-Louis Bory (archives INA)
Et des extraits des films : Guy de Maupassant de Michel Drach (1981), Le Plaisir de Max Ophüls (1952), Chez Maupassant de Jacques Santamaria et Gérard Jourd'hui (série télévisée, 2007), Boule de Suif de Christian Jaque (1945).  (Il y manque cette merveille disparue que fut L’Ami Maupassant, la série de Claude Santelli...)

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jeudi, août 5 2010

« Le vers de mirliton est un art distingué et subtil, qui permet de passer pour un crétin aux yeux des imbéciles ».

Cet aphorisme tient lieu d’épigraphe à Ubu à l’Elysée, dernier opus de Claude Semal, comédien, marionnettiste, chanteur, auteur dramatique belge, dont les deux spectacles auxquels j’ai assisté, celui-ci et Œdipe à la ferme, avec poulets, poireaux et autres légumes, m’ont fait rire aux larmes. C’était à l’inénarrable Festival des Comiques agricoles, à Beauquesne, Somme.

Lequel aphorisme me paraît convenir à merveille au petit bijou ci-dessous, découvert, grâce à des amis, précieux collectionneurs d’émissions de radio, dans un numéro d’Allegro .... Ma non troppo de 1976. Allegro ... Ma non troppo était, avant Les Décraqués, et Les Papous dans la tête, toujours animés le dimanche par Françoise Treussard, une émission littéraire de Bertrand Jérôme, inoubliable homme de radio, infatigable découvreur et éveilleur de talents, dont ces petits joyaux de deux fois une demi-heure ont accompagné les dimanches de ma jeunesse.

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vendredi, novembre 14 2008

François Caradec est mort hier.

Pour moi, c’était avant tout une voix râpeuse, gouailleuse avec élégance. Celle d’un des compagnons de toujours de Bertrand Jérôme, chef d’orchestre de la seule émission de radio que j’aie toujours écoutée : les Décraqués (enterrés un jour de caprice par Laure Adler de sinistre mémoire) et/ou les Papous dans la tête, toujours vifs, malgré la mort de BJ, en juillet il y a deux ans. Caradec, donc, grand jongleur de mots - contrepéteur rigoureux et adversaire déclaré des déviances anagrammatiques de son compère Jean-Bernard Pouy - lexicographe collectionneur d’argot, grammairien des gestes ! savant Willologue contre les colettophiles de tout poil (dont je suis), ouilipien, oubapien, pataphysicien, quenellien, docteur es marges et marginaux… deux sourcils, et une moustache.
Je lui dois bien des sourires et des éclats de rire, aux repas du dimanche. Que les retrouvailles, là-bas, au banquet grouillant des excentriques, lui soient douces.
Une recension de son dernier livre sur l'Alamblog

23/ 11 : Bel hommage en ce dimanche neigeux de fin novembre, rendu par Françoise Treussard très émue à François Caradec.

jeudi, octobre 30 2008

"Une vie, une œuvre", un naufrage (sur France "culture" ???)

Autrefois (oui, je sais, c’est un mauvais début. Ça fait nostalgique…) ça durait trois heures ? et on y apprenait, par la voix de passionnés et / ou de spécialistes inspirés, des tas de choses sur tel auteur, tel peintre, tel musicien, familier ou radicalement inconnu. J’ai écouté ce matin - parce que c’était Albert Cohen - la nouvelle mouture, celle de ce jeune monsieur Garrigou-Lagrange. Belle du Seigneur a été résumé en moins d’une minute. Ce qui témoigne, au moins, d’un sens aigu du raccourci.
D’où il ressort que, dans l’interminable ennui de la passion, Ariane et Solal sont devenus toxicomanes (sic) (on ne peut pas prétendre le contraire : ils se shootent à l’éther). J’y ai appris que Solal séduisait Ariane le soir même de son intrusion chez elle, - ce que je lis distraitement, tout de même ! Cohen, lui, a eu trois femmes plus quelques maîtresses, il a écrit son œuvre, qui s’inspire de lui-même, un type très narcissique, en le sublimant, il a fait une petite carrière diplomatique, et il a fini déprimé. Ce qui explique qu’il ait tenu des propos si méchants sur la pauvre Yourcenar. En fait, c’était du délire (sic), de type shooté aux anti-dépresseurs.

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