
Monté à pied de son village jusqu’à la Maison Brune, une grange isolée sur la lande, Jude, âgé de onze ans, essaie d’apercevoir le lieu de tous ses désirs, Christminster semblable « à une Jérusalem céleste ».
« Le jour déclinait. La brume légère s’évaporait, excepté dans les coins les plus humides de la contrée environnante, et aussi le long des rivières. Jude pensa de nouveau à Christminster et souhaita, puisqu’il avait fait deux ou trois milles dans ce but, entrevoir au moins la cité enchanteresse dont on lui avait parlé. (…)
Il grimpa sur l’échelle afin de jeter encore un regard vers l’endroit que les hommes avaient désigné, et se pencha sur le dernier échelon, parmi les tuiles. Sans doute ne pourrait-il pas revenir si loin avant bien des jours. S’il priait ? Peut-être son désir de voir Christminster serait-il exaucé ? La prière est parfois efficace, mais parfois aussi, le résultat est nul. (…) se tournant sur l’échelle, Jude s’agenouilla sur le troisième échelon et, s’appuyant sur les degrés supérieurs, pria pour que le brouillard se levât. Puis il s’assit et attendit. Au bout de dix minutes environ, le mince brouillard sembla s’évaporer à l’est sur l’horizon, ainsi qu’il l’avait déjà fait partout ailleurs ; un quart d’heure environ avant le coucher du soleil, les nuages s’écartèrent à l’ouest, découvrant le soleil dont les rayons s’échappèrent entre deux nuages couleur d’ardoise. L’enfant regarda immédiatement dans la direction de Christminster.
Tout au bout de l’étendue des terres, quelques points lumineux brillaient comme des topazes. La transparence de l’air augmentait à chaque instant, et bientôt les topazes devinrent les girouettes, les fenêtres, les toits d’ardoise mouillée, des points brillants sur les clochers, les dômes, les édifices en pierres de taille et autres silhouettes qui se devinaient vaguement. C’était Christminster, sans aucun doute : soit la ville elle-même, soit une sorte de mirage dans cette atmosphère singulière.
Le petit spectateur resta perdu en contemplation jusqu’à ce que les fenêtres et les girouettes eussent perdu leur éclat, s’éteignant presque subitement, comme des chandelles qu’on aurait soufflées. La vague apparition se voila de brume. Se tournant vers l’ouest, l’enfant vit que le soleil avait disparu. Les premiers plans du paysage étaient devenus d’une obscurité funèbre, et les objets tout proches prenaient des teintes et des formes chimériques. »
Il y a dans le passage cité, outre une dimension poétique qui me donne envie de le lire en anglais - mais je ne l’ai pas trouvé sur la toile, si, ça y est, le voici :
“He then seated himself again, and waited. In the course of ten or fifteen minutes the thinning mist dissolved altogether from the northern horizon, as it had already done elsewhere, and about a quarter of an hour before the time of sunset the westward clouds parted, the sun's position being partially uncovered, and the beams streaming out in visible lines between two bars of slaty cloud. The boy immediately looked back in the old direction.
Some way within the limits of the stretch of landscape, points of light like the topaz gleamed. The air increased in transparency with the lapse of minutes, till the topaz points showed themselves to be the vanes, windows, wet roof slates, and other shining spots upon the spires, domes, freestone-work, and varied outlines that were faintly revealed. It was Christminster, unquestionably; either directly seen, or miraged in the peculiar atmosphere.
The spectator gazed on and on till the windows and vanes lost their shine, going out almost suddenly like extinguished candles. The vague city became veiled in mist. Turning to the west, he saw that the sun had disappeared. The foreground of the scene had grown funereally dark, and near objects put on the hues and shapes of chimaeras.”
– il y a donc aussi presque tout le destin de Jude : attiré par la ville universitaire qui incarne le savoir auquel, sur les traces de son maître M. Phillotson, il brûle d’accéder, il est la proie d’un mirage, lequel se dissout au profit d’un réel tout aussi fantomatique mais beaucoup plus inquiétant.