Considérations dominicales décousues

      Comme je parlais avec enthousiasme de Trollope à mon amie Soizic la libraire, elle a évoqué à son tour un auteur dont j’ignorais tout, William Wilkie Collins, aussitôt emprunté à la bibliothèque.
      - Eh oui, les livres coûtent vraiment très cher, en particulier pour les dévoreurs et – reuses dont je suis, sans parler de la place sur les étagères, ou  plutôt des étagères elles-mêmes, qui commencent à sérieusement manquer, et il va falloir que je procède dès que possible à un très sérieux désherbage, suffit de trouver le temps. Non que je m’apprête à passer à la « liseuse », sous prétexte que le livre serait un objet désuet, caduc, démodé, dépassé, archaïque, obsolète, périmé, suranné, passé de mode, anachronique, fossile, has been ! c’était le sujet du Répliques de Finkielkraut samedi, que j’écoutai d’une oreille tout en vaquant, et qui confrontait François Bon, que sa pratique d’une littérature plus aléatoire, ouverte, protéiforme, sur la toile, incline à ranger l’objet-livre au magasin des antiquités, et Beigbeder, qui non, mais dont les propos en général m’effleurent ou m’insupportent, question de voix, et comment dire… d’épaisseur ? Et je me demandais, en les écoutant, s’il leur arrivait de penser que la moitié de la population terrienne n’avait pas forcément un accès libre à la technologie raffinée que supposent ces objets, ni à l’électricité. Ou même qu’en cas de panne, le bouquin dans le sac, la boîte à gants, la poche, restait indispensable.
      Rien de tel qu’un bon vieux livre, de préférence épais et costaud, même si, du coup, il faut faire des choix. Sans parler des pratiques de sybarite, telles que la lecture dans la baignoire – « encore un petit peu d’eau chaude s’il te plaît » avec mouvement ad hoc des orteils sur le robinet et salut mental à Ariane en ses monologues aquatiques. Un livre dont les pages s’enflent et se boursouflent, depuis la simple humidification  par rebord interposé ou éclaboussures de douche jusqu’à la chute complète dans la baignoire, c’est un livre abîmé, mais en quelque manière complice, et quoi qu’il en soit toujours lisible, telle mon édition de Dona Flor et ses deux maris de Jorge Amado, terriblement gondolée. Mais une liseuse dans la baignoire ? Indépendamment du fait que l’atmosphère tropicale de la salle de bain risque de lui être antipathique, une chute dans la baignoire ne peut qu’être fatale, et voilà 99 euros à la baye. Et le sable, à la plage ? Non, décidément, pas pour l’instant.

      Donc W. Wilkie Collins. Un ami très proche de Dickens, avec lequel il a même écrit un roman, Voie sans issue, selon le catalogue de la bibliothèque, et dans la revue duquel il a publié nombre de ses œuvres (vingt-sept romans, entre autres !). C’est Phébus qui s’est chargé de la republication de ses romans, dont je viens de lire Cache-cache (Hide and Seek) (et vive les longs week ends et les nuits d’hiver). A propos, ai-je jamais écrit ici que j’adorais Dickens, et par-dessus tout Oliver Twist ?

       C’est très bien, Cache-cache. Très palpitant, enjoué, ironique, avec une intrigue indéniablement plus substantielle – et infiniment plus mélodramatique – que celles des deux romans de Trollope que j’ai lus. Trollope de neuf ans plus âgé que Collins, (c’est drôle, j’aurais dit le contraire) et donc son exact contemporain. Et malgré la plus grande simplicité de ses intrigues, j’ai préféré Trollope, à cause de la justesse de son trait. Les personnages de Collins sont hauts en couleur : l’un d’entre eux est d’ailleurs une très amusante figure de mauvais peintre si obstiné dans son amour de l’art qu’il finit par réussir à en vivre, et à en vivre bien ! Très brave garçon devenu homme, et l’un des personnages principaux de l’histoire, avec son épouse très aimée et éternellement alitée, et sa mystérieuse fille adoptive, la belle  et muette Madonna. Il y a aussi une truculente et plantureuse épouse de clown, Mrs Peckover (la picoreuse ? c’est indéniablement une mère poule), un jeune écervelé plein de joie de vivre et d’énergie, en rupture de ban et en révolte contre un père abominablement despotique (encore un évangéliste !), le brouillon et bouillant Zack, et l’énigmatique et athlétique Matt, autrefois scalpé par les Indiens, est-il bon, est-il méchant ? J’allais oublier l’horrible Joanna Grice, vieille sorcière suffoquée de pruderie malfaisante. Personnages colorés donc, intrigue tortueuse et sombre, secrets de famille… Je ne vais pas bouder mon plaisir. Mais enfin, dans le genre noir, je préfère Dickens (ou Eugène Sue), et dans le genre anglais, Trollope. Avec tout ça, ces Anglais et ces Anglaises du XIXe sont vraiment une inépuisable mine romanesque, et si différents de Balzac, dont mes lecteurs connaissent ma consommation, et de Flaubert, dont je suis en train de relire, avec bonheur, Madame Bovary. Puis-je dire qu’en quelque manière leurs romans sont plus… cordiaux, et plus charnus ?

Commentaires

1. Le dimanche, novembre 13 2011, 17:42 par Céline

Je suis d'accord avec toi : Trollope est beaucoup plus fin dans sa manière de décrire les personnages et de construire les récits. Mais Wilkie Collins est le parfait auteur de gros pavés dans lesquels se perdre les après-midi pluvieuses en sirotant un thé et en grignotant du chocolat.

2. Le dimanche, novembre 13 2011, 18:52 par Agnès

Hello Céline !  Sans doute y a-t-il plus de matière dans les intrigues du second, mais la mélodie du premier est si séduisante !

Bonnes lectures, c'est la saison !

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