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mardi, octobre 29 2013

Où il se confirme que je n'ai pas l'étoffe d'une jurée Goncourt...

Plus que quatre titres sur la liste ultime, parmi lesquels, Nue ET Arden... Ma foi, il y a bien eu déjà Houellebecq ou Les Bienveillantes, sans parler du Sermon sur la chute de Rome qui m'est tombé des mains. Il doit y avoir un critère "boursouflure", ou "ennui". Heureusement, restent Karine Thuil, que je n'ai pas lue, mais qui était charmante et très captivante à écouter, et Lemaître, auteur d'un très authentique roman populaire.

Frédéric Verger - Arden

Bon, j'arrête avec la sélection du Goncourt. Je cale après plus de 100 pages d'Arden, de Frédéric Verger, et après avoir grappillé dans les 400 suivantes, sans véritablement tomber sur le « début » de l'action. Arden, la « révélation » de la rentrée littéraire, dont l'auteur était lui aussi présent à la rencontre de Lille. Un type peu disert, peu soucieux de répondre aux rares questions qui lui étaient posées, comme s'il ne s'adressait pas à son public. Que dire de son roman, pour le peu que j'en aie lu, et que j'en lirai, car pourquoi continuer à m'ennuyer ?
Encore un livre très écrit, très imprégné de Proust, et de Nabokov, qu'évoque d'emblée le titre Arden, pour les lecteurs d'Ada ou l'ardeur, avec son domaine d'Ardis, coupé du monde par une forêt aux airs de conte. Une forêt d'Ardennes (l' « Arden » d'As You Like It) mâtinée d'Ardis. Si l'on fait lisière de cette propension récente au pastiche tous azimuts dans une certaine littérature française – il y a ça aussi dans Il Faut beaucoup aimer les hommes de Darrieussecq, dès le titre, et ça continue comme du Duras, phrases et situations, mais j'ai très vite laissé tomber, à quoi bon, parce qu'alors question niaiserie prétentieuse, ce roman-là mérite le pompon ! -, c'est plein de bonnes idées, Arden, de personnages savoureux et excentriques au premier rang desquels « mon oncle », « Alexandre de Rocoule, rêveur, valseur et fornicateur », Irena son épouse fantomatique et neurasthénique, les maîtres du Grand Hôtel d'Arden. Et puis Salomon Lengyel, acolyte d'Alexandre en composition forcenée d'opérettes (52) toujours inachevées faute de pouvoir s'accorder sur une fin satisfaisante, sa fille la brune et fascinante Esther, et la farandole d'employés de l'hôtel aux airs de personnages d'opérette à moins que ce ne soit le contraire. Arden, forêt du territoire de Marsovie emprunté à La Veuve Joyeuse de Franz Lehár, dont les librettistes étaient juifs et qui essaya, en vain, de mettre à leur service sa popularité auprès du régime nazi. C'est à peu près ce qui se passe dans la seconde partie du roman – où commence-t-elle ? dans le bloc compact que constituent les 460 pages qui suivent le prologue « autobiographique » du narrateur, 460 pages sans pauses, sans sections, sans même de blancs typographiques, seulement ponctuées çà et là d'insertions telles que récit romancé traduit du yiddish de l'idylle d'Alexandre et d'Irena, ou arguments de nombre d'opérettes : Loth s'amuse, Harry & Cie, Chevalier Fantôme...
Bref, on l'aura compris, Arden est un roman très érudit, bourré de références et de clins d'œil à tous les étages. Une histoire placée sous le signe de la légèreté comme mode de résistance à la plus lourde des oppressions, et un hymne à un art désormais presque oublié alors qu'il était, dans ma jeunesse, si présent sur France Musique, avec par exemple les Concerts-Promenades d'Adolphe Sibert, et qu'il fut si représentatif d'une certaine gaité française, et peut-être même européenne. Pourquoi alors abandonner la lecture d'un ouvrage si allègre dans son propos, son regard sur le monde, sur l'histoire, les livres, la musique ? Eh bien, parce que c'est trop long. Parce qu'il y a trop d'allusions, trop de clins d'œil, trop d'effets et de virtuosité stylistique, architecturale, narrative. Et que le résultat en est, paradoxalement, pénible. Faute, me semble-t-il d'un éditeur exigeant, qui ait su obtenir de son auteur des coupes, que diable !, pour éviter au festin de se transformer en grande bouffe et au feu d'artifice de tourner à l'incendie. Tel qu'il est offert, infligé plutôt, à ses lecteurs, et c'est dommage, Arden est un pavé compact, une bavarde et interminable fantaisie.

samedi, octobre 26 2013

Boris Razon - Palladium

J'ai rendu tout de suite après lecture Palladium de Boris Razon, extrêmement prisé par les élèves. Les vacances approchant, il fallait que « ça tourne ». Ma lecture date donc déjà d'une bonne quinzaine de jours, et j'ai beaucoup lu depuis. Que l'auteur et mes lecteurs veuillent bien me pardonner mes approximations.

Après lecture, il y a bien des questions que je regrette de ne pas avoir posées à Boris Razon, parce que je n'avais pas lu son roman, ce jeudi-là à Lille, lorsque je l'ai écouté s'entretenir avec les lycéens. Avec Karine Thuil et Thomas Reverdy, et avant la survenue tardive, intempestive et superlativement cavalière de Yann Moix, ils ont beaucoup parlé cuisine littéraire, c'était chaleureux (les trois auteurs s'étaient réciproquement lus) et intéressant. Ainsi Boris Razon a-t-il expliqué qu'il avait, au cours de la longue rédaction de son roman/récit, renoncé à l'usage du présent, pour permettre au lecteur, ce lecteur ami qu'il apostrophe, de rester à distance, pour lui éviter à la fois la posture du voyeur et d'être happé par la terrifiante traversée des apparences qui y est contée. S'y ajoutent le recours, par moments, à l'humour. Et la substitution, dans la version finale du texte, d'un imparfait un peu bancal à un présent trop dévorant. Pourquoi justement cet étrange imparfait ? Parce qu'imparfait? Elle était inconfortable, par instants, à la lecture, cette discordance des temps.... Les phrases sont assez sèches, par sections brèves, le plus souvent entre plus ou moins huit et quatorze syllabes.
Et puis il y a, à la toute fin du texte, la mention de ce roman autrefois entrepris et abandonné, Le Cas Z., qui aurait conté une histoire analogue, bien avant l'accident. Ça m'a terriblement intriguée, et j'ai regretté que des fragments de ce texte n'aient pas contribué, pour rompre l'alternance trop systématique des récits hallucinatoires et des comptes-rendus médicaux, à la construction du roman actuel. Pourquoi aussi, simplement, le choix de ce mot de « Palladium », au sens, comment dire ? de stèle ou de mémorial-témoin de son aventure, à quoi ressemble, d'ailleurs, dans sa sobriété, le livre lui-même, bloc bleu-sombre, illuminé d'irrisations lyriques au centre desquelles nous fixe une prunelle. Pourquoi ce mot de « Palladium » qui s'est comme imposé alors même que Razon, d'origine juive et turque sans s'en être semble-t-il soucié outre mesure, avait imaginé par le passé un « Turquish Palladium », titre de roman dont il ignorait jusqu'au sens ? Comme si, sous ce récit romanesque d'un voyage hallucinatoire vécu comme réel par l'auteur persistait un étrange substrat inconscient et comme prémonitoire. Prescience, ou présence au coeur du corps et de la psyché étroitement liés de l'auteur, d'un mal mis en mots et en corps à la fois ? La question de ce que signifie, entre intime et universel, le mot « roman » se pose ici de façon à la fois troublante et saisissante.

dimanche, octobre 20 2013

Jean-Philippe Toussaint - Nue

Après le pavé Au revoir là-haut, Nue, de Jean-Philippe Toussaint, était un mince ouvrage, lu en l'espace d'une fin de soirée et d'un début de matinée. Ouvrage encensé au Musc et la palme, le même soir où Palladium, de Boris Razon, se faisait tailler en pièces. Quels que soient les défauts de ce dernier roman dont la construction alterne sans doute de façon trop systématique récits hallucinatoires et extraits de comptes-rendus médicaux, son succès, y compris auprès du public des jeunes lecteurs - comme la sincérité du propos - méritent au moins qu'on l'interroge. Il faut dire que c'était encore un soir où officiait Arnaud Viviant, promu semble-t-il au rang de pape par sa récente intronisation de critique officiel de Lui, ressuscité par Beigbeder. Rôle ravissant pour ce caquetant débiteur d'aphorismes, de boutades prétendument spirituelles et d'anathèmes à tout va. Nue était donc un chef d'oeuvre.

Ah. Pour ma part, je n'avais jamais rien lu de Jean-Philippe Toussaint, c'était une découverte.

Marie (Madeleine Marguerite de Montalte), haute-couturière, présente donc à Tokyo sa collection Maquis d'automne, dont le clou est une robe de miel – en fait une onction ruisselante de miel pur appliqué au pinceau sur le corps nu de la mannequin, avec cortège bruissant d'abeilles vivantes – après sa rupture d'avec le narrateur. Lequel, éperdu, s'efforce de ne la lâcher ni, lorsqu'il le peut, des yeux – d'où la scène où il épie, du toit du Contemporary Art Space de Shinagawa, un vernissage mondain – ni de la pensée, pour tenter de saisir l'essence même de son aimée devenue insaisissable. Clé : Marie ("c'est fou ce qu'il y a de Marie en réalité") a une disposition océanique, les italiques sont d'origine. Le narrateur a donc perdu Marie, il va la retrouver, après quelques tribulations.

Il a indéniablement un vocabulaire très riche, J. Ph. T. Et pour une qui vitupère régulièrement la disparition d'une syntaxe complexe, la sienne, proustienne, est un bonheur. Alors ?

Alors, qu'est donc Nue, sinon une historiette sentimentale pour snobs, un curieux cocktail de catalogue-d'art-contemporain-sur-papier-glacé avec la pincée de cruauté requise, de B.D., de saupoudrage cosmopolite de lieux branchés (Hokkaïdo, le Spiral de Tokyo, le Contemporary Art Space de Shinagawa, l'agence Rezo de Shibuya, l'aéroport Galileo Galilei de Pise, la gare de Piombino Maritima... activez vos GPS) et de références picturales pour initiés relatifs (les Nighthawks d'Edward Hopper, Bill Viola, Botticelli, Signorelli, grand spécialiste de la nudité...). Le tout enchâssé dans un univers imprégné de Proust, oisiveté, mondanités, jalousie, phrase...
On peut aussi penser à Bécaud, sans la voix, ni la pêche :

La place Saint Sulpice est vide
Devant moi, elle fume, Marie...

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jeudi, octobre 17 2013

Pierre Lemaître – Au Revoir là-haut

« La guerre se finissait. Ce n'était pas l'heure des bilans, mais l'heure terrible du présent où l'on constate l'étendue des dégâts. À la manière de ces hommes qui étaient restés courbés pendant quatre ans sous la mitraille et qui, au sens propre du terme, ne s'en relèveraient plus et marcheraient leur existence entière avec ce poids invisible sur les épaules, Albert sentait que quelque chose, il en était certain, ne reviendrait jamais : la sérénité. Depuis plusieurs mois, depuis la première blessure dans la Somme, depuis les interminables nuits où, brancardier, il allait, noué par la crainte d'une balle perdue, chercher les blessés sur le champ de bataille et plus encore depuis qu'il était revenu d'entre les morts, il savait qu'une peur indéfinissable, vibrante, palpable, était peu à peu venue l'habiter. À quoi s'ajoutaient les effets dévastateurs de son ensevelissement; quelque chose de lui était encore sous la terre, son corps était remonté à la surface, mais une partie de son cerveau, prisonnière et terrifiée, était demeurée en dessous, emmurée. Cette expérience était marquée dans sa chair, dans ses gestes, dans ses regards. […] Il restait sur le qui-vive, tout était l'objet de sa méfiance. Il le savait, c'était parti pour la vie entière. Il devrait maintenant vivre avec cette inquiétude animale, à la manière d'un homme qui se surprend à être jaloux et qui comprend qu'il devra dorénavant composer avec cette maladie nouvelle. Cette découverte l'attrista énormément. »

« … Albert tomba, presque aussitôt après avoir ouvert le sac en toile d'Édouard, sur un carnet à la couverture rigide fermé par un élastique, qui avait visiblement bourlingué et qui ne comportait que des des dessins au crayon bleu. Albert s'assit là, bêtement, en tailleur, face à l'armoire qui grinçait, immédiatement hypnotisé par ces scènes, certaines rapidement crayonnées, d'autres travaillées, avec des ombres profondes faites de hachures serrées comme une mauvaise pluie; tous ces dessins, une centaine, avaient été réalisées ici, sur le front, dans les tranchées, et montraient toutes sortes de moments quotidiens, des soldats écrivant leur courrier, allumant leur pipe, riant à une blague, prêts pour l'assaut, mangeant, buvant, des choses comme ça. Un trait lancé à la va-vite devenait le profil harassé d'un jeune soldat, trois lignes et c'était un visage exténué, aux yeux hagards, ça vous arrachait le ventre. Presque rien, à la volée, comme en passant, le moindre coup de crayon saisissait l'essentiel, la peur et la misère, l'attente, le découragement, l'épuisement, ce carnet, on aurait dit le manifeste de la fatalité.

En le feuilletant, Albert en eut le cœur serré. Parce que, dans tout cela, jamais un mort. Jamais un blessé. Pas un seul cadavre. Que des vivants. C'était plus terrible encore parce que toutes ces images hurlaient la même chose : ces hommes vont mourir. »

Je suis entrée dans la lecture d'Au Revoir là-haut avec une sorte de gratitude. Ce sentiment de familiarité que l'on éprouve en se glissant dans un vieux jean confortable - et qu'on ne s'y trompe pas, il n'y a dans cette image rien de dépréciatif, et cela ne signifie nullement que le roman de Pierre Lemaître ne soit pas inventif, si la forme en est assez classique. D'un classicisme qui doit beaucoup au XXe siècle d'ailleurs, dès les premiers mots j'ai senti passer le rythme familier des premiers romans d'Aragon, ces phrases où un narrateur « impliqué » mêle sa propre voix adressée aux lecteurs avec celles de ses personnages, dans une langue très élaborée où s'entrelacent argotismes, syntaxe rompue et un style beaucoup plus littéraire, très imagé, à la syntaxe sinueuse et complexe. L'hommage à Aragon est explicite, en fin de roman, dans l'apostille de remerciements devenue désormais presque inévitable.
J'ai eu l'occasion d'en parler avec Pierre Lemaître, ce fameux jour de la rencontre avec les lycéens du Goncourt, jeudi dernier, au cinéma Le Métropole de Lille où j'ai perdu mon appareil photo - et cela me serre le cœur car c'est Pierre qui me l'avait offert. Adoncques, un type charmant, ce Pierre Lemaître, narquois et disert, heureux de rencontrer un écho chez de jeunes lecteurs. Il revendique l'héritage aragonien, dès la genèse de son roman, issu dit-il de la préface d'Aurélien, cette histoire de type qui ne trouve pas sa place dans la société de l'après-guerre, dans la vie même de l'après-guerre. Il a cité aussi, le chapitre consacré à l'attente des soldats démobilisés comme quasi exercice d'admiration adressé aux Voyageurs de l'Impériale, que je n'ai pas lu d'ailleurs, j'y songe.

On a beaucoup entendu Pierre Lemaître sur les ondes, et sans doute l'a-t-on vu aussi à la télé, en cette période de pré-commémoration de la Grande Guerre, aussi ne vais-je pas revenir en détail sur l'intrigue du roman. Ces deux poilus attelés l'un à l'autre par la scène infernale qui a signé leur destin de « hors-la-vie », le 2 novembre 1918, c'est si stupide d'être victime de la toute fin d'une guerre !... il y a Édouard, le fils de famille, le rebelle à tous crins, le dessinateur génial, détruit dans son être le plus intime et le plus manifeste à la fois par l'accès de générosité quasi incontrôlée qui le saisit en ce fameux 2 novembre, et Albert, le trouillard, avec ses accès de fureur et de révolte lucide, et sa fidélité opiniâtre. Tandem boiteux, réuni aussi par la haine de l'affreux lieutenant-futur-capitaine Aulnay-Pradelle à la gueule de séducteur et à l'âme de malfrat. Je l'ai haï dès les premières lignes, et tout le long du roman, avec constance, et bien plus d'énergie que le timide Albert. Un méchant parfait, plus vrai que nature.
Dans cette histoire de l'après-guerre acharnée tout ensemble à oublier et à commémorer, dans ces affaires d'escroqueries qui sont comme du roman au cœur de la vie-même, tous les personnages sont réussis, les femmes aussi, fussent-elles à l'arrière-plan : la sœur d'Édouard, Madeleine, femme libre et déterminée à la lucidité tranquille, comme Pauline la soubrette et encore la petite Louise de douze ans avec son visage pointu, liée par un quasi coup-de-foudre à Édouard. Une question que je n'ai pas pu poser au romancier, parce que je n'avais pas fini le roman lorsque je l'ai rencontré : va-t-on la retrouver, Louise, dont il est dit dans l'épilogue qu'elle « n'eut pas un destin très remarquable, du moins jusqu'à ce qu'on la retrouve au début des années 40 » ? ce serait bien, c'est un beau personnage. Et puis il y a encore ce personnage tard venu de Merlin le puant, le gris, le banni, l'obstiné. Le minable grandi par son inexpugnable intégrité. Manifestement très cher à son auteur, hommage au Cripure de Louis Guilloux, dit-il, (encore un roman que je n'ai pas lu et je me le reproche), et c'est sur lui, bêchant les plates-bandes d'un cimetière militaire que se clôt ce roman, vie et mort, honneur et dérision entremêlés.

dimanche, octobre 13 2013

Chantal Thomas - L'Échange des Princesses

Il y a eu aussi des lectures, Goncourt des Lycéens oblige, même si je n'en suis pas partie prenante - plutôt spectatrice, ou compagne. Il est si plaisant de voir les élèves dévorer quelques pavés, se les échanger, et en débattre avec âpreté, ou s'interroger, perplexes. J'ai donc, après La Claire Fontaine lu successivement Le Quatrième mur de Sorj Chalandon, L'Échange des Princesses de Chantal Thomas, et Au Revoir là-haut de Pierre Lemaître.

Et puis il y a eu, jeudi, la rencontre organisée dans le cadre du prix par la FNAC et l'association rennaise Bruit de Lire, à Lille, avec neuf ! des auteurs. Deux plateaux, successivement des auteurs liés par un rapport à la grande Histoire (Sorj Chalandon, Pierre Lemaître, Laurent Seksik pour Le cas Eduard Einstein, Frédéric Verger pour Arden, et Jean-Daniel Baltassat pour Le Divan de Staline), puis quatre liés plutôt par un rapport au monde contemporain et/ou à l'intime : Yann Moix pour Naissance, Boris Razon pour Palladium, Thomas B. Reverdy pour Les Evaporés et enfin Karine Tuil pour L’invention de nos vies. Neuf auteurs et quelque 130 jeunes gens entre 14 et 18 ans, venus du nord, de l'est de la France, et pour la première fois, de Bruxelles. Nous y avons passé toute l'après-midi. C'était très excitant, passionnant, passionné, les auteurs y ont parlé tout aussi bien de l'alchimie qui en eux les conduisait à l'écriture, que de pure cuisine romanesque, temps du récit ou apostrophes au lecteur, ou désir vampirique de s'emparer des histoires des autres, et de quelle légitimité peut-on se prévaloir ? Mais baste, ne mettons pas la charrue avant les bœufs – il faudrait bien qu'un jour un linguiste inspiré invente une autre métaphore que celle-ci, si décalée de toute réalité non seulement contemporaine, mais même simplement agricole... et parlons d'abord de mes lectures.

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lundi, février 7 2011

... "il s'endormit aussitôt, le cerveau parfaitement vide".

Je suis en train de lire La Carte et le territoire. Quatre chapitres, pour l’instant, de préambule. Et deux de la première partie Et je suis partagée entre dégoût, ennui insurmontable, et perplexité très profonde. Jed Martin a eu une panne de chauffe-eau le 15 décembre, et il a été dépanné par un plombier croate qui va quitter le boulot pour s’investir dans le tourisme en rentrant au pays natal, - suit le prospectus. Il a des problèmes de communication avec son vieux père, qui pourtant, connaît Michel Houellebecq, un très bon écrivain (c’est le père qui le dit, mais le père ne serait-il pas une émanation de l’auteur ? ça me fait penser à Marcel Maréchal, parvenu depuis quelque temps déjà au sommet de l’histrionisme, qui dans une de ses dernières pièces, un ragoût de scènes classiques du répertoire, faisait faire par Molière soi-même l’éloge de je ne sais plus quelle pièce d’icelui récemment montée par Marcel Maréchal - Georges Dandin, c'est ça -, Houellebecq donc très bon écrivain parce que connu mondialement, qui pourrait lui faire le texte du catalogue de sa prochaine expo. Paske c’est un artiste, JM, et il cale sur sa toile Jef Koons et Damien Hirst se partagent le marché de l’art. D’ailleurs il cale tellement qu’après l’avoir mise en pièces il dégueule dessus et c’est la fin du préambule, « il était visiblement parvenu à une fin de cycle ». Digestif, au moins.

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jeudi, février 3 2011

Quignard, pêle-mêle

Je n’avais jamais lu Quignard, sauf, il y a très longtemps, un texte dans la revue Action Poétique, dont j’ai tout oublié, sauf le sentiment d’être restée à la porte, faute de clés.

J’en savais tout de même quelque chose, sa notoriété grandissante après le Goncourt, surprenante si l’on considère combien son travail est confidentiel. Le Sexe et l’effroi aussi. Son ancrage antique, son côté (sa voix) pythique. Son visage de gnome de Füssli.

J’ai lu, entre hier soir et ce matin Tous les matins du monde, qui est au programme des terminales (je n’ai pas de terminales), avec le film de Corneau, récemment décédé. Que j’avais vu (le film), et aimé, à cause de la lenteur, de la lumière, de la musique. Dont j’ai curieusement effacé de ma mémoire Depardieu. Il me reste la blondeur de son fils, Marielle plein de fureur, et Anne Brochet, toujours plus exsangue et fantomatique. Et la raucité humaine de la viole de gambe.

Or donc, je ne vais pas faire un cours. Seulement jeter quelques impressions, à vif.

Ce que m’a évoqué cette première lecture, perplexe, c’est à la fois Giono et Michèle Desbordes. Le Giono de Regain, pour la syntaxe sans fioritures, et La Demande de Michèle Desbordes, pour l’approche intérieure et picturale ensemble d’un personnage très lointain saisi dans une intimité de gestes. Mais la syntaxe de Desbordes est un flot, sac et ressac, qui n’a rien à voir avec celle de Quignard.

Perplexe ai-je écrit, parce que je suis restée en dehors, intéressée mais pas conquise, faute, me semble-t-il, de pouvoir assigner une place au narrateur, à moins que ce ne soit à l’auteur. Le regard s’incarne et se précise lorsque Marin Marais arrive dans l’histoire. Pour autant, il n’est qu’un filtre passager relayé ensuite par d’autres, en particulier celui de Sainte Colombe en proie à ses fantômes.

Où se situe le roman, entre empathie et documentation, entre suggestion et explication professorale, entre détachement et détails sexuels presque ( ?) ridicules : ces histoires de taille de zizi, cette focalisation minutieuse sur des organes, en pleine austérité janséniste, c’est proprement incongru. Comme le signe d’une hésitation entre inspiration et démonstration, entre compositeur et faiseur, entre Sainte Colombe et Marin Marais, (vu par Quignard). Entre passion de créer et … insuffisance ? trop grande intelligence ? comme une aspiration à la justesse, inaboutie.

Georges de La Tour - Madeleine (Musée du Louvre)

mardi, novembre 9 2010

Le decemfaminat littéraire

Il en avait de ces inventions lexicales, Vallès ! « decemfaminat », de decem, dix, et fama, la gloire, la renommée. Les « dix gloires de la littérature », ou les « dix faiseurs de gloire de la littérature » ? Ou les « dix qui attisent la famine » ? le mot n’a pas pris, trop précieux, trop ambigu, trop... amphigourique ? trop spécialisé - l’emploi en eût été très accidentel. Une fois par an, et encore. Je m'offre le plaisir de le ressortir, in contextu, parce les choix littéraires des dix vieillards de Drouant m’irritent presque chaque année, que je me demande toujours quelle sorte de lecteurs ils sont,  quelle sorte d’écrivains. Combien peu le plaisir de lire et de faire lire semble les occuper, le talent littéraire, l’inventivité narrative, le goût de la langue. Très français en cela, ils jugent sur l’idée : « l’idée, c’est que... », triste leitmotiv qui ouvre le moindre débat, le moindre exposé. Jamais plus loin que l’idée, et quant à l’élaboration requise par la pensée, on l’attend toujours. Cette année, l’idée devait être qu’on ne pouvait plus longtemps ignorer l’injustice littéraire qui avait autrefois frappé « l’ennemi public ». Le voilà, les voilà racheté(s).

 Le texte ci-dessous date de 1896, année de la publication du testament d’Edmond. Je l’ai retrouvé dans mon édition du Club Français du livre, introduction et notes de Gaston Gilles, 1953. La vision qu'il donne du métier d'écrivain est sans doute romantique, mais il y anticipe aussi avec lucidité bien des failles du système Goncourt...

 

Paris littéraire n’est pas encore revenu de l’impression de stupeur qu’a produite la divulgation du secret académique d’Edmond de Goncourt...

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Comment ! Il se moque de l’Académie des quarante et il veut fonder l’académie des dix !

Mais elle sera plus sotte et plus injuste, plus impuissante et plus lâche que celle qui loge devant le pont des Arts.

On reproche à cette vieille fille de recevoir, dans son sein, les notoriétés fades, les renommées médiocres, les gloires blettes. Elle est le thermomètre de la banalité publique. Ce n’est pas un crime.
D’ailleurs, si les crapauds du marais sont en majorité dans cette Convention endormie, on y voit aussi le spectacle des grands talents et, de temps en temps, dans des bandelettes de momie, la carcasse des gloires. On prend là sa retraite, quand on est las de la lutte et qu’on n’a plus le feu sacré. Les quarante sont les nez d’argent des littératures, des théories et des politiques finies !
Devant ce tombeau, Edmond de Goncourt a pensé à placer un berceau, sans deviner que sa  pensée allait encore plus à reculons que celle de l’Académie. Elle n’est qu’une écrevisse, - la sienne serait un vampire qui boirait le sang des vivants au lieu de manger la chair des morts.
Il offre une prime à la servilité. Il présente la pâtée des chiens aux loups. Il noue son bouchon de paille à la queue des pur-sangs, il émascule les forts, il abeilardise les virils, il promet le repos, la paix, à qui a besoin, pour avoir du feu et du sang, de traverser mille aventures basses ou nobles, d’avoir souffert mort ou passion.

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jeudi, octobre 7 2010

Jean-Michel Guenassia - Le Club des Incorrigibles Optimistes

Imré, Tibor, Léonid et Michel...

mais aussi Igor, Werner, Tomasz, Pavel, Gregorios, Virgil, Victor, Wladimir...  et encore Sacha, Jef, et Jean-Paul. Difficile de psalmodier leurs noms sur l’air d’Anton, Ivan, Boris et moi de Marie Laforêt, quand c’est sur Blue suede shoes, Jerry Lee Lewis ou les Beatles  que s’exprime la vitalité rageuse du jeune (des jeunes) héros de ce roman. Ça pourrait faire aussi Claude Sautet, n’eût été la coloration exotique de ces noms essentiellement enracinés à l’Est, mais expliquons-nous.

La plupart des personnages sus-nommés, parmi lesquels le lecteur perspicace n’aura pas manqué de noter l’absence complète de femmes, sont les membres du Club des Incorrigibles Optimistes sis dans une arrière-salle du Balto, brasserie auvergnate, au coin de Denfer-Rochereau et du boulevard Raspail. Rompu aux baby-foot avec Nicolas - tous deux y sont champions, imbattables, infatigables - le narrateur va lentement glisser aux échecs avec Pavel, Igor ou Léonid, à l’occasion d’une partie mémorable, car personne ne bat Léonid, même pas pour une partie truquée....

Dès ses douze ans, Michel Marini, dont la famille s’est distendue entre le père insouciant, jovial et bonimenteur, fils et frère de cheminot communiste, et la mère - rigide bourgeoisie catholique commerçante avec repas dominicaux rituels -, dès ses douze ans donc, Michel, scolarisé en pointillés au Lycée Henri IV (il est passé maître dans la subtilisation des billets d’absence) est presque un pilier de bar. Mais pour y jouer, y observer, y écouter : pour y apprendre la vie, en ses facettes diaprées et inassignables, et des aphorismes pour faire face à toutes les tribulations en toutes circonstances. Des blagues aussi, car  ce roman en regorge, et c’est l’une de ses originalités jubilatoires que d’être aussi un recueil de blagues, essentiellement issues des pays communistes d’ailleurs !

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jeudi, octobre 4 2007

Considérations automnales

Mangez-moi, d’Agnès Desarthe était sorti à l’automne dernier, j’en avais entendu quelques comptes-rendus appétissants et puis… j’avais dû absorber pour cause de Goncourt des Lycéens toute la sélection dudit Prix en moins de deux mois. Marathon pour le moins indigeste, colonne bancale où les nauséabondes Bienveillantes sommaient en guise de chapiteau nombre d’autres pensums : l’exhibitionnisme ressassant quoique proustien d’Alain Fleisher*, la virtuosité effilochée de Michel Schneider**, les maussades, érudits et larmoyants grattages de nombril de Camille Laurens***, un Nothomb expédié par-dessus la jambe****, des frères Poivre aseptiques*****, le torrentiel et nébuleux QG du bruit (pour initiés)*******, le venimeux et racoleur Supplément au roman national******* : bien 2000 pages d’ennui, d’exaspération, ou d’indifférence.
Restaient un assez beau roman d’Antoine Audouard, Un pont d’oiseaux, l’interminable et charmant ennui du Bois des amoureux de Gilles Lapouge, Fils unique, de Stéphane Audeguy, tonique et inventif malgré longueurs et souci pédagogique, et puis Ouest, Lignes de failles et Contours du jour qui vient, le roman lauréat du prix.
Cinq romans sur quatorze, il m’a fallu ensuite une petite cure de plaisir désintoxicatoire, entre le très aimé Jørn Riel et la découverte éblouie de Mal de pierres (tous ouvrages évoqués çà et là sur ce blog).
J’en ai oublié Mangez-moi, depuis republié en poche - autant de gagné. Parce que ça aussi, c’est un problème : aussi vitaux que les fruits et légumes frais boudés par les Français, les livres de poche sont chers. J’ai peut-être trop de mémoire, mais je me souviens d’un temps où le compagnon de mes balades, de mes errances, de mes voyages, livre de poche stricto sensu, ne coûtait guère plus de 20 francs (3,5 € à tout casser), 1 ou 2 F dans les brocantes. Difficile aujourd’hui de trouver, chez 10/18, par exemple, un livre de poche à moins de 6 €. Sauf les Librio, à 2 € désormais, inépuisable source de classiques brefs certes, mais bien laids.

C’est à nouveau la rentrée littéraire. Il y a 727 nouveaux romans affichés, le petit monde branché des gendelettres s’agite, Camille Laurens et Marie Darrieusecq s’affrontent à grands coups de bébés morts - viragos tristes, bien loin des matrones aux grands coups de mamelles du marché de Brive-la-Gaillarde… on retrouve dans la nouvelle sélection Goncourt Amélie Nothomb – inspirée cette année paraît-il – et les frères Poivre, sont-ils donc d’année en année les seuls talents prometteurs ???
Et puis l’autre jour Philippe Claudel saisi au vol dans le poste : quel que soit le talent de cet auteur sombre et souvent inspiré, il y assenait en substance que l’auteur était là pour faire descendre ses lecteurs aux Enfers. !!! ??? Outre le côté convenu de ce credo contemporain entiché de noirceur, quelle présomption ! A-t-il la voix d’Orphée ? - Merci bien, je ne tiens pas à croupir dans les gouffres du Tartare, que je préfère en tout cas parcourir sous la houlette rieuse – mais oui ! - de Germaine Tillion, auteur en plein Ravensbrück d’une revue inspirée d’Offenbach Le Verfügbar aux Enfers, incroyable texte écrit dans un carton avec la complicité de ses camarades de camp. La dérision et la parodie mises au service des pouvoirs cathartiques du rire, où l’on apprend que l’hôte des camps appartient à l’espèce des gastéropodes, parce qu’il a toujours l’estomac dans les talons. J’espère de tout mon cœur que le théâtre du Châtelet, qui a produit l’an dernier l’opérette, va l’éditer en DVD, pour la plus grande édification des générations de la conscience douloureuse.
Vous l’aurez compris, je n’ai pas l’humeur à l’actualité littéraire...

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lundi, juin 4 2007

Bonne nouvelle matinale

Le Prix du Livre Inter vient d’être attribué à OUEST de Vallejo ! Je m’en réjouis : j’ai déposé ici une critique de ce roman, huis-clos suffocant sans esbrouffe, talentueux, érudit, d’une forme maîtrisée. Bravo aux jurés, le prix donnera sans doute à ce roman d’un authentique conteur d’histoires (petit paradoxe, c’est Camille Laurens la présidente du jury - une littérature aux antipodes de celle de Vallejo, dans le genre délayage et exhibition !!!) donnera donc sans doute à ce roman un nouveau souffle, tous mes vœux l’accompagnent.
J’apprends que c’est un prof de lettres classiques, mes respects au collègue.
Et Camille Laurens, qui cause en ce moment, que cette femme est compassée !

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mardi, mai 8 2007

François Vallejo - Ouest

Je poursuis mon monologue, en piochant dans la sélection du dernier Goncourt.
Un roman qui en émerge nettement : Ouest, de François Vallejo chez Viviane Hamy.
Une photo ancienne, découverte aux puces, est à la naissance de l'histoire : Sur les terres d'un baron dérangé, dans un "ouest" plus mythique que réel et marqué par les luttes des Blancs et des Bleus, l'affrontement - dans la tête du narrateur - entre un garde-chasse à la fois fruste et intuitif, père de la gracieuse Magdeleine et passionné de ses chiens, et son maître le baron, qui par opposition à un père répressif, se veut républicain sous Napoléon III.
Femmes légères (il y a un "demi-castor", d'où sort cette étrange expression ?), fermiers roublards, Victor Hugo, et une intrigue qui se rétrécit progressivement aux dimensions d'une chambre. En supprimant toute ponctuation caractéristique du dialogue, Vallejo réussit à faire du lecteur comme un double du narrateur, ou plutôt de l'auteur, dont deux des personnages majeurs, Lambert, le garde, puis Magdeleine , dialogueraient ou monologueraient en lui-même ET en eux-mêmes. C'est fichtrement bien fichu, bien écrit, et prenant. Une sorte de thriller historique à la française, retenu, très efficace.

lundi, avril 30 2007

Lignes de Faille de Nancy Huston

Lignes de Faille, dernier opus de Nancy Huston, Actes Sud, septembre 2006. Prix Femina.
C'est le roman de quatre générations à reculons dans le temps, de 20 ans en 20 ans, entre 2004 et 1944, depuis Sol(omon), puis son père Randall, sa grand-mère Sadie jusqu'à l'arrière-grand-mère AGM ou Erra, ou Kristina ou Klarysa. Un grain de beauté erratique (devenu à la fin grain de "laideur" à extirper) lie entre eux les héritiers d'une douloureuse et sombre histoire, celle des enfants "aryens" arrachés à leurs familles polonaises ou ukrainiennes pour être élevés, dressés, aryanisés en Allemagne. C'est l'histoire des "lebensborn", les "fontaines de vie", dont Erra est une victime, et de leurs conséquences sur les générations qui les ont suivies.

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