La voix de Jón Kalman Stefánsson
Par Agnès Orosco le dimanche, février 10 2013, 15:43 - Littératures du Nord - Lien permanent
En attendant que j'aie le temps de chroniquer Le Cœur des hommes, le dernier volume des aventures du 'gamin' qui restera jusqu'à la fin anonyme, ces quelques mots pour accompagner ma furia poétique de ce début d'année. Magnifique roman, déjà lu et relu, avec sa syntaxe si particulière, ce flux mi-narratif, mi-vocal, comme si l'on entrait de plein pied dans le mouvement du dialogue ou du monologue intérieur des personnages. En ce moment même, on entend sur France Culture la voix de Stefánsson parlant avec Colette Fellous, et celle de Colette Fellous lisant Stefánsson. C'est l'émission Villes-Mondes, aujourd'hui consacrée à Reykjavik. Stefánsson y fait un passage fugitif*, mais dense, quelques minutes, écoutez-le.
Il se souvint alors de ces quelques vers, ou disons plutôt que les lignes se déversèrent dans ses veines, telles une énergie pure, les vers d’un poème qu’il avait lu dans une revue que Gísli lui avait prêtée, un étrange poème, composé par un auteur américain. Je suis le poète de la chair, je suis le poète de l’âme. Le gamin était hypnotisé mais cela ne valait pas pour Gísli, trop de bruit avait-il dit, trop de dispersion, trop lâche, le texte se réduit de lui-même en morceaux qui ne sauraient servir à personne, ne va pas perdre ton temps avec ça. C’est pourtant ce que le gamin fit précisément, il passa son temps à recopier le poème extrait de Feuilles d’herbe de l’Américain Walt Whitman, dans la traduction d’Einar Benediktsson. Aucune rime, pas le moindre soupçon de rime et d’allitération, des phrases compactes portées par une énergie pure et indomptée, et quelque chose d’immense, comme la promesse d’un monde plus large, d’une terre plus vaste. Adossé à la clôture, avec derrière lui les deux sorbiers qui s’efforçaient de tendre leurs branches vers la lumière, il baissait les yeux tandis que le poème lui emplissait le sang.
Vous trouverez, ici, les premières pages du roman, et la table des matières.
* L'interview de Stefánsson, traduite par Éric Boury, se trouve vers 18'20''.