Deux poèmes saisis au vol

Je retranscris le texte qui suit à l’écoute, différée, d’une émission  de Sophie Nauleau, sur France Culture, « Ça rime à quoi ». La poétesse invitée est Michèle Finck, que je ne connaissais pas. Qu’elle veuille excuser, si elles sont erronées, la disposition et la ponctuation très classiques du texte de prose-poème qui suit. A lire en respectant les blancs, les souffles, les silences entre les mots, tels que les revendique cette poétesse à la douce voix concentrée, fervente, violemment retenue dans ce qu’elle appelle « la scansion du noir », « conversion de la perte, conversion de la violence en quelque chose qui est de l’ordre du rythme », « comme si rythmer le noir rendait le noir plus supportable » - et partageable avec le lecteur.

          Mademoiselle Albatros

 Je suis dans le pavillon un peu délabré de l’hôpital psychiatrique de la ville de S*, en France, près de la frontière allemande. Je marche en suivant les spirales aseptisées des couloirs à côté du psychiatre, le docteur H., d’origine germanique. Soudain, nous longeons une chambre d’où s’échappent quelque chose comme des cris ou des couinements d’oiseau blessé. Sur la porte de la chambre, il y a un nom, mademoiselle Albatros. Comme je regarde le psychiatre d’un air interrogatif, il me dit :

-          « C’est une femme à qui la poésie est montée au cerveau. Elle se prend pour l’oiseau d’un poète de votre langue, un certain Bidenler. Elle murmure sans cesse les mêmes mots : ‘Ses ailes de géant l’empêchent de marcher’, et en effet, elle ne peut presque plus marcher, sauf à tous petits pas, dans sa chambre, en trébuchant. Parfois, elle agite les bras, de façon gauche, comme pour s’envoler. L’hiver, elle mange un peu de neige, sur le rebord de sa fenêtre grillagée.

-          Baudelaire ! » dis-je en portant la main à mon cœur, comme si la façon dont ce médecin germanique avait écorché ce nom m’avait atteinte au centre de mon être. Puis tout à coup, brûlant tous mes vaisseaux, presque malgré moi, je crie : « Cette femme, mademoiselle Albatros, c’est moi ! cette chambre, c’est la vie ! ouvrez la porte, les fenêtres, crevez le plafond, éventrez les murs, laissez-la s’envoler, elle a le crâne tatoué d’étoiles filantes...

-          Ne vous emportez pas, dit le psychiatre, j’ai des cas beaucoup plus intéressants à vous montrer. Celui-ci est un peu passé de mode, ne trouvez-vous pas ? mais peut-être est-ce assez pour aujourd’hui ? ».

Et puis celui-ci, encore, avec ses silences tels que je les ai entendus.

De givre et de feu

 

Père et fille touchent du doigt le givre
de la musique
sur les mots et les ronces
ils écoutent les sons s’ouvrir devant eux
comme des livres
aux enluminures invisibles mais audibles

 

la fiancée du vent
neige

père dure peu
fille l’épèle
dans le noir et prend feu
fait pousser des étoiles dans la poussière
parle avec les lèvres suturées du père
à l’intérieur d’elle
écrit à deux bouches
mots brûlés vifs dans le haut-fourneau du cri

fille fera neige avec un peu de feu

 

Voilà pourquoi je me suis risquée à transcrire ces deux très beaux poèmes, extraits du recueil Balbuciendo.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?trackback/496

Fil des commentaires de ce billet