Littératures du Nord

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mercredi, février 13 2013

Jón Kalman Stefánsson - Le Coeur de l'Homme

Un antique traité de médecine arabe affirme que le cœur de l’homme se divise en deux parties. La première se nomme bonheur, et la seconde, désespoir. En laquelle nous faut-il croire ?

« Si la neige est la tristesse des anges, la neige fondue est le crachat du démon, tout est mouillé, alourdi, la neige devient une ignoble bouillie glacée. » Disparu au cœur d’une avalanche avec  Jens le postier, son massif et silencieux compagnon, et Hjalti, le journalier, ce géant « imposant et quelque peu mélancolique »,  alors qu’ils accompagnaient le cercueil où repose Ásta, la mère des quatre enfants de la Rive de l’Hiver, dont le corps avait été fumé en attendant que l’on puisse l’ensevelir, le Gamin revient au monde. Entre rêve et veille, dans un lit moelleux, au village de Sléttueyri, Islande, il rencontre, parmi d’autres, une jeune fille aux yeux verts, hardie, abrupte, aux cheveux d’un roux si flamboyant qu’il traverse les montagnes. C’est Álfeiður, dont le visage et les paroles vont l’accompagner le reste du roman. La jaquette du volume, qui célèbre cette rousseur éclatante par la photo d’une chevelure fauve relevée en gerbe au-dessus d’une nuque blanche, sur un fond vert pomme, est, disons-le, très laide. C’est assez systématique, dans cette collection. Tant pis. C’est le livre au cœur battant dessous qui importe.

Si le gamin rallie par mer dans ce troisième volet de ses aventures initiatiques son nouveau foyer, la maison de GeirÞruður, où il retrouve Helga et le silencieux capitaine aveugle Kolbeinn, s’il y poursuit avec Gísli son apprentissage des mots, des langues, des mondes, c’est cette fois solitaire, sans la carrure protectrice de Barður (Volume 1) ou de Jens (volume 2). Le gamin devient un homme. Tiraillé de désir entre deux jeunes femmes, Ragnheiður la fille du riche Friðrik, le potentat local, et le souvenir d’Alfeiður, le gamin court, « il court comme un cri », pour donner élan et rythme à sa détresse, pour au moins trouver un accord avec les éléments, l’air, l’eau, la terre. Avec le retour de l’été, les habitants sortent des maisons, couples unis ou désunis, hommes et femmes seuls que le désir attire les uns vers les autres. Les marins débarquent, tels le grand et robuste capitaine John Andersen appelé par la beauté et la liberté de GeirÞruður, ses orteils de reine, ses cheveux de nuit, ses yeux noirs.

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dimanche, février 10 2013

La voix de Jón Kalman Stefánsson

En attendant que j'aie le temps de chroniquer Le Cœur des hommes, le dernier volume des aventures du 'gamin' qui restera jusqu'à la fin anonyme, ces quelques mots pour accompagner ma furia poétique de ce début d'année. Magnifique roman, déjà lu et relu, avec sa syntaxe si particulière, ce flux mi-narratif, mi-vocal, comme si l'on entrait de plein pied dans le mouvement du dialogue ou du monologue intérieur des personnages. En ce moment même, on entend sur France Culture la voix de Stefánsson parlant avec Colette Fellous, et celle de Colette Fellous lisant Stefánsson. C'est l'émission Villes-Mondes, aujourd'hui consacrée à Reykjavik. Stefánsson y fait un passage fugitif*, mais dense, quelques minutes, écoutez-le.

Il se souvint alors de ces quelques vers, ou disons plutôt que les lignes se déversèrent dans ses veines, telles une énergie pure, les vers d’un poème qu’il avait lu dans une revue que Gísli lui avait prêtée, un étrange poème, composé par un auteur américain. Je suis le poète de la chair, je suis le poète de l’âme. Le gamin était hypnotisé mais cela ne valait pas pour Gísli, trop de bruit avait-il dit, trop de dispersion, trop lâche, le texte  se réduit de lui-même en morceaux qui ne sauraient servir à personne, ne va pas perdre ton temps avec ça. C’est pourtant ce que le gamin fit précisément, il passa son temps à recopier le poème extrait de Feuilles d’herbe de l’Américain Walt Whitman, dans la traduction d’Einar Benediktsson. Aucune rime, pas le moindre soupçon de rime et d’allitération, des phrases compactes portées par une énergie pure et indomptée, et quelque chose d’immense, comme la promesse d’un monde plus large, d’une terre plus vaste. Adossé à la clôture, avec derrière lui les deux sorbiers qui s’efforçaient de tendre leurs branches vers la lumière, il baissait les yeux tandis que le poème lui emplissait le sang.

Vous trouverez, ici, les premières pages du roman, et la table des matières.
* L'interview de Stefánsson, traduite par Éric Boury, se trouve vers 18'20''.

dimanche, août 5 2012

Jonasson - Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire

On se demande pourquoi le vieillard qui illustre la couverture du Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire est vêtu d’une grenouillère rose en peluche dont la tête de cochon est posée au sol, sinon dans le cadre du concours d’illustrations de couvertures hideuses qui semble avoir frappé l’ensemble de l’édition française (et en particulier 10/18, qui a renoncé à ses si jolies couvertures pour des trucs fadasses et moches genre roman à l’eau de rose américain - mais ce bouquin-là est chez Pocket), alors qu’Allan Karlsson s’est enfui de sa chambre à la maison de retraite en costume marron et charentaises. Sans doute pour attirer le chaland, puisque figurent sur le fond vert administratif l’icône de l’issue de secours et dans la poche droite un bâton de dynamite, histoire de provoquer un effet comique de décalage. Bref, « on s’en fout », comme chante sur un mode lancinant mais néanmoins convaincant Carmen Maria Vega.
La couverture est moche mais le bouquin est un délice.

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dimanche, mai 6 2012

Henning Mankell - Le Fils du vent

Voilà, j’ai terminé Le Fils du vent, avant même l’aube, dans ce train qui s’arrête dans toutes les gares. Dommage, il va  falloir que je le trimballe comme un poids mort, à une heure de lecture près. C’est un très beau roman d’Henning Mankell, qui, malgré la présence d’un meurtre dans le prologue (il y a presque toujours des prologues dans les romans de Mankell), n’a rien d’un polar. Ce serait plutôt une tragédie. Entre le désert du Kalahari et les étendues boueuses de la Suède, c’est l’histoire de Daniel, enfant noir ‘adopté’ par Hans Bengler, un entomologiste suédois plein d’intentions confuses, qui a ramené de sa première expédition au Kalahari - en quête d’une mouche inconnue destinée à assurer sa gloire posthume - cet enfant trouvé dans le désert parmi les membres massacrés de sa tribu. Tout le séjour de Molo devenu Daniel en Suède est raconté à travers le regard de cet enfant habité par la présence et les voix de ses parents morts, par lesquels il essaie de lire la réalité incompréhensible d’un monde placé sous le signe du froid, de la boue, et des désirs interdits par le luthéranisme ambiant. Dans cette fin du XIXe où s’imposent les thèses racistes à la Gobineau, rares sont les hommes – ou les femmes - assez bienveillants pour saisir de quel arrachement, et combien cruel et absurde, Daniel a été victime, et pour tenter de comprendre les silencieux chemins de sa psyché. Si ce n’est que les deux traductrices ont laissé passer une énorme bourde (p 143 : « Peu à peu, l’homme recouvrit son calme » Aargh !!! ‘recouvra’ !) la traduction restitue avec fluidité cette histoire d’incompréhension réciproque entre deux cultures. Combien étroite, étriquée était la faculté de compréhension du monde dit civilisé à l’égard du monde dit sauvage ! De quelle brutalité, de quelle cruauté il était porteur pour le Hottentot ingénu dont Mankell imagine, de façon tellement saisissante, la misérable odyssée. Loin de la causticité de Voltaire, ou de tout militantisme démonstratif, ce roman offre, dans son ultime chapitre, et par son écriture même, une forme de réparation humaniste aux malentendus et aux blessures de l’Histoire.

samedi, mars 31 2012

Linn Ullmann - Je suis un ange venu du nord

Je suis un ange venu du nord, de Linn Ullmann, est un assez beau roman. Par un hiver enneigé, le trajet, intérieur et géographique, de trois demi-sœurs, Erika, Laura et Molly, pour rejoindre à Hammarsö, dans la maison de tous leurs étés délaissée depuis vingt-cinq ans, leur vieux père. Parce qu’« il y a un air d’épilogue dans tout ça »… parce qu’il faut le revoir, et affronter un passé encore à vif, avant qu’il ne meure. Il y a trois parties, « la route », « la colonie », « été et hiver », qui correspondent au chemin de chacune des sœurs. Entre le présent et diverses strates de passé, les personnages sont attachants, vivants, bien campés. L’île aussi, avec ses bois et ses plages, qui sont le décor des jeux, sensuels ou cruels, de l’enfance. Mais on voit venir de loin autour de quel absent et de quel secret tourne la souffrance des trois sœurs, même si l’on ne s’attend pas à la cruauté de la scène qui a réuni dans le secret - et séparé - le père et les filles. Autre gêne, je ne sais pas si c’est un fait de langue, ou un effet de style, mais la litanie des prénoms répétés à la place de pronoms personnels a enrayé la fluidité de ma lecture.

Le second film de Bergman que j’aie vu, encore adolescente, c’était A travers le miroir. Île, père despotique, séducteur et absent, relations passionnées entre un frère et une sœur désemparés, j’ai souvent pensé à ce film (qui est de 61, cinq ans avant la naissance de la romancière, fille de Liv Ulmann et de Bergman) en lisant ce roman, marqué, me semble-t-il, par la patte et la présence du père, mais avec une légèreté et un souci de la rémission qui l’éclairent d’une plus clémente lumière.

lundi, septembre 26 2011

Henning Mankell - Les Chaussures italiennes

Finir Les chaussures italiennes, de Mankell, dans le hamac, avec le soleil sur l’épaule par-dessus la crête du toit et, à travers le pommier et le frisson des feuilles du bouleau, le ciel, bleu intense ou colonisé de nuages effilochés, c’est un fragment de bonheur.

Tout le monde a dû déjà écrire que c’est un  très beau roman, je le lis tard. Une histoire de retour à la vie, à l’amour, à l’amitié, à la justesse préférée au mensonge, au repentir qui sait trouver le pardon, au passé qui soudain donne sens au présent, au lieu de l’étouffer. Une île reculée de la Baltique, avec sa vieille maison intouchée depuis la mort des grands-parents, un petit lac rond perdu et oublié dans une forêt du Norrland, une forêt habitée de marginaux idéalistes, industrieux et inventifs, la voix puissante et bouleversante d’un facteur hypocondriaque, une nuit d’été, et la mort omniprésente. Et la plume de Fredrik Welin quitte son journal ponctué depuis douze ans de notes météorologiques ou botaniques pour conter sa renaissance hésitante et éblouie.

C’est un beau roman, humaniste, mélancolique, serein.


dimanche, septembre 11 2011

Jón Kalman Stefánsson - La Tristesse des Anges

La Tristesse des Anges de Jón Kalman Stefánsson, c’est le premier livre que je me sois acheté, depuis plus d’un mois. C’est le premier livre que j’aie lu, depuis plus d’un mois, et que j’aie eu envie de lire, après cette longue pause, et depuis que je l’attendais. Je l’ai avalé, entre hier soir et ce matin, amarrée sans rémission ni répit à l’odyssée terrestre de Jens et du gamin, du gamin sur les talons de Jens, dans la neige omniprésente, le blizzard, la glace et la douleur. C’est aussi beau que l’Iliade et l’Odyssée. Car ce que trouve - magnifiquement, magiquement, magistralement - Stefánsson, c’est une forme romanesque, moderne, en prose, aussi saisissante, aussi rythmée, aussi lancinante et envoûtante qu’un poème épique. Et, hiératiques, silencieux, taillés à coups d’embruns, de tempêtes, d’obscurité, de solitude, ses personnages sont aussi stylisés et primordiaux que des héros épiques, quoique plus fragiles, puisque le héros est un gamin, depuis deux volumes accroché derrière la carrure d’hommes plus âgés et la tête bruissante de questions et de paroles, les siennes, celles des poètes, celles des morts, comme une chambre d’échos.

samedi, juin 25 2011

Le Naufrage de la Vesle Mari de Jørn Riel

Je viens de relire Le Naufrage de la Vesle Mari, dixième volume des Racontars Arctiques de Jørn Riel, mais peut-être pas le dernier puisque l’auteur a dit au Salon du livre qu’il lui en restait à écrire – en fonction du temps qui lui serait laissé… je l’avais déjà lu l’année dernière, mais j’avais été si choquée du sort de Museau dans la première nouvelle (et puis c’était le bac, période propice à une extrême fatigue) que c’était comme si je ne l’avais pas lu. C’est encore le bac, mais je suis beaucoup plus réceptive. Si je rechigne toujours à la chute, quoique latine, de la nouvelle sobrement intitulée Museau, je me suis régalée aux sept autres qui toutes, d’ailleurs, portent le nom d’un des chasseurs, sauf la nouvelle éponyme, où l’on découvre la  mortelle guerre psychologique qui oppose, sur la Vesle Mari moribonde (La petite Marie, du nom de la mère du capitaine), Bjørken au capitaine Olsen, sous le regard et les paris des chasseurs rescapés et autres habitants de la pointe sud du Groenland, car c’en est fini de la vie libre au Nord Est depuis la fermeture par circulaire des cabanes de chasse. Vous connaîtrez donc, outre  le sort de Bjørken, celui de Lasselille son disciple benêt, ceux des deux musiciens Doc et Mortensen, et du Comte et de Volle les agriculteurs, celui du Lieutenant ET de ses splendides moustaches, et enfin, tellement improbable et pourtant si réjouissant, celui de Valfred l’allongé, au dentier resplendissant et aux intarissables histoires. Sa dernière n’est pas des moindres.

Quant aux éditions Gaia, elles ont renoncé à leur marque de fabrique, ces pages roses qui faisaient un peu papier cul. Elles y gagnent.

vendredi, mai 6 2011

Quatre Jours en Mars, de Jens Christian Grøndahl.

Une semaine en avril-mai, c’est le bilan de ma lecture de Quatre Jours en Mars, le roman de Jens Christian Grøndahl. Ce qui est beaucoup pour 425 pages. Certes j’ai beaucoup de travail et donc peu le temps de lire (oui, mais la nuit…), mais ce n’est pas la seule raison. Je sors de cette histoire, pas inintéressante en soi, de femme, architecte talentueuse et femme libre, égarée à la moitié de sa vie lorsqu’elle découvre que son fils a franchi les limites de la délinquance violente, avec le sentiment d’avoir absorbé une interminable liste de prénoms, au fil de phrases blanches, expressives certes, sobres, mais juxtaposées. Juxtaposition aussi (un comble pour une histoire d'architecte!) des épisodes au fil des pensées d’Ingrid Dreyer, fille de Berthe, petite fille d’Ada. Trois générations de femmes (chacune univocalique, c’est marrant) divorcées, éprises un moment d’un amant, et subséquemment mères défaillantes de mère en fille, dont les histoires se superposent, au long de ces quatre jours sur le fil du rasoir, entre Suède, Norvège, Italie, Paris, passés, présent.  Le roman relève en outre aussi de la chronique de gestes, à mainte occasion. Ajoutez à cela les aspérités de traduction : Tandis que Berthe raconta p268 (imparfait, non ?), ou Berthe s’installa dans le fauteuil qu’elle a (qu’elle avait….) toujours préféré quand elle passe (elle passait ? la concordance des temps, ça existe encore, non ?) à la maison. L’Œuf  d’Arne Jacobsen, la seule icône de design de l’appartement, et le seul meuble qu’Ingrid a emporté quand elle a quitté (avait, 2x, puisqu’on revient au passé simple !) Bianco Lunos Allé. Berthe servit un Montepulciano.

Et une fin brutalement plaquée au sujet de laquelle je n’ai pu m’empêcher de penser qu’Ingrid retrouvait le lien avec son fils par xénophobie interposée. Il y a beau avoir des observations pleines de justesse, et une certaine mélancolie, je n’ai pas adoré, non.

samedi, avril 30 2011

Indridason - La Rivière Noire

Enfreignant ma propre décision tacite de ne plus lire de thrillers – qui finissaient par entamer ma sérénité – j’ai avalé la nuit dernière La Rivière Noire d’Arnaldur Indridason, titre islandais Myrká (ce qui d’après Google traduction signifierait « sombre » ou  « obscurité »), traduction Eric Boury, ça fait beaucoup d’Islande ces derniers temps, mais seule celle d’Indridason est véritablement contemporaine.

Erlendur, le flic dépressif, est parti en « vacances », disparu sans donner signe de vie, sans doute sur les traces de son passé, et c’est son adjointe Erlinborg qui prend en charge l’enquête sur le meurtre d’un jeune homme sans histoires, égorgé chez lui, le pantalon sur les chevilles. Très féminine enquête sur fond d’intuitions, d’odorat et d’exotiques odeurs – d’où les petits piments entrecroisés sur le fond noir de la couverture, bien qu’il soit essentiellement question des épices du tandoori sur lequel j’ai appris pour l’occasion tout ce que j’en sais. Amatrice de cuisine exotique, Erlinborg a publié un livre de ses recettes, et l’enquête, filtrée à travers sa conscience, est ponctuée de ses réflexions sur la nourriture, et sur les relations avec les enfants.

C’est de viol – question humaine, question sociale - qu’il est question dans ce roman bien écrit, bien traduit, bien mené, d’où la pertinence du regard féminin. (J’y pense, il était aussi question de pantalon baissé sur les chevilles, celles du père Noël, dans le dernier Indridason que j’aie lu, La Voix, il y a quelque temps déjà. Curieux.). Le lecteur suit les pas d’Erlinborg entre Reykjavik, déracinée de son histoire par des destructions systématiques de toute trace du passé, et le village perdu dont est originaire la « victime », village peuplé de gens silencieux et secrets. De témoin en suspects, l’enquête semble s’égarer mais Erlinborg est fine, tenace et rationnelle, et ses sinueuses intuitions sauront guider le lecteur, captivé, au-delà des apparences, vers la rivière noire des sentiments obscurs qui habitent chacun.  

jeudi, mars 24 2011

"L'explorateur et la murène*", Jørn Riel au salon du Livre

Jørn Riel a encore des racontars à écrire ! - combien ? - c’est selon « le temps qui lui sera laissé »…

Je n’aime pas le Salon du Livre, cette grand messe saturée de bruit et qui donne le tournis, où l’on voit des cohortes de gens en file comme au ravitaillement attendant d’obtenir de tel ou tel auteur-culte sa griffe sur la page de garde ou de titre d’un bouquin frais acheté, cependant que d’autres, moins connus voire obscurs, poireautent solitaires et patients devant leur pile de bouquins ignorée ; ça fait mal pour les dédaignés, comme pour les courus qui signent à la chaîne, et même si l’on y découvre au détour des allées tel auteur familier, telle maison d’édition aimée, ou quelle taille gigantesque a atteinte Actes Sud à présent, (qui occupe avec les maisons associées tout un quartier), ou encore des éditeurs confidentiels ou inattendus - le plaisir n’est pas le même que lors des rencontres en librairie, par exemple.

Mais Jørn Riel était au Salon du Livre. Comment résister ? Il était l’invité du Centre National du Livre, de 2 à 3, ce samedi 19 mars. Interviewé par Josyane Savigneau, certes, annonçait le programme, perspective peu engageante voire franchement improbable. Mais pour voir et écouter  cet auteur dont j’aime tant les Racontars Arctiques qu’ils ont fait l’ouverture de ce blog, bonheur de littérature à la fois populaire et savante, malicieuse et profonde, j’ai fait le trajet jusqu’à Paris, et me suis mise dans le labyrinthe des allées en quête de N54, où devait se dérouler la « conférence (?)».

Jørn Riel est désormais un vieux monsieur au visage de cacique pince-sans-rire, mais à la silhouette voûtée et à la voix fragile. Dans la petite salle bondée, on peut le supposer, de ses lecteurs, il se tenait assis derrière la table de conférence, entre son interprète, à sa gauche, une dame chaleureuse qui notait tout avant de tout traduire scrupuleusement et avec vivacité, et la critique ( ?) chargée de l’interviewer. Une « dame au nez pointu », le visage immobile, le regard quêteur. Une jolie voix, certes, mais quel naufrage ! Mme Josyane Savigneau, ex-rédactrice en chef du Monde des Livres !, actuelle collaboratrice épisodique de Jeux d’épreuves à France Culture, doit ignorer que Jørn Riel est un écrivain. Elle a interviewé, à ce que j’ai pu en démêler, un homme, un explorateur, un chasseur. Et craignant sans doute que l’âge - qui sait ? - n’ait altéré son talent de conteur, elle nous a (et lui a) raconté (mal) quelques-unes de ses histoires : d’où il appert qu’elle a dû en relire trois volumes : La Vierge Froide, La Maison de mes pères, et La Maison des célibataires.

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dimanche, mars 20 2011

Après un tour au Salon du Livre hier...

... et aujourd'hui les Papous dans le poste.

Glacial Présent

L’hiver si long, par les glaciers l’âme dérive,
Salles de hautes voûtes blanches où vibre le vide,
Touchant au froid absolu la  mer devient plus lente.
Sur deux rives la matière et l’anti-matière
Chacune en grand chaos s’aiguillonnant elle-même,
Mais au travers de ce présent glacial la bouche
Plaintive jamais n’atteint son portrait sur le miroir, le messager
Ne sait pas revenir au ventre de son origine.
Si le vent caressait au moins cette peau….

Pentti  Holappa (Les Mots Longs, traduit du finnois par Gabriel Rebourcet)

 … dont je ne sais rien de plus pour l’instant, pour n’avoir fait que feuilleter ce mince volume, Il Pleut des étoiles dans notre lit, Cinq poètes du Grand Nord, offert par Gibert à ses acheteurs du Salon du Livre, où je fus, juste parce qu’il y avait Jørn Riel, mais j’en parlerai quand j’aurai le temps. Riel auquel, sur un mode grave et méditatif, peut faire écho le poème ci-dessus.

 

jeudi, mars 17 2011

"Entre Ciel et terre", de Jón Kalman Stefánsson

Nous t’envoyons ces mots, ces brigades de sauveteurs désemparées et éparses….

C’est un émerveillement, chaque fois, de tomber sur un beau livre, un de ceux qui vous emportent, dès les premières lignes, et de se dire qu’il y en aura toujours et encore, qu’il y a toujours quelque part dans le monde de ces auteurs habités, dont les histoires et le style vous saisissent et vous attachent, et ne vous quittent plus.

J’avais vu l’an dernier chez Pages d’Encre Entre Ciel et terre, de Jón Kalman Stefánsson, un auteur islandais, dont Stéphane m’avait recommandé la lecture. Avec une assez belle photo vide, plage, mer, rochers, ciel gris immense. Que je n’avais pas lu, craignant d’une part une histoire trop sombre, et rebroussée en outre par la lecture de cette série branchouille de romans norvégiens d’Ann Ragde - réaction inepte car pourquoi y aurait-il quelque rapport entre un auteur islandais et une autrice norvégienne, pas plus proches que ça, même géographiquement ?

Erreur réparée, bouquin récupéré enfin après l’avoir suffisamment désiré à la bibliothèque, et lu sitôt qu’entamé.

Je l’ai lu d’un trait (la nuit est propice à ce genre de folie), tellement vite que je n’ai pas pris la peine même de noter les pages des passages que je trouvais les plus beaux, il y en a des tas : je n’avais pas sur la table de nuit mon « crayon de lecture », je me disais que je les retrouverais facilement - tu parles !.

 «Le café, l’effort qui les attend, Einar est un homme reconnaissant, il en viendrait presque à apprécier ceux qui sont assis sous les combles, à demi inclinés au-dessus de leurs gobelets presque vides ; il parvient même à regarder ces deux nigauds, Barður et le gamin, sans ressentir la moindre colère, parfois, ils le rendent complètement fou avec leur éternelle et satanée lecture, les citations perpétuelles de poèmes qu’ils s’adressent l’un à l’autre, quelle honte que de laisser cette pourriture se nicher dans votre âme et vous ramollir face à la vie, mais non, même cette pensée ne parvient pas à lui échauffer le sang qui, en ce moment, est un fleuve paisible. Einar sirote son café et la vie est douce.

S’en vient le soir
Qui pose sa capuche
Emplie d’ombre
Sur toute chose,
Tombe le silence,

lit Barður dans Le Paradis perdu, il incline le livre afin que la lampe y projette sa clarté, une lumière qui parvient à illuminer un vers bien tourné atteint probablement son but. »

«GeirÞruður  l’a écouté les yeux mi-clos, ses paupières haves reposaient sur la nuit de ses yeux, Helga fixait la couverture rouge car il faut bien avoir les yeux posés quelque part, ils ne sont pas comme les mains qui peuvent simplement s’endormir ou comme les jambes que personne ne remarque au bout d’un certain temps, les yeux sont en tout point différents, ils ne se reposent qu’à l’arrière des paupières, ce rideau à la surface des rêves. Les yeux échappent à tout contrôle. Nous devons réfléchir où et quand nous les posons. L’ensemble de notre vie s’écoule à travers eux et ils peuvent aussi bien être des fusils que des notes de musique, un chant d’oiseau qu’un cri de guerre. Ils ont le pouvoir de nous dévoiler, de te sauver, te perdre. J’ai aperçu tes yeux et ma vie a changé. Ses yeux à elle m’effraient. Ses yeux à lui m’aspirent. Regarde-moi un peu, alors tout ira mieux et peut-être pourrai-je dormir. D’antiques histoires, probablement plus vieilles que le monde, affirment que nul être vivant ne supporte de regarder Dieu dans les yeux car ils abritent la source de vie et le trou noir de la mort. »

On trouve dans ces deux passages le flux de cette écriture poétique, la justesse des observations, le sac et le ressac des points de vue qui font passer insensiblement de l’auteur, ou plutôt du conteur, au personnage, au lecteur, de la parole commune issue des plus anciennes traditions à la parole individuelle. Étrangement, on ne le comprend pas vraiment tout de suite, ce sont les morts d’autrefois qui, de leurs voix blanches, nous parlent  de l’enfer, de la puissance du désespoir, du goût de la vie et du paradis perdu, et de quoi ? du souffle, quel qu’il soit, qui les habite malgré tout pour que jusqu’à nous parvienne l’histoire de Barður et du gamin, d’Andréa et de Guðrun, de Pétur, d’Arni et Sesselja, de GeirÞruður, d’Helga et du vieux capitaine aveugle, et de tous les autres, marins, femmes, ivrognes, pasteurs… il y a quatre sections au livre, deux en italiques, la première et la troisième, où se fait entendre la voix des morts-conteurs. Les deux autres : Le gamin, la mer et le paradis perdu, puis Le gamin, le Village de pêcheurs et la trinité profane, content l’histoire du gamin.

Entre Ciel et terre fait partie de ces romans puissamment vocaux, sobres, sombres, où domine une nature immémoriale et tragique, éclairée cependant par le courage, l’obstination, la compassion, l’amour et l’amitié des hommes. Et la voix des livres. 

Je suis heureuse que mon trois-centième billet célèbre cet auteur-là. Et d'ajouter, je ne l'ai pas fait et  je m'en repens, que la traduction d'Éric Boury, qui est aussi le traducteur, entre autres, d'Indridasson, est magistrale. Je vois qu'il a un blog, j'irai y voir plus tard, voici le lien.

samedi, février 5 2011

Auður Ava Ólafsdóttir - Rosa Candida, "Afleggjarinn"

C’est un plaisir de lire un bouquin d’une traite. Il suffit pour cela d’une tempête dehors, d’une insomnie, d’une bonne couette et d’un livre pas trop épais : condition réunies la nuit dernière avec un roman de chez Zulma, sa couverture à rabats décorée de motifs géométriques (très années 60, celle-là), son triangle de titre renversé (le triangle, pas le titre), le gracieux qui signe la marque de l’éditeur, avec l’épigraphe empruntée à Corbière : « À la mémoire de Zulma / vierge-folle hors barrière / et d’un louis ». Les pages sont crémeuses, au regard, au toucher. La reliure, solide, on peut tordre quelque peu le livre sans le casser. Autrement dit, un volume de chez Zulma donne physiquement le plaisir de lire, d’autant plus que le roman en question est charmant. Une seule réserve pourtant : je  viens de découvrir que les rabats (heureusement, c’est plus discret) portaient l’équivalent d’une « quatrième de couverture » tellement détaillée qu’on se demande après l’avoir lue - chose qu’heureusement je n’ai pas faite au préalable - pourquoi entamer le bouquin. Cette manie de tout révéler d’un livre avant même qu’on l’ait ouvert ! Ça ressemble à ces apéritifs tellement copieux voire bourratifs qu’on n’a plus faim au moment de se mettre à table. Je croyais qu’on requérait aujourd’hui des auteurs d’appâter l’éditeur avec un « pitch » incitatif. Pourquoi ne pas le répercuter tel que au lecteur ? En tout cas, si vous voulez lire Rosa Candida, ne jetez surtout pas un œil sur les rabats, ça briserait tout le charme.

Rosa candida, donc, traduit l’islandais Afleggjarinn, qui manifestement ne signifie pas la même chose. Je l’ai tellement cherché dans les dictionnaires en ligne, muets et perplexes, que je sais désormais l’écrire par cœur. J’ai la manie de vouloir connaître le titre original d’une œuvre (livre ou film) pour en interroger le sens. Eh bien après moult tentatives totalement avortées (qualificatif en l’occurrence très peu pertinent), j’ai fini par trouver en tapant direct le titre dans gougueule et en tombant sur une critique en anglais : « Affleggjarin » se traduit par « offspring », qui signifie « progéniture », mais « rejeton » aussi….  

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mardi, février 1 2011

Erlend Loe - Muleum

Lu ces derniers temps Muleum d’Erlend Loe, le titre s’éclaire à la fin. Ça se lit vite, ce n’est pas un chef-d’œuvre. Juste un petit roman sans prétention sous forme de journal-intime-et-de-voyage d’une jeune suédoise très fortunée, dont on apprend dès les premiers mots  qu’elle a perdu père, mère et frère dans un accident d’avion en Afrique. Marasme profond de la jeune solitaire qui tient à distance famille, amis et son « docteur Dingo », et va arpenter le monde en avion, pour essayer de rejoindre dans le grand nulle part sa famille disparue. Ça fait un peu scénario en cascade de gags assez noirs, un peu (en beaucoup moins bien), à la Harold et Maud, pour qui aurait vu ce film délectable, mais on sourit volontiers. Bonne surprise, en outre : le traducteur, qui est le même que celui de Doppler - j’ai vérifié, incrédule - a entre-temps renoué avec la langue française. Rien à redire à cette traduction-là, qui colle assez juste avec la langue très relâchée de la jeune héroïne. Un parfait roman de week end…

Et ce soir, c’est Proust par Nina Companeez à la télé. Allons-y voir !

mardi, juillet 27 2010

Anne B. Ragde - La Terre des mensonges (Berlinerpoplene)

Pas facile de lire La Terre des mensonges (drôle de titre d’ailleurs, le titre norvégien est Les Peupliers de Berlin, titre qui aurait parfaitement fait l’affaire en français me semble-t-il, et aurait été nettement plus fidèle à l’esprit du texte et donc plus compréhensible, mais on ne va pas chipoter même si encore une fois la traduction a été torchée - fautes de langue, de syntaxe, d’orthographe grammaticale, impropriétés.... - , le nom du traducteur figure sur la couverture, y a pourtant pas de quoi être fier ... non, non, non, je n’en veux pas aux auteurs du Nord ni aux maisons d’édition qui les font connaître, je leur en veux - aux éditeurs - pour l’absence quasi-totale de relecture qui précède l’édition et pour les bénéfices qu’ils tirent de best sellers sur le dos des AUTEURS ET DES LECTEURS !!!!), euh... « c’est un figuier-banian, cette phrase ! » - pas facile donc de lire ce bouquin dans une maison pleine de va-et-vient, de gens, de repas nombreux et de soirées tardives... Pour autant, la construction : mise en place scrupuleuse et réaliste de chacun des personnages dans son contexte familial (rudimentaire voire inexistant) et professionnel, permet de se familiariser au rythme d’une narration lente et bienveillante, avec les trois frères Neshov. Margido, l’entrepreneur de Pompes funèbres (beaucoup trop méthodique et cérémonieux pour qu’on puisse l’appeler croque-mort) confronté au suicide d’un adolescent fils d’agriculteurs - on a presque l’impression d’entrer dans une enquête policière dont l’enquêteur serait inassignable par rapport aux codes traditionnels, au début – puis son frère, mais quel lien de fraternité peut-on trouver entre deux êtres si dissemblables ? Tor, l’éleveur de cochons attentif à ses truies, dans la ferme délabrée et sinistre où il partage sa vie entre sa mère malade, à laquelle l’unit une relation fusionnelle, et son père fantomatique et presque imbécile, enfin Erlend, le décorateur de vitrines froufroutant et homosexuel, amoureux du clinquant et de la beauté et exilé à Copenhague où il partage la vie de Krümme (« miettes »), et puis appendice inattendu, Torunn, l’éducatrice de chiens, vous découvrirez qui elle est. L’hospitalisation de la mère, à l’orée de Noël, déchire les routines, les projets, les barrières, et réunit la famille, ses souvenirs, ses conflits, ses secrets...

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lundi, mars 29 2010

Doppler - Erlend Loe

Commençons par râler un coup.
« Cela le répugne. Si ça le chante. J’aime qu’ils ne le savent pas (celui-là fait même tiquer mon correcteur orthographique). La réalisation cinématographique est bien la dernière chose à laquelle je dois m’attacher… Bongo et moi y vivions un équilibre sans se donner des avis »….
Et aussi : « Ma sœur estimait que nous ne devions pas nous soustraire à cette volonté, et pourtant nous nous y sommes pliés » ??? Où est l’opposition ? cette phrase n’a PAS de sens !

C’est à se demander s’il est bien nécessaire que les traducteurs signent leurs traductions. Oui, je sais, M. de Gouvenain, directeur de la collection Actes Noirs chez Actes Sud, dira que ce genre de relevé mesquin vise à flinguer ceux qui se décarcassent à faire connaître les littératures du Nord au public français*. Peut-être, mais j’ai des doutes. Pour ma part, je ne vois pas en quoi cela sert les littératures traduites que leurs traducteurs maîtrisent plus ou moins mal la langue d’arrivée – que ça ne sert pas non plus, si je puis me permettre. Ni le lecteur un peu exigeant – désolée - que ça fait sursauter.
En fait, il serait temps que je l’écrive, c’est TRÈS bien, Doppler, d’Erlend Loe – au demeurant chez 10/18, après Gaïa. Amusant, excentrique, stimulant, roublard, logorrhéique, enlevé.

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mercredi, janvier 13 2010

Dina, Benjamin, Karna, trois générations en huit volumes

Allez donc savoir pourquoi Le Livre de Dina, d’Herbjørg Wassmo, et ses deux, puis trois efflorescences, Fils de la Providence, dont le héros est son fils Benjamin et L’héritage de Karna, - cette fois c’est la fille de Benjamin -, sont les cibles préférées des salves de spams que je reçois sous prétexte de commentaires, alors que JAMAIS lecteur humain n’a déposé sur cette saga qui pour être torrentielle n’en est pas moins éminemment captivante la MOINDRE appréciation.

À croire que tout le monde l’ignore. Alors j’en remets une couche aujourd’hui, ça vous changera de Balzac comme d’Alphonse Allais, et il y en a pour un bon bout de lecture ! 

lundi, janvier 4 2010

Katarina Mazetti - Les Larmes de Tarzan

Katarina Mazetti, qui comme son nom ne l’indique pas est suédoise, a connu il y a quelques années un très grand succès avec une romance d’amour improbable entre une bibliothécaire veuve et un éleveur de vaches célibataire rencontré au cimetière : c’était Le Mec de la tombe d’à côté, ouvrage allègre et spirituel, construit sur les voix alternées des protagonistes, et depuis adapté avec succès au théâtre.

Actes Sud publie chez Babel Les Larmes de Tarzan, autre histoire improbable et paradoxale : Tarzan (Marianna de son vrai nom) est une jeune femme archi-fauchée, qui tente d’élever ses jeunes enfants en exerçant à temps partiel le métier difficile de professeur d’arts plastiques (pas la joie prof d’arts plastiques vacataire en Suède, ça donne un avant-goût de ce qui nous guette par ici et ça flanque la trouille, pour les élèves, pour les arts plastiques, et pour les profs) dans divers collèges ; sa vie n’est qu’une longue galère, entre fins de mois plus qu’incertaines, repas insuffisants, enfants (Bella et Billy) pénibles constamment à torcher, Jenny sa copine en plans foireux et les réapparitions clignotantes de son compagnon Micke, un rêveur plus ou moins schizophrène.
Janne est un jeune loup très mode, très oisif, très hype, très à l’aise. Pourquoi, après une première rencontre particulièrement percutante, (Tarzan au bout d’une corde projetant dans le décor Janne en balade et brisant ses lunettes Armani), et une conjonction nocturne éblouie sur la plage, Janne se met-il à poursuivre Tarzan – dont les seins « en oreilles de cocker » ( ! ) l’ont séduit au premier regard - de ses assiduités, malgré toutes les galères ci-dessus évoquées ? C’est ce que ni l’une ni l’autre ne s’explique, et c’est un modus vivendi qui, à l’une comme à l’autre coûte efforts et incompréhension mutuelle. C’est enlevé, c’est piquant, et ça ne manque pas d’aperçus assez réalistes sur ceux que la vie a réduits à des situations limite, sans cesse en équilibre instable entre sauvetage des apparences et risque d’effondrement sans retour. Pour autant, le style, dans sa familiarité, est tout de même assez racoleur, comme le sont les voix narratives des enfants, auxquelles j’ai eu du mal à prêter foi. Bref un bouquin plaisant, mais un peu trop branché et facile, et somme toute assez inconsistant.

lundi, mars 3 2008

La Passion secrète de Fjordur de Jørn Riel


Je me suis offert ce matin une petite récréation en relisant, car c'est aussi un plaisir infini que de relire, La Passion secrète de Fjordur et autres racontars, que j'ai racheté faute de l'avoir retrouvé (comme tous les auteurs aimés, Riel est singulièrement absent de nos étagères). C'est un délice. On y découvre après débauche d'hypothèses au sujet de sa réclusion et de son absence d'hospitalité les raisons de la muflerie de Fjordur (Accès de religion ? onanisme ? ivrognerie ? ah ! les interminables discours savants de Mads Madsen le raisonneur), c'est le volume où est narré le "combat de gueule" de Lause et du Lieutenant Hansen consécutif à un débat sur l'art du service à table, et le séjour de l'arrogant et dogmatique inspecteur chez Bjorken suscite chez le lecteur une indignation au moins égale à celle des chasseurs... Il y a une histoire d'ours, une histoire de chien fidèle -Laban, pas Lassie - la découverte du mal de mer et du sens de la vie par un avocat bedonnant, la musique et la fraternité des solitaires...
J'ADORE ces histoires, contées avec talent, drôlerie, générosité, une immense affection pour les hommes et le sens absolu des infinies richesses du langage et du récit.

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jeudi, août 23 2007

Pan de Knut Hamsun (1894)

"Une chenille verte, une arpenteuse, chemine, en faisant le gros dos, le long d’une branche, chemine sans arrêt, comme si elle ne pouvait se reposer. Elle ne voit presque rien, bien qu’elle ait des yeux, souvent elle s’arrête, dressée verticalement, et tâtonne dans l’air à la recherche d’un point d’appui ; elle a l’air d’un bout de fil vert qui pique une couture le long d’une branche, à points lents. Ce soir, elle sera peut-être arrivée à l’endroit où elle doit aller."

C’est Pan, de Knut Hamsun, un mince roman, une absolue merveille. Un poème en prose. Le genre de texte qui donne envie de lire la langue d’origine (le norvégien) pour en entendre la musique.

Le lieutenant Glahn écrit pour tromper ses pensées, deux ans après l’été qui a donné sens et désordre à sa vie. Il raconte – au présent le plus souvent - son séjour d’homme des bois dans une hutte du Nordland, qu’il a chaudement équipée de peaux et de fourrures, et où il vit, dans l’intimité intense de la nature, chassant et pêchant avec son chien Esope. L’éveil de l’été est aussi celui d’une sensualité ardente et violente, qui correspond avec la rencontre de la jeune, fantasque, et malapprise Edvarda, qui le bouleverse de tendresse et d’incompréhension. Quelques personnages autour d’elle, esquissés ou dessinés selon les besoins, comme celui du docteur boiteux qui tente de dompter la jeune fille et du baron érudit dont le titre séduit son père, et la douce Eva, et la bergère Henriette, et Iseline et Diderick de la légende. L’amour exalté d’une femme, des femmes, de la nature, de l’univers. Et la souffrance, exprimée par quelques gestes, quelques paroles.

C’est à la fois sobre et lyrique, sombre et solaire. Un texte magnifique.
http://www.hamsun.dk/fr/hamsun_biografi.html

mardi, août 14 2007

Jørn Riel, nouveaux - et presqu' ultimes - Racontars

circulaire.TN__.jpgLe neuvième, et avant-dernier volume des Racontars arctiques est paru à l’automne dernier chez Gaïa, la maison d'édition aux pages roses - non que je raffole de cette bizarrerie, mais bénis soient-ils jusqu'à la fin des temps pour avoir traduit et édité cet auteur tonique, truculent et MODESTE. Pour le coup, La Circulaire n'est pas une très bonne nouvelle pour ceux qui, comme moi, vivent depuis quelques années dans la familiarité des chasseurs. Parce que ladite circulaire tombe chez Doc et Mortensen – les télégraphistes musiciens – pour annoncer la fermeture par la Compagnie des stations de chasse, et donc la mise à pied des chasseurs. Et que ça se passe très mal, puisque ça commence par des morts, dont une que je ne suis pas près de digérer. J'ai mis une semaine à me décider à finir le volume, par crainte de perdre d'autres personnages chers. Mais je ne le regrette pas : c'est tendre, drôle et bien mené. (Juste une bizarrerie : il semblerait que Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet, les traducteurs attitrés et talentueux de Riel, ignorent le passé simple des verbes en –eindre ! "il atteint" pour "il atteignit" au beau milieu d'un passage au passé simple, et ce à plusieurs reprises).
Le dixième volume doit être en cours de traduction puisque pour l'heure on ignore tout du sort de Bjorken et de ses deux compagnons, et du Lieutenant et de Valfred, entre autres. Après, il n'y aura plus qu'à relire.
Il y a une quantité de liens pour Jørn Riel sur Gogole. Un, parmi d'autres : ici

Et encore celui-ci trouvé sur le site d'une ardente lectrice, Pascale Arguedas, qui donne le texte d'une savoureuse autobiographie de l'auteur.

mercredi, mai 23 2007

La notice d'aujourd'hui s'adresse aux amateurs (-trices?) de romanesque...

... débridé. Échevelé.
 Comme l'héroïne des sept volumes que j'ai avalés il y a quelques mois, et dont je n'avais pas pris le temps de faire le compte-rendu. Sept sur huit, mais le tome I du second volet manquait dans les librairies comme chez l'amie qui m'avait prêté les 1ers tomes, alors j'ai vaguement fait le lien entre la quatrième de couverture et un résumé pris sur Internet, et je suis passée au tome 2, c'est-à-dire au 5ème de la série, sans pouvoir attendre.
Il s'agit d'une saga, c'est le moment d'employer le terme, puisque l'autrice est norvégienne : 'Herbjørg Wassmo, Le livre de Dina, 3 volumes – Les limons vides/ Les vivants aussi/ Mon bien-aimé est à moi. Puis Fils de la Providence (2 tomes dont je n'ai pas lu le premier), le récit se déplace vers le fils de Dina, Benjamin, qui va faire ses études de médecine à Copenhague. Enfin, L'héritage de Karna (3 volumes à nouveau, et cette fois, c'est la petite fille de Dina, Karna, qui est au centre des histoires :Mon péché n'appartient qu'à moi / Le pire des silences / Des femmes si belles. Trois générations, donc, d'une famille pour le moins étrange et chaotique.

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vendredi, avril 27 2007

Il est bien difficile de commencer... Jørn Riel, ''Racontars arctiques''

Il est bien difficile de commencer. De choisir un livre ou un auteur, dans la masse de ceux qui me sont chers.
Alors je vous propose en ouverture une littérature charnue et savoureuse : je voudrais faire l’éloge enthousiaste d’un écrivain que j’ai lu presque par hasard, et qui m’a ravie : le danois Jørn Riel, auteur d’une série de « Racontars arctiques » dont je raffole. Il y a chez 10/18 huit volumes de petits recueils de « nouvelles » ?, « contes » ? qui mettent en scène les chasseurs de phoques, ours, renards…au nord-est du Groenland. Habitant à deux ou trois, parfois seuls, des cabanes isolées à des journées les uns des autres, ils se réunissent régulièrement pour être ensemble, boire, (beaucoup), manger, mettre en œuvre leur dernière marotte et se raconter leurs dernières histoires. 

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