Mot-clé - La Fontaine

Fil des billets - Fil des commentaires

dimanche, mai 13 2012

A propos de 'clinquant', fulminations lexicales à sauts et à gambades

Mais bon sang, ils peuvent pas dire « clinquant » au lieu de dire « bling-bling » ????? - « en toc, tape-à-l’œil, tapageur(-se), maniéré(e), prétentieux(-se), factice » ????? Ni « défi » au lieu de « challenge » - qui au passage est un mot issu de l’ancien français, lequel est lui-même issu du latin « calumniare », marrant, non ?
On leur apprend pas non plus le vocabulaire, dans les écoles de journalisme ? Ce matin, c’est à propos de cuisine, dans l’émission « On va déguster » sur France Inter. Que j’écoutais après « Eklectik » de Rebecca Manzoni/ Jacques Audiard, en me disant que France Inter proposait désormais des émissions de grande qualité, construites, documentées, inventives, avec des voix de radio [des fois, il y a la voix sans la qualité : la minaudière, frétillante, inquisitoriale, arrogante, paternaliste, insupportable Pascale Clark, par exemple], alors que France Culture avait perdu cette touche de la voix, qui était, avec la passion de transmettre de ses producteurs(-trices) d’autrefois, sa griffe. Donc Rebecca Manzoni, avec sa voix, son sens du silence, son attention aux gens qu’elle interviewe, la connaissance et le respect qu’elle a de leur travail. Et la façon qu’elle a de les rendre intéressants, de les transmettre, en somme, même quand a priori ils ne font pas partie des références de l’auditrice que je suis. Joey Starr, par exemple, que j’ai écouté presque à mon corps défendant (mais avec intérêt)… (mais pas Annie Ernaux, non, au-dessus de mes forces). Jacques Audiard, c’était un bonheur, avec sa diction trébuchante, sa modestie, et cette passion de la forme juste, qui lui a fait peupler sa « minute de solitude » conclusive par la lecture d’un passage de « Forme et signification » de Jean Rousset, consacré à Flaubert, par lettre à Louise Colet interposée. Sur l’art de faire tenir ensemble, dans une forme de déséquilibre, de beaux passages fignolés, puis défignolés. Alors, si les hôtes d’ « On Va déguster » ont la passion de la bonne cuisine, des produits goûteux et du terroir, que ne l’expriment-ils dans une langue elle aussi ancrée en terroir, en archaïsmes, savoureuse, en somme ? Au lieu de parler de « cuisine bling bling » !

Il y a un autre mot qui florit par les temps qui courent dans les propos moutonniers des journalistes et autres chroniqueurs. De « marinisme » ou « mariniste », pour ma part, je ne connaissais que la langue affectée, précieuse, maniérée (presque une anagramme) du Cavalier Marin, Giambattista Marino, dont l’« Adonis », offert à Louis XIII en 1623, bouleversa l’Europe galante et précieuse du XVIIe. (C’est l’une des sources de L’Adonis de La Fontaine, dédié à Fouquet). Poète brillant, le Cavalier, est quasiment le vulgarisateur du concetto, la pointe ou chute galante qui irrite tant Alceste dans le sonnet d’Oronte…

Lire la suite...

vendredi, mai 4 2012

Un petit La F', pour la route : Le cochet, le chat et le souriceau

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
« J'avais franchi les monts qui bornent cet État
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ;
Il a la voix perçante et rude,
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée;»
Or c'était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau,
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
« Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les rats; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.
- Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté
D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,
Bien éloigné de nous mal faire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.»

jeudi, janvier 20 2011

Biaux chires leups....

La lecture de La Fontaine, c'est un bonheur de tous les instants. Cette vivacité du récit, cette fluidité du vers libre (classique !) qui coule parfois comme de la prose, le naturel d'un propos tellement élaboré, les dialogues de cette « ample comédie », ça réjouit l'âme et l'intelligence.

Il y a une fable, que je découvris un jour avec stupeur, à ma première lecture intégrale du recueil, la seule qui use du patois... picard !
La voici

Ce loup me remet en mémoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris:
            Il y périt. Voici l'histoire:
Un villageois avait à l'écart son logis.
Messer Loup attendait chape-chute à la porte;
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,
        Veaux de lait, agneaux et brebis
Régiments de dindons, enfin bonne provende.
Le larron commençait pourtant à s'ennuyer.
            Il entend un enfant crier:
            La mère aussitôt le gourmande,
            Le menace, s'il ne se tait,
De le donner au loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d'une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit: « Ne criez point, s'il vient, nous le tuerons.
- Qu'est ceci? s'écria le mangeur de moutons:
Dire d'un, puis d'un autre! Est-ce ainsi que l'on traite
Les gens faits comme moi? me prend-on pour un sot ?
            Que quelque jour ce beau marmot
            Vienne au bois cueillir la noisette! »
Comme il disait ces mots, on sort de la maison :
Un chien de cour l'arrête; épieux et fourche-fières
            L'ajustent de toutes manières.
« Que veniez-vous chercher en ce lieu? » lui dit-on.
            Aussitôt il conta l'affaire.
            « Merci de moi! lui dit la mère ;
Tu mangeras mon fils! l'ai-je fait à dessein
            Qu'il assouvisse un jour ta faim? »
            On assomma la pauvre bête.
Un manant lui coupa le pied  droit et la tête :
Le seigneur du village à sa porte les mit ;
Et ce dicton picard à l'entour fut écrit:

       « Biaux chires leups, n'écoutez mie
         Mère tenchent chen fieux qui crie. »

C'est délicieusement cruel et immoral ^^.

La gravure est de Gustave Doré.