lundi, mai 27 2013

Ronsard - Bel aubépin

Je profite de l'unique journée ensoleillée du printemps pour saluer de Ronsard le bel aubépin, croisé de l'autre côté de la rivière...


Bel aubépin, fleurissant,
     Verdissant
Le long de ce beau rivage,
Tu es vêtu jusqu'au bas
    Des longs bras
D'une lambruche sauvage.

Deux camps drillants[1] de fourmis
      Se sont mis
En garnison sous ta souche.
Dans les pertuis[2] de ton tronc
      Tout du long
Les avettes[3] ont leur couche.

Le chantre rossignolet
      Nouvelet,
Courtisant sa bien-aimée,
Pour ses amours alléger
      Vient loger
Tous les ans en ta ramée.

Sur ta cime il fait son nid
      Tout uni
De mousse et de fine soie,
Où ses petits écloront,
     Qui seront
De mes mains la douce proie.

Or vis gentil aubépin,
      Vis sans fin,
Vis sans que jamais tonnerre,
Ou la cognée, ou les vents,
      Ou les temps
Te puissent ruer par terre.

Ode IV, 22 in Nouvelle Continuation des Amours



1 Littré (1880) : Courir, aller vite et légèrement.
Je m'en vais tout de bon promptement t'étriller, / Si tu ne fuis bien vite et ne pense à driller (Hist. du théâtre français, t. X, p. 117, dans Lacurne)
vb tombé en désuétude.
Étymologie :
L'origine en paraît être le verbe anglais to drill, qui signifie percer, s'échapper.Driller avait aussi le sens de briller : Comme le feu dans la fournaise, /Enseveli dessous la braise, /Drille et flamboie étincelant(R. Belleau - Œuvres, t. I, p. 20, dans Lacurne)— On ne voit point au ciel tant d'étoiles flambantes/ Driller au firmament... (Ronsard) (on a confondu briller et driller).

[2]
Orifices
[3]
Abeilles

samedi, janvier 26 2013

Un poème


Arbre

Je suis un arbre voyageur
mes racines sont des amarres

Si le monde est mon océan
en ma terre je fais relâche

Ma tête épanouit ses branches
à mes pieds poussent des ancres

Loin je suis près des origines
quand je pars je ne laisse rien
que je ne retrouve au retour

Frédéric-Jacques Temple

samedi, juillet 14 2012

Giono - Le Chant du monde

« Elle dira :
« - Dis-moi ce que tu vois.
« Et quoi lui dire ?

« Elle pourra toucher mon bras et connaître le tour de mes joues et de mon menton avec le bout de son doigt comme elle a fait pour le petit enfant. Elle pourrait connaître avec le plat de sa main et faire le tour de moi, et savoir où je m'arrête. Mais elle ne peut pas faire le tour de tout avec sa main. Elle ne peut pas toucher un arbre depuis le bas jusqu'au bout des feuilles. Elle ne peut pas toucher le renard qui saute dans l'éboulis comme une motte de feu. Elle ne sait pas où tout ça s'arrête et ce qu'il y a après ça, des arbres et des bêtes. Elle ne peut pas toucher le fleuve. Elle pourrait toucher le fleuve mais il faudrait qu'elle sache nager. Je peux lui apprendre à nager. (...)

« Elle peut me toucher moi, se dit Antonio, depuis le bas jusqu’en haut, et me connaître. Elle peut toucher le fleuve, pas seulement avec la main mais avec toute sa peau. Elle entrerait dedans. Elle l’écarterait devant elle avec ses bras, elle le frapperait avec ses pieds, elle le sentirait glisser sous ses bras, sur son ventre, peser sur son dos creux. Elle peut toucher une feuille et une branche. Elle peut toucher un poisson avec sa main quand je prendrai des poissons. Elle les touchera tous quand j’aurai renversé le filet dans l’herbe. Elle les touchera tout vivants quand ils passeront dans l’eau à côté d’elle et qu’ils feront claquer leurs nageoires contre sa peau. Elle touchera le chat des arbres qui reste dans l’île des geais et qui se laisse toucher quand il a mangé des tripes de poissons. Je tuerai des renards pour qu’elle les touche.  Elle sentira l'odeur de l'eau, l'odeur de la forêt, l'odeur de la sève quand Matelot abattra les arbres autour de son campement. Elle entendra craquer les arbres qui tombent et le bruit de la hache, et Matelot qui criera pour prévenir que l'arbre va tomber à droite et puis tout de suite après l'odeur des branches vertes et de sève, et puis cette odeur qui se fait plus légère chaque jour à mesure qu'on laisse ces arbres par terre avant qu'on les écorce, jusqu'à ressembler à la petite odeur d'anis des mousses en fleur. Mais comment faire pour tout le reste ? »

Il regarda les étoiles.

« Voilà les étoiles qui grossissent. Elles sont comme des grains de blé maintenant, se dit-il, mais comment faire? Je peux lui faire toucher des graines de blé et lui dire : c'est pareil. Elle ne pourra pas toucher les mouvements de tout. Elle touchera le chat des arbres quand il sera couché au soleil avec son doux ventre plein de tripes de poissons et le mouvement de ses flancs. Elle ne pourra pas toucher le chat des arbres quand il marchera là-haut sur les branches des chênes, quand il sautera dans la clématite, quand il se balancera dans les lianes, suspendu par ses griffes pour sauter dans le saule. Elle ne pourra pas toucher le renard qui vient boire au fleuve. Ni le poisson qui monte des fonds quand tout est tranquille et tout d'un coup il saute hors de l'eau comme une lune. Elle me dira : Qu'est-ce que c'est ce bruit ? »

J’ai lu ce texte en 1971, sans doute. En 4ème C (Non, c'était 4ème 3), dans le manuel Plaisir de lire de Jean Géhenno. Dont le titre n’était pas un vain titre ni un vœu pieux, je me souviens aussi, j’ai déjà dû l’écrire ici, d’y avoir découvert la scène de Mère Courage où Catherine bat du tambour pour avertir les gens de la ville de l’arrivée des ennemis, et « Karomama » de Milosz, ou le vol des pommes dans Les Confessions, ou la « Tête de faune » de Rimbaud, par exemple.

Et encore ce passage du Chant du monde, de Giono, dont l’empreinte a dû être si vivace que je savais qu’un jour je le lirai. Sans doute n’avais-je jamais rien lu de si puissamment sensuel – d’ailleurs, je me demande si le sens exact du mot « sensuel » ne m’est pas apparu ce jour-là précisément, sous la conduite, encore, d’Andrée Ferrier. La question avait été posée de la façon dont Clara, l’aveugle aux « yeux comme des feuilles de menthe », qui deviennent des « yeux de menthe » au fil du texte, entrerait dans le fleuve. Et, l’hypothèse naïve d’un maillot de bain écartée, il fallait bien ce que fût nue. Tremblement troublant d’une idée interdite, d’une infraction palpable au conformisme académique de l’enseignement, auquel le cours de ce jour-là échappait plus encore que d’autres.

Lire la suite...

lundi, janvier 2 2012

Chênes

De la Grésigne au Nord du Limousin, le bord de la route est ponctué de chênes. C'est un bonheur pour l'œil, un réconfort.

Un peu de Queneau, donc, pour entamer l'année comme je l'ai quittée. C'est Chêne et Chien (1952), étrange « roman en vers » qui est le récit poétique de la psychanalyse de Queneau - à la fois « chêne » (quesne, ou quêne en normand), et chien (quen). Abject, et sublime. J'adore le poème qui clôt la seconde section de cet ouvrage, et dont voici quelques passages :

Chêne et chien voilà mes deux noms,
étymologie délicate :
comment garder l'anonymat
devant les dieux et les démons ?[…]

Le chêne lui est noble et grand
il est fort et il est puissant
il est vert il est vivant
il est haut il est triomphant.

Le chien se repaîtrait de glands
s'il ne fréquentait les poubelles
Du chêne la branche se tend
vers le ciel. […]

...
Le chien redescend aux Enfers.
Le chêne se lève — enfin !

Il se met à marcher vers le sommet de la montagne.

Et que l’élan des chênes soit en vous pour l’année qui s’ouvre…

samedi, décembre 31 2011

Chêne nocturne dans la Grésigne


Mais le chêne fixé sur un socle de marbre
Semble un berger figé parmi son troupeau d'arbres….

Desnos, en vitesse, pour saluer ce chêne nocturne, à titre de célébration du « bout d’an ».

Et à l’année prochaine !

                          

 

mercredi, septembre 28 2011

Kydônia mala ou cotoneum malum

Le coing, quoi.


C’est une année à coings. Des cognassiers (l’arbre à cognac, m’a dit un jour une gamine !), j’en ai croisé des dizaines cet été sur les routes du Tarn, dans les haies ou au coin(g) des clôtures, il semble bien avoir cette fonction de borne qu’il doit à la profondeur de ses racines, j’ai lu ça quelque part, un jour. Le cognassier au coin(g) de la maison croule sous les fruits. Je les entendais tomber, lourdement, l’autre jour, de mon hamac. D’où ces quelques images, et les recettes du bon Dumas. Une brouette pleine est stockée en ce moment sous le porche. Quand on rentre, on est saisi par cette odeur si délicate, proche un peu de celle du seringa, exquise.

                                                              

jeudi, juin 7 2007

La Maison du retour, de Jean-Paul Kauffmann,

jolie couverture chez ''Nil éditions'', février 2007.
C'est le dialogue de l'auteur avec lui-même, au fil de la découverte de sa nouvelle maison, élue en quelques instants, "at first sight", après de longues et vaines recherches. Une maison de maître dans la forêt des Landes, isolée, abandonnée depuis qu'elle a servi de bordel pour SS pendant la guerre de 40. C'est là qu'il vient camper, au milieu de rien sinon d'un vaste "airial" aux arbres enchevêtrés, en plein provisoire, après son retour de captivité. Accompagné d'un vieux Virgile trouvé sur les lieux, d'un opéra de Haydn - "Il Ritorno di Tobia", qu'il écoute en boucle, et de la présence active et silencieuse des deux maçons grommelants Castor et Pollux, il réapprend à vivre avec soi, la nature, sa famille, ses "semblables".
C'est un retour au monde, celui des hommes et celui de la nature, arbres, chevreuils, oiseaux... Un retour à soi aussi, que tente de capturer l'écriture. Il y a de longs passages sur le rapport aux livres. Ce qui m'a le plus frappée, touchée : que cet homme qui s'est dit sauvé par les livres pendant sa captivité, même les Harlequin que lui apportaient ses geôliers, dise avoir rompu avec eux. Ils sont toujours là auprès de lui, mais plus faciles à "désherber", et surtout, dépouillés de leur aura, du lien conssubstantiel qu'ils entretenaient ensemble. Ça m'a glacée. Qu'on puisse quitter les livres... -
C'est le bouquin d'un moraliste, plein de maximes sur les sujets qu'il traite - sur les maisons, entre autres. Un lecteur de Montaigne, c'est évident. Mais entrecoupé de dialogues, et de flashes d'infos d'époque sur la situation au Moyen Orient. Avec quelque chose d'un peu blanc, d'un peu décousu. Un livre juste et sincère, qui m'a touchée sans me séduire : affaire de style, et de composition. L'histoire, en tout cas, d'une reconstruction, dans la familiarité quotidienne d'une maison.