Wilkie Collins, c’est vraiment du mélo. Terrible, avec des personnages taillés à l’emporte-pièce, et définis d’emblée par un caractère, et même une physiognomonie qui prévient toute ambiguïté quant aux gentils et aux méchants, même s’il y a des personnages plus nuancés, et si l’ensemble ne manque ni d’humour, ni de souffle. Mais je crois que je vais m’arrêter là dans mon exploration, parce qu’il semblerait qu’il y ait d’autres Trollope traduits, et que je vais plutôt m’efforcer de labourer ce champ-ci que celui-là. C’était Passion et Repentir, une histoire d’usurpation d’identité sur fond de guerre de 70, avec belle infirmière déchue (le titre anglais est The New Magadalen) et demoiselle ruinée et arrogante, jeune soupirant décoratif mais peu enclin à l’ouverture d’esprit, prêtre progressiste plein d’éloquence et vieille lady autoritaire au cœur tendre sous sa rude écorce, préjugés nobiliaires débridés, et tout ce qu’il faut comme coïncidences pour que le mélange soit palpitant. Le roman date de 1873, et il y a, natürlich, un site consacré à Wilkie Collins, d’où j’ai extrait le fier monogramme ici reproduit.
Autre histoire de préjugés nobiliaires, plus subtile et plus
sombre, quoique rédigée semble-t-il en un mois, de septembre à octobre 1877. Autre Trollope, lu dans la foulée, Œil pour œil.
C’est, colorée de mélodrame, mais habilement filtrée par la
conscience et le regard du seul « héros », la cruelle
histoire de Fred Neville, jeune aristocrate anglais promu héritier d’un titre
et d’une terre prestigieux, et tiraillé entre son goût de la liberté et de l’« aventure »,
sa générosité et sa loyauté, et l’indolence, les préjugés et la désinvolture propres à son
âge et à sa classe. Crucifié entre deux serments, celui fait à son oncle de ne
pas épouser une catholique, celui fait à la douce Kate à la noire chevelure
bouclée : « personne n’avait
jamais vu de pareilles boucles. Elle les secouait par jeu, et la pièce en
paraissait remplie ». Si, à la mort de son oncle, Fred devient lord, on
ne peut guère dire qu’il reste un gentleman. Sur fond de lande et de falaises irlandaises
battues par les vents, ce roman pose à nouveau très fermement la question des
rapports entre les hommes et les femmes, de l’inégalité qui les régit, en
particulier en cas de séduction, car séduction il y a eu, et Kate a une mère de
race « lionne »… Si ce quatrième Trollope n’est pas aussi délectable
que les précédents, d’autant moins que la traduction en est parfois fautive, c’est
malgré tout un bon roman, qui témoigne de l’art consommé d’un romancier, si
exigeant dans sa pratique quotidienne de l’écriture qu’il pouvait en un mois
mener à bien une intrigue sans failles ni faiblesses.