Le Vampire, n-ième épisode - sans la grâce sinueuse de Musidora

Le long de la place du marché, il y a un café-tabac-maison de la presse. C’est en passant devant que je me suis cognée sur le gros titre du Point de la semaine : « Camus par Onfray », en grandes lettres blanches. C’est ce qu’on lit d’abord, avec un photomontage d’Onfray en couleurs et en col roulé gris, la boucle ondoyante et l’œil fixe derrière ses lunettes branchées, dominant debout un Camus en noir et blanc, assis, en costume cravate, l’œil fixe et la cigarette au bout des doigts. Et puis en jaune, les sous-titres, qui sont en fait des sur-titres : « Le philosophe qui ne s’est jamais trompé./ Comment Sartre a tenté de le tuer. » Le premier desdits sur-titres coïncidant exactement avec le visage d’Onfray, le passant-lecteur a un moment d’hésitation…. Quant au second titre, s’agit-il du Point, ou du Nouveau Détective ? Le cadre qui emballe le tout est d’un rouge dramatique à souhait.

Ce billet n’a d’autre légitimité que celle de l’exaspération. Je n’ai pas lu le bouquin d’Onfray - que signifie d’ailleurs sur la couverture de ce dernier opus cette photo ridicule d’un Camus faisant le grand écart debout, et découpé de tout contexte ? –  et je ne le lirai pas. J’ai assez écouté le personnage sur France Culture pour savoir que c’est un maître de l’imposture intellectuelle. Que dans son propos, les approximations sont légion, et les distorsions de la pensée des auteurs qu’il cite innombrables, et toutes destinées à alimenter la grande revendication voltairienne et ringarde qui est la sienne depuis que sous prétexte d’athéisme militant, il a entrepris de se poser en icône de l’anticléricalisme le plus franchouillard, et en héritier et promoteur de l’hédonisme redéfini à grand renfort de simplifications diverses. A étayer son ego, aussi. Je remarque seulement qu’après s’être modestement posé en héritier de Nietzsche, et avoir prétendument « déboulonné » Freud dont il a fait une caricature insupportable (il faut l’entendre citer des textes et faire mine de les commenter au mépris de toute cohérence et de tout respect de la lettre et du contexte ! de toute démarche philologique), il reprend son entreprise d’auto-promotion en se nourrissant de la moelle d’un écrivain au moins charismatique et dont ni le talent ni la générosité n’ont jamais été sérieusement endommagés par les attaques fielleuses dont il a fait parfois l’objet. Je n’ai pas de goût pour Sartre, je ne pense pas que ni lui ni Beauvoir se soient comportés élégamment avec Camus, mais qui voudrait d’Onfray comme justicier dans cette affaire ? C’est un peu comme si Tartuffe se faisait l’apologiste, je ne sais pas… de François d’Assise ? et puis, Onfray libertaire, encensé dans des magazines grand public, et en montre dans tous les médias les plus officiels, qui peut sérieusement y croire ? S’il est plus que louable de promouvoir une université populaire, que penser d’un grand prêtre (eh oui !) d’icelle qui y fournit un enseignement approximatif, frelaté ?  Pas très honorable, et en complète contradiction avec l’honnête homme que se voulait Camus, et qu’il s’est, contre vents et marées, efforcé d’être. Corruptio optimi pessima.

Onfray, ou Homais ?

Et, comme illustration, l'un des nouveaux marque-page de chez Folio....

Commentaires

1. Le lundi, janvier 9 2012, 00:50 par Anne d'Evry

Merci pour la photo, chère Agnès. Heureux contrepoint à l'imposteur.

2. Le mardi, janvier 10 2012, 21:43 par Nathalie

Contente - et pas surprise - de ton portrait au vitriol du "nouveau philosophe pur produit des médias". Il est rare que je n'aime pas quelqu'un ... entendre parler Onfray me hérisse ou m'afflige! Ta verve, Agnès, est acide et juste.
Notre époque, à travers nos médias, glorifie des noms, fait d'insignifiants hommes de plume des génies et les lecteurs consommateurs de "fastbooks" les dévorent sans discernement, sans sens critique. Tout va vite. Je rêve parfois de me couper un peu du monde et de son tumulte pour lire comme le faisait Montaigne.J'ai tant à apprendre. je connais finalement très peu Camus mais ce n'est pas la médiocre interview de Onfray - entendu par curiosité malsaine (pour mieux le dégommer après) dans l'émission La grande librairie jeudi dernier qui aiguise mon appétit intellectuel. Je me souviens avoir éteint la télé avec une pensée émue pour mes amis Georges Steiner et Paul Ricoeur, grands messieurs trop discrets devant lesquels Onfray peut gonfler ses pectoraux ... du vent! Bien vu pour la comparaison avec Homais.

3. Le mercredi, janvier 11 2012, 06:31 par Agnès

Les amateurs de ce genre de type sont tellement contents d'avoir l'impression de penser en adhérant à un peu de provoc' facile... C'est désolant. Quand Onfray donne ses biblios à la fin de ses cours à Caen, il suffit de réfléchir un peu pour se rendre compte qu'il ne peut pas avoir lu et l'auteur qu'il "commente' et les commentaires critiques sérieusement, avec tous les médias où il se répand en outre publiquement. Comment par exemple avoir lu sérieusement Camus et son exégèse critique, sans parler de Sartre et Simone, ET écrit un livre sérieux, en moins de deux ans, puisque la dernière fois que je l'ai écouté il agonissait (?) Freud, et c'était en août 2010?

C'est amusant, parce que j'écris spontanément son nom avec un "h"...^ ^

4. Le mercredi, janvier 11 2012, 22:34 par Nathalie

Tu as tout à fait raison. CQFD.

5. Le lundi, novembre 25 2013, 00:41 par Didier

Un aveugle guidant des aveugles... mieux vaut n'avoir pas de guide car au moins les aveugles ont une chance de s'en tirer, intuitivement, par l'écoute, l'interrogation, choses qui font complètement défaut au guide (dans son obscurité) qui, il en est sûr, est un soleil.

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