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jeudi, juin 21 2012

Anthony Trollope back ! Le Docteur Thorne

Le Docteur Thorne a été acquis par la bibliothèque municipale sans doute début mai. Le temps que je m’en aperçoive et qu’il soit enregistré – on ne peut pas réserver une ‘nouveauté’ - il était sorti ! je ne sais pas qui est mon (ma) rival(e) en Trollope à Amiens… Le fait est que ce roman ardemment attendu n’est revenu qu’à la date dite – le 15 juin ! -. Aussitôt lu, 507 pages plus les notes, terminé ce matin. C’est chez Fayard, février 2012.

Le Docteur Thorne est le troisième volume des Barchester novels, après Le Directeur et Les Tours de Barchester chroniqués autour de Noël dernier. Je m’étais arrêtée en pleins Palliser novels, mais pour l’instant pas d’Antichambres de Westminster (Phineas Redux), ni de Premier Ministre disponible à l’achat – du moins à la bibli, parce que Trollope, c’est une rente !). Retour donc dans le Barsetshire, et d’ailleurs, le duc d’Omnium fait deux brèves apparitions, et l’on aperçoit le docteur et Mrs Proudie, et la belle Eleanor devenue Mrs Arabin, à la toute fin du roman.

Il paraît que Le Docteur Thorne (1858) a été du vivant de Trollope l’un de ses plus grands succès, trente-quatre fois réimprimé entre 58 et 82, date de la mort de l’auteur. Je crois que je ne partage pas cet enthousiasme. Non que le roman m’ait déplu, puisque je l’ai lu d’une traite ou presque. Mais il me semble que Trollope n’y est pas au mieux de sa forme : le début  - la situation des familles Gresham et Thorne à la majorité de Frank, le jeune héros - est trop long, un peu filandreux, et somme toute pas très utile. On sent pointer le dénouement beaucoup trop longtemps à l’avance, sans qu’il y ait de péripétie ou de rebondissement, et surtout, et quel que soit mon goût pour la verve satirique de Trollope, il y a trop de scènes comiques en quelque sorte ‘collées’ dans le fil de l’action, et qui la ralentissent en vain. Des figures caricaturales aperçues dans d’autres romans de la série y prennent à mon avis une place excessive, sans pour autant y acquérir d’épaisseur : le docteur Fillgrave au nom si suggestif (‘Combletombe’ ?) fait sourire si on le croise au détour d’une allusion. S’il devient un personnage à part entière, et qu’on le croise à plus d’une reprise, il y a conflit entre la caricature et le personnage. D’autant qu’il est flanqué d’une cohorte de confrères aux noms tout aussi cocasses comme les docteurs Century (‘Siècle’), ou Omicron Pie.

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samedi, mars 24 2012

24 mars

Je n’ai guère eu le temps de passer par ici, ces derniers jours, malgré le jaillissement du printemps en fleurs à travers villes et campagnes, malgré la douceur de l’air. C’est à peine si j’ai lu (Le Misanthrope, encore, et des articles autour). Mais voici  que depuis jeudi les livres me rattrapent.

Il y a des jours bienheureux, où, comme ce midi, votre boîte-aux-lettres vous réserve des surprises rectangulaires, enveloppées de bulles protectrices, emballées de joli papier rose et vert – ou pas. Où ce sont vos amies qui décident de ce que vous allez lire (quand ???), en allant dénicher de petits trésors du côté de vos lieux de prédilection, les Cévennes, délaissées depuis deux ans, les dicos, toujours fertiles en découvertes. Merci Anne, Zaza, Odile.

Il y a eu aussi, jeudi, la rencontre avec des auteurs, qui, à la fin de la journée, ont si bellement évoqué ensemble le travail de l’écriture, sa gestation pendant, par exemple, un nécessaire ennui, son surgissement, ou au contraire, le constant retravail qu’elle exige. Le « gueuloir », intérieur ou non, toujours - merci Gustave, pour la formule et pour la pratique. Il y avait Cathy Ytak et ses phrases lyriques, intenses, vocales (Rien que ta peau), Denis Lachaud qui parle si bellement, sans jamais de clichés verbaux, et qui a lu des fragments d’une sorte de drame intime, intérieur, L’Une, et Sylvain Levey, caustique, rageur, sincère, et dont j’ai lu Costa le rouge, hommage à un grand-père. Auteurs jeunesse, que je ne lis guère d’ordinaire, et dont le propos, le travail, la langue sont ceux de tout écrivain visant à la justesse – tous l’ont dit. Il y avait Michel Azama, aussi, dont j’ai avalé en une semaine une dizaine de ses pièces si intenses, à la langue ardente et aux personnages paroxystiques, entre mythes et Histoire d’autrefois, et soubresauts du monde d’aujourd’hui. Un homme aigu et chaleureux. Beaucoup de livres, finalement, quand on y pense. Et puis je suis enfin retournée à la bibliothèque. Où j’ai emprunté pour raisons de proximité géographique sur les rayons Laurence Tardieu – ici recommandée un jour par une lectrice de passage -, elle est marseillaise, Linn Ulmann, pour voir, et l’ultime Trollope disponible à l’emprunt, Le Château du Prince de Polignac, minuscule opus récemment extrait par l’Herne d’un volume de Tales of all countries. Amusante bluette malicieuse entre une veuve anglaise de trente-six ans et un aimable Français sub quinquagénaire, en la bonne ville du Puy-en-Velay très pittoresquement décrite. Mais pourquoi avoir donné au soupirant français en gants beurre frais le nom d’un prêcheur dominicain ? et puis, 48 pages format 'carnet' (c’est le nom de la collection), certes en joli papier et en Garamond bleu, pour 9€50!!! C’est exorbitant.


Puis-je prouver que je ne suis pas un escargot ? certain jeudi matin où je partis en retard au lycée, oui. Où j’y arrivai encore plus en retard, après entrevue passablement fâcheuse avec des messieurs en képi. Qui s’étaient embusqués, équipés d’un appareil puissant, sur la petite route qui descend vers Sailly Laurette. Bilan, ponction non moins fâcheuse sur certain document rose dont il est bien difficile de se passer quand on vit à la campagne. Ce qu’à Dieu ne plaise, et que Saint Christophe me protège…

lundi, février 20 2012

Trollope - Phinéas Finn, et après "pouce!"

Et voilà. Troisième volume de la série des Palliser novels (seulement ?), je viens de finir Phinéas Finn, lecture volée sur quelques nuits de sommeil. Parce que c’est encore un sacré pavé. Et celui-là, carrément politique. Sur les cinq ou six années de la carrière du jeune "cygne" irlandais Phinéas Finn, il s’agit des luttes intestines entre les whigs et les tories (depuis que je lis Trollope, je SAIS que ce sont les tories les conservateurs, et non les whigs, malgré leur nom de perruques. Je sais aussi que les whigs en question sont une frange de l’aristocratie tout ce qu’il y a de plus aristocratique - leur plus illustre représentant est Plantagenêt Palliser -, et que ces distinctions n’ont donc rien à voir avec une quelconque perspective fût-ce sub-marxiste de la vie sociale. Comme quoi, il aurait suffi lorsque je faisais mes études, il y a bien longtemps, de quelques extraits judicieusement choisis pour lever toute ambiguïté. De l’utilité de la littérature romanesque. Mais quel élève aujourd’hui apprend quoi que ce soit des spécificités de la culture du pays dont il apprend la langue ? Plutôt le ressassement inlassable et épuisant des similitudes les plus triviales du comportement adolescent, et des tartes à la crème idéologiques du moment : développement durable, racisme, violence, traitées sur le mode le plus creux, le moins historique et le plus consensuel possible. Mais je m’égare.)

Phinéas donc. Arrivé à Londres pour y poursuivre son droit chez Mr et Mrs Low, des gens pleins de bon sens, tories au demeurant, qui l’accueillent sinon comme un fils, du moins comme un très cher neveu, et ne voient pas du tout d’un bon œil qu’il soit en son jeune âge entraîné dans le tourbillon de la vie politique. Le voici, avec une veine insolente, élu député de son coin d’Irlande quasi sans coup férir ni débourser grand-chose, grâce au soutien inespéré du lord local, patient de Mr Finn père, un médecin de famille en charge, outre son cygne de fils, de sept filles, dont la jeune Barbara – la seule, en tant qu’amie de la douce Mary Flood-Jones, à émerger comme individu(e) de la masse bourdonnante des femmes Finn.

Phinéas est grand et beau. Un jeune homme brun aux yeux bleus de six pieds de haut ; il a de l’aisance et de l’éducation, et le souci de se comporter en gentleman. Il a surtout une sorte de souplesse humaine sans aspérités qui le fait s’adapter aux êtres et aux situations avec une bonne grâce presque inaltérable, quelles que soient les circonstances.

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dimanche, février 5 2012

'Peut-on lui pardonner ?' Trollope again

Alice Vavassor a vingt-cinq ans, et elle est maîtresse de sa fortune, quatre-cents livres de rente par an, comme on l’apprend assez rapidement au début du roman. Un fameux pavé, 750 pages plus dix pages de notes, que Stephen King aurait rebaptisé « Can you finish it ?» - où ai-je lu cela ? (le titre anglais est : Can you forgive her ?) – ce qui est assez injuste quoique le début soit en effet un peu languissant, et que Trollope ne soit pas l’auteur le plus enclin à élaguer son propos, chaque fil de l’intrigue allant son train, avec ses personnages, ses détails, ses conversations, et les considérations de l’auteur sur lesdits.
Et des fils, il y en a ! il y a le fil principal, l’histoire d’Alice, jeune femme tellement soucieuse de liberté  et de sincérité qu’elle ne cesse de tergiverser sur ses fiançailles. Et fiancée, plus ou moins, elle l’aura été deux fois à son cousin germain Georges, un bien mauvais garçon, défiguré par une terrible cicatrice, et deux fois aussi à l’impeccable, l’irréprochable John Grey de Nethercoats dans le Cambridgeshire. Il y a le fil Glencora Palliser, la très gracieuse et très aristocratique cousine d’Alice, en proie elle aussi à toutes sortes de tempêtes intérieures, elle qu’on a mariée en son jeune âge au très sérieux, très laborieux Plantagenêt Palliser - l’homme qui a voué sa vie aux chiffres, et qui sera un jour chancelier de l’échiquier - pour lui éviter l’opprobre d’une union avec son grand amour, le magnifique et velléitaire Burgo Fitzgerald. Mais Burgo est toujours aussi splendide, et Plantagenêt est tellement ennuyeux et dépourvu d’imagination ! Ce sont les Palliser, et Glencora en particulier, qui assurent la cohérence de la somme romanesque appelée les Palliser novels (Glencora apparaissait, à l’occasion, dans Les Diamants Eustace, pour voler au secours de Lizzie. Mais Les Diamants Eustace sont postérieurs.) Il y a  la passion de Kate Vavassor pour son frère Georges, passion si intense qu’elle fait tout, y compris par l’intrigue, pour le réconcilier et le marier avec Alice. Il y a la tante aînée des trois cousins, Mrs veuve Greenow, encore fort verte, comme le suggère son nom, accorte, énergique et bienveillante dame au cœur de toute une petite comédie de prétendants : qui choisir, du capitaine Bellfield, bel homme fauché, un peu escroc sur les bords, ou du prospère fermier Mr Cheesacre, petit homme rondouillard et tellement terre à terre ! Il y a le triste château de Westmorelands habité par le colérique grand-père Vavassor, avec ses terres battues par les vents et ses paysages intensément romantiques (passe-t-il dans le personnage de Georges et dans les terres de Westmorelands un souvenir des Hauts de Hurlevent ? il me semble). Il y a les intrigues politiques autour de Plantagenêt Palliser (Planty Pall), et de Georges Vavasseur, candidat libéral des berges de la Tamise. Il y a l’infâme Mr Bott et l’affreuse Mrs Marsham, duègnes auto-proclamé(e)s de Lady Glencora, des agents électoraux, des financiers véreux, des notaires, des domestiques – valets et soubrettes -, des demoiselles sur le retour, de vieilles et (plus ou moins) respectables ladies, et naturellement, une chasse au renard avec vente d’un cheval à la clé. Il y a des tas de noms pittoresques et amusants, comme Mr Cheesacre et son acolyte Bellfield (beau gosse et matamore), Mr Tombe, Mr Grimes et Mr Scruby, ou lady Monk de Monkshade, qui me fait subodorer un clin d’œil, très atténué, au Moine de Lewis.

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dimanche, janvier 22 2012

Trollope - Les Diamants Eustace

      Voilà mon huitième Trollope éclusé : 796 pages, cette fois. Ce sont Les Diamants Eustace, qui sont bel et bien les très volatils héros du roman, tombés entre les petites mains rapaces de Lady Eustace, née Elizabeth Greystock, Lizzie pour les intimes. Délicate et ravissante orpheline d’un amiral insolvable, sorte d’Emma Bovary à la mémoire farcie de poésie romantique – et Trollope a des accents à la Marcel Aymé  dans Le Confort Intellectuel pour évoquer les brumeuses envolées à la Byron ou à la Shelley – Lizzie a ferré et très vite expédié ad patres son aristocratique premier époux, Sir Florian Eustace, qui, quoique mort désabusé, a légué à sa veuve l’usufruit d’un château écossais avec toutes ses terres, et une coquette rente. Mais lui a-t-il donné ou non une parure de diamants de famille d’une valeur de dix mille livres, et avait-il le droit de le faire ? Le lecteur sait bien, dès le début, puisque le romancier joue avec lui cartes sur tables, que Lizzie s’est emparé de ces diamants, et que, « biens meubles ou non », elle usera de tous les mensonges pour ne pas les restituer à l’honorable et sourcilleux Mr Camperdown, avoué de la famille Eustace, et très soucieux des intérêts d’icelle.

       L’intrigue repose donc à la fois sur une minutieuse étude de cas juridique – la qualité ou non de « biens meubles » des diamants, et les conséquences sur leur éventuelle restitution - et sur une non moins minutieuse étude psychologique : celle des tortueux méandres de l’intelligence, du sentiment, de la morale ? d’une moderne Célimène, en pire. Car en vérité, la jeune Lady Lizzie Eustace est totalement dénuée du moindre sens moral. Habitée par une passion de vivre et de résister à l’adversité qui la submerge, et qui est en elle la seule force authentique, elle ne cesse au fil du roman de mentir, y compris à elle-même, et de réécrire sans cesse, à s’en étourdir, le roman de sa vie. Autour d’elle, de « ses » diamants, de sa rente, gravitent de nombreux personnages, de l’attachante et sincère Lucy Morris à la très cassante – et moustachue - Lady Linlithgowe, en passant par la toute bonne Lady Fawn entourée de ses sept filles à marier, de deux aventurières, Mrs Carbuncle (‘Escarboucle’, variété de pierre précieuse d’un rouge sombre, considérée comme maléfique, mais aussi, en anglais, ‘furoncle’ !!) et sa nièce la hautaine, glaciale Lucinda Roanoke emplie de fureur. Et encore la très huppée lady Glencora Palliser et son cercle, laquelle assure le lien avec le cycle romanesque auquel appartiennent Les Diamants Eustace, les Palliser novels, dont Glencora est l’une des héroïnes (et en vérité j’ai un peu de mal à comprendre dans quel ordre il convient de lire ces romans, le site Trollope n’est pas très clair à ce sujet). Mais surtout, Lizzie est entourée d’une guirlande de soupirants plus ou moins officiels : le maussade Lord Fawn, frère des sept filles à marier, le cousin versatile de Lizzie, Frank Greystock, le ténébreux Lord Georges de Bruce Carruthers – est-il le « Corsaire » dont elle a toujours rêvé ? -, l’éloquent révérend Emilius aux incertaines origines…. Personnages récurrents (on n’en a pas fini avec Lizzie à la fin du roman, quoiqu’elle y ait fait une fin), vaste fresque de la société victorienne, étude scrupuleuse des mécanismes politiques, juridiques, financiers… l’hommage à Balzac devient à chaque lecture plus patent. J’ai d’ailleurs trouvé sur la toile la citation suivante extraite d’une biographie du romancier par John Hall (Oxford 1993) : « Trollope a un jour salué Balzac comme “l’homme qui a inventé le genre de fiction dans lequel j’ai essayé d’inscrire mon oeuvre ” ».

Il y a deux scènes de chasse à courre en Ecosse particulièrement réussies - et Lizzie n’a-telle pas quelque chose du renard que l’on traque ? - des scènes de voyage, d’auberges, de réunions mondaines, de vie familiale, des domestiques, des détectives et des policemen. Et des déclarations d’amour et de rupture verbales ou écrites à foison, de quoi constituer les prémices d’un guide du savoir-dire et écrire dans de telles situations. Il y a, aussi, une réflexion sur la littérature : celle qui égare - les divagations et autres frénésies romantiques dont se repaît Lizzie - celle qui guide et qui oriente, et qu’offre Trollope à son lecteur – sa lectrice – averti (e). Laquelle n’est pas encore lasse de ses quatre mois et quelque 3000 pages avalées, puisqu’elle n’a qu’une envie : lire la suite, à moins que ce ne soit le début ?

Au prochain volume, donc ! dans l’espoir que mon opiniâtre labourage du champ trollopéen fasse des émules…

mardi, janvier 17 2012

Euh.... Trollope, encore ! La Vendée (dans le texte)

J’ai eu du mal à venir à bout de La Vendée (titre anglais, l’article a sauté en français, pourquoi ?), premier (seul ?) roman historique, et troisième opus de Trollope, alors âgé de 35 ans. C’est un terrible pavé (577 pages grand format), que des lectures nocturnes ne m’ont pas permis de mener à bien rapidement. Et puis, ce n’est certes pas un chef-d’œuvre, comme le reconnaît avec esprit son auteur dans son Autobiographie :

« L'histoire est certainement inférieure à celles qui ont été publiées auparavant [les Macdermots de Ballycloran (1847) et Les Kellys et les O'Kellys (1848)] - principalement parce que je ne connaissais... en vérité, rien de la vie en pays vendéen et aussi parce que mes talents de conteur sont plus accordés avec les faits du présent qu’avec ceux du passé .... La  conception des sentiments des gens est, me semble-t-il, juste. Les personnages sont bien individualisés. Et l’histoire n’est pas ennuyeuse. Pour autant que je me souvienne, ce morceau de critique est le seul qui ait jamais été écrit sur ce livre. »

L’action commence en 1793. Il s’agit, sur fond de mort de Louis XVI, de l’évocation des premières guerres de Vendée, autour des personnages tout à fait historiques d’Henri de la Rochejacquelein, de Charles (en réalité Louis-Marie) de Lescure, et de Cathelineau, tous trois généraux en chef de l’armée vendéenne. Les deux premiers étaient cousins, et aristocrates, le troisième un jeune roturier au charisme puissant. Surnommé le Saint de l’Anjou à cause de sa grande piété, il fait pendant au Saint du Poitou, Charles de Lescure. Dans une brève préface, Trollope cite la source de son inspiration : les « délicieux Mémoires de Mme de la Rochejacquelein », épouse dans le roman – comme dans l’Histoire – de Charles de Lescure.

C’est un drôle de bouquin. Plein d’aventures, de batailles, d’héroïsme et de piété, dont les aristocratiques protagonistes sont tout auréolés de perfections diverses, physiques et morales. Malgré la multitude des morts et des blessés, on y respire souvent un air un peu trop pur, en particulier dans le voisinage d’Agathe de La Rochejacquelein, sœur fictive du jeune et héroïque Henri (qui fut en effet généralissime des armées vendéennes, stratège génial, et mourut à 21 ans !), jeune fille au teint d’albâtre dont la douceur, la piété et la fermeté ont parfois quelque chose d’un peu minéral…

Henri de La Rochejacquelein par le baron Guérin sur Wikipedia

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mardi, janvier 3 2012

Trollope, pour ouvrir l'année : Le Directeur

Une pile de Trollope, ce n'est pas de la rigolade, comme on peut voir... (désolée pour les reflets). C'est celle qui m'attend!

J’ai donc entrepris, et achevé, le plus mince des cinq Trollope empruntés à la bibliothèque : Le Directeur, The Tenant en anglais, que l’on trouve aussi traduit sous le titre La Sinécure. Très médiocrement traduit, au demeurant, chez Aubier, 1992. Avec des passages d’assez bonne venue, mais une copieuse  moisson de fautes de langue et de coquilles de tout poil. C’est le premier volume des Chroniques du Barsetshire, celui qui précède Les Tours de Barchester évoquées ci-dessous. Et c’est donc le récit des malheurs et misères de Mr Harding le doux violoncelliste, maître de chapelle de la cathédrale de Barchester, et, après dix années d’exercice, directeur désormais contesté de la maison de retraite Hiram, fondation de bienfaisance remontant au XVe siècle, et destinée à des ouvriers de Barchester devenus invalides ou nécessiteux.

Contesté par John Bold, jeune et brillant médecin généraliste installé depuis quelque temps dans la ville  et tôt reconverti dans le donquichottisme social. Porté par la vague de mise en cause de l’église anglaise qui fait florès à l’époque sous l’influence des idées libérales, John  Bold ne s’est pas aperçu que le  pavé qu’il lançait dans la mare locale au sujet des revenus excessifs ou prétendus tels du directeur de l’hospice – un ami de sa famille au demeurant – risquaient de mettre en péril ses propres tendres sentiments pour la jeune et charmante fille cadette du Directeur (avec majuscule car tel est le titre sous lequel tous le désignent), Eléanor. Mes lecteurs savent donc déjà, et je sais aussi, pour avoir lu le tome II, qu’Eléanor deviendra Mrs Bold, et bientôt veuve, puisque nous l’avons trouvée telle au début des Tours de Barchester. Je ne suis pas sûre que Trollope ne se soit pas ainsi débarrassé d’un personnage plus utile que véritablement intéressant.

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mardi, décembre 27 2011

Trollope - les Tours de Barchester

Les 700 et quelques pages des Tours de Barchester d’Anthony Trollope racontent en détail toutes les petites intrigues et manigances mises en œuvre autour de la nomination d’un nouvel évêque dans cette paisible cité épiscopale et néanmoins fictive du sud de l’Angleterre, puis, à la suite de la nomination de Mgr Proudie (ou plutôt de sa femme, car la digne dame porte la culotte dans le couple et son pouvoir d’agir sur les décisions de son mari est immense !) sur les menées et autres manœuvres souterraines pour l’attribution des postes de directeur de la maison de retraite et de doyen (le décanat ?). Pas grand-chose de très séduisant, si l’on s’en tient à un tel résumé. Mais c’est un Trollope, et Trollope sait donner à la vie la plus provinciale des couleurs et une vivacité incomparables.

C’est donc encore une très plaisante comédie qui se développe, pli après pli, sous les yeux du lecteur. L’intrigue s’organise autour de la figure pateline et cauteleuse de Mr Obadiah Slope, chapelain privé du nouvel évêque et éminence grise de madame, avant que leurs relations ne se dégradent jusqu’à la guerre ouverte. Comme le nouvel évêque, Mr Obadiah Slope est un évangéliste, variété d’ecclésiastiques de la Basse Eglise fort peu goûtée par Trollope, et brocardée à tout va au fil de ses différents romans. C’est, dans celui-ci, une incarnation explicite de Tartuffe, dont il partage, outre l’ambition sociale, les très charnels désirs. Or Mrs Eleanor Bold, jeune mère veuve d’un adorable Johnny, Mrs Eleanor Bold est si désirable lorsqu’on la surprend échevelée en plein « office d’adoration du bébé » que la nature tortueuse et calculatrice de Mr Slope se laisse malgré lui entraîner à des rêveries et à des projets imprévus. Et comment garder la tête froide quand le révérend Stanhope, quittant la douceur de l’Italie où il s’était installé, rejoint Barchester avec ses étranges enfants, parmi lesquels l’ensorcelante, quoique infirme, Mrs Madeline Vesey Neroni ? Voilà Slope en proie à deux intrigues sentimentales, et en butte à la haine déclarée de son ex-protectrice, la terrible Mrs Proudie. Mrs Bold est en outre la fille de Septimus Harding, le vieux musicien paisible autour duquel tournait l’intrigue du Directeur, le précédent volume de la série des Chroniques du Barsetshire, dont ce roman est le second épisode. C’était déjà, dans ce premier opus que je n’ai pas encore lu, le poste de directeur de la maison de retraite (douze pensionnaires) qui avait suscité toutes sortes d’intrigues, et la démission de Mr Harding. Comment ne pas embrouiller mon lecteur, ni lui en dire trop, sans avoir évoqué pourtant en son presbytère de Plumstead (Pruneraie ?) la famille Grantly, dominée par Mr, fils évincé du défunt évêque, et beau-frère fort offusqué de Mrs Bold qu’il soupçonne d’inavouables intrigues sentimentales ? ni la famille Quiverful (Trembleur ?) de Puddingdale (la puddinguerie ?) qui aspire si ardemment à la direction de la maison de retraite, pour pouvoir nourrir et vêtir décemment ses sept enfants ? ni enfin le docte et chaste Mr Arabin venu d’Oxford pour affronter Slope, et éphémère occupant de la cure d’Ullathorne sous la tutelle attentive de l’inénarrable vieille Miss Thorne, vierge et romanesque, et de son frère ? je n’ai plus le volume sous la main pour retrouver qui affirme dans la postface qu’il n’y a pas d’érotisme dans cette très victorienne littérature. Je suis bien sûre du contraire : la scène où Slope surprend Mrs Bold en pleine bêtification débridée avec son bébé est au contraire un moment intensément suggestif et particulièrement réussi. Quant aux moyens de pression… nocturnes de Mrs.sur Mr. Proudie, quels peuvent-ils bien être ? Ils sont en tout cas  redoutables.

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samedi, décembre 3 2011

Wilkie Collins, Trollope, mélos

             
       Wilkie Collins, c’est vraiment du mélo. Terrible, avec des personnages taillés à l’emporte-pièce, et définis d’emblée par un caractère, et même une physiognomonie qui prévient toute ambiguïté quant aux gentils et aux méchants, même s’il y a des personnages plus nuancés, et si l’ensemble ne manque ni d’humour, ni de souffle. Mais je crois que je vais m’arrêter là dans mon exploration, parce qu’il semblerait qu’il y ait d’autres Trollope traduits, et que je vais plutôt m’efforcer de labourer ce champ-ci que celui-là. C’était Passion et Repentir, une histoire d’usurpation d’identité sur fond de guerre de 70, avec belle infirmière déchue (le titre anglais est The New Magadalen) et demoiselle ruinée et arrogante, jeune soupirant décoratif mais peu enclin à l’ouverture d’esprit, prêtre progressiste plein d’éloquence et vieille lady autoritaire au cœur tendre sous sa rude écorce, préjugés nobiliaires débridés, et tout ce qu’il faut comme coïncidences pour que le mélange soit palpitant. Le roman date de 1873, et il y a, natürlich, un site consacré à Wilkie Collins, d’où j’ai extrait le fier monogramme ici reproduit.

       Autre histoire de préjugés nobiliaires, plus subtile et plus sombre, quoique rédigée semble-t-il en un mois, de septembre à octobre 1877.  Autre Trollope, lu dans la foulée, Œil pour œil.
       C’est, colorée de mélodrame, mais habilement filtrée par la conscience et le regard du seul « héros », la cruelle histoire de Fred Neville, jeune aristocrate anglais promu héritier d’un titre et d’une terre prestigieux, et tiraillé entre son goût de la liberté et de l’« aventure », sa générosité et sa loyauté, et l’indolence, les préjugés et la désinvolture propres à son âge et à sa classe. Crucifié entre deux serments, celui fait à son oncle de ne pas épouser une catholique, celui fait à la douce Kate à la noire chevelure bouclée : « personne n’avait jamais vu de pareilles boucles. Elle les secouait par jeu, et la pièce en paraissait remplie ». Si, à la mort de son oncle, Fred devient lord, on ne peut guère dire qu’il reste un gentleman. Sur fond de lande et de falaises irlandaises battues par les vents, ce roman pose à nouveau très fermement la question des rapports entre les hommes et les femmes, de l’inégalité qui les régit, en particulier en cas de séduction, car séduction il y a eu, et Kate a une mère de race « lionne »… Si ce quatrième Trollope n’est pas aussi délectable que les précédents, d’autant moins que la traduction en est parfois fautive, c’est malgré tout un bon roman, qui témoigne de l’art consommé d’un romancier, si exigeant dans sa pratique quotidienne de l’écriture qu’il pouvait en un mois mener à bien une intrigue sans failles ni faiblesses.

lundi, novembre 21 2011

Trollope, obstinément : Quelle époque !

         La lecture d’un pavé tel que celui qui est photographié deux billets plus bas prend assurément beaucoup de temps – non, je n’écrirai pas qu’elle est ‘‘chronophage’’, quel affreux terme de jargonaute, selon l’expression reprise par Jacques A. Bertrand, papou, dans sa dernière livraison de Les Gens, c’est tous des sales types – beaucoup de temps nocturne, et avouons-le, diurne aussi : près de 800 pages grand format, cent chapitres, et une foule de personnages entre Londres, ‘‘Frisco’’ et, essentiellement, le Suffolk. C’est encore un Trollope - chez Fayard, cette fois - The Way We Live Now, heureusement traduit par Quelle Epoque ! et le roman grouille de personnages. Dans le monde des journaux – c’est par là que l’on entre dans le roman -, dans celui de la jeunesse dorée, dans celui de la campagne et de ses habitants, aristocrates ou paysans attachés aux valeurs de la vieille Angleterre, mais surtout dans le monde de la haute finance où triomphe Augustus Melmotte, pas moins : Augustus à l’impérial prénom, Melmotte, francisation transparente du Melmoth de Maturin, mais surtout, me semble-t-il, clin d’œil au Melmoth Réconcilié de Balzac, qui se situe dans le monde de la finance, et dont le premier personnage est le caissier de Nucingen. Or on trouve aussi, dans Quelle époque !, un personnage d’homme de confiance, Croll, allemand, dont l’auteur transcrit l’accent chuintant, ce qui ne manque pas d’évoquer le parler galimatiesque de Nucingen. Quant à Augustus, il est censé être français, et c’est un homme mystérieux, à l’identité incertaine, qui a parcouru, d’escroquerie en métamorphose, l’Europe et l’Amérique. Sorte de Protée errant, donc, à la parenté littéraire très marquée. Pour qui, comme moi, est totalement imperméable aux mystères de la finance, ce livre déploie avec une pédagogie rare les arcanes et les mystères de la spéculation, et les mécanismes de ce qui, me semble-t-il, s’appelle aujourd’hui une « bulle » spéculative, le mot apparaît à plusieurs reprises dans le texte. Et c’est autour d’actions de la Compagnie des Chemins de fer du Pacifique Centre et Sud des Etats-Unis, exportés à Londres par le bouillant et entreprenant Mr Fisker, dont le sens moral n’est pas la vertu première, que s’enfle et s’auréole de toute-puissance et chancelle la fortune déjà considérable d’Augustus Melmotte, bientôt promu aux plus grands honneurs politiques. Sa fille, la terne et discrète Marie, en devient un enjeu de choix pour les coureurs de dot de tout poil, parmi lesquels l’ignoble baronnet Sir Felix Carbury, magnifique spécimen de crapule sans cœur ni scrupule, au désespoir de sa mère, Lady Carbury, femme de lettres au petit pied mais aux grandes ambitions, qui le vénère, et tente à toute force de lui trouver une épouse fortunée pour sortir la famille de la dèche qui la menace.

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vendredi, novembre 11 2011

Trollope - Rachel Ray

Voilà achevé mon second Trollope, et je suis en passe de devenir trollopomane, sinon trollopolâtre. Celui-ci, c’est Rachel Ray. Une Femme fuyant l’annonce ayant derechef déserté les rayons de la bibliothèque municipale à ma dernière visite, j’ai filé à la lettre T où m’attendaient deux gros Trollope : Quelle Epoque chez Fayard, et Rachel Ray chez Autrement (mêmes réserves quant à la couverture quoique la jeune fille qui l’illustre - couronne de cheveux fauves bouclés, collier de coquillages, teint de pêche et lèvres pleines - soit bien plus engageante que le portrait qui illustrait Miss Mackenzie. Mais c’est normal : Miss Mackenzie avait 36 ans. Rachel Ray en a 19). Nouveau pavé, dévoré dans les intervalles de loisir que je me suis octroyés ces deux derniers jours – et nuit. Même jubilation à la lecture, plus grande même en ce qu’il s’agit d’une histoire plus romanesque. Celle de la jeune Rachel Ray (son patronyme souligne sa dimension solaire, radieuse), belle plante aux épais cheveux châtains, grande, souple, aimante  et aimable et remplie de joie de vivre. Tout le contraire de sa sœur aînée revenue vivre dans le modeste cottage familial et champêtre de Bragg’s End, et comment résister au plaisir de citer in extenso l’allègre ouverture du roman, où le lecteur fait d’abord la connaissance des deux autres habitantes du cottage, mère et fille aînée, Mrs Ray et Mrs Prime, toutes deux veuves :

« Il y a des femmes qui, comme des plantes délicates, n’ont pas reçu de la nature la force de se soutenir d’elles-mêmes au milieu des difficultés de la vie. Elles ont absolument besoin d’un mur, d’une palissade, d’un poteau qui leur prête son appui et les protège. Elles se penchent et s’inclinent pour chercher ce support, et, si les circonstances ne l’ont point mis à leur portée immédiate, lancent leurs vrilles sur le sol, jusqu’à ce qu’elles l’atteignent enfin.  On peut dire de la plupart des femmes – comme aussi de la plupart des hommes – qu’il leur est bon de se marier : le mari et la femme se prêtent mutuellement leur force, sans qu’aucun des deux ne perde de la sienne. Pourtant, aux femmes dont je parle, un mariage, quel qu’il soit, est indispensable, et ce mariage, quel qu’il soit, elles finissent toujours par le conclure, bien ou mal assorti. La femme qui a besoin d’un mur contre lequel se clouer ira jusqu’à jurer fidélité conjugale à sa cuisinière, à son petit-fils ou à son notaire. N’importe quel angle, poteau ou piquet assez fort pour supporter le poids fera l’affaire, mais elle trouvera le moyen de s’attacher à un angle, à un poteau ou à un piquet auquel elle sera dès lors mariée.

            De cette sorte de femmes était notre Mrs Ray. Comme son nom l’indique, elle avait été mariée comme le sont la plupart des dames, à la mairie et à l’église. Au temps de sa jeunesse, elle avait été comme un jeune pêcher dont on dirige soigneusement la croissance contre un mur protecteur, exposé aux tièdes haleines du midi. On lui avait trouvé un appui naturel et, d’abord, tout avait été pour le mieux. Mais ensuite, son ciel s’était couvert de nuages orageux ; la rage des vents s’était déchaînée, et le chaud abri contre lequel elle s’était sentie si tranquille avait été violemment écarté de ses branches, dans la plénitude et dans la force de la vie. Elle avait été mariée à dix-huit ans : après dix années d’une union paisible et heureuse, elle était devenue veuve. [suit un paragraphe consacré à l’évocation du respectable Mr Ray, homme de loi et de religion.]

Après plus de dix ans de mariage, elle resta veuve, avec deux filles, l’aînée et la plus jeune, seules survivantes des enfants qu’elle avait eus. L’aînée, Dorothea, avait alors neuf ans ; et comme elle tenait beaucoup de son père, dont elle avait le sérieux et la volonté, sa mère se maria aussitôt à elle. Ce fut sur son aînée que Mrs Ray comptait appuyer sa vie. Désormais, en effet, Dorothea serait le support contre lequel elle s’épanouirait. Et contre Dorothea elle s’était dès lors épanouie, excepté pendant un an à peine. Cette année-là, Dorothea s’était elle-même mariée, puis elle avait perdu son mari ; de la sorte, il y avait deux veuves dans la même maison. Dorothea, comme sa mère, s’était mariée de bonne heure, unissant son sort à celui d’un jeune prêtre voisin de Baslehurst, mais il n’avait survécu que quelques mois au mariage. Devenue Mrs Prime, noire, raide et austère  dans ses vêtements de veuve, la fille aînée de Mrs Ray était retournée au cottage de sa mère. Noire, raide et austère elle était restée depuis, pendant les neuf années suivantes, et ces neuf années nous amènent au début de notre histoire. »

Je m’arrête là, même si la description des vêtements et des étoffes portées par Mrs Prime (dont le nom dit assez le goût du pouvoir), et de leur influence sur son caractère, ne manque pas de sel.

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lundi, octobre 24 2011

Anthony Trollope - Miss Mackenzie

Je n’avais croisé Anthony Trollope – Trollope tout court, d’ailleurs – qu’au détour de La Reine des lectrices , parmi les lectures de la reine. Nom enregistré dans un coin de mémoire, en attendant. Or samedi, Une Femme fuyant l’annonce, pavé envisagé comme lecture de vacances, avait déjà été emprunté à la bibliothèque et j’avais si peu d’idée de ce que je pourrais lire que j’ai entrepris de me balader dans les rayons, attendant de cueillir, à l’inspiration, le titre ou le nom d’auteur qui me ferait signe. Tant de titres et tant d’auteurs dont j’ignore tout ! Et voilà que Trollope. Pourquoi pas ?
Miss Mackenzie
, chez Autrement/Littératures – 2008 – collection bien intéressante et bien laide, texte imprimé sur du papier recyclé semble-t-il, pas désagréable au toucher et reposant à l’œil, mais la couverture coupée en deux entre photo d’illustration, en bas – assez dissuasive même si elle donne une idée du personnage éponyme – la moitié supérieure blanc glacé avec titre, auteur et nature de l’œuvre, et le petit cartouche rouge vif en haut à gauche, qui jure. Bref, nouvel exemple de l’inventivité très relative d’une certaine édition française en matière de jaquette, mais je fais confiance à l’éditeur.

Aussitôt emprunté, aussitôt entamé, avec, très vite, ce sentiment d’allégresse qui me saisit en entrant dans un roman selon mon cœur. Style alerte, situation du contexte familial, social, économique de l’héroïne expédiée avec vivacité pour ne pas ennuyer le lecteur – au prix peut-être de quelque confusion entre les différents Mackenzie, Ball, Johns et Jonathans entre lesquels se joue l’intrigue, mais on les resitue très vite en les voyant surgir, à leur moment. Nombreuses et savoureuses incursions enjouées de l’auteur : adresses au lecteur, clins d’œil amusés, analyses psychologiques, jugements de moraliste… et l’histoire romanesque et charmante d’une vieille fille (36 ans au début du roman), sorte d’Agnès totalement ignorante des us du monde, soudain révélée à la vie à cet âge déjà respectable en touchant un coquet héritage, et par la même occasion, quatre soupirants.

« Margaret Mackenzie avait par la force des choses mené une vie très retirée. Elle n’avait aucune amie à qui elle aurait pu confier ses pensées et ses sentiments. Aucun être vivant, je crois, ne savait qu’il existait dans Arundel Street, dans cette petite chambre qui donnait sur la cour, plusieurs rames de papier où Margaret avait consigné ses pensées et ses sentiments, des poèmes par centaines qui n’avaient rencontré d’autre regard que le sien, des mots d’amour audacieux dans des lettres qu’elle n’avait jamais envoyées, qu’elle n’avait jamais eu l’intention d’envoyer à personne. De fait, ces lettres commençaient sans destinataire et se terminaient sans signature. (…) Il s’agissait plutôt d’essais, par lesquels elle se prouvait à elle-même de quoi elle serait capable si le hasard voulait bien lui permettre un jour d’aimer. Nul n’avait deviné tout cela, nul n’avait songé à accuser Margaret d’avoir un esprit romanesque

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