Mot-clé - Ouvrages reconstituants

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mardi, avril 16 2019

The shop around the corner : un délice !

Mr Kralik-James Stewart est jeune et irrésistible en vendeur modèle de la maroquinerie Matuschek & Cie, longiligne et super chic avec ses vestons croisés. Il entretient une correspondance avec une inconnue raffinée et romanesque qui comme lui a envie de se cultiver - il cite « Zola’s Mme Bovary », :-) -, et il ne cesse de se chamailler avec Klara Novak, la nouvelle employée, qui méprise le vendeur terre à terre, mesquin et matérialiste qu’elle le soupçonne d’être, alors qu’elle entretient une correspondance avec un inconnu raffiné, cultivé, plein de tact !…. Deux porcs-épics se lardant sans mesure ni précautions de piquants à la moindre conversation. Il y a un employé servile et flagorneur (Vadas), deux demoiselles de magasin (Flora et Ilona) pleines de compassion, le fidèle et bienveillant Pirovitch - avec sa femme, son fils et son bébé, et qui disparaît dès que le patron demande « un avis sincère et honnête » -, Pepi le coursier qui est un vrai Gavroche, un lot soldé de boîtes à cigarettes-boîtes à musique en simili cuir repoussé qui jouent Ochy Tchornya (Les Yeux noirs), des portes qui s’ouvrent, se ferment, qui battent, qui claquent, des conversations sur le coût d’installation d’un ménage, un rendez-vous avec œillet et Anna Karénine (Rendez-Vous est le titre français du film), et Mr Matuschek dont l’humeur se dégrade au fil du film et qui se met à traiter très mal le pauvre Mr Kralik dont la dignité et la loyauté sont mises à rude épreuve.

Dialogues enlevés, très théâtraux, clins d’oeils à la littérature française (Hugo et Corneille sont mis à contribution, l’insatisfaite Mme Matuschek s’appelle Emma) photo magnifique, sentiments subtils et fraternels chez des petites gens menacées par le chômage qui rôde dans les rues de Budapest,  rien n’est caricatural. Quant à oser la dernière scène !!! C’est du cinéma absolument revigorant, humaniste jusqu’au bout des ongles, beau, gai, adorable. Merci Lubitsch.

mardi, décembre 31 2013

Pour clore l'année

Pour clore cette année si triste, si peu féconde, l'abondance des fruits et des douceurs de l'hiver, convoqués pour les fêtes, où l'on se réchauffe de concert.

Et un conseil : si vous ne l'avez pas encore vu, si vous avez la chance qu'on le projette encore dans vos parages, allez voir The Lunch box. Une histoire de saveurs, justement, à Bombay, nowadays, et un authentique "film épistolaire". Saveurs, couleurs, odeurs, visages, désillusions, désirs, amours et illusions. J'en reparlerai plus longuement, L’ANNÉE PROCHAINE. Mais je veux dire aujourd'hui combien, à tous les sens du terme et le sourire aux lèvres, je m'y suis régalée.

A l'an que ven, se siam pas mai que siguem pas mens, du fond du cœur.

samedi, novembre 30 2013

William Wyler - Vacances Romaines (1953)

Dans Vacances Romaines, la princesse Ann rêve de "pajamas", avant de revêtir, quelques heures plus tard, ceux de Gregory Peck. Ça m'a beaucoup surprise, j'avais appris "pyjamas"...



Je n'avais pas écrit ici que j'avais regardé Vacances Romaines. Roman Holiday. Deux fois, en anglais. Avec Audrey Hepburn, irrésistible en jeune princesse d'un pays non répertorié, que sa tournée européenne a conduite à Rome - et au-delà de la contrainte supportable : interminables stations debout sur escarpins, interminables saluts et formules de politesse ressassées, interminables bals protocolaires avec fossiles divers, inlassable surveillance de la Comtesse et du Général, sempiternelle chemise de nuit vieillotte et collet monté, verre de lait et cracker du soir...... la voilà enfuie nuitamment, et retrouvée endormie sur un bord de mur le long du forum - temple de Saturne, temple de Vespasien, arc de Septime Sévère - par un Gregory Peck amusé, ému, irrité, perplexe, et charitablement obligé de l'embarquer en taxi jusqu'à son perchoir, via Margutta 51, volées d'escaliers, plantes grimpantes le long des rampes. Bougainvillées ? plumbagos ?

Dans l'appartement, perché sur les toits de Rome, voix pâteuse : "- Is this the elevator ? - It's my room."

Et un peu plus tard : "- This is very unusual. I have never been alone with a man before, even with my dress on. With my dress off, it's most unusual. (Petit rire). I don't seem to mind ! Do you ?"
Plus tard encore, cette merveilleuse réplique de la prétendue Anya, toujours cérémonieuse, à Gregory Peck – Joe Bradley la quittant pour aller boire un café, le temps qu'elle revête les fameux "pajamas", geste altier, pirouette chancelante : "You have my permission to withdraw."
Jupe dansante (c'est une jupe "soleil", je pense, un rond parfait), taille de guêpe, cheveux longs sagement tenus par des barrettes mais bientôt ratiboisés (- All Off ? demande deux fois le sémillant coiffeur que l'on retrouvera sur un bal flottant au bord du Tibre, - All off, répond la princesse déterminée). La sage écharpe nouée autour du cou bientôt remplacée par un un petit foulard de vichy, voici la princesse lancée dans l'exploration de la vraie vie – une vie rêvée -, en compagnie de Bradley, jambes interminables, sourcil gauche en accent circonflexe, et de son copain Irving, armé de son briquet photographique, car le journaliste a fini par comprendre qui était son invitée nocturne et mitonne son scoop. La cavalcade en Vespa, à travers une Rome de cartes postales allègrement filmée, comme passagère puis comme chauffarde radieuse, en est le pont d'orgue.

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mercredi, septembre 18 2013

Ernst Lubitsch - Sérénade à trois... une idée de la grâce

Regarder Sérénade à trois de Lubitsch, emprunté presque par inadvertance à la médiathèque, un soir de mélancolie, où le soleil picard, selon son habitude, se lève pour une petite heure vers 7h du soir… soleil dehors, donc, lumière chaude sur les arbres jaunissants, et sur l’écran, en noir et blanc, le rythme, la légèreté, le charme d’une comédie qui très vite, fait sourire de bonheur. Je n’avais, je crois, jamais vu Miriam Hopkins, ingénue libertine émouvante de naturel, de grâce, d’une sorte de saisissante aisance physique, une manière d’habiter son corps délié sans la moindre afféterie, d’adresser son sourire lumineux à faire fondre de reconnaissance. Aussi les deux inséparables amis que sont George (Gary Cooper) et Tom (Fredric March), artistes dans la dèche (un peintre, un dramaturge), tombent-ils sous le charme dès leur rencontre – ensommeillée -  dans un wagon de troisième classe entre Marseille et Paris. Inspiratrice, pomme de discorde, impresario improvisée non moins que sourcilleuse de la carrière de l’un comme de l’autre, Gilda Farrell s’installe et les installe dans un trio amoureux parfaitement licencieux qui, malgré les tribulations inhérentes à ce genre de situation, apparaît comme la seule issue possible, et, presque, morale. Il y a aussi le sentencieux  et bien-pensant Mr Plumket, homme d’affaire américain qui se voudrait le protecteur, le  mentor de Gilda, à défaut de mieux… il y a des dialogues en français avec un accent irrésistible, des gamins de Paris, des logeuses et des cabaretières, et cette histoire, libertine au meilleur et au plus libre sens du terme, entre trois « hooligans » (voyous), selon les critères et les termes de Mr Plumket, et qui se réclament comme tels. C’est encore, comme Easy Virtue, un film adapté d’une pièce de Noël Coward, où une immoralité spirituelle, élégante, insoucieuse du qu’en dira-t-on apparaît en somme comme la seule attitude possible face aux embûches et aux difficultés de la vie et de l’amour, un art de vivre. Une histoire, sans flonflons ni discours, de femme et d’hommes profondément libres.
Juste une question : comment comprendre – au-delà de la simple évidence, Gilda fait du dessin publicitaire -  le titre anglais, Design for living ?

mardi, août 20 2013

Ma Famille et autres animaux, suite...

Un commentaire de Molène m'informait de l'impossibilité de trouver en vente cet ouvrage par moi encensé. De fait, il est épuisé chez Gallmeister, et indisponible sinon à un prix exorbitant.

Info prises auprès de l'éditeur, il est bel et bien épuisé, mais en voie de republication avec l’œuvre complète par les éditions de La Table Ronde, en 2014. Hantez les bibliothèques, en attendant, et précipitez-vous dès la parution!

J'ai découvert du coup que la sœur de Gérald et Larry, Margo Durrell, avait elle aussi écrit un bouquin Pension de famille / Whatever happened to Margo, récemment publié chez Robert Laffont (Pavillons poche 2012). En suivant le lien, on découvre la troisième laronne de la famille, célébrée pour sa joie de vivre, en anglais dans le texte^^. Elle est morte en janvier 2007.

Voilà. Il me reste à le lire. Bonnes découvertes à tous!

dimanche, mai 26 2013

Jorge Amado - Dona Flor et ses deux maris

Ça parle cuisine brésilienne et cachaça sur France Inter. Personne ne citera donc cette merveille de roman enjoué qu’est Dona Flor et ses deux maris ? Dona Flor, sémillante grande prêtresse de l’École Culinaire Saveur et Art, dès l’ouverture du roman veuve éplorée de Vadinho, grand amateur de cachaça et mort en plein carnaval, déguisé en bahianaise.
Je n’ai jamais pris le temps d’évoquer ici les romans de Jorge Amado - la façade colorée de sa maison orne, depuis combien d’années ? la porte de mon frigo, envoyée un jour par Laurence. Il faudrait en vérité que je prenne le temps d’en relire quelque peu, mais comme littérature reconstituante, Amado, c’est une mine. Il fut un temps où il était dans la zone « prêt public » de la bibliothèque Carnegie de Reims, et il fallait vraiment bien viser pour trouver un de ses romans sur les rayonnages. Signe infaillible d’une œuvre populaire, au meilleur sens du terme, où les insertions de recettes (toujours la plasticité du roman !) pimentent et ensoleillent la lecture, sans commune mesure avec les recopiages de catalogues divers de mobilier et autres décos des romans à la mode, ce n’est pas du Marc Lévy !


Voici donc : 

-          Les sous-titres :

Ésotérique et émouvante histoire vécue par dona Flor, professeur émérite d’art culinaire, et ses deux maris, le premier surnommé Vadinho, le second, le docteur Teodoro Madureira, pharmacien de son état.

                                              ou
 

La terrible bataille entre l’Esprit et la Matière, contée par Jorge Amado, écrivain établi dans la quartier de Rio Vermelho, dans la ville de Salvador de Bahia de tous les saints, aux alentours du largo de Sant’Ana, où demeure Yemanjá, déesse des eaux.

 -          Les épigraphes :

Dieu est gros
(révélation de Vadinho à son retour)

La terre est bleue
(Gagarine l’a confirmé après le  premier vol spatial)

Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place
(Sentence écrite sur le mur de la pharmacie du docteur Teodoro Madureira)

 

 

Ah !
(soupira dona  Flor).

 

 

 -          et enfin le premier intermède culinaire, à l’orée du roman :

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mercredi, avril 24 2013

Y a d'la joie... et des sourires au creux des pages

Vous souffrez de mélancolie, marasme, morosité, neurasthénie, sombreur (si, si !), vague à l'âme, maussaderie, bile noire ou atrabile, déprime, langueur, bourdon, taedium vitae, tristesse, chagrin, ennui, angoisse, abattement, cafard, navrance…. de spleen, quoi ! Pour tenter d’y remédier, ouverture aujourd’hui d’un « tag » (une étiquette) « Ouvrages reconstituants ». J’ai collationné les chroniques à la va-vite, il se peut que j’en ai oublié, et encore n’y ai-je pas intégré les films et les pièces de théâtre. Ça viendra sans doute, et en attendant, il y a quelques milliers de pages - parmi lesquelles il en est que j'aime bien plus que d'autres - susceptibles de redonner le sourire et le goût de la vie aux plus désespérés.Que votre cueillette soit fructueuse ! Avec le printemps renaissent, bonnes ou mauvaises, les herbes nourricières.

dimanche, avril 21 2013

Westlake - Voleurs à la douzaine

« Ils pénétrèrent dans une longue construction dotée d'une large allée centrale en béton, parsemée de boue et de paille. Quelques ampoules de faible voltage pendaient des poutres en bois brut au-dessus de l'allée et des séparations en bois, à mi-hauteur, bordaient les deux côtés. C'étaient les stalles, occupées aux deux tiers.

En traversant cette première écurie, Dortmunder apprit plusieurs choses au sujet des chevaux : 1) Ils sentent mauvais. 2) Ils respirent, bien plus que tout ce qu'il avait rencontré jusqu'alors dans sa vie. 3) Ils ne dorment pas, même la nuit. 4) Ils ne s'assoient même pas. 5) Ils s'intéressent beaucoup aux gens qui passent. Et 6) ils ont des cous extrêmement longs. Quand deux chevaux qui se trouvaient de chaque côté de Dortmunder, chacun dans sa stalle, tendirent la tête vers lui en retroussant leurs grosses lèvres noires pour montrer leurs énormes dents carrées semblables à des pierres tombales, en reniflant et en soufflant avec leurs narines qui ressemblaient à des canons de fusil, et le mettant en joue, il s'aperçut que l'allée n'était pas si large que ça, finalement.

''Bon sang'', dit Kelp, ce qui ne lui arrivait pas souvent. »


Dortmunder à la campagne, sollicité pour voler « Le Mauvais cheval » - c'est le titre de la nouvelle -, un étalon du tonnerre de dieu, destiné à enrichir une lignée de claquettes par quelques saillies clandestines, vous y auriez pensé ?

Ce sont des nouvelles. Il y en a douze (le recueil s'intitule Voleurs à la douzaine – Thieves'dozen), et je les ai trouvées hier soir sur l'étagère de ma chambre de passage, juste avant de m'effondrer. Je n'en ai lu que quatre, mais je n'attendrai pas une minute (ni un ordinateur en état de marche, le mien ayant collapsé, alas!) pour témoigner de ma jubilation. Et dire que j'ignorais jusqu'à l'existence de ce recueil pourtant publié en 2004 par Westlake, en 2008 par Rivages, et en 2011 pour l'édition de poche, à croire que Stéphane-de-Pages-d'Encre aurait oublié mes monomanies, quant à Sylviane, la pauvre, qui connaissait son rayon poche comme le fond de la sienne, elle a été reléguée au rayon « livres scolaires » ! Si c'est pas du pur gâchis !!!

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vendredi, avril 5 2013

Westlake - Et vous trouvez ça drôle ? (Dortmunder, fin)

Ingrédients, lieux et personnages :

-          Un jeu d’échecs de trois-cents kilos, pièces en or massif et rubis ou perles, plateau d’ébène et ivoire, coffret de teck, destiné au tsar Nicolas II, égaré en pleine explosion révolutionnaire dans le port de Mourmansk, et annexé par une troupe de soldats américains - puis disparu.

-          Le dôme doré à l’or d’une mosquée en construction (« quatre mètres et demi de diamètre, trois et demi de haut »), en attente sur un chantier de Brooklyn. Ça, c’est le projet de Murch, décliné à son grand dépit par le reste de la bande.

-          Une inexpugnable chambre-forte sous un immeuble de soixante étages, avec banque et cabinet de juristes, en pleine Cinquième Avenue

-          Une vaste propriété perdue en pleins bois au cœur des Berkshires (Massachussetts), et fermée depuis trois ans.

-          Un flic en retraite recyclé dans les enquêtes privées, et fort au fait – avec photos – d’agissements illicites antérieurs  de Dortmunder et de sa bande

-          Le descendant floué d’un des soldats américains dépositaires du jeu d’échecs. Chimiste plein-aux-as en retraite. Au demeurant réduit par la maladie à l’état d’infirme, physiquement susceptible d’adopter toutes sortes de formes déconcertantes

-          Un jeune couple de glandeurs installé dans la susdite propriété pour y forniquer à loisir et en toute quiétude.

-          Une jeune avocate et son ami illustrateur, un peu glandeur, et cuistot émérite. La jeune femme étant la petite-fille du chimiste sus-mentionné

-          Une richissime, procédurière, excentrique, descendante d’un autre des soldats qui.... « Livia Northwood Wheeler (...). Elle est plus riche que Dieu. En réalité, elle n’est pas loin de considérer Dieu comme un parvenu. »

-          John Dortmunder, en plein marasme. Je le verrais bien avec la tête de Jean-Pierre Bacri, tiens.

-          Andy Kelp, toujours plus lettré, désormais bien installé avec Anne-Marie. Stan Murch, toujours plus balourd et obsédé par les itinéraires. Judson Blint, la très sexy J.C. et son improbable amant Tiny Bulcher, toujours plus massif, tous trois sortis de Surveille tes arrières, voilà pour la bande.

-          Le O.J. Bar and Grill, of course, avec son arrière salle à l’ampoule nue et ses interminablement oiseuses conversations de bistrot. C’est même là que tout commence.

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vendredi, mars 1 2013

Nikos Kokàntzis - Gioconda, récit

A l’époque, avant-guerre, dans les quartiers comme le nôtre, les gens vivaient dans des maisons et non dans des ‘résidences’ ; il y avait des jardins et des fleurs, mais pas de voitures ; chaque saison avait encore son parfum et le silence de la nuit n’était troublé que par l’aboiement d’un chien, le chant d’un coq avant le jour, les grenouilles dans la citerne du voisin l’été, le laitier du matin et les premiers bavardages des ménagères – par tout cela, et tant d’autres choses.

Il y avait alors là-bas une maison pauvre devenue très importante pour moi. Elle était basse, allongée, avec un toit pentu de vieilles tuiles ; une treille courait sur la moitié de la façade et au-dessus de la porte. Il y avait d’un côté un semblant de jardin, avec deux ou trois pots de fleurs, des herbes folles et des orties, mais aussi un grand figuier et une prétendue barrière qui ne faisait que marquer le terrain sans rien protéger – protéger quoi, et de qui ? C’était un jardin honnête et sans façon, dû pour un peu à la main de l’homme, et pour beaucoup à celle de Dieu. Un jardin délicieux que pendant des années jusqu’à ce jour, parcourant les parcs des villes d’Europe, j’ai conservé dans mon cœur avec la nostalgie de ses recoins, de ses cailloux, ses bestioles, ses lézards, ses cigales, du monde immense contenu dans ce mouchoir de poche où nous avons joué, grandi, vécu, appris – surtout appris. 

 

Ce tout petit livre est un tombeau. Le tombeau d’une enfance, le tombeau d’un amour, le tombeau d’un moment de vie intensément vécue et aussitôt perdue. Il ressuscite dans ses moindres émotions, ses moindres sensations, dans ses moindres gestes, mimiques, regards, l’éblouissement d’un amour moral et physique entièrement partagé – et dévasté par l’Histoire, à Thessalonique, en 1943. C’est dense, vibrant, intense, illuminé d’adolescence, de désir, de joie. Beau. Et magnifiquement traduit par Michel Volkovitch, aux éditions de l’Aube.

lundi, février 18 2013

Haifaa Al-Mansour - Wadjda

On est arrivées au Gaumont Mistral, à Alésia, dix minutes trop tard pour Alceste à bicyclette. Alors, pour ne pas repartir bredouilles, et pour rester dans une histoire de vélo, on est allées voir Wadjda.


C’est une fillette de dix ans, ensachée comme toutes ses camarades dans une ignoble robe aussi noire que les blouses d’écoliers d’autrefois en France, mais sous cette robe, en jeans et chaussée de ‘Converses’ grisâtres. Une petite fille dégingandée, gauche et gracieuse à la fois, avec ses cheveux longs crêpelés et son grand nez un peu de traviole, ses yeux vifs. Elle a un copain, Abdallah, tout de blanc vêtu quant à lui, avec sa petite toque, Abdallah le taquin, qui passant à vélo lui pique son sandwich et lui arrache son voile. D’où le défi : avoir elle aussi un vélo, pour lui montrer qu’il ne serait pas si faraud, si elle jouait à armes égales. Qu’elle saurait le battre, à vélo. Mais les vélos ne sont pas pour les filles, car c’est à Ryad, Arabie Saoudite, que se déroule l’histoire. Une ville de poussière et de bâtiments en construction, où dans les rues presque désertes du quartier de Wadjda passent quelques voitures, le taxi qui transporte en commun les femmes qui travaillent, des garçonnets en djellaba blanche jouant au foot. Et puis Wadjda, à pied, courante, sautante, et quelques messieurs d’âge curieusement bienveillants, comme le marchand de vélos, ce vélo si attirant, si désirable, avec sa couleur verte et ses franges colorées au guidon. Wadjda n’est pas très bonne élève, elle est distraite. Mais puisque sa mère refuse de lui acheter un vélo – ce n’est pas pour les filles, cela risquerait de la rendre stérile – elle augmente le prix de ses bracelets de laine tressés aux couleurs des équipes de foot locales, vendus en catimini à ses copines. Et tout service, désormais, sera monnayé, car si elle n’a pas le goût de l’étude, elle a indéniablement la bosse du commerce.

Il y a trois lieux essentiels : la maison où Wadjda vit avec sa mère, une belle femme coquette et sensuelle qui, dès qu’elle doit quitter la maison – toujours en retard – s’ensevelit dans son « abaya » noire. Le père, séduisant et affectueux avec sa fille, n’est pas souvent là. Il y a la rue et les terrains vagues, avec Abdallah et les boutiques, et puis il y a l’école, sous la coupe de la belle et élégante Mme Hessa, si sèche, si rigoriste, si intransigeante, qui fait pleuvoir sur la troupe de ses élèves interdits et punitions, sans pouvoir empêcher les transgressions, les secrets, les potins. Mais rassembler les 800 riyals nécessaires à l’achat du vélo n’est pas une mince affaire, et Wadjda se découragerait presque, lorsque survient l’annonce du concours de récitation coranique, récompensée d’un prix de 1000 riyals.

C’est un film délicieux. Tous les acteurs y sont excellents, et il y souffle un vent de vitalité qui fait voler la poussière des interdits sociaux. On a beau savoir théoriquement comment les choses se passent dans ce pays où les femmes n’ont ni le doit de conduire, ni celui de se conduire, on ne peut s’empêcher de bouillir à les voir circuler partout dans la chaleur complètement emballées dans leurs grandes « tentes » individuelles noires, où il doit faire une chaleur à crever. A voir marier une camarade de classe de Wadjda, une gamine. A voir brider tout désir, toute vivacité, toute fantaisie. Et pourtant, Wadjda va jusqu’au bout de son projet, avec le soutien des siens. C’est une fable, peut-être, ce n’est pas un film révolutionnaire, sans doute. Mais enfin, c’est un film tourné avec finesse et talent par une femme dans un pays d’hommes (le premier paraît-il), un film où l’on voit des femmes se débrouiller avec l’aide des enfants pendant que d’autres défendent leur fragile et relative liberté par le despotisme et le mensonge, un film sur les rêves d’affranchissement d’une fillette imaginative qui parvient à ses fins, un film où même la psalmodie du Coran devient libération d’un rythme et d’une voix, une merveilleuse histoire de vélo comme accès à l’existence.

La bande-annonce est ici.

dimanche, août 5 2012

Jonasson - Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire

On se demande pourquoi le vieillard qui illustre la couverture du Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire est vêtu d’une grenouillère rose en peluche dont la tête de cochon est posée au sol, sinon dans le cadre du concours d’illustrations de couvertures hideuses qui semble avoir frappé l’ensemble de l’édition française (et en particulier 10/18, qui a renoncé à ses si jolies couvertures pour des trucs fadasses et moches genre roman à l’eau de rose américain - mais ce bouquin-là est chez Pocket), alors qu’Allan Karlsson s’est enfui de sa chambre à la maison de retraite en costume marron et charentaises. Sans doute pour attirer le chaland, puisque figurent sur le fond vert administratif l’icône de l’issue de secours et dans la poche droite un bâton de dynamite, histoire de provoquer un effet comique de décalage. Bref, « on s’en fout », comme chante sur un mode lancinant mais néanmoins convaincant Carmen Maria Vega.
La couverture est moche mais le bouquin est un délice.

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samedi, juillet 21 2012

Jeanette Winterson - Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? est une variété de texte autobiographique complètement foutraque, irrigué par une énergie et une ardeur à vivre et à aimer d’autant plus intenses que l’auteur a connu une enfance difficile, incohérente, violente, placée sous le signe d’une mère adoptive possédée par l’Apocalypse. Il en résulte un texte absolument inclassable, protéiforme, tressant récits d’épisodes douloureux ou heureux avec des réflexions sur la vie familiale, sociale, politique, truffé d’aphorismes divers. Le texte d’une moraliste (au sens d’observatrice des mœurs) qui a dû entre autres son salut au commerce obstiné des livres dans les bibliothèques, où elle avait entrepris de lire méthodiquement « la littérature anglaise en prose de A à Z », poètes exceptés, les poètes pouvant être abordés sans passer par l’ordre alphabétique, à la suite de la découverte incidente de Meurtre dans la cathédrale de T.S. Eliot (encore, juste après Pierre Magnan, coïncidence).

J’y reviendrai quand j’aurai plus de temps, mais j’en extrais le passage ci-dessous, parce qu’il évoque selon moi une expérience humaine essentielle, et universelle.

« Plus je lisais, plus je me battais contre le présupposé selon lequel la littérature serait destinée à une minorité – instruite ou issue d’une classe particulière. J’avais moi aussi droit aux livres. Je n’oublierai pas mon excitation à la découverte du premier poème répertorié de la langue anglaise, composé par un berger de Whitby vers 680 après J.-C. (« l’hymne de Caedmon ») à l’époque où l’abbaye de la ville était dirigée par sainte Hilda.

Imaginez un peu… une femme au pouvoir et un garçon vacher illettré qui crée un poème d’une si grande beauté que les moines instruits l’ont couché sur le papier et l’ont raconté aux visiteurs et aux pèlerins.

C’est une bien belle histoire que raconte ce poème – Caedmon préfère la compagnie des arbres à celle des gens et ne connaissant ni poésie ni chanson, il retourne bien vite à ses vaches et à sa tranquillité à la fin des festivités organisées par l’abbaye où tous sont invités à chanter ou à réciter des poèmes. Mais cette nuit-là, un ange apparaît et lui demande de chanter – s’il peut chanter pour l’ange. Caedmon lui répond tristement qu’il ne connaît pas de chanson, mais l’ange lui dit de chanter quand même – de chanter la création du monde. Caedmon ouvre alors la bouche et il en sort une chanson. (allez jeter un coup d’œil à l’un des premiers récits qu’en donne Bède le vénérable dans L’Histoire ecclésiastique du peuple anglais.)

Plus je lisais, plus je me sentais liée à travers le temps à d’autres vies et éprouvais une empathie plus profonde. Je me sentais moins isolée. Je ne flottais plus sur mon petit radeau perdu dans le présent ; il existait des ponts qui menaient à la terre ferme. Oui, le passé est un autre pays, mais un pays que l’on peut visiter et dont on peut rapporter ce dont on a besoin.

La littérature est un terrain d’entente. »

 

vendredi, juin 29 2012

Ken Loach, The Angels' share


Allez voir La Part des Anges ! C’est un film aussi savoureux que l’excellentissime whisky qui détend les visages et allume les regards, et devient l’enjeu de la réhabilitation sociale de Robbie, le jeune délinquant balafré au visage en lame de couteau et au regard d'un bleu si profond. C’est, en plus ancré socialement sans doute, et dans une réalité encore plus brutale et chaotique, un pur Westlake. Les dialogues sont enlevés, quoique littéralement criblés de « fucking », avec un accent et une diction qui donnent le sentiment d’entendre parler un dialecte d’Océanie ou de qui sait quelle contrée exotique. La bande de bras cassés dont Ken Loach a fait ses héros m’évoque irrésistiblement Dortmunder, ses plans, ses complices, sa poisse….

 La Part des Anges  est une comédie au meilleur sens du terme, rythmée, cocasse, inventive, et qui, au détour d’une réplique ou d’une mimique, en dit bien plus long sur la confusion de certaines vies que bien des films à message. Après l’excentricité gentiment ennuyeuse (défaut de rythme !!!) d’Adieu Berthe,  ce film-ci conte sur un mode fort peu orthodoxe le retour à l’humanité d’un voyou. Une histoire tout sauf bien pensante. Parfaitement anar’, en fait.

mardi, mai 29 2012

Pause ciné : Un mariage de rêve

Easy Virtue (Un mariage de rêve), directed by Stephan Eliott. Un monument de délectation perfide. Avec deux monstres sacrés, Colin Firth, le père, sombre, désabusé, sardonique, intérieurement détruit par les séquelles morales de la guerre de 14, et Kristin Scott Thomas, la mère, amère, blessée, tyrannique, fielleuse, dressée dans l’obsession de perpétuer la propriété familiale, contre vents et marées. Je ne connaissais pas les deux jeunes gens : Jessica Biel, radieuse, provocatrice, voluptueuse, et Ben Barnes, charmant et attendrissant, naïf, un peu désarmé, dans les rôles de Larita et John Whittaker, les jeunes mariés. Ces deux-là se sont rencontrés au Grand Prix de Monte Carlo, dont Larita aurait été déclarée vainqueur (- queuse ? –crice ? – queure ? Aargh !) si elle n’avait pas été une femme. L’accueil fait à l’aventurière dévoyeuse de fils de famille dans la demeure familiale est glacial, à tous les sens du terme. Outre madame mère, flanquée de Poppy, sa chihuahua teigneuse, il y a les deux sœurs de John, (alias Panda^^), Hilda et Marion, toutes deux sérieusement menacées de devenir vieilles filles. Il y a aussi Sarah, fille du lord et ami voisin, qui aima John et lui était tacitement promise. Très classe, quant à elle. Et puis Furber, l’inénarrable ‘butler’.

Le réalisateur est canadien*, mais le film terriblement anglais. C’est une adaptation récente d’une pièce de Noël Coward datant de 1924, qu’Hitchcock avait déjà transposée à l’écran en 1928, un film muet.

Dans cette version-ci tout sauf muette, les dialogues sont éblouissants et il y a aussi beaucoup de musique, dès le sirupeux générique de début sur fond de soleil couchant dégoulinant. Très dansante - et très dansée, entre rocks et tango - elle est au petit poil, et certains des airs sont interprétés par les acteurs eux-mêmes.  « Let’s misbehave », «Conduisons-nous mal» ou  «Soyons inconvenants !», telle pourrait bien être la devise de ce film allègrement – et pourtant mélancoliquement – immoral.

NB : Surtout ne pas regarder la bande-annonce. C'est une vérole, elle contient, comme toujours, les meilleurs moments du film, et surtout ses surprises ! Haro sur les bandes-annonce, qui sont au film ce que sont désormais les quatrièmes de couv' aux livres, pour le plus grand désespoir de l'amateur.

* Non, Australien.

vendredi, mai 18 2012

Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom

Elle aime les onomatopées, Barbara Constantine. Les jeux de mots, calembours, petits torrents syllabiques à la Boby Lapointe. Après A Mélie sans mélo, voilà que j’ai lu Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom. Ça ressemble à une comptine, à un virelangue. Et c’est comme un conte du terroir. Avec en guise de fées, des Anglais cérémonieux et une vieille, très vieille dame à l’abandon. Et puis des poivrots, une fille-mère, un croque-mort et ex-taulard, les seins faramineux de Joss qui fut Jocelyne, un scooter, un vélo, une brouette, un corbillard - et des jardins prolifiques… Un chien, une poule rousse, deux chats. Ça a la saveur de la campagne française, et la verdeur de langue des films d’Audiard, en moins écrit, en plus naturel. C’est une jolie histoire sensible, sans prétention, humaniste. Ça se lit à toute vitesse, je vais pouvoir le rapporter dès demain à la bibli où un autre lecteur (une autre lectrice ?) l’a réservé. Parfait pour une petite lecture volée à l’heure de la sieste, avec le sourire.

samedi, février 25 2012

'A funny thing', unfortunately unknown

Qui connaît même le titre (consternant en français, et qui fait craindre le pire) du film de Richard Lester, Le Forum en folie ? un film de 1966, d’inspiration latine comme le suggère le titre. Je l’ai quant à moi découvert – MERCI à eux ! - grâce aux élèves et anciens élèves de la rue d’Ulm fondateurs des Journées ‘Découverte de l’Antiquité’ à destination des collégiens et des lycéens. Il s’agit de la version filmique d’une comédie musicale jouée à Broadway en 1962, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum, combinaison particulièrement réussie de trois (au moins !) pièces de Plaute soi-même, (Titus Maccius Plautus, IIIe – IInd siècle avant Jésus-Christ) : Pseudolus, l’esclave trompeur, la Mostellaria, la comédie du fantôme, et Miles Gloriosus, le soldat fanfaron, le matamore.

L’histoire est un imbroglio invraisemblable d’ingrédients traditionnels de la comédie latine : un jeune benêt décoratif, Hero dans le film, est tombé amoureux d’une courtisane du bordel voisin, Philia, laquelle, encore vierge, a été achetée par un général triomphant, Miles Gloriosus, auquel elle doit être remise incessamment. En échange de sa liberté, l’esclave d’Héro, Pseudolus, se fait fort de récupérer et d’enlever la belle et d’organiser la fuite des deux amoureux. Mais la situation se complique rapidement avec le retour des parents d’Héro, l’acariâtre Domina et son époux Senex qui n’est pas insensible aux charmes de Philia, celui du voisin depuis longtemps absent, Erronius, incarné par un inénarrable Buster Keaton vêtu de violet et coiffé d’un fort seyant chapeau rond, sorte de plat à barbe sans l’encoche, lequel est en quête de ses deux enfants depuis longtemps perdus. S’y ajoutent le maquereau, Marcus Lycus, l’intendant de Senex, Hysterium, des soldats, des gladiateurs et une pléiade de prostituées très appétissantes parmi lesquelles une géante muette à laquelle Pseudolus est particulièrement sensible. Les péripéties s’enchaînent et se multiplient, assorties de travestissements et de quiproquos en cascades (Lycus et Hysterium en blondes à perruques…), d’une maison à l’autre, dans les rues et les bains, les marchés et les temples d’une Rome de fantaisie passablement syncrétique mais qui s’en soucie ? le rythme est endiablé, sans le moindre temps mort, les dialogues brillants et drôlissimes, les décors et costumes très réussis, les clins d’œil érudits foisonnent. On y rit aux éclats, par salves, on voit pointer les gags et on se délecte à les voir advenir. Quant à l’acteur principal, Zéro Mostel ( !), il porte génialement le film, et il faut le voir imiter la grimace du masque de comédie, il mériterait l’oscar de la mimique ! il y a une course de chars à faire pâlir Ben Hur, et - j’allais oublier – la musique et les « lyrics » sont de Steven Sondheim, excusez du peu. La version française, dialogues et chansons, est excellente. Même le générique est une merveille graphique, où s’immobilise, en motif de fresque mauve sur rouge et or délavés, Buster Keaton en son ultime course.

mercredi, janvier 25 2012

Westlake - Envoyez les Couleurs

Adoncques Envoyez les couleurs n’est pas un « tôlar ». Car de malfrat ou autres escrocs il n’est pas question dans ce Westlake-là. Lequel, contrairement aux apparences, n’est pas des plus récents, il date de 1969. Le titre anglais est « Up Your Banners », et il a connu en 1972 une édition sous le titre « Pour une question de peau », laquelle m’avait complètement échappé. Non que je lusse Westlake en 72, j’en ignorais jusqu’à l’existence, mais depuis.

Quoi qu’il en soit, le bouquin a été republié en 2009, chez Rivages, qui a récupéré tous les Westlake, et la traduction a été revue.

1969, c’est l’année qui a suivi l’assassinat de Martin Luther King. Il devait être en quelque manière gonflé de publier cette année-là un roman passablement humoristique, une comédie romanesque disons, sur la question noire.

Le héros est Oliver Abbott, dont on associe aisément le nom avec « Rabbit », bien qu’il n’en ait, en somme guère de caractéristiques, même s’il est poursuivi pendant un bon chapitre par des types inquiétants. Le reste du temps, il ferait plutôt face, même quand on veut l’escamoter.

Oliver, qui a toujours voulu s’appeler Matthew, est une sorte de distrait superlatif, une variété de Candide sans Pangloss lâché le jour de la rentrée des classes au milieu d’un collège assiégé par des parents et des élèves furieux… à cause de lui. Un type – 27 ans - qui a jusqu’alors traversé la vie sans faire gaffe à ce qui se passait autour, histoire d’échapper à l’emprise de Papa, très austère, très directif (et pour cause, c’est lui, le directeur blanc du collège à majorité noire), très coincé, et de maman, très soumise, très inquiète, très protectrice. Lesquels lui  ont soigneusement dissimulé que c’était SA nomination à Schuyler Colfax College qui était cause de la campagne de lettres anonymes envoyées chez eux par  « un groupuscule d’énervés » tout au long de l’été.

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mercredi, novembre 30 2011

Jeux poétiques et potacheries littéraires

Histoire d'affronter le cœur léger "l'hiver qui vient"....

                      Un homme

                           Justum et tenacem propositi virum
                            Horace

                            Gémir, pleurer, prier est également lâche.
                            Alfred de Vigny

Quand le docteur lui dit : "Monsieur, c'est la vérole
Indiscutablement !", quand il fut convaincu
Sans pouvoir en douter qu'il était bien cocu,
L’Homme n'articula pas la moindre parole.

Quand il réalisa que sa chemise ultime
Et son pantalon bleu par un trou laissaient voir
Sa fesse gauche et quand il sut que vingt centimes
(Oh ! pas même cinq sous !) faisaient tout son avoir,

Il ne s'arracha point les cheveux, étant chauve,
Il ne murmura point : "Que le bon Dieu me sauve !"
Ne se poignarda pas comme eût fait un Romain,

Sans pleurer, sans gémir, sans donner aucun signe
D’un veule désespoir, calme, simple, très-digne,
Il prononça le nom de l'excrément humain.

Georges Fourest (1867-1945) - La Négresse Blonde

;-D

dimanche, juillet 24 2011

Aharon Appelfeld - Le Garçon qui voulait dormir

             Ce livre me donne une telle impression de justesse, de perfection, de singularité absolues, que je ne sais pas comment l’aborder, ou plutôt en rendre compte. Je l’ai rangé, dans la synthèse ci-dessous, comme « roman ». Sinon que la mention ne figure pas sous le titre, et que la coïncidence entre le nom du héros et celui de l’auteur invite à lire l’ouvrage comme au moins d’inspiration autobiographique, à l’instar de nombre de ces objets littéraires sui generis, inclassables, qui sont parmi les œuvres les plus intéressantes d’aujourd’hui - il commence à y en avoir pas mal, ici. (D’autres manquent, comme Lambeaux  de Charles Juliet, que je n’ai pas pris le temps de chroniquer, alors que j’en ai si souvent fait l’étude, avec mes élèves.)

 J’aurais envie d’en citer des passages et des passages, tant  le texte est beau (magnifiquement traduit, au passage, par Valérie Zénatti, que sa passion pour l’auteur qu’elle a élu a conduite à publier elle-même, chez L’Olivier aussi, un mince texte, Mensonges. Récit partiellement autobiographique qui construit entre l’auteur et sa traductrice un lien romanesque fictif, étrange effet littéraire d’une rencontre à la fois littéraire et humaine. Je ne sais pas où j’ai posé Mensonges…).

La voix narrative, le « je », est la voix de celui que les rescapés du ghetto, de la forêt, des camps, ont porté, contre vents et marées, épuisement et famine, jusqu’aux rivages éblouissants de Naples. Ils l’ont nommé « le garçon du sommeil ».  Un adolescent au beau visage apaisé, qui échappe, dans un sommeil impossible à secouer, à tout ce que sa vie d’aujourd’hui peut avoir d’insurmontable : la séparation d’avec ses parents morts, l’arrachement à la Bucovine natale avec ses paysages sereins, le chaos des camps de réfugiés, l’ordre en somme factice instauré dans le camp des futurs pionniers de l’Etat d’Israël en devenir, le suicide de son compagnon Marc… Entre Europe et Moyen-Orient, le sommeil est le lieu des rêves qui permettent dans un va-et-vient sans à coups d’assurer le lien entre le passé et le présent, faisant par ricochet ressurgir sans cesse au cœur du présent des personnages tutélaires du passé.

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mercredi, juillet 20 2011

Dans La Vie, de Philippe Faucon


Quel plaisir j’ai eu, nous avons eu, à regarder Dans La Vie de Philippe Faucon et Yasmina Nini-Faucon, emprunté hier à la médiathèque !

Porté au début par la grâce de Sabrina ben Abdallah, l’essentiel de ce bref film (2008, 1h 13) est illuminé par l’aura des deux personnages principaux, toutes deux comédiennes improvisées pour la circonstance, dans le film Halima et Esther. L’histoire, très sobrement contée, d’une bourgeoise juive impotente prise en charge par une femme du peuple, illettrée, musulmane ; avec tout ce que cet attelage improbable en pleine crise entre Israël et le Hezbollah, peut créer de remous dans l’entourage d’Halima, accusée de ne pas être une bonne croyante.

Avec la cuisine, la musique, la danse, et l’amour du verbe, du mot qui épingle, cet humour méditerranéen tellement plus efficace contre les préjugés que tous les discours édifiants qui nous submergent.  Qu’on ne se méprenne pas : ce que donne à voir le film avant tout, me semble-t-il, c’est une fraternité (sororité ?) dans l’exil. Le regret commun d’un « là-bas » fait de partage malgré les barrières entre communautés, qui devient « ici » reconnaissance mutuelle d’un art de vivre partagé et retrouvé. Une histoire de langue(s) aussi, arabe ponctué de français, français parlé avec cet accent entre tous reconnaissable, et signe de reconnaissance. Une comédie, au meilleur sens du terme, par petites touches, sans insister, sans souligner, rayonnante de générosité, nimbée d’une belle lumière dorée.

vendredi, juillet 8 2011

Le Jourde & Naulleau - Au Secours, Houellebecq revient !

            Eric Naulleau est éditeur. C’est aussi un pamphlétaire. Je l’ai découvert pour ma part il y a six ans, un dimanche, en une période où je travaillais de façon assez frénétique sur un programme imposé. Infraction dans ma ligne de travail, lecture subreptice du Jourde & Naulleau, éclats de rire. Ce manuel à la manière du Lagarde & Michard rassemble avec le plus grand sérieux ce que les auteurs considèrent comme la littérature d’imposture de la fin du XXe et du début du XXIe siècle.

Assignés en justice pour avoir mis en cause dans des ouvrages antérieurs la politique littéraire du Monde des Livres, et plus généralement le microcosme parisien de la critique littéraire, les auteurs ont répondu par ce petit bouquin qui, sur le modèle  de l’illustre précis de littérature, présente, pour chacun des auteurs visés, une mini bio, suivie d’une étude de l’esthétique de l’auteur et du courant littéraire auquel il appartient (majoritairement, le courant dit de « Durassic Park » ^^), enfin des extraits d’œuvres avec notes en bas de page et exercices. Démarche si rigoureusement fidèle à la tradition classique du commentaire de texte qu’elle en est plus désopilante. Certains des lecteurs de l’opus ont accusé les auteurs d’avoir pastiché leurs victimes pour les mieux discréditer. Que nenni ! le pastiche porte, non sur les auteurs étudiés, mais sur la forme du manuel. Les extraits des auteurs-phares de notre littérature hexagonale, Camille Laurens, Marie Darrieussecq, Christine Angot, BHL, Dominique de Villepin ou Philippe Sollers sont, hélas ! rigoureusement authentiques. Pour moi, qui ai dû un jour – par nécessité professionnelle (Goncourt des Lycéens) – m’avaler l’intarissable pavé intitulé Ni Toi ni moi (− Nous non plus !) la lecture du Jourde et Naulleau a eu quelque chose d’une revanche contre la nullité de cette logorrhéique prose du nombril, accompagnée d’un chœur critique qui, à grands renforts de concepts littéraires dévoyés, encense ce qui relève de la pure imposture.

Camille Laurens. Jolie femme, douloureuse (écoutez - c’est publié en CD – sa voix égrener ses spirituelles chroniques de vocabulaire, Tissés par mille. La virtuosité du texte est torpillée par l’insurmontable morosité de la voix.). Au fil de ses romans, cette agrégée de Lettres et spécialiste de La Rochefoucauld débite des historiettes sentimentales tendance porno soft, dont la seule légitimité littéraire semble l’accumulation des références qui les ponctuent. Il me reste de ma lecture accablée de Ni Toi ni Moi – roman épistolaire, soyons modernes, par courriels de la seule héroïne, et réécriture de l’Adolphe de Benjamin Constant, où, par apocopes successives, Ellénore devient Hélène, puis Elle -  le souvenir d’une scène de fellation à Amsterdam ( ?) – pas à Bécon-les-Bruyères, en tout cas – avec le lexique y afférent, mais sur fond de Kindertotenlieder (mânes d’Onan, nous te saluons !). Le J &N consacre à l’œuvre de ce bas-bleu une étude qui, un jour de neige de décembre dernier, a déclenché chez mes rares élèves, incrédules, une mémorable tranche de rigolade. Preuve s’il en est besoin de l’efficacité comique de ce pamphlet.

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samedi, juin 25 2011

Le Naufrage de la Vesle Mari de Jørn Riel

Je viens de relire Le Naufrage de la Vesle Mari, dixième volume des Racontars Arctiques de Jørn Riel, mais peut-être pas le dernier puisque l’auteur a dit au Salon du livre qu’il lui en restait à écrire – en fonction du temps qui lui serait laissé… je l’avais déjà lu l’année dernière, mais j’avais été si choquée du sort de Museau dans la première nouvelle (et puis c’était le bac, période propice à une extrême fatigue) que c’était comme si je ne l’avais pas lu. C’est encore le bac, mais je suis beaucoup plus réceptive. Si je rechigne toujours à la chute, quoique latine, de la nouvelle sobrement intitulée Museau, je me suis régalée aux sept autres qui toutes, d’ailleurs, portent le nom d’un des chasseurs, sauf la nouvelle éponyme, où l’on découvre la  mortelle guerre psychologique qui oppose, sur la Vesle Mari moribonde (La petite Marie, du nom de la mère du capitaine), Bjørken au capitaine Olsen, sous le regard et les paris des chasseurs rescapés et autres habitants de la pointe sud du Groenland, car c’en est fini de la vie libre au Nord Est depuis la fermeture par circulaire des cabanes de chasse. Vous connaîtrez donc, outre  le sort de Bjørken, celui de Lasselille son disciple benêt, ceux des deux musiciens Doc et Mortensen, et du Comte et de Volle les agriculteurs, celui du Lieutenant ET de ses splendides moustaches, et enfin, tellement improbable et pourtant si réjouissant, celui de Valfred l’allongé, au dentier resplendissant et aux intarissables histoires. Sa dernière n’est pas des moindres.

Quant aux éditions Gaia, elles ont renoncé à leur marque de fabrique, ces pages roses qui faisaient un peu papier cul. Elles y gagnent.

lundi, mai 23 2011

Un Immense asile de fous de Louis de Bernières


 

Ce livre est dédié à mes enfants Robin et Sophie. Puissent-ils emporter leur village avec eux où qu’ils aillent.

Ça c’est la dédicace.

 

Wilderness - Un monde sauvage  

There is a wilderness where once I lived
Là où j’ai vécu se trouve un monde sauvage
Whose every inch I knew and loved
Dont j’ai connu et aimé chaque parcelle.
I roamed there as a dreaming boy
J’y ai vagabondé en enfant rêveur
Before reality began.
Avant que la réalité ne commence ;
I walked there still, remembering,
J’y ai marché encore, avec mes souvenirs,
As I grew up beyond a man.
Quand j’ai dépassé l’âge d’homme.

Sweet little in that wilderness I knew
Je savais peu, heureux dans ce monde sauvage,
Of God’s indifference  and of lovers’ pain.
De l’indifférence de Dieu et des peines d’amour.
Too young to suffer, I remember
Trop jeune pour souffrir, je me souviens
Longer summers, deeper slumbers,
D’étés plus longs, de sommeils plus profonds,
Better laughter, warmer rain.
De plus grands rires, et de pluie plus tiède.

 Et ça, c’est le poème liminaire.

 Ce n’est pas un roman, plutôt une constellation de courts récits qui composent progressivement sous les yeux du lecteur un territoire légendaire, à la manière d’Ovide en quelque sorte. Sinon que le monde réenchanté par le souvenir des originaux qui l’ont peuplé n’est pas le vaste espace de la Méditerranée et des terres environnantes, mais celui, limité, d’un bourg anglais, dans le Surrey, sur la ligne de train pour Londres. Le village  de l’enfance, comme territoire en lambeaux de la mémoire. Village réel, rebaptisé Notwithstanding, LE casse-tête absolu pour un traducteur : c’est un adverbe anglais, qui signifie « en dépit de, nonobstant ». Dans sa postface, Louis de Bernières l’interprète comme « qui ne résiste pas », parce que lorsqu’il a entrepris la rédaction des premières nouvelles qui constituent le recueil, il pensait que l’univers qui avait été celui de son enfance avait disparu. Ce dont il s’est ensuite pris à douter, au moins pour ce qui concernait la topographie générale, et quelques coutumes. Quant aux hommes d’autrefois, tous excentriques à des titres divers, ce sont eux, les habitants de cet « immense asile de fous » qu’est l’Angleterre, (expression que Louis de Bernières emprunte à un interlocuteur français qu’il cite, et qui a fourni à la version française du texte un titre commode même s’il ne colle qu’à moitié) ce sont eux donc que le travail de l’écrivain entreprend de ressusciter.

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samedi, avril 30 2011

Du ciné, aujourd'hui - Les Femmes du 6ème étage

Je n’ai pas l’habitude de parler cinéma sur Convolvulus, je n’ai aucun goût particulier pour Fabrice Lucchini qui en général m’exaspère (pas cette fois), mais Les Femmes du 6ème étage de Philippe Le Guay est une si aimable comédie, enlevée, légère, composée avec tant de brio et de virtuosité - les dialogues y sont épatants, la bande son inspirée - et l’actrice principale (Natalia Verbeke) si illuminée par la grâce, sans parler de la tapageuse joie de vivre de ses compagnes d’exil dans leur sordide sixième des chambres de bonnes, que je fais une entorse. Si ce film passe dans vos parages, allez le voir. C’est une comédie, au vrai sens du terme, ancrée de façon très contemporaine (enfin, 1962) dans les plus anciennes racines du genre.

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