Après le pavé Au revoir là-haut, Nue, de Jean-Philippe Toussaint, était un mince ouvrage, lu en l'espace d'une fin de soirée et d'un début de matinée. Ouvrage encensé au Musc et la palme, le même soir où Palladium, de Boris Razon, se faisait tailler en pièces. Quels que soient les défauts de ce dernier roman dont la construction alterne sans doute de façon trop systématique récits hallucinatoires et extraits de comptes-rendus médicaux, son succès, y compris auprès du public des jeunes lecteurs - comme la sincérité du propos - méritent au moins qu'on l'interroge. Il faut dire que c'était encore un soir où officiait Arnaud Viviant, promu semble-t-il au rang de pape par sa récente intronisation de critique officiel de Lui, ressuscité par Beigbeder. Rôle ravissant pour ce caquetant débiteur d'aphorismes, de boutades prétendument spirituelles et d'anathèmes à tout va. Nue était donc un chef d'oeuvre.
Ah. Pour ma part, je n'avais jamais rien lu de Jean-Philippe Toussaint, c'était une découverte.
Marie (Madeleine Marguerite de Montalte), haute-couturière, présente donc à Tokyo sa collection Maquis d'automne, dont le clou est une robe de miel – en fait une onction ruisselante de miel pur appliqué au pinceau sur le corps nu de la mannequin, avec cortège bruissant d'abeilles vivantes – après sa rupture d'avec le narrateur. Lequel, éperdu, s'efforce de ne la lâcher ni, lorsqu'il le peut, des yeux – d'où la scène où il épie, du toit du Contemporary Art Space de Shinagawa, un vernissage mondain – ni de la pensée, pour tenter de saisir l'essence même de son aimée devenue insaisissable. Clé : Marie ("c'est fou ce qu'il y a de Marie en réalité") a une disposition océanique, les italiques sont d'origine. Le narrateur a donc perdu Marie, il va la retrouver, après quelques tribulations.
Il a indéniablement un vocabulaire très riche, J. Ph. T. Et pour une qui vitupère régulièrement la disparition d'une syntaxe complexe, la sienne, proustienne, est un bonheur. Alors ?
Alors, qu'est donc Nue, sinon une historiette sentimentale pour snobs, un curieux cocktail de catalogue-d'art-contemporain-sur-papier-glacé avec la pincée de cruauté requise, de B.D., de saupoudrage cosmopolite de lieux branchés (Hokkaïdo, le Spiral de Tokyo, le Contemporary Art Space de Shinagawa, l'agence Rezo de Shibuya, l'aéroport Galileo Galilei de Pise, la gare de Piombino Maritima... activez vos GPS) et de références picturales pour initiés relatifs (les Nighthawks d'Edward Hopper, Bill Viola, Botticelli, Signorelli, grand spécialiste de la nudité...). Le tout enchâssé dans un univers imprégné de Proust, oisiveté, mondanités, jalousie, phrase...
On peut aussi penser à Bécaud, sans la voix, ni la pêche :
La place Saint Sulpice est vide
Devant moi, elle fume, Marie...
Restons en Italie, pour le meilleur.... et pour le pire. Inséparables, tel est le titre du roman
d’Alessandro Piperno, prix Strega 2012 qui m’attendait, avec son bandeau
alléchant. Et que j’ai traîné, perplexe, bien plus d’une semaine, pour le finir
dans le train. By the way, une question me taraude : POURQUOI FAUT-IL QUE
LES VOYAGEURS SE GÈLENT EN TGV ? – C’est la clim, est-il invariablement
répondu aux voyageurs emmitouflés dans manteaux et écharpes à l’INTÉRIEUR du
train. – Et alors ? En quoi est-il légitime qu’en plein hiver les clients
de la prestigieuse ( ?) compagnie française de transports ferroviaires,
voyageant à bord de son train de prestige, attrapent la crève pire que dans une
troisième classe des trains d’autrefois, pour un prix très exagérément
supérieur ? si clients nous sommes, puisqu’usagers est un terme et une
notion semble-t-il caducs, ne serait-il pas légitime que nous soyons
confortablement traités ?
J’ai donc fini Inséparables
emballée jusqu’au nez dans ma grosse veste fourrée. Froid dehors, ennui dedans,
le crayon à la main pour souligner, page après page, effets de remplissage,
traduction bancale, aphorismes neu-neu, chroniques de gestes à perte de vue,
conversations creuses. L’auteur serait un spécialiste de Proust. Question
construction narrative, il n’en a pas gardé grand-chose. Quant au style... j’ai
eu l’impression de replonger dans du Houellebecq (à moins que ce ne soit Marc
Lévy ?), ce qui explique peut-être le succès et les éloges reçus dans la
presse et sur la toile par cette interminable et languissante chronique
fraternelle.
Par Agnès Orosco le jeudi, décembre 20 2012, 22:25
ALORS LA, si Guillaume Gallienne n'aime pas Belle du Seigneur et adule ce sinistre torchon dix fois trop long et complaisant de Conjuration des Imbéciles, JE SUIS DÉPITÉE !
Je ne sais plus quelle émission* m’avait donné l’envie de voir Alexandre Astier en son dernier spectacle. Je l’avais trouvé intéressant, et sympathique. Ignorant tout de ce bouillonnant jeune homme dont certains de mes élèves prisaient fort la série Kaamelot, j’ai vu là l’occasion de découvrir son univers, en compagnie de Soizic, très enthousiaste. (*Sans doute n’était-ce pas Eclectik, que je suis en train de réécouter avec agacement).
Je n’ai rien compris à ce spectacle. Ni la démarche de l’auteur-acteur, ni les rires permanents de la salle. Alexandre Astier, vêtu XVIIIe d’une sorte de redingote bourgeoise, avec jabot et chaussures à talons, plus perruque épisodique, revendique devant son clavecin - dont il joue avec talent voire avec brio, comme aussi de la viole de gambe - une forme d’exactitude historique dans le costume et le décor. En revanche, il récuse toute légitimité des dialogues « historiques », dont il considère qu’ils font parler les personnages comme des livres. A cette recherche dans le décor et le costume répond donc un dialogue – un monologue – dans le français contemporain le plus relâché. Passons sur le « Chiotte ! » qui ouvre la pièce (écho du « Merdre ! » d’Ubu ?) et manifeste l’irritation de Bach de se voir imposer une « journée portes ouvertes » avec cours public de musique par les autorités de Leipzig, alors qu’il a d’autres chats à fouetter, mais quid de la suite ? Mais pourquoi un Bach continuellement vulgaire (truculent n’est pas vulgaire), et surtout méprisant au possible avec son public ? Si la correspondance du musicien témoigne de son irritation face à la pingrerie et à la stupidité de ses employeurs, si elle mentionne la nullité de certains des élèves qui lui étaient infligés, elle est écrite dans une langue pour le moins châtiée, et pour être cassante, elle n’en est ni grossière, ni arrogante. Comme on le comprend au fil du spectacle – qui d’ailleurs comporte quelques longueurs – Bach est tourmenté par ses soucis professionnels, familiaux, ses enfants en bas âge et tous ses enfants morts. Il en résulte une tristesse – une mélancolie ? – vers la compréhension de laquelle le spectacle chemine, et qui en explique le titre.
A la veille de la publication officielle de cet opus mémorable, je ne résiste pas au plaisir de vous proposer une petite promenade sur le web critique. Le premier article est issu des pages "culture (???)" de l'Express. Elle est sobrement signée, hélas ! "Lire". Dommage, j'eusse aimé connaître le nom d'un tel maître de la brosse à reluire. Mais les premières pages de La Jouissance, roman européen, y sont librement offertes. Abeilles lectrices, butinez ce nectar !
Le second, signé Claro et titré "Zeller : de rien", ce qui, je l'avoue, me fait pouffer, est une exécution en règle. Un peu trop féroce même, ça tournerait presque à l'acharnement sur un cadavre. Quelques bonnes âmes parmi les auteurs de commentaires s'en indignent. Moi, je comprends. A un certain degré de nullité imposée et encensée à longueur de pages et d'ondes, on s'énerve, et on se déchaîne. Et le lecteur hargneux rigole, soulagé. Le rire est une catharsis, un partage, et une jouissance, petit plaisir français.
Je n’aime pas les mondanités. Clara Dupont-Monod a sévi
longtemps sur France Culture à l’émission littéraire de Massé-Scaron, haut-lieu
désormais disparu du small talk germano-pratin. Je l’ai entendue aux Affranchis d’Isabelle Giordano sur France
Inter, émission vulgaire et ricaneuse remplacée en cette rentrée par une autre
encore plus vulgaire. La voici à la tête d’une émission littéraire sur France Inter :
Clara et les chics livres, inspirée
quant à son titre par Clara et les chics
types, un film des années 80, avec Adjani dans un de ses beaux rôles, et
une brochette d’acteurs de choix, comme Thierry Lhermitte ou Daniel Auteuil. On
est loin du film : j’ai écouté cinq minutes. C’est insupportable de fatuité
minaudière. J’arrête. Heureusement – j’ai vérifié – il y a toujours Ça Peut pas faire de mal, petite
merveille portée par le souffle passionné de Guillaume Gallienne, à 18 heures.
Encore un roman - offert gratuitement par Folio pour l’achat de deux autres volumes - d’autant plus irritant que je le lis pendant des vacances peu actives en ce domaine. Je n’irai pas jusqu’à la fin, tout m’y agace, du style à la façon de mener l’intrigue, et d’ailleurs j’ai déjà lu la fin, sur laquelle une quatrième de couverture racoleuse attire l’attention comme pour inviter précisément à enfreindre l’interdiction de la lire d’emblée. C’est La Moustache d’Emmanuel Carrère, livre dont j’ai mainte fois entendu l’éloge, et auteur célébré s’il en est, y compris par des proches ou moins proches, lecteurs avertis pour lesquels j’ai de l’estime.
Je ne pense pas que ma gêne vienne du prénom de l’héroïne ou plutôt de la femme du héros, Agnès, à laquelle rien sinon précisément cette communauté de prénom ne m’invite à m’identifier. Non, dès les premières pages, je n’ai pas marché : parce que c’est invraisemblable et bancal, cette histoire de type dont la moustache rasée ne saute aux yeux de personne. S’il la portait depuis dix ans, il avait forcément une pièce d’identité qui en attestait, et c’est je crois, avec les photos, la première chose à laquelle il aurait dû penser. L’attitude d’Agnès, à mi-chemin entre inquiétude et mystification, manque elle aussi de cohérence. En outre, j’ai du mal à imaginer que l’on puisse ne pas avoir, face à un homme qui a rasé sa moustache, de souvenir sensible de son contact. Un baiser à moustache n’est pas un baiser glabre, et induit forcément la perception sensible de son absence.
Deux extraits de « bonnes feuilles » entendus par
inadvertance sur France Culture. La première fois, c’était Amélie Nothomb. Une voix
acide, qui m’a rappelé celle de Karin Viard, mais avec une diction tellement
trébuchante que je me suis inquiétée pour la comédienne. Raté, c’était l’autrice,
qui lisait elle-même l’incipit de son roman-de-la-rentrée. Une resucée de Barbe Bleue version colocation, avec
sombre et mystérieux séducteur au nom espagnol, lequel proposait pour un loyer
dérisoire (500 euros, quand même) un appart grand luxe dans quelque chose comme
le XVIe arrondissement. L’héroïne se nomme Saturnine, elle est belge, elle n’en
peut plus de partager le deux-pièces et l’hospitalité de sa copine Corinne à Marne-la-Vallée,
et la brochette de bourgeoises chics qui attend avec elle dans l’antichambre a
flairé en elle la future élue du fascinant Don Juan qui les fait toutes rêver. Sur
fond de banalités diverses, catalogue d’agences immobilières, études
sociologiques sur les appartements parisiens ou le regard hypothétiquement porté
par les Français sur les Belges ou sur les aristocrates, l’autrice, qui en est
à son vingtième roman mais à son soixante-treizième enfantement (ce qui fait un
total de 53 fausses-couches si je sais compter, quelle santé ! – ou quel
gâchis), l’autrice donc accumule les formules gnomiques, sentences et autres
aphorismes, dans un style qui associe quelques afféteries (un « brushing
impavide », hypallage ?) avec un lot de platitudes, et emploie l’insupportable
tournure « l’insupporter » qui m’insupporte. Elle parle de son œuvre avec
ardeur et conviction, et une sorte de naïveté aveugle et satisfaite. Sachez quand
même qu’il s’agit d’une réhabilitation du personnage de Barbe Bleue ignominieusement
traité par Perrault, et de son droit au secret.
Cette fille doit largement friser la cinquantaine, et l’énergie
qu’elle met à se mettre en scène au lieu de travailler son talent a quelque
chose de profondément pathétique.
Mais bon sang, ils peuvent pas dire « clinquant »
au lieu de dire « bling-bling » ????? - « en toc, tape-à-l’œil,
tapageur(-se), maniéré(e), prétentieux(-se), factice » ????? Ni
« défi » au lieu de « challenge » - qui au passage est
un mot issu de l’ancien français, lequel est lui-même issu du latin
« calumniare »,
marrant, non ? On leur apprend pas non plus le vocabulaire, dans les
écoles de journalisme ? Ce matin, c’est à propos de cuisine, dans
l’émission « On va déguster » sur France Inter. Que j’écoutais après
« Eklectik » de Rebecca Manzoni/ Jacques Audiard, en me disant que
France Inter proposait désormais des émissions de grande qualité, construites,
documentées, inventives, avec des voix de radio [des fois, il y a la voix sans
la qualité : la minaudière, frétillante, inquisitoriale, arrogante,
paternaliste, insupportable Pascale Clark, par exemple], alors que France
Culture avait perdu cette touche de la voix, qui était, avec la passion de
transmettre de ses producteurs(-trices) d’autrefois, sa griffe. Donc Rebecca
Manzoni, avec sa voix, son sens du silence, son attention aux gens qu’elle
interviewe, la connaissance et le respect qu’elle a de leur travail. Et la
façon qu’elle a de les rendre intéressants, de les transmettre, en somme, même
quand a priori ils ne font pas partie des références de l’auditrice que je
suis. Joey Starr, par exemple, que j’ai écouté presque à mon corps défendant
(mais avec intérêt)… (mais pas Annie Ernaux, non, au-dessus de mes forces).
Jacques Audiard, c’était un bonheur, avec sa diction trébuchante, sa modestie,
et cette passion de la forme juste, qui lui a fait peupler sa « minute de
solitude » conclusive par la lecture d’un passage de « Forme et
signification » de Jean Rousset, consacré à Flaubert, par lettre à Louise
Colet interposée. Sur l’art de faire tenir ensemble, dans une forme de
déséquilibre, de beaux passages fignolés, puis défignolés. Alors, si les hôtes
d’ « On Va déguster » ont la passion de la bonne cuisine, des
produits goûteux et du terroir, que ne l’expriment-ils dans une langue
elle aussi ancrée en terroir, en archaïsmes, savoureuse, en somme ? Au lieu de
parler de « cuisine bling bling » !
Il y a un autre mot qui florit par les temps qui courent dans
les propos moutonniers des journalistes et autres chroniqueurs. De « marinisme
» ou « mariniste », pour ma part, je ne connaissais que la langue affectée,
précieuse, maniérée (presque une anagramme) du Cavalier Marin, Giambattista Marino, dont l’« Adonis », offert
à Louis XIII en 1623, bouleversa l’Europe galante et précieuse du XVIIe. (C’est
l’une des sources de L’Adonis de La
Fontaine, dédié à Fouquet). Poète brillant, le Cavalier, est quasiment le vulgarisateur du concetto, la pointe ou chute galante qui irrite tant Alceste dans le sonnet d’Oronte…
Aujourd'hui est un triste jour pour les lecteurs et surtout pour les libraires, et ce n'est pas, hélas ! un poisson d'avril. Le prix des livres, soumis à la TVA, augmente. On en est consternés.
La nature morte au livre est de Laura Roucou, élève d’Agnès
Guesdon au lycée Lamarck.
Par Agnès Orosco le vendredi, février 3 2012, 13:40
Il y a une erreur de langue qui se multiplie et qui
m’énerve. C’est celle qui consiste à employer le verbe « se
coltiner » à la place de « se colleter ». Pas plus tard qu'hier soir sur France Culture, dans un texte de Mathias Enard inspiré par son voyage
en transsibérien il y a deux ans, « L’alcool
et la nostalgie », « une ‘ véritable ’ fiction » – parce
qu’il y a des fausses fictions ?, qui sont des vraies réalités ?? –
lue par lui-même et truffée entre autres de références à la Prose de Cendrars. La fille s’appelle
Jeanne, et quoique ce fût assez bavard, j’écoutais sans déplaisir, jusqu’à ce
que le narrateur évoque son désir d’« une vie d’aventures, de plaisir et
de liberté sans avoir vraiment besoin de me coltiner à l’écriture »…
soubresaut intérieur. Ça fait quand même une confusion doublée d’un solécisme,
car « se colleter » se construit avec ‘avec’, justement.
Alors ON SE COLLETTE AVEC quelqu’un que l’on a pris au collet, c’est à dire au col, pour se
battre avec lui : « Meaulnes lâcha Delouche
pour se colleter avec cet imbécile et il allait peut-être se trouver en
mauvaise posture, lorsque la porte des appartements s'ouvrit à demi ». Alain-Fournier, Le Grand
Meaulnes, tandis qu’on SE COLTINE les sacs de courses lorsque l’ascenseur est en panne, ou un importun dont on
n’arrive pas à se débarrasser, de « coltin », le chapeau de
cuir des portefaix qui leur couvrait cou et épaules*. Le premier est actif, le
second passif. Et lorsqu’on écrit, il importe de se colleter avec la langue, et
de faire usage des dictionnaires, (y compris électroniques), qui permettent de
corriger telle ou telle inadvertance. Oui, je sais, il est mal de vouloir
réglementer la langue, on l’empêche d’évoluer, de vivre, qu’y disent. Mais
l’ignorance n’est pas la créativité, et une langue sans histoire ni canons se
morcèle ou se dissout dans l’insignifiance.
* Ainsi Les Charbonniers de Monet (1875) (se) coltinent-ils leurs sacs au pont d'Asnières. (Musée d'Orsay)
Le long de la place du marché,
il y a un café-tabac-maison de la presse. C’est en passant devant que je me
suis cognée sur le gros titre du Point
de la semaine : « Camus par Onfray », en grandes lettres
blanches. C’est ce qu’on lit d’abord, avec un photomontage d’Onfray en couleurs
et en col roulé gris, la boucle ondoyante et l’œil fixe derrière ses lunettes
branchées, dominant debout un Camus en noir et blanc, assis, en costume
cravate, l’œil fixe et la cigarette au bout des doigts. Et puis en jaune, les
sous-titres, qui sont en fait des sur-titres : « Le philosophe
qui ne s’est jamais trompé./ Comment Sartre a tenté de le tuer. » Le
premier desdits sur-titres coïncidant exactement avec le visage d’Onfray, le
passant-lecteur a un moment d’hésitation…. Quant au second titre, s’agit-il du Point, ou du Nouveau Détective ? Le cadre qui emballe le tout est d’un
rouge dramatique à souhait.
Ce billet n’a d’autre légitimité
que celle de l’exaspération. Je n’ai pas lu le bouquin d’Onfray - que signifie
d’ailleurs sur la couverture de ce dernier opus cette photo ridicule d’un Camus
faisant le grand écart debout, et découpé de tout contexte ? – et je ne le lirai pas. J’ai assez écouté le
personnage sur France Culture pour savoir que c’est un maître de l’imposture
intellectuelle. Que dans son propos, les approximations sont légion, et les
distorsions de la pensée des auteurs qu’il cite innombrables, et toutes
destinées à alimenter la grande revendication voltairienne et ringarde qui est la sienne depuis que sous prétexte d’athéisme militant, il
a entrepris de se poser en icône de l’anticléricalisme le plus franchouillard,
et en héritier et promoteur de l’hédonisme redéfini à grand renfort de
simplifications diverses. A étayer son ego, aussi. Je remarque seulement
qu’après s’être modestement posé en héritier de Nietzsche, et avoir prétendument
« déboulonné » Freud dont il a fait une caricature insupportable (il
faut l’entendre citer des textes et faire mine de les commenter au mépris de
toute cohérence et de tout respect de la lettre et du contexte ! de toute démarche philologique), il
reprend son entreprise d’auto-promotion en se nourrissant de la moelle d’un
écrivain au moins charismatique et dont ni le talent ni la générosité n’ont
jamais été sérieusement endommagés par les attaques fielleuses dont il a fait
parfois l’objet. Je n’ai pas de goût pour Sartre, je ne pense pas que ni lui ni
Beauvoir se soient comportés élégamment avec Camus, mais qui voudrait d’Onfray
comme justicier dans cette affaire ? C’est un peu comme si Tartuffe se
faisait l’apologiste, je ne sais pas… de François d’Assise ? et puis,
Onfray libertaire, encensé dans des magazines grand public, et en montre dans
tous les médias les plus officiels, qui peut sérieusement y croire ? S’il
est plus que louable de promouvoir une université populaire, que penser d’un grand prêtre (eh oui !) d’icelle
qui y fournit un enseignement approximatif, frelaté ? Pas très honorable, et en complète
contradiction avec l’honnête homme que se voulait Camus, et qu’il s’est, contre
vents et marées, efforcé d’être. Corruptio
optimi pessima.
Onfray, ou Homais ?
Et, comme illustration, l'un des nouveaux marque-page de chez Folio....
« Lorsque l’on
étudie le latin et le grec à l’université, il peut arriver que le charme
austère des langues anciennes – leur grammaire difficile et implacable, les
exigences de la syntaxe, les contraintes de la métrique, qui n’admettent ni
médiocrité ni à peu-près – finisse par forger un goût pour un certain type de
rigueur, et cette rigueur devient une sorte de modèle, non seulementpour les critères qu’en tant que critique, on
se doit d’appliquer à son sujet (qu’il s’agisse d’art, de théâtre, de cinéma, de
danse, de littérature ou de tout autre chose), mais également pour les qualités
que l’on recherche dans les œuvres que l’on examine. A savoir, une cohérence
riche de sens dans la forme comme dans le contenu ; le déploiement subtil
mais précis de détails au service de ce sens ; de la vigueur et de la
clarté d’exception ; et une rigueur dans la démarche. Ne voyant aucune raison
de ne pas appliquer ces critères aussi bien aux produits de la culture
populaire – du moins, ceux qui aspirent à quelque sérieux – qu’à ceux de la
Culture avec un grand C (et de ne pas y rechercher ces mêmes qualités), je me
suis efforcé de les intégrer et de les appliquer de la même manière à mes
propres écrits critiques ».
Je n’ai pas eu le temps, hélas !, de chroniquer encore le dernier bouquin de Daniel Mendelsohn, recueil d’articles de critique
littéraire et cinématographique, essentiellement, mais je pensais à ce texte un
matin de la fin d’août (oui c’est du réchauffé, j’avais oublié cette
chronique ! mais son sujet reste d’actualité, hélas), en écoutant à France
Inter un fragment de l’émission « Microfictions », avec un
échantillon de la « critique littéraire » parisienne. Insupportable
exemple de micro-cosme verbeux, satisfait, vaniteux. Où j’ai appris, entre
autres, que les lecteurs en avaient marre des pavés, et se jetaient sur les
minces ouvrages qui correspondaient mieux à leurs attentes et à leur temps. J’avais
pourtant entendu parler il y a peu du succès planétaire de la trilogie de Stieg
Larsson (un bon millier de pages, au bas mot), ou deLa Couleur des sentiments ici chroniqué, qui n’est pas un
fascicule, ou encore de celui, inébranlable malgré les années, du Comte de Monte Cristo, autre bon millier
de pages pour la vengeance d’un seul homme dans un seul roman ! sans parler
d’Une Femme fuyant l’annonce, de
David Grossman, à ma connaissance parmi les meilleures ventes de la rentrée. J’ai
appris aussi que Joseph Macé-Scarron, qui officie sur FQ et partout ailleurs,
avait été accusé de plagiat et avait reconnu avoir fait « une
connerie » en pompant plus ou moins tel ou tel auteur mais ce n’est pas
grave parce que c’est comme Houellebecq (que j’en ai marre de cette absolution
donnée aux recopiages-remplissages houellebecquiens !!!), et que la
rentrée littéraire françaiseétait de
qualité, en particulier pour ce qui concernait les premiers romans. Croyez-moi
si vous voulez, la chose a été incantée par au moins trois ou quatre de ces
bruyantes bonnes gens sans que jamais oncques auteur ne soit nommé. Moi qui avais
repéré en vitrine Du Domaine des murmures,
le nouvel opus de Carole Martinez, dont Le
Cœur cousu, malgré longueurs et maladresses, m’avait touchée et séduite,
j’en suis restée sur ma faim et sur ma rage. Bruyant small talk de
pseudo-initiés, qui tous, en outre, se font à leurs heures auteurs et se
renvoient consciencieusement l’ascenseur (le tapis-roulant ?). Foin de
toute déontologie, foin du plaisir, foin de l’hommage éclairé. Dans sa mondaine
basse-cour, la volaille satisfaite caquète, hélas trop indigeste pour que
quiconque envisage de la mettre au pot ou à la broche.
Je ne finirai pas L’Art
de pleurer en chœur, d’Erling Jepsen, roman danois. Le titre m’avait
séduite, le début aussi, avec scène de famille années 60 le jour de l’arrivée
de la télé. Mais la suite m’agace, ou plutôt le ton : narration faussement
naïve (à hauteur d’enfant, comme dirait « notre » abjecte romancière de
caniveau) de la vie d’une famille à tout le moins « dysfonctionnelle »,
avec inceste et petits meurtres en famille. Regard naïf qui laisse au lecteur
le soin de tirer ses conclusions, en quête d’une complicité souriante,
roublarde, cynique. Rien de juste, là-dedans, ni socialement, ni humainement,
ni littérairement. C’est, en mieux écrit, aussi racoleur que titeuf. Beurk.
Il y a un petit côté Balzac,
décidément, chez Houellebecq : à l’image de son illustre prédécesseur, il
(le personnage, attention, pas l’auteur !), étoile ses brouillons de
corrections successives, signes manifestes du travail du style et de la
puissance de travail dont l’œuvre est le produit : « Avec réticence,
Houellebecq sortit quelques feuilles. Il y avait très peu de ratures, mais de
nombreux astérisques au milieu du texte, accompagnés de flèches qui conduisaient
à d’autres blocs de texte, les uns dans la marge, les autres sur des feuilles
séparées. A l’intérieur de ces blocs, de forme grossièrement rectangulaire, de
nouveaux astérisques renvoyaient à de nouveaux blocs, cela formait comme une
arborescence. »
Il en ressort une œuvre foisonnante et inassignable,
ironique, référentielle, savamment architecturée, dont notre effort s’est
borné, en quelques relevés, à tenter de repérer quelques lignes de force,
penchants, tendances :
Midinette : ''Ils se regardèrent alors, sans
parler, pendant quelques secondes, et Jed n’eut plus de doute : le regard
qu’elle plongeait dans le sien était bel et bien un regard de désir. Et, à son expression, elle sut
aussitôt qu’il savait.''
Connaisseur :'' « Vous savez que vous
êtes avec une des cinq plus belles femmes de Paris ? » Son ton était
redevenu sérieux, professionnel, il connaissait visiblement les quatre autres.
A cela, non plus, Jed ne trouva rien à répondre. Que répondre, en général, aux
interrogations humaines ?'' [Moraliste du XVIIe pour la coda]
Je suis en train de lire La Carte et le territoire. Quatre chapitres,
pour l’instant, de préambule. Et deux de la première partie Et je suis partagée
entre dégoût, ennui insurmontable, et perplexité très profonde. Jed Martin a eu
une panne de chauffe-eau le 15 décembre, et il a été dépanné par un plombier
croate qui va quitter le boulot pour s’investir dans le tourisme en rentrant au
pays natal, - suit le prospectus. Il a des problèmes de communication avec son
vieux père, qui pourtant, connaît Michel Houellebecq, un très bon écrivain
(c’est le père qui le dit, mais le père ne serait-il pas une émanation de
l’auteur ? ça me fait penser à Marcel Maréchal, parvenu depuis quelque
temps déjà au sommet de l’histrionisme, qui dans une de ses dernières pièces,
un ragoût de scènes classiques du répertoire, faisait faire par Molière
soi-même l’éloge de je ne sais plus quelle pièce d’icelui récemment montée par
Marcel Maréchal - Georges Dandin, c'est ça -, Houellebecq donc très bon écrivain parce que connu mondialement,
qui pourrait lui faire le texte du catalogue de sa prochaine expo. Paske c’est
un artiste, JM, et il cale sur sa toile Jef
Koons et Damien Hirst se partagent le marché de l’art. D’ailleurs il cale
tellement qu’après l’avoir mise en pièces il dégueule dessus et c’est la fin du
préambule, « il était visiblement
parvenu à une fin de cycle ». Digestif, au moins.
Ce coup-ci, c’est « Dans de verts pâturages », le titre, à coloration biblique (voir Margido). J’aurais au moins appris à utiliser le traducteur en ligne norvégien-français. D’où il ressort que : * l’on boit beaucoup en Norvège, de la bière, du « snaps » - et du champagne Bollinger chez les bobos (à mon avis, l’autrice a été sponsorisée par la marque, si l’on compte le nombre de fois où elle est mentionnée) * l’élevage des cochons n’est vraiment pas une sinécure, surtout en période de canicule * la vie en Norvège n’est pas absolument idyllique, surtout pour les paysans et les vieillards*.
Ce qui fait sans doute le succès international de ce bouquin, c’est pourtant tout le contraire de l’ancrage dans un univers spécifique. À l’image de la cuisine de Krumme, peut-être savoureuse, mais simple conjugaison de saveurs interlopes, la litanie desrecettes, des dialogues neu-neu ou branchouilles, des idées à la mode, des gestes interminables (on sort de là capable de décorer une vitrine, de soigner des cochons ou de toiletter un mort sans besoin de formation complémentaire), crée un univers passe-partout où le lecteur complaisant peut sans mal se reconnaître. L’amateur de belles histoires, quant à lui, construites, charpentées, écrites, suggestives, en ressort passablement exaspéré, et vouant à quasi tous les personnages, et en particulier au couple homosexuel d’Erlend (le petit mulot, mpfff...) et de Krumme (miettes), insupportable de snobisme, de fric, d’égoïsme, une solide détestation. Rassurez-vous, si j’ai eu la sottise de finir la trilogie, je ne l’ai pas achetée : on me l’a prêtée. 69 € pour un scénario de série télévisée, c’est un peu cher.
* Se reporter à ce sujet à Doppler, d'Erlend Loe, ici chroniqué il y a quelques mois. Ouvrage tout aussi mal traduit, mais tellement plus inventif !
« Ce roman d’une grande
noirceur, superbement écrit, est une description magnifique d’une famille
engluée dans les non-dits. »
C’est ce que dit le Nouvel Obs’,
cité en bandeau. Je ne dois pas avoir les bonnes lunettes, paske moi, j’y vois
plutôt la Comtesse de Ségur, et encore, sans la cruauté. J’aime beaucoup la
Comtesse, au demeurant, j’ai ri aux éclats à François le bossu et aux Deux
Nigauds, alors que là, je vois plutôt une histoire édifiante, mal traduite,
et découpée sur le mode du feuilleton : ça s’arrête en plein milieu d’un
épisode crucial ! seulement, le principe du roman feuilleton, c’est que ça
se vend au numéro de journal, alors qu’ici le volume (il y en a trois) coûte
22,90 €. Ça me paraît terriblement malhonnête : imaginez le lecteur qui n’achète
que ce tome-là : il ignore le détail de ce qui s’est passé avant, et si ça
ne lui plaît pas, il ignorera aussi ce qui se passe après que Torunn ait
violemment « [ouvert] la porte qui donnait sur les bêtes et [allumé] les
néons ». Même Harry Potter ne s’est pas permis ce genre de désinvolture,
et chaque volume fait un tout, non ? Ajoutez à cela que mon exemplaire
passe de la page 64 à la page 97 (deux fois), et que les trente-trois pages
manquantes ont permis à Torunn de rencontrer l’homme provisoire de sa vie, à sa
mère de se faire quitter, à Margido de se laisser séduire par une veuve...
La traduction est toujours
défaillante : en particulier, le titre norvégien Eremittkrepsene,
signifie « Bernard l’hermitte (s ?) », titre qui, à
nouveau, fait sens, à la fois pour le volume et par rapport au précédent. D’où
sans doute le choix, légitime, de le traduire par cette « Ferme des Neshov »
plate et sans intérêt. Chronique de gestes, dialogues envahissants sans être
forcément nécessaires... je crois que je commence à comprendre ce qui a fait CE
best seller : une certaine manière, bien pensante, de capter un air du
temps consensuel, et somme toute, assez niais. Dans le genre conte, je préfère
Andersen.
Un livre qui m’a exaspérée. Je l’ai lu jusqu’au bout parce qu’il m’a été offert par une amie chère, sur les conseils de son libraire. Rien de pire que de lire avec déplaisir, reste à tenter de cerner pourquoi.
Voyons l’histoire. Un type à côté de ses pompes, prof, semble-t-il, quitte Montreuil avec sa femme Anna – belle et réservée – et leurs jumelles de sept ans pour leur maison de vacances, achetée sur un « coup de cœur » dans les parages de Varengeville près de Dieppe. La routine d’été, pluie, jeux, baignades, coquillages, lecture subreptice par les filles des « Martine », la collection d’albums pour enfants des années 60, réprouvée par Anna - sous le regard attendri et détaché du père, alors que s’installe dans le couple une insidieuse mésentente.
Le jour de l’anniversaire des filles, il oublie de rapporter les fraises requises pour le gâteau meringué. Une halte à l’épicerie ambulante est pour lui l’occasion de rencontrer Alice Berthier, une vieille dame acerbe qu’il aide à transporter un panier de poires jusqu’à sa demeure au bord de la falaise. Peu à peu, les visites chez Alice se multiplient, après la découverte au sommet d’une armoire de ''kashinas'', des masques hopi. Lui est le fils d’un marchand d’art, elle d’un photographe avec qui elle a vécu quelque temps chez les Hopis, en même temps qu’André Breton et sa femme Élisa. Au fil des visites chez Alice dont il tente de sonder les secrets et les mystères, son couple avec Anna se défait, et le lecteur progresse dans la connaissance des rites hopis et de la rencontre d’André Breton avec ce peuple et cette culture.
Trop enrhumée pour lire quelque chose de consistant, j’ai attrapé hier sur un rayon de la bibliothèque un petit livre de poche que je n’avais jamais lu, quoique le titre me fît, depuis bien longtemps, de l’œil : Gyp, Le Mariage de Chiffon. Le nom de l’auteur aussi, un pseudo évidemment, et qui claque. J’ai donc lu. Avec un intérêt décuplé par la mention au dos du roman du nom réel de l’autrice : née Sibylle-Gabrielle Marie-Antoinette de Riquetti de Mirabeau, puis comtesse de Martel de Janville (1849-1932). Nom à rallonges s’il en est, mais surtout ascendance prestigieuse ! en fait, elle est l’arrière-petite-nièce du grand Mirabeau, et petite-fille du frère d’icelui, Mirabeau-Tonneau.
C’est donc un mince roman, qui s’ouvre, à Pont-sur-Sarthe, par un débat entre la jeune Chiffon et sa mère sur la perspective d’un mariage avec un duc. Mariage que la jeune fille, très garçonnière et qui n’a pas la langue dans sa poche - elle manie même l’argot avec brio et gouaille, où a-t-elle pu l’apprendre ? – refuse d’envisager, malgré sa sympathie pour le prétendant. Elle a seize ans, et aime ses fleurs, son chien Gribouille, ses tendres grands-oncle-et-tante qui l’ont partiellement élevée, son beau-père le Comte de Bray et le frère d’icelui, l’oncle Marc, sans parler de son nourrice le vieux domestique Jean, et du brave curé de la paroisse . Elle déteste les mondanités, l’hypocrisie, les Jésuites, la vie sociale pour le paraître. Et supporte difficilement sa mère, snob, tapageuse et tyrannique. Les dialogues sont vifs, assez enlevés, on se laisse cueillir. Et puis il y a quelques jolies trouvailles, comme celle-ci : « Grondée, secouée par sa mère dès l’âge où elle pouvait se souvenir ; soignée et caressée par le vieil oncle et la vieille tante dès qu’elle les avait connus, (…) Coryse, foncièrement gaie par tempérament, mais triste par réflexion, vivait dans une perpétuelle inquiétude ».
Autrefois (oui, je sais, c’est un mauvais début. Ça fait nostalgique…) ça durait trois heures ? et on y apprenait, par la voix de passionnés et / ou de spécialistes inspirés, des tas de choses sur tel auteur, tel peintre, tel musicien, familier ou radicalement inconnu. J’ai écouté ce matin - parce que c’était Albert Cohen - la nouvelle mouture, celle de ce jeune monsieur Garrigou-Lagrange. Belle du Seigneur a été résumé en moins d’une minute. Ce qui témoigne, au moins, d’un sens aigu du raccourci.
D’où il ressort que, dans l’interminable ennui de la passion, Ariane et Solal sont devenus toxicomanes (sic) (on ne peut pas prétendre le contraire : ils se shootent à l’éther). J’y ai appris que Solal séduisait Ariane le soir même de son intrusion chez elle, - ce que je lis distraitement, tout de même ! Cohen, lui, a eu trois femmes plus quelques maîtresses, il a écrit son œuvre, qui s’inspire de lui-même, un type très narcissique, en le sublimant, il a fait une petite carrière diplomatique, et il a fini déprimé. Ce qui explique qu’il ait tenu des propos si méchants sur la pauvre Yourcenar. En fait, c’était du délire (sic), de type shooté aux anti-dépresseurs.
Terminé tout à l'heure La Robe de Robert Alexis, chez Points Seuil, après José Corti.
Séduite dans les premières pages par une écriture charnue, riche, évocatrice, très « démodée », je me suis d’abord laissée emporter sans rechigner dans un enchâssement de récits pour le moins sommaire, le narrateur 1 (un libertin qui suit les femmes) passant très vite la parole au narrateur 2 (un clochard en habit d’officier) pour disparaître sans autre forme de procès.
Comme de lire pendant une insomnie Le Moral des ménages d’Éric Reinhardt.
Un type qui a indéniablement du talent. Celui en particulier de conjuguer en un monologue intarissable (intérieur ? j’espère parce que si c’est ce genre de propos qu’il tient à ses innombrables et anonymes – quoique prénommées – conquêtes, on comprendrait qu’elles se sauvent, même s’il baise comme un dieu) une évocation fulminante de la vie médiocre d’une famille de la classe moyenne – celle de Manuel Carsen – et la conjoncture économique des années Giscard et après. Fureur du rejeton envers ses parents dévorés par le souci de l’épargne et la terreur du danger, récit rageur des échecs professionnels du père (petit, écrasé, servile), de l’obsession morose de la mère pour le ménage, le commifaut, le camembert plâtreux de la semaine, délires fantasmatiques : l’assassinat à petit feu de Michel Delpech pour avoir commis ''le Loir et Cher'' (la mélodie m’est revenue à lire les paroles du refrain, j’ignorais même que tel en fût le titre), l’enfermement kafkaïen du père dans un placard, et les pages et les pages de branlettes et / ou de rencontres sexuelles imaginaires ou réelles. Un art du catalogue, de l’énumération, de l’invective, savant dosage de Céline et de Lautréamont, frappé au coin d’un indéniable sens de l’observation fielleuse et de la formule idem.
Je n’ai pas DU TOUT aimé ce roman. J’aurais bien voulu. On m’en avait fait l’éloge, le titre sonnait bien. Je l’ai lu à contrecœur, avec irritation, dès les premières pages. La narratrice, une femme vieillissante, un peu évanescente, exilée des idéaux de sa jeunesse militante par la force de l’Histoire, est partie sur les traces à demi-effacées d’un amant d’autrefois, ami d’aujourd’hui, qui s’en est allé faire du théâtre et fabriquer des cerfs-volants dans une bourgade des rives du lac Baïkal. Sans nouvelles de lui depuis plusieurs mois, elle a quitté Paris, les revues où elle écrit, et la vieille voisine au canapé rouge, pour embarquer dans une sorte de Transsibérien omnibus, jusqu’à Irkoutsk.
TOUTES mes élèves le lisent. L'une d'entre elles m'en a prêté deux, dont ''Et si c'était vrai''.
C'est mortel. J'ai soupiré dès les premières lignes, où l'on naufrage dans une accumulation de petits détails mobiliers et non moins inutiles. C'est truffé de fautes de langue. L'action se traaîîîne. Je vais le finir, mais je ne lirai pas le second. Quand je pense qu'elles reprochent à Balzac ses descriptions ! C'est une chronique de gestes, ce bouquin. Question : Mais alors, qu'est-ce diable qui fait le succès de cet auteur ??? Sa belle petite gueule étalée complaisamment sur le verso de la couverture ? Sinon, je ne vois pas. Parce que comme réflexion sur les mystères du coma, il y a mieux. Et les tartines sur la merveille de vivre... Non vraiment. Lauren émerge à la dernière page de son interminable catalepsie (j'ai déjà regardé) et elle ne reconnaît pas Arthur qui l'a accompagnée sur le chemin du retour à la vie, l'ingrate. La lectrice, quant à elle, a depuis longtemps sombré dans un ennui insondable, comateux.