Littérature grecque

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vendredi, mars 1 2013

Nikos Kokàntzis - Gioconda, récit

A l’époque, avant-guerre, dans les quartiers comme le nôtre, les gens vivaient dans des maisons et non dans des ‘résidences’ ; il y avait des jardins et des fleurs, mais pas de voitures ; chaque saison avait encore son parfum et le silence de la nuit n’était troublé que par l’aboiement d’un chien, le chant d’un coq avant le jour, les grenouilles dans la citerne du voisin l’été, le laitier du matin et les premiers bavardages des ménagères – par tout cela, et tant d’autres choses.

Il y avait alors là-bas une maison pauvre devenue très importante pour moi. Elle était basse, allongée, avec un toit pentu de vieilles tuiles ; une treille courait sur la moitié de la façade et au-dessus de la porte. Il y avait d’un côté un semblant de jardin, avec deux ou trois pots de fleurs, des herbes folles et des orties, mais aussi un grand figuier et une prétendue barrière qui ne faisait que marquer le terrain sans rien protéger – protéger quoi, et de qui ? C’était un jardin honnête et sans façon, dû pour un peu à la main de l’homme, et pour beaucoup à celle de Dieu. Un jardin délicieux que pendant des années jusqu’à ce jour, parcourant les parcs des villes d’Europe, j’ai conservé dans mon cœur avec la nostalgie de ses recoins, de ses cailloux, ses bestioles, ses lézards, ses cigales, du monde immense contenu dans ce mouchoir de poche où nous avons joué, grandi, vécu, appris – surtout appris. 

 

Ce tout petit livre est un tombeau. Le tombeau d’une enfance, le tombeau d’un amour, le tombeau d’un moment de vie intensément vécue et aussitôt perdue. Il ressuscite dans ses moindres émotions, ses moindres sensations, dans ses moindres gestes, mimiques, regards, l’éblouissement d’un amour moral et physique entièrement partagé – et dévasté par l’Histoire, à Thessalonique, en 1943. C’est dense, vibrant, intense, illuminé d’adolescence, de désir, de joie. Beau. Et magnifiquement traduit par Michel Volkovitch, aux éditions de l’Aube.

samedi, novembre 27 2010

Mènis Koumandarèas - La Femme du métro

Tiens c’est vrai, il n’y avait pas de rayon littérature grecque... c’est vrai aussi qu’à part Zorba le Grec, lecture très ancienne, je ne connais pas la littérature grecque autre qu’antique. Et pas moyen de la rattacher à un ensemble géographique plus vaste, j’ouvre donc officiellement avec La Femme du métro - H KYRIA KOYΛA, la maîtresse Koùla si je comprends correctement -, la « catégorie » Littérature grecque. Et pour pouvoir finir sur un éloge, je vais commencer par râler : comme la couverture est moche ! d’un blanc glacé brillant, avec encart photo gris blanc qui mange plus d’un tiers de l’espace, sur laquelle on voit une combinaison (au sens féminin du terme, aujourd’hui désuet) blanche brodée, accrochée à un clou par un cintre au-dessus d’un radiateur blanc aussi : un truc presque néo-Kandisky (Combinaison blanche sur fond blanc), sinistre, déprimant, et sans le moindre rapport – ou  alors je ne comprends rien au concept[1] – avec le sujet de ce bref, mélancolique, éblouissant roman. Editions Quidam, collection Made in Europe, 60 pages, 10 euros, c’est exorbitant, c’est de l’arnaque, et ce n’est pas la postface (deux pages) de l’excellent traducteur, Michel Volkovitch, laquelle n’apprend rien au lecteur, qui y ajoute quelque chose.

Voilà mon déplaisir exprimé (ce livre est vraiment désagréable à manier, à toucher, à regarder). Je l’ai ouvert ce matin en me levant (pas très tôt), il a accompagné mon thé du matin – avantage d’un petit-déjeuner solitaire – et je ne l’ai posé qu’une fois achevé - emportée, inquiète, saisie par cette obscure et souterraine histoire d’amour. Histoire d’une passion sensuelle dans les années 70, entre un garçon en pantalon pattes d’éléphant et pull rouge, Mìmis, beau, hardi, voluptueux, d’un cynisme encore ingénu, et madame Koùla, la quarantaine distinguée, une vie confortable, mais terne et réglée (j’allais écrire métronomique !^^) entre son mari-de-raison, leurs deux filles, et le centre des impôts où elle travaille comme chef de service. C’est un beau portrait de  femme, une sorte d’Anna Karénine petite bourgeoise. L’histoire « s’étire, s’allonge et se retire » au rythme du métro qui a vu leur(s) rencontre(s) et en reste à la fois le décor et le « mètre » tout au long de leur brève aventure. Je n’en dirais pas plus. C’est magnifiquement écrit, et traduit.



[1]

En fait j’ai trouvé dans les premières pages de garde du roman que la photo portait le titre de « L’intranquille », d’Helena Inkeri, fonds Getty. Le nom de la photographe a un air grec, l’héroïne du roman n’est certes pas en paix. Cela suffit-il à justifier l’association ? il y a un logo aussi, d’ailleurs, qui leur aurait été offert par Moebius.