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mardi, décembre 25 2012

Alessandro Baricco - Emmaüs

Rembrandt - Les Pèlerins d'Emmaüs, détail. Paris, Musée du Louvre.

Il m’arrive souvent de me demander si c’est moi qui ne comprends rien, ou s’il y a un problème ailleurs. Ainsi d’Emmaüs, de Baricco. Que j’ai lu d’une traite, et dont la justesse sincère m’a saisie, dès les premiers mots. Et puis le libraire m’a signalé - c’était au Musc et la Palme, le 9 décembre – son éreintage. Surprise, j’ai écouté pérorer Arnaud Viviant. Un joli nom. Apparemment le personnage est convaincu de son importance – wikipédia signale qu’il a eu autrefois quelque stature dans le monde de la critique. Pour qui l’écoute aujourd’hui incidemment, il lui en reste la boursouflure, mais certes pas la force de conviction. Et pour moi qui le découvrais, c’est tout au plus un arrogant vieux con radiophonique.
Et Emmaüs est un beau roman, écrit et composé, sur l’exaltation et le désastre dans la vie d’adolescents chrétiens, en Italie, années 70.

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jeudi, octobre 4 2007

Soie


Découverte éblouie il y a dix ans dans un train. Snobé par les critiques de France Culture, plébiscité par les lecteurs. Je l’ai lu en français et en italien. Que dire de ce bref ouvrage soyeux jusqu’en sa jaquette ornée d’un idéogramme mystérieux comme le message, puis les lettres, reçus par Hervé Joncour ?

- Que l’auteur, Alessandro Baricco, y élabore sans que cela paraisse factice une narration inspirée des vieux poèmes épiques, retours de motifs narratifs avec variantes (ce sont les voyages d’Hervé Joncour entre Lavilledieu – où j’allai un jour d’été « tâter » l’air de ses ruelles anciennes – et le Japon), en brefs chapitres aux brèves phrases – presque des vers.

Un éleveur de vers à soie, un type un peu à côté de sa vie, quitte un jour son bourg du Vivarais pour tenter de s’approvisionner en œufs sains dans le lointain Japon clos aux Occidentaux. Il y rencontre un puissant chef de village, le silencieux Hara Kei, et sa belle et muette compagne. Y reçoit l’empreinte de la beauté, de l’harmonie et du silence, qui quatre ans de suite, le ramènera irrésistiblement chez Hara Kei. Jusqu’à la catastrophe du dernier voyage.

Les personnages, à Lavilledieu comme au Japon, sont tous à la fois familiers et insaisissables, c’est un récit fait pour être lu à voix haute, et cependant, pictural et chorégraphique. Musical et silencieux. Une histoire. Belle, mystérieuse, sobre.

Chapitre 19.


Il ne s’arrêta que lorsque la végétation s’ouvrit soudain, un court instant, comme une fenêtre, sur le bord du sentier. On voyait un lac, une trentaine de mètres plus bas. Et sur la rive de ce lac, accroupis sur le sol, dos tourné, Hara Kei et une femme vêtue d’une robe orange, les cheveux dénoués aux épaules. À l’instant où Hervé Joncour l’aperçut, elle se retourna, lentement, un court instant, le temps de croiser son regard.

Ses yeux n’avaient pas une forme orientale, et son visage était celui d’une jeune fille.

Hervé Joncour recommença à marcher, dans l’épaisseur des fourrés, et quand il en sortit se retrouva au bord du lac. À quelques pas de lui, Hara Kei, seul, dos tourné, était assis, immobile, vêtu de noir. Près de lui, il y avait une robe orange abandonnée sur le sol, et deux sandales de paille. Hervé Joncour s’approcha. De minuscules ondes concentriques déposaient l’eau du lac sur le rivage, comme envoyées là, de très loin.

- Mon ami français, murmura Hara Kei, sans se retourner.


Chapitre 32

À l’extrémité opposée du village on apercevait le palais d’Hara Kei, à peine plus haut que les autres maisons, mais entouré de cèdres énormes qui en défendaient la solitude. Hervé Joncour resta quelques instants à l’observer, comme s’il n’y avait rien d’autre, jusqu’à l’horizon. Ce fut ainsi qu’il vit,

finalement,

tout à coup,

le ciel au-dessus du palais se noircir du vol de centaines d’oiseaux, comme explosés de la terre, des oiseaux de toutes sortes, étourdis, qui s’enfuyaient de tous côtés, affolés, et chantaient et criaient, pyrotechnie jaillissante d’ailes, nuée de couleurs et de bruits lancés dans la lumière, terrorisés, musique en fuite, là dans le ciel, à voler.

Hervé Joncour sourit.