samedi, février 25 2012

Thomas Hardy à la radio

Ce n’est pas un Gallienne du meilleur cru (la lecture est un peu précipitée, le résumé approximatif, et les épisodes pas forcément les mieux choisis), mais c’est quand même un Gallienne très honorable, et il est consacré à Thomas Hardy : Tess d’Urberville et Jude l’Obscur.

C’est le « Ça peut pas faire de mal »  de ce soir, et il doit être réécoutable un bon bout de temps.
(Le fils aîné de Jude et Sue est appelé « le petit père le Temps », je ne sais pas pourquoi il ne l’a pas dit, c’est un nom – et un personnage - si étrange !)

mercredi, octobre 5 2011

Une rencontre. Dorchester, Juillet 1926

Je SAVAIS qu’il y avait quelque part dans le Journal de Virginia Woolf une longue évocation d’une visite chez Thomas Hardy, mais le Journal n’était plus à sa place. En fait, si. Il a réapparu hier soir au moment du coucher, sous la forme des grands volumes roses de chez Stock, alors que je cherchais les petits volumes violets de chez 10/18. Raison pour laquelle je ne les avais pas vus, alors qu’ils étaient sous mon nez. Il manque le tome I, pourquoi ? Heureusement, la visite a eu lieu au tome III, en juillet 1926, i.e. un an et demi environ avant la mort de Hardy, il avait donc quatre-vingt-six ans. Il y a dans cette rencontre quelque chose de souriant et mélancolique à la fois, souriant à cause de la sympathie qui entraîne Virginia Woolf vers Hardy, et de l’extrême courtoisie d’icelui, mélancolique à cause de son indifférence absolue à ce qui fut son travail littéraire. C’était cela qui m’avait frappée, mais mon sentiment cette fois est beaucoup moins attristé.

« Puis la porte se rouvrit encore, plus vivement cette fois, et un petit vieillard tout guilleret, aux joues rebondies, entra en trottinant dans la pièce et s’adressa à nous d’un ton jovial et entendu, comme ces vieux médecins ou notaires qui disent en vous serrant la main : ‘‘Voyons un peu’’… ou autre formule de ce genre. Il était vêtu de gris foncé et portait une cravate rayée. Il a un nez cassé, dont la pointe s’arque vers le bas ; un visage rond, assez pâle, des yeux maintenant délavés et passablement larmoyants, mais un aspect général qui demeure vif et vigoureux. (…) Il se montrait excessivement affable et conscient de ses devoirs en la circonstance, ne laissait jamais tomber la conversation, ni ne dédaignait de dire son mot. Il parla de mon père[1], dit qu’il m’avait vue au berceau (à moins que ce ne soit ma sœur, mais il pense que c’était moi) à Hyde Park (ou Park Gate plutôt, n’est-ce pas ?). Une rue très calme et c’était pour cela que mon père s’y plaisait. Curieux de penser que pendant toutes ces années, il n’était plus retourné là-bas. Il y allait souvent. ‘‘ Votre père avait accepté mon roman Far from the Madding Crowd[2]. Nous avons fait corps contre le public anglais à propos de certaines questions abordées dans ce livre. Peut-être en avez-vous entendu parler ?’’

(…) Il se rengorgea comme un vieux pigeon boulant[3]. Il a une tête très allongée, un regard énigmatique, brillant, car dès qu’il parle, ses yeux se mettent à briller. (…) Je dis que j’avais su par Wells que Mr Hardy était allé à Londres pour voir une attaque aérienne. ‘‘ Ce que l’on peut raconter, s’exclama-t-il ! C’était ma femme. Il y a bien eu un raid, un soir, alors que nous séjournions chez Barrie[4]. C’est tout juste si nous avons entendu un petit boum ! au loin. Les faisceaux des projecteurs étaient superbes. Je me disais : si une bombe tombe maintenant sur cet appartement combien d’écrivains disparaîtront ? ’’ Vraiment, à mon avis, il n’y a rien chez lui du paysan naïf. Il avait l’air d’être au courant de tout ; de n’avoir ni perplexités ni hésitations, comme s’il avait pris parti[5] une fois pour toutes, et en sachant si bien qu’il en avait fini avec son œuvre qu’il ne nourrissait plus de doute sur ce point-là non plus. Il ne s’intéressait guère à ses romans ni à ceux des autres et les acceptait tous avec simplicité et naturel[6]. (…)

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Thomas Hardy - Jude l'obscur

Monté à pied de son village jusqu’à la Maison Brune, une grange isolée sur la lande, Jude, âgé de onze ans, essaie d’apercevoir le lieu de tous ses désirs, Christminster semblable « à une Jérusalem céleste ».

« Le jour déclinait. La brume légère s’évaporait, excepté dans les coins les plus humides de la contrée environnante, et aussi le long des rivières. Jude pensa de nouveau à Christminster et souhaita, puisqu’il avait fait deux ou trois milles dans ce but, entrevoir au moins la cité enchanteresse dont on lui avait parlé. (…)

Il grimpa sur l’échelle afin de jeter encore un regard vers l’endroit que les hommes avaient désigné, et se pencha sur le dernier échelon, parmi les tuiles. Sans doute ne pourrait-il pas revenir si loin avant bien des jours. S’il priait ? Peut-être son désir de voir Christminster serait-il exaucé ? La prière est parfois efficace, mais parfois aussi, le résultat est nul. (…) se tournant sur l’échelle, Jude s’agenouilla sur le troisième échelon et, s’appuyant sur les degrés supérieurs, pria pour que le brouillard se levât. Puis il s’assit et attendit. Au bout de dix minutes environ, le mince brouillard sembla s’évaporer à l’est sur l’horizon, ainsi qu’il l’avait déjà fait partout ailleurs ; un quart d’heure environ avant le coucher du soleil, les nuages s’écartèrent à l’ouest, découvrant le soleil dont les rayons s’échappèrent entre deux nuages couleur d’ardoise. L’enfant regarda immédiatement dans la direction de Christminster.

Tout au bout de l’étendue des terres, quelques points lumineux brillaient comme des topazes. La transparence de l’air augmentait à chaque instant, et bientôt les topazes devinrent les girouettes, les fenêtres, les toits d’ardoise mouillée, des points brillants sur les clochers, les dômes, les édifices en pierres de taille et autres silhouettes qui se devinaient vaguement. C’était Christminster, sans aucun doute : soit la ville elle-même, soit une sorte de mirage dans cette atmosphère singulière.

Le petit spectateur resta perdu en contemplation jusqu’à ce que les fenêtres et les girouettes eussent perdu leur éclat, s’éteignant presque subitement, comme des chandelles qu’on aurait soufflées. La vague apparition se voila de brume. Se tournant vers l’ouest, l’enfant vit que le soleil avait disparu. Les premiers plans du paysage étaient devenus d’une obscurité funèbre, et les objets tout proches prenaient des teintes et des formes chimériques. »

Il y a dans le passage cité, outre une dimension poétique qui me donne envie de le lire en anglais - mais je ne l’ai pas trouvé sur la toile, si, ça y est, le voici :

He then seated himself again, and waited. In the course of ten or fifteen minutes the thinning mist dissolved altogether from the northern horizon, as it had already done elsewhere, and about a quarter of an hour before the time of sunset the westward clouds parted, the sun's position being partially uncovered, and the beams streaming out in visible lines between two bars of slaty cloud. The boy immediately looked back in the old direction.

Some way within the limits of the stretch of landscape, points of light like the topaz gleamed. The air increased in transparency with the lapse of minutes, till the topaz points showed themselves to be the vanes, windows, wet roof slates, and other shining spots upon the spires, domes, freestone-work, and varied outlines that were faintly revealed. It was Christminster, unquestionably; either directly seen, or miraged in the peculiar atmosphere.

 The spectator gazed on and on till the windows and vanes lost their shine, going out almost suddenly like extinguished candles. The vague city became veiled in mist. Turning to the west, he saw that the sun had disappeared. The foreground of the scene had grown funereally dark, and near objects put on the hues and shapes of chimaeras.”

il y a  donc aussi presque tout le destin de Jude : attiré par la ville universitaire qui incarne le savoir auquel, sur les traces de son maître M. Phillotson, il brûle d’accéder, il est la proie d’un mirage, lequel se dissout au profit d’un réel tout aussi fantomatique mais beaucoup plus inquiétant.

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