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samedi, octobre 26 2013

Boris Razon - Palladium

J'ai rendu tout de suite après lecture Palladium de Boris Razon, extrêmement prisé par les élèves. Les vacances approchant, il fallait que « ça tourne ». Ma lecture date donc déjà d'une bonne quinzaine de jours, et j'ai beaucoup lu depuis. Que l'auteur et mes lecteurs veuillent bien me pardonner mes approximations.

Après lecture, il y a bien des questions que je regrette de ne pas avoir posées à Boris Razon, parce que je n'avais pas lu son roman, ce jeudi-là à Lille, lorsque je l'ai écouté s'entretenir avec les lycéens. Avec Karine Thuil et Thomas Reverdy, et avant la survenue tardive, intempestive et superlativement cavalière de Yann Moix, ils ont beaucoup parlé cuisine littéraire, c'était chaleureux (les trois auteurs s'étaient réciproquement lus) et intéressant. Ainsi Boris Razon a-t-il expliqué qu'il avait, au cours de la longue rédaction de son roman/récit, renoncé à l'usage du présent, pour permettre au lecteur, ce lecteur ami qu'il apostrophe, de rester à distance, pour lui éviter à la fois la posture du voyeur et d'être happé par la terrifiante traversée des apparences qui y est contée. S'y ajoutent le recours, par moments, à l'humour. Et la substitution, dans la version finale du texte, d'un imparfait un peu bancal à un présent trop dévorant. Pourquoi justement cet étrange imparfait ? Parce qu'imparfait? Elle était inconfortable, par instants, à la lecture, cette discordance des temps.... Les phrases sont assez sèches, par sections brèves, le plus souvent entre plus ou moins huit et quatorze syllabes.
Et puis il y a, à la toute fin du texte, la mention de ce roman autrefois entrepris et abandonné, Le Cas Z., qui aurait conté une histoire analogue, bien avant l'accident. Ça m'a terriblement intriguée, et j'ai regretté que des fragments de ce texte n'aient pas contribué, pour rompre l'alternance trop systématique des récits hallucinatoires et des comptes-rendus médicaux, à la construction du roman actuel. Pourquoi aussi, simplement, le choix de ce mot de « Palladium », au sens, comment dire ? de stèle ou de mémorial-témoin de son aventure, à quoi ressemble, d'ailleurs, dans sa sobriété, le livre lui-même, bloc bleu-sombre, illuminé d'irrisations lyriques au centre desquelles nous fixe une prunelle. Pourquoi ce mot de « Palladium » qui s'est comme imposé alors même que Razon, d'origine juive et turque sans s'en être semble-t-il soucié outre mesure, avait imaginé par le passé un « Turquish Palladium », titre de roman dont il ignorait jusqu'au sens ? Comme si, sous ce récit romanesque d'un voyage hallucinatoire vécu comme réel par l'auteur persistait un étrange substrat inconscient et comme prémonitoire. Prescience, ou présence au coeur du corps et de la psyché étroitement liés de l'auteur, d'un mal mis en mots et en corps à la fois ? La question de ce que signifie, entre intime et universel, le mot « roman » se pose ici de façon à la fois troublante et saisissante.

mercredi, août 28 2013

Herbert Lottman - Colette

Petite chronique rapide :

En quête de références bibliographiques précises au sujet du compagnonnage de Musidora avec Colette, Marguerite Moreno, Annie de Pêne pendant la guerre de 14, je me suis trouvée en train de lire in extenso Colette, d’Herbert Lottman (1990), dont je crois qu’en fait je ne l’avais jamais lu. Biographie à l’américaine, très documentée, en quarante-quatre chapitres dont certains reprennent les titres d’œuvres, tant il y a une dimension autobiographique dans l’œuvre de Colette, et tant son écriture parfois douloureuse a ponctué sa vie : Claudine s’en va, La Vagabonde, L’Entrave, La Naissance du Jour… Musidora n’y est mentionnée que de façon allusive, tant pis. Mais ce qui était intéressant, c’était la façon dont il fait très clairement apparaître combien Colette était dès l’origine une déclassée, qu’elle est restée presque jusqu’à la fin, combien elle a été, dans sa sensualité affichée, dans son incarnation si charnelle, scandaleuse, et enfin combien sa vie a été, avant même le mariage avec Willy (Villy, parce que Gauthier-Villars), au temps où elle vivait chez ses parents, mais surtout après, placée sous le signe du manque d’argent, de la course contre la dèche, jusqu’à ce qu’enfin, les royalties venues de l’adaptation à succès de certaines de ses œuvres - Gigi surtout, en France (de Colette Aubry avec Danièle Delorme, 1949) et aux USA (de Vincente Minelli, 1958, avec Leslie Caron, Maurice Chevalier et Louis Jourdan, je l’ai vu, celui-là, c’est une comédie musicale assez charmante, sinon que je regrette qu’à la fin Gigi reste en robe du soir, au lieu de remettre sa robe d’écolière, comme elle fait dans l’explicit dans cette nouvelle absolument réussie, l’une des œuvres de Colette que j’adore. Légère, fine, allègre.) – jusqu’à ce qu’enfin les royalties donc la mettent tout à fait à l’aise. Ce qui est intéressant, aussi, et c’est un sujet que Lottman connaissait bien, c’est le récit de la vie pendant la guerre, la seconde en particulier. Où l’on voit que la nécessité de vivre, simplement, de manger, obligeait à bien des contorsions, loin de l’image manichéenne si habituelle d’une petite France romantiquement résistante contre une grande France veule et collabo. On y apprend aussi des tas de choses sur les frères Jouvenel, spécialement Renaud, et sur Colette de Jouvenel. Sur Maurice Goudeket (« good quéquette », le mot est de Valéry, mouarf !) comme promoteur de l’œuvre de sa femme : les éditions du Fleuron, c’est lui, je l’ignorais. C’est un ouvrage très documenté, avec notes et références à des articles parfois peu connus, une biblio, et un index. Assez bien traduit, malgré ici ou là des anglicismes ou des bizarreries que j’ai la flemme de rechercher. Du coup, j’ai remis le nez dans la Correspondance, que je butine, lorsque je suis fatiguée ou distraite. Lettres à Marguerite Moréno (l’amie de toujours), à Hélène Picard, la poétesse solitaire et azimutée, au « Petit Corsaire », rassemblées ensemble chez Flammarion. C’est une correspondance extrêmement vivante, alerte, inventive, dont des fragments entiers, au mot près, étaient restés dans ma mémoire. Au-delà des facilités, des afféteries parfois, de la préciosité par moments excessive de certaines des œuvres, Colette était une sacrée épistolière.

Le site de la Société des Amis de Colette est ici.

samedi, février 23 2013

Charles Juliet - Lambeaux

     

Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière. Dans l’âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. À tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable, et fréquemment, tu songes à un départ, une vie autre, à l’infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude. Ces secondes indéfiniment distendues quand tu vacilles à la limite du supportable. Tes mots noués dans ta gorge. À chaque printemps, cet appel, cet élan, ta force enfin revenue. La route neuve qui brille. Ce point si souvent scruté où elle coupe l’horizon. Mais à quoi bon partir. Toute fuite est vaine et tu le sais. Les longues heures spacieuses, toujours trop courtes, où tu vas et viens en toi, attentive, anxieuse, fouaillée par les questions qui alimentent ton incessant soliloque. Nul pour t’écouter, te comprendre, t’accompagner. Partir, partir, laisser tomber les chaînes, mais ce qui ronge, comment s’en défaire ? Au fond de toi, cette plainte, ce cri rauque qui est allé s’amplifiant, mais que tu réprimais, refusais, niais, et qui au fil des jours, au fil des ans, a fini par t’étouffer. La nuit interminable des hivers. Tu sombrais. Te laissais vaincre. Admettais que la vie ne pourrait renaître. À jamais les routes interdites, enfouies, perdues. Mais ces instants que je voudrais revivre avec toi, ces instants où tu lâchais les amarres, te livrais éperdument à la flamme, où tu laissais s’épanouir ce qui te poussait à t’aventurer toujours plus loin, te maintenait les yeux ouverts face à l’inconnu. Tu n’aurais osé le reconnaître, mais à maintes reprises, il est certain que l’immense et l’amour ont déferlé sur tes terres. Puis comme un coup qui t’aurait brisé la nuque, ce brutal retour au quotidien, à la solitude, à la nuit qui n’en finissait pas. Effondrée, hagarde. Incapable de reprendre pied.

       Te ressusciter. Te recréer. Te dire au fil des ans et des hivers avec cette lumière qui te portait, mais qui un jour, pour ton malheur et le mien, s’est déchirée.

Ce très beau texte est le prélude d’un ouvrage que j’ai évoqué ici ou là et dont je n’ai jamais pris le temps de parler plus avant. Il s’agit de Lambeaux,  publié en 1995, après une genèse de douze années, par Charles Juliet, alors âgé de 61 ans.

 C’est un ouvrage inclassable, construit en diptyque, où les « autobiographies » de ses deux mères : la mère perdue dès la naissance, la mère adoptive, se tissent avec celle de l’auteur lui-même. Mêlant étroitement des « lambeaux » de souvenirs familiaux ou personnels à des récits plus réalistes, tissant fiction et souvenirs, prose et lyrisme, l’œuvre tente de renouer un lien rompu dès l’origine entre la mère perdue puis morte et l’enfant, à la recherche d’une sorte de commune « langue maternelle » que l’écriture offrira finalement au fils comme à la mère.

 

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lundi, décembre 31 2012

Barlen Pyamootoo - Salogi's

« Je m’enfermais souvent dans ma chambre pour lire tous les livres qui passaient à ma portée, à commencer par ceux que mon frère et ma sœur aînés étudiaient au collège. Je me souviens du Silence de la mer de Vercors que j’avais du mal à déchiffrer car j’ignorais tout de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation de la France par les Allemands, mais les personnages m’ont touché par leurs gestes à peine esquissés et par leurs paroles en suspens. Et quand j’avais épuisé les livres de la maison, je traversais la cour pour emprunter des romans policiers et d’aventures à mon cousin Vinod.

J’ai cette chance d’avoir beaucoup lu dans mon enfance et mon adolescence, et de porter en moi des histoires qui, encore aujourd’hui, m’obsèdent, m’éreintent, parfois me brisent, des personnages étranges et vaguement effrayants qui appartiennent à des époques révolues et habitent à jamais des pays inconnus, mais dont le corps et la voix pourraient être miens. J’ai eu aussi la chance d’être nourri par tant de langues différentes : le créole, ma langue maternelle, mon substrat ; l’anglais et le français à l’école, sauf dans la cour de récréation où rayonnait le créole ; le tamoul que j’apprenais également à l’école mais qui appartenait surtout aux cérémonies religieuses ; le bhojpuri, une langue indienne courante à la campagne, dans laquellle mon père et ma mère conversaient ; et d’autres langues encore qui me parvenaient sans écho d’une boutique chinoise, de la radio ou d’une salle de cinéma. Et c’était devenu un jeu avec ma grand-mère paternelle de lui parler avec l’accent bhojpuri dans un jargon qui empruntait ses mots à toutes les langues qui m’imprégnaient. Les histoires que je lui racontais étaient trop confuses pour avoir du sens, même si l’intonation était juste, et douce comme l’air d’une vieille chanson indienne, et ma grand-mère qui n’arrêtait pas de pouffer de rire en écoutant mon babil, peut-être parce qu’il éveillait chez elle des souvenirs d’enfance. »

Du Silcnce de la mer, l’auteur de ce « livre de ma mère » a gardé la sobriété absolue, pour évoquer avec une retenue pleine d’amour et de simplicité le souvenir de sa mère morte écrasée par un bus. Bribes de sa vie, contée par elle-même dans le cahier qu’elle écrivit après avoir appris à lire et à écrire, ou retrouvée en brefs éclats par le fils, l’un de ses neuf enfants, entre l’île Maurice peu à peu vidée de toute vie traditionnelle par la pauvreté galopante, et la France - Strasbourg d’abord - terre d’accueil. Il y a un très beau passage, sur l’accueil réservé au narrateur adolescent au lycée, le voici:

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mardi, octobre 30 2012

Patrick Chamoiseau - Antan d'Enfance

J’ai lu, aussi, la semaine dernière, dans la même collection « Haute Enfance » chez Gallimard, Antan d’Enfance, de Patrick Chamoiseau. C’était la première fois que je lisais un texte de cet auteur au nom poétique et chatoyant, et qui depuis longtemps, me faisait signe. Les extraits que j’en ai tapés font un écho singulier à la lecture – postérieure – du roman d’Alexakis. La langue est belle et charnue, avec cette étrangeté à la lecture de ne pas tout reconnaître dans les vocables parfois inassignables ou insaisissables de ce français d’ailleurs, lyrique, inventif, suggestif. En voici quelques extraits :

La maison de l’enfance, cœur battant de tous les souvenirs :

« O mes frères, vous savez cette maison que je ne pourrais décrire, sa noblesse diffuse, sa mémoire de poussière. De la rue, elle semblait un taudis. Elle signifiait la misère grise du bois dans un Fort-de-France qui commençait à se bétonner les paupières. Mais pour nous elle fut un vaste palais, aux ressources sans saisons, un couloir infini, un escalier peuplé de vies comme une niche de crépuscules, une cour, des cuisines, des bassins, des toits de tôles rouillées où nous découvrîmes le monde en de secrètes magnificences. Située au mitan de la ville, elle nous filtrait la ville. Elle savait allier les lumières et les ombres, les mystères et les évidences. La tiédeur de son ancienne sève s’exhalait parfois dans le silence des jours de messe. Elle porte encore nos griffes et nos graffitis, elle a nos ombres dans ses ombres, et me murmure encore (mais des choses maintenant incompréhensibles) quand j’y pénètre parfois. »

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dimanche, octobre 21 2012

La Lune dans le rectangle du patio - Régine Detambel

C’est Martine Rassineux qui a cité Régine Detambel parmi les auteurs qui l’inspiraient dans son travail sur l’enfance. Avec qui, même, elle a travaillé autour d’une réflexion sur la rythmique des jeux d’enfants. Avec l’expo, il y a tout un éventaire de livres sur le sujet à la BM, dont nombre de la collection « Haute Enfance », chez Gallimard – très joli titre de collection. Alors comme les bouquins que je veux emprunter sont toujours dehors, j’ai pioché dans la sélection. La Lune dans le rectangle du patio. En brefs chapitres qui sont autant de fragments se construit en quelque sorte le thriller d’une psyché enfantine. Au cœur d’une vie de petite fille, ce rectangle d’eau croupie du médiocre patio familial où se reflète la pleine lune, seul reflet dégradé du ciel dans sa chambre sous une avancée de toit. Éclats d’une vie familiale populaire, années 60, avec gifles faciles, secrets des parents épiés par les trous de serrure ou un conduit d’aération, téléphone gris marqué par les traces minuscules et écœurantes des corps, pellicules, rouge-à-lèvres, projections alimentaires dans la grille…. Et puis il y a la disparition inexplicable de Trop-se-mêle, sorte de double audacieuse, binoclarde, disgracieuse de l’enfant narratrice. Avec tous les bouleversements qu’entraîne cette disparition : enquête policière, installation de la mère et du frère de Virginie-Trop-se-mêle sur le canapé du salon pour cause de proximité du téléphone… tout le tissu incohérent de la vie prend alors sens autour de cette quête qui, pour être vaine, n’en colore pas moins les plus menus épisodes du quotidien. C’est l’écume d’une enfance qui s’exprime ici, grasse, hybride, hétéroclite, « louche », étoilée de quelques bribes de merveilles, achevée sur un suspens.

Régine Detambel a été papoue, il y a bien longtemps, à la fin du siècle dernier, sans doute.

Elle a un site, beau à regarder (j’y ai fait à peine un tour), organisé, plein de propositions, de textes d’elle et des autres. Une puissante réflexion aussi, semble-t-il, sur le(s) corps.

dimanche, septembre 23 2012

Emmanuelle Guattari - La Petite Borde

J’ai entendu Emmanuelle Guattari à l’émission de Colette Fellous Carnet Nomade. Elle y évoquait d’une voix menue mais fervente le livre qu’elle vient de publier au Mercure de France, La Petite Borde, où elle évoque ses souvenirs d’enfance à La Borde, la « résidence psychiatrique » ouverte où elle a grandi, elle, la fille de Félix Guattari, philosophe et psychanalyste, compagnon du psychiatre Jean Oury dans cette aventure thérapeutique singulière. Je l’ai écoutée raconter ses souvenirs d’enfance parmi les « pensionnaires », comme ceux de « la chauffe » qui transportaient des grappes d’enfants en 2CV cahotante jusqu’à l’école, avec, je dois le dire, la nostalgie d’un temps où la sécurité ne dévorait pas la vie, et où régnait une forme d’humanisme généreux et inventif  dont je me sens moi-même le fruit, et dont le monde d’aujourd’hui semble avoir fait litière. D’où l’intérêt du récit d’Emmanuelle Guattari, né d’une requête de la garderie de La Borde, menacée de fermeture administrative et qui réclamait des témoignages d’anciens.
Je dois dire que j’ai préféré la tradition orale telle que contée à la radio au texte publié. Dans un souci infiniment respectable de retenue, l’autrice a limité ses récits à des éclats d’enfance, sur le mode de l’allusion et du suspens. L’expérience y perd un peu de chair, parfois même de clarté. Et puis, pourquoi ce mot de « roman » pour un texte qui relève si manifestement de l’autobiographie ? Il n’en reste pas moins un joli petit livre sobre dans sa forme matérielle, et qui touche par la justesse de son ton, et le mélancolique tissage qui le constitue de joies et de chagrins.

samedi, août 11 2012

Pierre Barouh - Encore la radio

J’adore les gens qui savent conter des histoires. Comme Jean Renoir, avec sa faconde et son accent parigot. Il y en a des heures enregistrées à l’INA et ça se trouve en CD. Ce matin, c’était Pierre Barouh, chez Philippe Meyer, La Prochaine fois je vous le chanterai. Pierre Barouh est quand même l’auteur, excusez du peu, d’A bicyclette, la célébrissime chanson d’Yves Montand, où l’on apprend qu’en studio Montand s’est trompé sur le texte :

« Quand le soleil à l’horizon / Profilait sur tous les buissons / nos silhouettes/ on revenait fourbus contents / le cœur un peu vague pourtant / de n’être pas seul(s ?) un instant /avec Paulette… » et Montand s’est trompé : « de n’être pas un seul instant » ce qui change beaucoup de choses : « Une erreur infime et l’image se rétrécit totalement », dit Pierre Barouh. Yves Montand a corrigé en public. Il y a une autre histoire de chanson avec Montand, avec Le Kabaret de la dernière chance. « J’la raconte ? Bon, eh bien voilà : » Ça s’écoute ici.

Un type généreux, passionné, humaniste jusqu’au bout des ongles. La suite sera samedi prochain, il y a de très belles chansons. De la belle ouvrage radiophonique. Et il y a un livre de souvenirs ! Les Rivières souterraines, 2011, chez A vos pages.

vendredi, août 10 2012

Lionel-Edouard Martin - Deuil à Chailly

Par un été caniculaire, la mort du vieil oncle Ernest est à l’origine d’une méditation sur la mémoire des familles, des villages, des terroirs, et sur l’effacement des êtres et des choses. Évocation vivace et expressive d’un univers à la fois intime et collectif – en Poitou roman, au bord de la Gartempe - dans une langue charnue, riche, sinueuse, à la fois populaire et savante.

Moins d'une centaine de pages, chez Arléa.

samedi, juillet 21 2012

Jeanette Winterson - Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? est une variété de texte autobiographique complètement foutraque, irrigué par une énergie et une ardeur à vivre et à aimer d’autant plus intenses que l’auteur a connu une enfance difficile, incohérente, violente, placée sous le signe d’une mère adoptive possédée par l’Apocalypse. Il en résulte un texte absolument inclassable, protéiforme, tressant récits d’épisodes douloureux ou heureux avec des réflexions sur la vie familiale, sociale, politique, truffé d’aphorismes divers. Le texte d’une moraliste (au sens d’observatrice des mœurs) qui a dû entre autres son salut au commerce obstiné des livres dans les bibliothèques, où elle avait entrepris de lire méthodiquement « la littérature anglaise en prose de A à Z », poètes exceptés, les poètes pouvant être abordés sans passer par l’ordre alphabétique, à la suite de la découverte incidente de Meurtre dans la cathédrale de T.S. Eliot (encore, juste après Pierre Magnan, coïncidence).

J’y reviendrai quand j’aurai plus de temps, mais j’en extrais le passage ci-dessous, parce qu’il évoque selon moi une expérience humaine essentielle, et universelle.

« Plus je lisais, plus je me battais contre le présupposé selon lequel la littérature serait destinée à une minorité – instruite ou issue d’une classe particulière. J’avais moi aussi droit aux livres. Je n’oublierai pas mon excitation à la découverte du premier poème répertorié de la langue anglaise, composé par un berger de Whitby vers 680 après J.-C. (« l’hymne de Caedmon ») à l’époque où l’abbaye de la ville était dirigée par sainte Hilda.

Imaginez un peu… une femme au pouvoir et un garçon vacher illettré qui crée un poème d’une si grande beauté que les moines instruits l’ont couché sur le papier et l’ont raconté aux visiteurs et aux pèlerins.

C’est une bien belle histoire que raconte ce poème – Caedmon préfère la compagnie des arbres à celle des gens et ne connaissant ni poésie ni chanson, il retourne bien vite à ses vaches et à sa tranquillité à la fin des festivités organisées par l’abbaye où tous sont invités à chanter ou à réciter des poèmes. Mais cette nuit-là, un ange apparaît et lui demande de chanter – s’il peut chanter pour l’ange. Caedmon lui répond tristement qu’il ne connaît pas de chanson, mais l’ange lui dit de chanter quand même – de chanter la création du monde. Caedmon ouvre alors la bouche et il en sort une chanson. (allez jeter un coup d’œil à l’un des premiers récits qu’en donne Bède le vénérable dans L’Histoire ecclésiastique du peuple anglais.)

Plus je lisais, plus je me sentais liée à travers le temps à d’autres vies et éprouvais une empathie plus profonde. Je me sentais moins isolée. Je ne flottais plus sur mon petit radeau perdu dans le présent ; il existait des ponts qui menaient à la terre ferme. Oui, le passé est un autre pays, mais un pays que l’on peut visiter et dont on peut rapporter ce dont on a besoin.

La littérature est un terrain d’entente. »

 

dimanche, juillet 15 2012

Un Monstre sacré

« Je les ai flairés les courriers de la mort »

C’est dans Meurtre dans la cathédrale, de T.S. Eliot, traduit par Henri Fluchère  et incarné par Jean Vilar. Pierre Magnan en évoque le souvenir « ébloui » dans le volume de son autobiographie intitulé Un Monstre sacré, où il évoque ses années de guerre et d’après-guerre, lorsqu’il était « le petit salaud » (selon les termes de Colette) de Thyde Monnier, autrice de sagas paysannes à succès, aujourd’hui totalement oubliée, mais dont le roman Nans le Berger a été adapté en feuilleton à la télé ans les années 70.

Voilà donc d’où son propre roman tire son titre.

Drôle de sentiment à la lecture de ce livre, lu avec intérêt mais, dirai-je, sans plaisir, et même avec gêne, à cause de la crudité sincère, mais en quelque sorte sans bienveillance de ce récit. Magnan y devient progressivement un homme en choisissant le rôle de gigolo, à contrecœur,  mais avec une sorte de conviction sans espoir. Sans doute ce volume fait-il contrepoint – contrepoids – à l’autobio de Thyde Monnier, sobrement intitulée Moi, en quatre volumes… mais on n’a ici que le volet Magnan, et quoique son propos ne soit aucunement de poser au gentleman, bien au contraire, le récit dévoile trop brutalement à mon gré les personnages qui y sont évoqués, les femmes en particulier dont certaines intimement liées à l’auteur. En tout cas, c’est un intéressant document sur des personnages eux-mêmes intéressants, et sur une période restituée de façon très vivace.

Très misanthrope, au demeurant.

 

dimanche, novembre 6 2011

Elisabeth Gille - Le Mirador

C’est mon amie Dominique qui m’avait parlé du Mirador, d’Elisabeth Gille, comme je lisais Suite Française d’Irène Némirovsky sous les mûriers de la terrasse de sa belle maison cévenole. Le titre attendait, au détour d’une page de carnet – mais mes carnets sont aussi en désordre que mes autres papiers - que je me décide. Trouvé l’autre jour à la bibliothèque, emprunté, lu entre hier et cette nuit. Ce sont les « mémoires rêvés », selon le sous-titre, de la jeune femme qui sourit, radieuse, sur la photo de couverture : la mère de l’autrice, Irène Némirovsky, arrêtée en 42 dans le bourg d’Issy-l’Evêque où la famille s’était réfugiée, et déportée à Pithiviers avant d’aller mourir, très vite, en Allemagne. Le titre me faisait penser à une évocation des camps. Mais ils sont absents de ce mirador  - celui d’où elle scrute le passé de sa mère perdue à l’âge de cinq ans ? – qui retrace, par fragments coïncidant avec des éclats de sa propre enfance, la vie d’Irène Némirovsky depuis son enfance à Kiev jusqu’aux derniers jours en France.

C’est un beau livre, écrit à la première personne, qui fait revivre le Kiev tout oriental des années 1900, la vie d’une enfant de la bourgeoisie russe richissime – le père d’Irène Némirovsky, banquier, transformait en or tout ce qu’il touchait – choyée par son père et sa gouvernante française, mademoiselle Rose, si aimante et perdue à tout jamais au détour de la guerre de 14, mais ignorée, dépréciée, tenue à une distance glacée par sa mère, un de ces spécimens de femme russe entièrement vouée au paraître, à la dépense, à la vie mondaine, comme on j’en ai déjà rencontré ailleurs (la mère de la comtesse de Ségur, par exemple, ou la femme de Pouchkine ?). Puis la fuite à Paris pendant la révolution, à l’adolescence – rivalité avec une mère incapable de supporter d’avoir une fille jeune et belle - et l’installation dans une autre vie, plus ouverte, et dès l’âge de 17 ans tournée vers l’écriture, et la publication ! Jeunesse dorée, vie mondaine, flirts, puis la rencontre de son mari très aimé Michel (Micha) Epstein, autre fils de banquier, et la vie conjugale et familiale, ponctuée de succès littéraires retentissants. C’est tout le début du XXe siècle européen que fait resurgir ce livre, entre intimité des familles et soubresauts de l’Histoire.

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dimanche, juillet 24 2011

Aharon Appelfeld - Le Garçon qui voulait dormir

             Ce livre me donne une telle impression de justesse, de perfection, de singularité absolues, que je ne sais pas comment l’aborder, ou plutôt en rendre compte. Je l’ai rangé, dans la synthèse ci-dessous, comme « roman ». Sinon que la mention ne figure pas sous le titre, et que la coïncidence entre le nom du héros et celui de l’auteur invite à lire l’ouvrage comme au moins d’inspiration autobiographique, à l’instar de nombre de ces objets littéraires sui generis, inclassables, qui sont parmi les œuvres les plus intéressantes d’aujourd’hui - il commence à y en avoir pas mal, ici. (D’autres manquent, comme Lambeaux  de Charles Juliet, que je n’ai pas pris le temps de chroniquer, alors que j’en ai si souvent fait l’étude, avec mes élèves.)

 J’aurais envie d’en citer des passages et des passages, tant  le texte est beau (magnifiquement traduit, au passage, par Valérie Zénatti, que sa passion pour l’auteur qu’elle a élu a conduite à publier elle-même, chez L’Olivier aussi, un mince texte, Mensonges. Récit partiellement autobiographique qui construit entre l’auteur et sa traductrice un lien romanesque fictif, étrange effet littéraire d’une rencontre à la fois littéraire et humaine. Je ne sais pas où j’ai posé Mensonges…).

La voix narrative, le « je », est la voix de celui que les rescapés du ghetto, de la forêt, des camps, ont porté, contre vents et marées, épuisement et famine, jusqu’aux rivages éblouissants de Naples. Ils l’ont nommé « le garçon du sommeil ».  Un adolescent au beau visage apaisé, qui échappe, dans un sommeil impossible à secouer, à tout ce que sa vie d’aujourd’hui peut avoir d’insurmontable : la séparation d’avec ses parents morts, l’arrachement à la Bucovine natale avec ses paysages sereins, le chaos des camps de réfugiés, l’ordre en somme factice instauré dans le camp des futurs pionniers de l’Etat d’Israël en devenir, le suicide de son compagnon Marc… Entre Europe et Moyen-Orient, le sommeil est le lieu des rêves qui permettent dans un va-et-vient sans à coups d’assurer le lien entre le passé et le présent, faisant par ricochet ressurgir sans cesse au cœur du présent des personnages tutélaires du passé.

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mardi, juillet 12 2011

Olivier, de Jérôme Garcin,

entendu à la radio, dans une des nombreuses émissions où il a été reçu pour évoquer ce bref opuscule autobiographique, lettre à son frère jumeau perdu, arraché par la voiture d’un chauffard aussitôt enfui, un soir d’été de 1962. Prêté, il y a peu, par mon amie Bénédicte, et lu aussitôt, dans le train.

Livre de deuil, donc, deuil redoublé onze ans plus tard par la mort accidentelle de leur père, d’une chute de cheval.

« Depuis ce jour de Pâques 1973, j’avance dans l’existence à pas comptés, je suis escorté par deux ombres qui se ressemblent et dont, étrangement, il m’arrive de croire qu’elles sont jumelles. C’est comme si la mort avait aboli le lien qui unit le père et le fils pour établir entre vous deux une fraternité d’outre-tombe. Comme si, en vous unissant dans les ténèbres, vous me dédommagiez de ce que j’ai trop tôt perdu. Aujourd’hui, j’ai huit ans de plus que mon père mort et quarante-sept ans de plus que toi, mon frère jumeau. Chaque minute ajoute à mon sentiment d’être le rescapé d’un naufrage. Mais est-ce si enviable de survivre avec des cheveux blancs, le souci des jours qui s’en vont, le poids du passé qu’on traîne derrière soi, et la peur panique de l’accidentel qui frapperait les miens ? N’y a-t-il pas aussi un privilège à partir tôt, à n’être ici-bas qu’un passant pressé ? »

Méditation adressée, sur la gémellité, les livres, l’écriture, le destin, et dieu – ou  pas. Sur la prescience. Sur la solitude du jumeau délaissé devenu à la suite de son père un lecteur impénitent et un familier des – vieux – auteurs. Sur sa quête de la dualité fraternelle à travers le cheval (à la fois lié à l’absence du père et à une sorte de communion physique proche de la gémellité), et sur la fraternité avec Bartabas. Écrit dans une belle langue, souple, rythmée, savoureuse, pleine de l’écho des auteurs aimés. Une langue richement française, en quelque sorte, comme la campagne normande qu’il aime et où il se sent exister. Beau livre contre l’oubli, sincère, auquel, pourtant, je reprocherais parfois d’être un peu bavard, comme si la méditation s’égarait en conversation. Mais c’est véniel. Ce « petit tombeau de papier » mélancolique est un acte d’amour et d’offrande, à Olivier, aux siens, à nous.

samedi, mai 21 2011

Hyacinthe et Rose, de François Morel

Je n’ai  pas l’habitude de chroniquer ici de la littérature jeunesse. J’en suis peu lectrice (on ne peut pas tout faire) et si j’en offre passablement aux jeunes gens qui me sont proches, comme j’en offris en leur temps à mes enfants, je me fie pour cela aux conseils éclairés de Soizic, qui depuis désormais dix ans anime chez Pages d’Encre le rayon littérature jeunesse, avec passion, éclectisme, et talent. Comme j’y passais aujourd’hui - c’est pour moi un rituel très ancien que de passer à la librairie le samedi pendant le marché, même si je n’y achète rien, même si ça se transforme, comme samedi dernier, en séance de karaoké dans la librairie heureusement quasi déserte (ma fille à l’autre bout, côté adultes, ‘non je ne connais pas cette dame’…, et LE client, j’espère que nous ne lui avons pas fait peur) à chanter avec Vanessa, la collègue de Soizic … MIKE BRANT, puis Joe Dassin, devant l’ordi pour les paroles, et qu’est-ce qu’on s’est marrées ! – comme j’y passais donc, elles m’ont toutes deux mis entre les mains avec un bel ensemble et un éloge à l’unisson un immense album jeunesse, magnifiquement illustré de fleurs géantes : Hyacinthe et Rose, de François Morel, illustré par Martin Jarrie. « François Morel, mais si tu sais le Deschiens ! – Ben non, désolée, je ne sais pas, moi, les Deschiens je ne les ai vus qu’au théâtre, je n’avais pas la télé, alors je ne connais vraiment que Yolande Moreau ». Bref. François Morel évoque dans cet album – que je dise tout de suite que j’ai sursauté d’horreur devant les marges de droite pas justifiées qui sont une verrue à chacune des pages illustrées d’une voire deux planches géantes de fleurs somptueusement colorées – la mémoire de ses deux grands-parents en sempiternelle guerre conjugale, Hyacinthe et Rose, donc.

Hyacinthe le coco, qui cultive dans son jardin pour les funérailles des camarades un rosier rouge toujours fleuri à contretemps, Rose qui le pille pour orner les autels aux fêtes de Marie et se nourrit des logorrhéiques paraboles horticoles du curé, le caquet d’icelui toujours sèchement rabattu par les sarcasmes d’Hyacinthe. Un couple en guerre, uni par sa passion commune des fleurs. Un récit où il est question d’enfance, de rituels, d’interrogations, de langage des fleurs, de transmission, de tendresse. D’amours, d’hostilités, de dépits, de catastrophes, de bonheurs. Et même si mon goût me porte plus aux portraits de fleurs à la mode impressionniste, ce beau livre-jeunesse-pour-adultes vibre du dialogue entre le texte et les images.


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dimanche, décembre 5 2010

Hanan el-Cheikh - Toute une histoire

Je ne connaissais pas Hanan el-Cheikh, même de nom. Je n’avais jamais entendu parler des cinq romans qu’elle avait publiés, chez Actes Sud principalement, depuis 1985. Ni de « Toute une histoire » - La Sauterelle et l’oiseau, The Locust and the bird, semble-t-il en anglais, (quant au titre arabe, je ne sais pas), en référence à l’histoire citée en épigraphe – avant de me le voir offrir, avec sur la couverture une belle photo sépia de Raymond Depardon où un couple enlacé vu de dos passe avec vivacité le long d’un front de mer. Je l’ai lu en deux fois, deux « nocturnes ». C’est un très beau texte, une « autobiographie de ma mère », écrite par une fille éloignée d’elle pendant des années par toutes sortes de réticences et une rupture après divorce, au Liban dans les années 50.
Histoire d’une femme pleine de vie, abandonnée dès l’enfance avec sa mère et son frère dans un village libanais du sud, orée d’une vie placée sous le signe de la débrouille et de la ruse. Fiancée à son insu à 11 ans, à Beyrouth, avec son beau-frère veuf, un homme confit en dévotion, et divorcée une dizaine d'années plus tard pour épouser son amant, un lettré et commis de l’état, elle l’analphabète. Histoire d’une vie qu’elle a voulu si ardemment confier à sa fille qu’elle a réussi à briser la barrière, faisant de la romancière une biographe, une généalogiste ? et en quelque sorte le confluent de plusieurs passions de conter : celle du grand-père maternel lettré, celle de la mère pleine de voix, de chants, d’histoires, d’une inventivité radieuse, et celle du beau-père Mohammed dont elle reçoit, après la mort de sa mère, ironique mélancolie, tous les écrits que celle-ci n’avait jamais pu lire, qu’elle avait toujours dû se faire lire. C’est un livre plein d’orient, si je peux l’écrire ainsi : misère, rages, passions, esbrouffe, intense vitalité, contraintes sociales et religieuses, chansons, poèmes, cinéma. On y sent battre le cœur vivant d’un Liban d’avant la guerre de 75, d’avant la destruction de Beyrouth, tout un monde mêlé de petites et moins petites gens, gravitant autour de cet incroyable couple d’amants, l’analphabète et le lettré. Plein d’amour aussi, et de justesse. D'une fille qui se borne à donner à la voix de sa mère sa plume, comme le disent si bien les dernières lignes :

« Je me suis mise à marmonner : « Et voilà Hanan en  train d’écrire sur sa mère. Sa mère  qui a souffert et aimé, s’est enfuie, a affronté les traditions et les mœurs de son milieu ; sa mère qui a fait du mensonge un jeu, une facétie, et de son imagination un acte de sincérité ».

J’ai écrit la première phrase : « je vois ma mère et mon oncle Kamel courir derrière mon grand-père ». mais je me suis tout de suite arrêtée. A moins que ce ne soit ma mère qui m’ait arrêtée. Je l’entendais insister pour dire elle-même son histoire. Elle ne voulait  pas de ma voix ; elle voulait sentir les battements de son cœur, ses angoisses et ses rires, ses rêves et ses cauchemars. Elle voulait revenir au commencement avec sa propre voix. Elle était si heureuse de pouvoir enfin être la narratrice...

C’est ma mère qui a écrit ce livre. C’est elle qui a déployé ses ailes pour prendre son vol. j’ai juste soufflé le vent qui l’a emportée dans ce long voyage. »

samedi, novembre 13 2010

Deux regards

L’un est plus théâtralisé, portrait pris pour la « vedette » d’un film jamais tourné* (avec elle, en tout cas), l’autre est véritablement saisi par un père « sur le vif ». La première est une adolescente en proie à de douloureuses épreuves, l’autre est une enfant de neuf ans avant le bouleversement absolu que sera la mort de ses deux parents asphyxiés dans une fuite de gaz. (J’ai laissé délibérément la photo d’Yvette Thomas avec la pliure, - récupérée sur le blog ouvert par son fils autour d’Un Diamant brut - parce qu'elle me semble témoigner d’une relation d’urgence avec les rares traces de son enfance).

Pourtant la gravité du regard sans fard d’Yvette m’évoque irrésistiblement le texte écrit par Anny Duperey dans Le Voile Noir en contrepoint de son portrait, justement. C’est pour moi l’occasion de citer ce texte et d’évoquer fugitivement cet ouvrage autobiographique inclassable, quête de soi dans un dialogue avec les très belles photos de son père. C’est un livre juste, et bouleversant.

Portrait intemporel

C’est le dernier portrait que mon père fit de moi, probablement pas très longtemps avant sa mort. Je le trouve extraordinaire.

C’est ma photo. Elle résume tout ce que je suis profondément, sans défense. Ces yeux-là sont ceux que je vois dans mon miroir trente-cinq ans après quand je suis seule avec moi-même, sans masque, sans effort pour paraître.

Ainsi parfois quand je vois mes enfants, dans des moments de grande fatigue ou d’abandon, je vois fugitivement – si fugitivement qu’il faut vivre l’appareil photo armé en main pour capter cela ! – leur visage intemporel se superposer à leur figure d’enfant. Regard, expression rassemblent en une seconde ce qu’ils sont profondément et tous les âges de leur vie. Leur visage.

Et puis cela fuit, l’abandon se casse, ils régressent, ils rient, ils trichent, ils réintègrent le moment.

Mon père m’a saisie dans une de ces secondes où l’être est rassemblé. Il a fait mon portrait intemporel. Or il date d’avant leur mort, et j’étais déjà cela....

* Le Soleil des eaux, de Char.

jeudi, août 19 2010

Pierre Pachet - Devant ma mère

Comment peut-on définir ce texte ? - comme le journal, attentif et aimant, d’une conscience qui se défait, de la défaite d’une conscience. Un fils devant sa mère, non plus auprès d’elle, ni à ses côtés, faute d’en être même reconnu.
C’est extrêmement bien écrit, dans une langue riche, souple, puissamment analytique. Une langue d’après Proust, pour une méditation sur le temps et la conscience, la parole et le corps, la solitude et la vieillesse, la langue – les langues : le russe, le français, le yiddish – et la mémoire. Tentative de mettre en mots, de faire advenir à la connaissance ce mystère d’un être familier devenu étranger, mais familier quand même. D’un être pour qui l’on est un autre, voire plusieurs (mon fils et un ami, Pierre Pachet), voire absent, ce qu’exprime cet intertitre de section, par exemple : « Comment elle (me) regarde ».
« Exercices d’écriture et de piété » qui inlassablement tentent de retenir, retisser du sens face à l’effilochement d’une charpie de langage, d’ « une parole désormais à la dérive et en voie de dislocation ».

Ces notations minutieuses, et restituées au fil de la réflexion sur un mode non-chronologique, on pourrait les penser cliniques, détachées, « abstraites ». Il n’en est rien. Devant cette mère privée de temps, d’espace, de parole construite, de liberté et de dignité physique, de la cohérence d’un passé et donc du sens d’une vie, ce vers quoi mène le livre, c’est à une réflexion sur la fidélité, sur l’humanité, sur le rire comme partage, « pour ce que rire est le propre de l’homme », entend-on en profond écho.

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lundi, août 16 2010

Leïla Sebbar - L'arabe comme un chant secret

Tout me sépare de la mère et des sœurs de mon père. La langue, les gestes, les manières, les habitudes domestiques. Il faut manger assis sur des coussins autour d’une table basse, il faut manger tout ce qui est servi, faire honneur, les vieilles tantes nous parlent avec des plats inconnus longuement cuisinés, du pain cuit à la maison, des gâteaux au miel et aux amandes pour nous, les enfants du frère préféré, il faut manger, dire que c’est bon. Nous mangeons, nous mangeons, et les vieilles sœurs – elles n’étaient pas vieilles – nous regardent sans manger, attendries, étonnées de nos jupes trop courtes, des rubans écossais dans nos cheveux, de nos sandales de toile blanche, si blanches, de nos bavardages dans la langue inconnue. Elles sont grosses, elles portent des blouses à fleurs, des pantalons bouffants, des cheveux rouge carotte s’échappent de leurs foulards superposés. Les sœurs de mon père. Ainsi mon père a une mère et des sœurs, aussi vieilles que sa mère, qui ressemblent à Aïcha et Fatima quand elles ne seront plus jeunes. Elles nous prennent dans leurs bras, nous serrent contre leurs blouses moelleuses, nous embrassent en riant, elles prononcent en les déformant les prénoms français de mon frère et de mes sœurs. Elles sont heureuses de nous, si étranges sous le jasmin dans la cour de la vieille maison du vieux Ténès. Ma mère, la Française, assisse sur une chaise près de mon père, prête ses enfants à l’amour des sœurs privées d’enfants l’une et l’autre. Ma mère sourit, assiste à la scène maternelle multipliée par deux, aux gestes qui enveloppent  comme s’ils allaient engloutir, aux rires de cette après-midi d’été dans une cour fermée, protégée par l’odeur du figuier mêlée au miel des gâteaux que nous allons emporter pour le voyage dans la Peugeot 202 noire.

 

L’éditeur s’appelle Bleu Autour, drôle de nom jamais rencontré avant samedi dernier sur une  table de la librairie L’Odeur du temps, rue Pavillon à Marseille, en face de la pâtisserie orientale Journo où l’on boit la citronnade selon mon cœur : sur un fond de sirop de sucre je crois, pleine de petits glaçons fragmentés, avec la saveur pleine du citron, l’acidité avec la douceur, un goût de l’Orient - l’un des mes plus vieux souvenirs de Marseille. Elle était fermée, j’espère que c’était seulement pour cause de vacances, ou de shabbat, et pas pour cause de vieillesse, sans quoi ce serait une autre de mes racines dans cette ville qui s’arracherait ou qui mourrait, cette ville où, je m’en suis aperçue ce samedi, on peut pas s’asseoir, il n’y a pas de bancs. Ni sur le Vieux Port, ce paysage splendide, clos et ouvert, grouillant, antique, moderne, ciel, voiles, pierres et eaux, mêlé, ni ailleurs, sur l’immense Cours d’Estienne d’Orves décoiffé de son affreux parking Shell à deux étages, gris, sombre, mais autrefois illuminé par son marché quotidien - aujourd’hui immense espace ponctué de beaux réverbères à doubles cornettes comme envolées dans le Mistral,  - une agora idéale où manque un portique ombragé, ou une ponctuation d’arbres, quelle est  cette rage de ne pas donner d’ombre aux villes de la Méditerranée ??? Pas de banc non plus donc Cours d’Estienne d’Orves, seulement d’anonymes cafés.

L’Odeur du temps, une des ces vraies librairies pleines de livres avec un vrai libraire qui lit ses livres, et sur l’une des vastes tables, pour cet éditeur bleu, ce petit livre vert intense, le vert du drapeau algérien, un vert « arabe », et ce titre qui m’a imposé de prendre le livre, presque sans y penser : L’arabe comme un chant secret, avec les arabesques noires inversées des caractères arabes sous le titre français.

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mardi, juillet 6 2010

Le Aye-aye et moi - Gérald Durrell

« Le malgache égrène un cliquetis de mots chantants, un peu comme si vous renversiez un plein seau de billes de verre dans un escalier de marbre. Il paraît, quoiqu’il s’agisse peut-être d’une information apocryphe, que cette langue n’avait jamais été couchée par écrit avant les premiers missionnaires gallois. Ils avaient embrassé cette tâche avec toute la délectation d’un peuple qui avait baptisé ses villes et ses villages de noms qui comprennent chacun toutes les lettres de l’alphabet. La carte du Pays de Galles est en effet parsemée de noms à se donner des crampes aux maxillaires, comme Llanaelhairarn, Llanfairfechan, Llanerchymedd, Penrhyndeudraech, sans parler, bien sûr, de Llafairpwllgwyn-gyllgogerychw-yrindroblantyssiliogogogoch. Aussi ces messieurs les missionnaires, qui avaient dû se réjouir à la perspective de transformer une langue entière en un seul tintinnabulement géant, se surpassèrent-ils quant à la longueur et à la complexité de leur traduction. Dès lors, lorsque mon dictionnaire s’ouvrit à « buste », et m’informa qu’en malgache, ce mot se prononçait : ny tra tra seriolana voasokitra hatramin ny tratra no ho miakatra, je ne fus nullement étonné. Rien, naturellement, ne précisait s’il s’agissait de la partie supérieure du corps humain, de la poitrine de la femme ou du portrait sculpté. Mais s’il était question des seins, je me dis qu’il faudrait un temps fou pour en venir aux autres parties de l’anatomie de celle que vous courtisez, temps au bout duquel votre conquête en serait sans doute arrivée à la conclusion que vous faisiez une fixation mammaire et que, par conséquent, vous n’étiez qu’un jobard. Une langue aussi interminable tend à ralentir le rythme de la communication, surtout celle de nature sentimentale. »

J’adore lire Gérald Durrell. J’ai pris un peu par hasard sur le présentoir du CDI au lycée (Tolle et lege, dit un de ces panonceaux qui ponctuent le lycée de maximes latines) Le Aye-aye et moi (The Aye aye and I, en anglais, on appréciera le « pun »). À la différence de Ma famille et autres animaux, ma précédente et délectable lecture, ce n’est  pas un ouvrage autobiographique stricto sensu. Le sujet en est Madagascar, son écosystème dévasté par la culture sur brûlis, et sa faune exceptionnelle en voie de disparition, que le naturaliste et ... zoophile ? - non, on ne peut pas le dire ainsi – et  ami-des-animaux Gérald Durrell avait entrepris cette année-là de secourir sous la forme de quelques spécimens de lémuriens destinés à être soustraits à une mort certaine pour être acclimatés dans divers zoos, dont celui de Jersey, fondé par Durrell soi-même.


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dimanche, mai 2 2010

Un Diamant brut, suite

Je n’ai pas le temps de consacrer un long billet, comme je l’aurais voulu, à Un Diamant brut, l’ouvrage autobiographique d’Yvette Szczupak-Thomas, petite paysanne de l’assistance publique devenue la « fille adoptive non adoptée », selon la formule de Jean Hélion, de Christian et Yvonne Zervos, éditeurs des Cahiers d’Art. C’est un énorme bouquin puissamment original, et dont la faculté d’émouvoir tient, je pense, à un mélange d’intelligence aiguë, liée à un art du portrait incisif, avec une sensibilité poétique puissante et une capacité sans pareille à retrouver et à exprimer, à travers jeux de mots et images poétiques, les émotions intenses, confuses, douloureuses, d’une enfance ravagée suivie d’une adolescence bouleversée par la transplantation brutale dans un milieu intellectuel et artiste, où elle a rencontré en même temps que l’Art ce qu’il faut bien appeler l’inceste. Le livre suscite des figures profondément chaleureuses – reconstructrices - comme celle de Picasso ou d’Ida Chagall (et tant d’autres ! évoquées avec tendresse et reconnaissance), et d’autres plus ambiguës voire maléfiques, comme celle de René Char, « Bellérophon » (« il a bel air, au fond »), hôte-amant encombrant et somme toute infantile des Zervos dans l’après-guerre. Quelques icônes de l’art et de la pensée en prennent pour leur grade, sans fiel mais sans gants, avec une lucidité assez glaçante.



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mardi, avril 13 2010

Un diamant brut - Yvette Szczupak-Thomas

« Un coin de campagne caché dans le ventre de Paris ? La tanière d’un bûcheron, peut-être, à juger d’après les fûts de bois en grume ou pelard qui jonchent la cour-jardin, ces corps tronqués-grossiers contre lesquels se lovent ceux des fins écuissés dont les branches lèvent les bras au ciel en un sursaut d’espérance (…)
Dans la demeure au sol incertain de limaille, copeaux, escarbilles et mégots, un relent de tanin avec le poivre du métal brûlé, des établis, des étaux et un fauteuil. La couverture cendreuse qui le recouvre fait écrin à un ancêtre barbu blanc, épais, qui s’y ‘rencoigne’. Pas le temps de faire des politesses. Une luminescence phosphorique me tire vers la droite, vers une haute et large salle…une église ? Une jungle ? J’en ai les jambes coupées, et malgré l’appel, n’avance qu’à pas comptés. Des choses dans l’espace ouvert m’attaquent le corps à coups de poing intérieurs. (…) Avec la lenteur élégante d’une plume qui n’en finit pas de tomber en planant sans se presser, une exclamation s’inscrit dans ma tête, en zigzag, après méandres et tournoiements : quin-tes-sence-pureté-per-fec-tion. Ici, un geste séculaire a posé-réuni-accolé deux extrêmes : l’absolu archaïque, primaire et sans-gêne, de sculptures faites à la hache ou au silex dans le bois et la pierre (elles avalent la lumière dans leur puits sans fond) et, en ponctuation, le raffinement évocateur de la stylisation dans des marbres, des cuivres, des bronzes polis jusqu’à l’obsession. Ces formes allusives - splendeur stricte des ovales ! - reçoivent et renvoient plus loin la clarté du jour où s’inscrit le mirage changeant du monde…. Allégresse, euphorie ? oh combien ! mais aussi déférence et épuisement. L’extase déséquilibre.
« C’est si beau que ça m’affole », expliquai-je plus tard, ravie au sens fort du mot, à mes parents adoptifs qui m’avaient crue en proie à une de mes absences. »

C’est ainsi qu’Yvette Szczupak-Thomas raconte, au début de la seconde partie de son long récit autobiographique (II – Chez les Zervos), sa visite d’un atelier dont j’ai tout de suite reconnu quel devait être l’artiste évoqué. Brancusi, qui ne fait pas partie du cercle des artistes qui fréquentaient « chez les Zervos », mais dont l’empreinte esthétique sera sur elle si intense qu’elle « vol(a), sur son établi, un clou dont elle fit (s)on porte-bonheur, (qui) eut, pendant longtemps, le pouvoir de faire renaître en (elle) le bonheur –unique- de la beauté affolante dont l’artiste (lui) avait fait don ».
On lit dans ce texte le sens du portrait, le sens de la beauté, la singularité et l’acuité critique de celle qui n’est alors qu’une toute jeune fille débarquée de sa Bourgogne paysanne natale pour se retrouver plongée en plein cœur du tout-Paris artiste, bohème et intellectuel des années de l’immédiat après-guerre.
C’est dans « Un diamant brut », Vézelay-Paris 1938-1950, texte autobiographique très singulier, où l’auteur dans sa vieillesse retrace dans une langue à la fois précise et intensément poétique son parcours de fille de l’Assistance Publique, arrachée à neuf ans à une famille aimante pour être placée dans un des coins les plus brutaux et les plus arriérés de la Puisaye chez une famille où la violence et l’indignité règnent au point de lui faire désirer de mourir. Destin vraiment étrange d’une petite fille « unique » selon le mot plein d’amour de sa « maman Blanche » mère des histoires, de la lucidité, du respect de soi. J’y reviendrai car je n’ai pas le temps ce soir d’y consacrer une longue chronique. Je voulais seulement partager ce bel hommage à Brancusi, dont le travail est pour moi une expression de la beauté pure.

mercredi, avril 7 2010

Ru - Kim Thuy

Ru, disposé verticalement, c’est le titre sibyllin de ce bref ouvrage. Récit ? roman ? le nom de la narratrice Nguyēn An Tįnh, est différent de celui de l’auteur : Kim Thúy. Il y a donc distance, si mince soit-elle, entre ce qui est conté par le « ''je'' » du texte et son auteur.
Ru donc. Cette syllabe fait vibrer ensemble le mot vietnamien qui signifie « bercer», « berceuse' », et le mince ruisseau qu’elle évoque en français. « Écoulement de larmes, d’argent, de sang », précise le Robert Historique cité en épigraphe. Tout y est, ou presque.
Il est très difficile de donner une idée de la singularité essentielle de ce livre. Sous forme de brefs chapitres dont les plus longs font moins de deux pages, et le plus bref, me semble-t-il, quatre lignes, de Saïgon à Granby (Canada), New York, Paris, Hanoï, l’auteur construit sur trois générations et même au-delà le kaléidoscope cohérent d’une expérience de la guerre et de l’exil. Non seulement la sienne, mais celle de ses parents, de ses proches, et des « gens du pays » auxquels est dédié le livre.
Par petites touches sobres s’y reconstituent des fragments de mémoire, mêlant l’évocation crue et sans pathos ni complaisance de scènes vécues par les « boat people » à des scènes d’avant et d’après l’exil qui a conduit une famille de notables saïgonais jusqu’à Granby, son lac, son zoo, ses bénévoles accueillants. Les boat people, c’est la fin de mes années de lycée. Je ne crois pas avoir jamais lu des horreurs physiquement dégoûtantes comme celles qui sont narrées ici (l’enfant galeux ''bercé'' par sa mère à la lueur d’une unique ampoule dans la cale surpeuplée d’un bateau où circule un pot de pisse, l’invasion grouillante des vers blancs surgis les jours de pluie d’une immense fosse septique dans un camp surchauffé en Malaisie) racontés avec une telle neutralité comment dire ? poétique ? élégante ? courtoise ?

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dimanche, décembre 27 2009

Jean-Louis Ezine - LesTaiseux...

... un livre bavard

Lu avec déception, et une certaine forme d’agacement croissant : parce que ce livre a été encensé, parce que semble-t-il Jean-Louis Ezine en parle avec une conviction communicative (je ne l’ai pas entendu moi-même), parce que mon amie Annie m’en a fait l’éloge ; lu avec en filigrane la voix de l’auteur, et de plus en plus au fil du texte, ce ton de raillerie mondaine que je l’ai tant de fois entendu adopter dans ses chroniques humoristiques du matin, puis du midi sur France Culture. Histoire d’une quête de paternité par un bâtard haï de son « père pour l’état civil », et qui le lui rendait bien, le livre se dilue en quête d’origines incertaines non moins que cosmopolites, placées sous le signe de coïncidences aussi étonnantes qu’un goût de la botanique (Allemand, le grand-père ?) ou de la course à pied (un tout jeune normand mort à l’orée de la guerre ?) ou encore de l’écriture et de la pensée spéculative (un archéologue écossais issu d’une famille d’écrivains philosophes ?). Le brio est indéniable, mais en fait de paternité celle qui parcourt le texte en filigrane avant d’affleurer explicitement est celle – littéraire – d’un autre bâtard de génie dont le goût pour la phrase sinueuse mêlant préciosité et familiarités populaires se retrouve en mineur au fil de ces pages : Aragon, qu’interviewa et côtoya assez intimement l’auteur. Qui en fait mention, comme de bien d’autres célébrités rencontrées ou effleurées / abordées / approchées au cours de sa vie, ce qui confère aussi au texte un petit air de name-dropping assez agaçant. J’ai trouvé que ce livre manquait de chair intime, de tact, de pudeur. Préféré son début, évocation d’une enfance difficile, perplexe, rêveuse et maraîchère, au lacis des références personnelles, topographiques, littéraires, qui diluent peu à peu l’intensité d’un manque qui se dit, et trahit aussi me semble-t-il ces "taiseux" auxquels il est rendu hommage. À traquer le père insaisissable et mythomane, c’est la mère qui se perd, au long de ce qui n’est bientôt plus qu’un récit hâtif d’enquête, terminé, comme toute bonne chronique, par une pointe. Soi dilué en bavardage mondain.Tant pis.

dimanche, décembre 20 2009

Helene Hanff, pour les amoureux des livres et des lettres

14e. 95th st.
nyc
4 jan. 1956

« je me suis cachée sous mon lit pour vous écrire, c’est là que le catulle m’a conduite.
franchement, ça DÉPASSE l’entendement.
Jusqu’à présent, le seul Richard Burton que je connaissais, c’était un jeune et beau garçon que j’ai vu jouer dans deux ou trois films britanniques. J’aurais préféré m’en tenir là. Le vôtre a été anobli pour avoir transformé Catulle – caTULLe – en mièvreries victoriennes.
quant au pauvre petit m. smithers, il a du avoir peur que sa mère ne le lise et il se donne un mal FOU pour l’expurger à fond.
enfin, disons que vous allez me trouver un beau Catulle en latin tout simplement, je me suis acheté un dictionnaire Cassel, je me débrouillerai moi-même pour les passages difficiles. 
(…) J’ai mis de l’argent de côté à la caisse d’épargne en prévision de l’été prochain : si la télé continue à me nourrir jusque là, je réussirai finalement à aller en Angleterre. Je veux voir la cathédrale Saint-Paul, le Parlement, La Tour de Londres, Covent Garden, l’Old Vic et la Vieille Mme Boulton.  Je joins un billet de dix dollars pour ce truc, ce catulle relié en toile blanche – avec des signets de soie blanche en plus ! frankie, où TROUVEZ-vous des trucs pareils ?!»

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