Soizic, à qui je l'avais confié, est allée me faire dédicacer Mal di Pietre au Salon du Livre dimanche dernier. Merci Soizic! Elle a trouvé une autrice solitaire, et qui ne parlait ni français ni anglais. Soizic ne parle pas italien... La conversation a été vite tarie. Dommage ! Moi, j'étais passée au stand Liana Levi le vendredi soir à la fermeture, mais Milena Agus, c'était le lendemain... Le vendredi, c'était Kim Thuy, que je n'ai pas plus vue, d'ailleurs. Adossé aux grilles de l'escalier, en déséquilibre sur deux marches, indifférent au flot montant et descendant des voyageurs, un monsieur asiatique d'âge mûr était plongé dans la version poche de Ru, son petit livre, vendredi soir à Cambronne. Avant-hier, quoi.
Je n’irai pas, je crois. Tant pis. J’écouterai les Papous de
la maison, et pour Milena, si on la trouve sur la toile, tant mieux. Sinon,
tant pis. L’année dernière, je n’ai jamais trouvé l’interview de Riel (elle n’a
pas l’air d’être dans les podcasts), vous me direz, ce n’était pas une perte. Quant
au programme du Salon, je le trouve confus à souhait, comme le fond sonore où l’on
y baigne. Si vous cherchez Agus par le moteur de recherche, bon courage, et par
le programme, vous avez intérêt à connaître le nom de l’intervieweuse, paske
rien à Agus ni à Milena…
Il y aura aussi Mathieu Belezi, dont j’ai haï C’était notre terre, Beigbeder, qui n’arrive
pas à éveiller le moindre intérêt chez moi, Laure Adler, grande prêtresse de la
féminitude libérée (et éradicatrice des Décraqués, et de l’exquis Bertrand
Jérôme, l’été 2004, honnie soit-elle à tout jamais ! Sa voix de papier de verre bobo sur toutes les ondes !!!). Il y aura aussi
plein d’auteurs russes, dont j’ignore tout, autant les découvrir paisiblement
chez le libraire, ou à la bibli. Et de japonais(es) itou. Parmi lesquels Kenzaburô
Oé, prix Nobel, interviewé, oh mon dieu, par Josy soi-même. Aura-t-elle relu
cette fois plus de quatre de ses romans ? peut-être, un prix Nobel, c’est
mieux qu’un chasseur.
Adoncques, « Le Salon du livre, je n’y vais pas »,
c’est décidé. Quant à vous, si vous ne l’avez fait, lisez Agus !
La Comtesse de ricotta, de Milena Agus, - que j'ai chroniquée il y a un peu plus d'un an -, c'est pour bientôt. On peut en lire le premier chapitre ici sur le site des éditions Liana Levi. La traduction est de Françoise Brun.
Entre Ciel
et terre est en fait le premier volet d’une trilogie, dont le second volume
est en cours de traduction, m’a dit en anglais Jón Kalman Stefánsson soi-même,
un homme bienveillant et souriant au stand de Gibert. Juste derrière lui, on
apercevait Jørn Riel signant un ouvrage.
La Contessa di ricotta, l’ho finito ieri. In italiano, così che non so quale sarà il titolo francese.
- Se mi è piaciuto ? Certo ! ma perchè, è più difficile dirlo.
Bon, j’arrête les langues forestières. J’ai donc lu le dernier mince roman de Milena Agus (une « novella », à l’anglaise ?), La Contessa di ricotta, en italien. Je me l’étais en quelque sorte fait livrer par une amie. Or quand je lis un roman dans une langue étrangère (l’anglais ou l’italien en fait), je suis si fière d’avoir mené à bien l’entreprise que le plaisir d’avoir « déchiffré le texte » déborde parfois le texte lui-même, et que je suis en peine de dire ce que j’en ai vraiment aimé, ou non.
A Castello, le vieux quartier de Cagliari, trois sœurs occupent les restes d’un palais dont la splendeur s’est écaillée de façade en façade, au fil des déroutes familiales ; des trois façades de leur palais d’angle, il leur en reste deux, et des dix appartements, seulement trois, un pour chacune des sœurs, l’une au rez-de-chaussée, l’une à l’étage noble, la dernière au troisième, le reste est vendu, et Noémi rêve de pouvoir le racheter, pour restaurer le prestige perdu.
Au rez-de-chaussée, la Comtesse de ricotta – contessa de arrescottu, en sarde -, je ne sais comment on la traduira, ainsi nommée (et c’est sa seule identité) parce qu’elle est maladroite, qu’elle n’a ni allure ni assurance, et que tout lui tombe des mains, mani di ricotta... un cœur trop sensible, aussi, qui lui fait offrir son aide – pas toujours désirée – à tous les malheureux qu’elle croise. Elle a un fils, Carlino, bambin bancal, fugueur, que tout le monde prend pour un idiot avec ses lunettes en masque de plongée, et dont tout le monde, en particulier les autres enfants, rejette les tentatives d’approche.
J’adore les romans de Milena
Agus. Ses « histoires »,
comme dit son héroïne. Aussi foutraquement bâties que les personnages qu’elles
mettent en scène, avec cette sorte de passion des êtres et des mots, et ce sens
du récit vocal qui est sa marque puissante, irrésistible. Quasi personne n’a de
nom, à part Biagio le chien du vétérinaire et ses nombreux compagnons. Il y a «
papa » ou « mon père » qui se voue à sauver le
monde, « maman » toute de
guingois avec ses robes à fleurs qui pendent, sa passion de la splendeur du
monde qu’elle transpose dans ses toiles ou dans le délire de fleurs dont elle a
couronné l’immeuble, « ma tante
» avec « ses seins et son corps
bouleversants », « ses
jambes interminables », ses cheveux mousseux et ébouriffés et
l’interminable kyrielle de ses fiancés toujours en-allés, et « mon frère », qui ne cesse de jouer au
piano « ces malheureux grands déjantés
de Beethoven et compagnie ». Il y a la grand-mère aussi, qui essaie
de mettre un peu d’ordre et de raison, en mots tout au moins, dans sa famille
qui s’en va à vau-l’eau de tous les côtés, car tous sont des rêveurs, tous
épris d’absolus, dieu ou l’amour, le grand, le vrai, l’unique, ou la liberté,
ou le chagrin….
C’est la famille Sevilla-Mendoza, sarde, malgré les apparences, et il y a aussi
Mauro De Cortes, le fiancé épisodique de la tante, qui aime à la passion la
mer, et qui est bon. Et puis il y « lui », qui « ne voit autour de *lui* que des connards puants », selon
qui nous sommes « faits de pisse et de
merde», et qui s’emploie à en faire la matière même de sa relation
avec la narratrice, une toute jeune fille (elle est au lycée) au cœur aussi
perplexe et bancal que les héroïnes des histoires précédentes, qui sont en fait
les suivantes puisque ce roman-ci a été le premier publié en Italie.
Charmante historiette (42 pages- 3€). Où l'on retrouve Cagliari au soleil ou sous la pluie, une jeune femme un peu égarée, un peu suicidaire. Avec son bébé muet. Et le voisin, son jardin, son mur fleuri de glycines et alourdi de lierre sous le balcon de la narratrice, et son jeune fils rageur et plein de coups de pieds. Rencontres, dialogues et promenades. Cagliari, ses placettes, ses enfants et ses exilés. Et cet art de conter des histoires écrites comme si on les entendait.
C'est chez Liana Levi Piccolo. La couverture est jolie, quoiqu'elle représente sur fond de ciel bleu un olivier et non une glycine sur un mur à tessons. Mais baste.
Un an s’est écoulé et Milena Agus a écrit une nouvelle histoire. Que j’ai achetée, aussitôt que publiée. Et lue, à peine rentrée. Le livre qu’on ouvre sur un coin de table, en urgence, entre les courses et le repas du soir. Puis qu’on emporte au lit, au chaud, pour le finir. Une histoire, c’est bien ça. Parce que ces livres, je les écoute tout autant que je les lis. Avec un sourire ravi de gosse affamée. C’est tout un univers déjà familier de gens un peu braques, éperdument excentriques et pourtant proches, sur fond somptueux de paysages sardes. Cette fois, c’est Madame, l’héroïne macca, scimingiada, évoquée par le regard d’une toute jeune fille, adolescente elle aussi un peu égarée, dans un maquis sarde éblouissant et menacé par les promoteurs.
Mal de pierres, Mal di pietre, Mali de is perdas en dialecte sarde. La voix de la narratrice, jeune femme éperdue d'amour pour sa grand-mère, retrace, recompose, retisse la vie de celle-ci : dans les années 40, grâce et gaucherie infinies mêlées, elle est au village celle que l'on courtise puis que l'on fuit étrangement, celle qui n'arrive pas à se faire épouser, aimée avec perplexité de son père et de ses sœurs, haïe de sa mère. Scandale : elle écrit des poèmes et des déclarations enflammées à ses soupirants. Folle, et atteinte du mal des pierres, coliques néphrétiques qui la terrassent régulièrement. Jusqu'à cette année 43 où, fuyant Cagliari détruite par un bombardement qui a anéanti sa famille et sa maison, arrive avec sa valise celui qui trouve refuge au village chez les arrière-grands-parents, et un mois plus tard épouse la grand-mère, malgré elle, qui ne l'aime pas.