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jeudi, mars 26 2015

Un libraire

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Je connaissais l’existence de la librairie Helluin avant même d’avoir jamais mis les pieds à Amiens. C’est munie de cette seule adresse, donnée par un comédien de la troupe des Bonillo  - qui de Longueau avait rallié Marseille -  que j’ai quitté mon port d’attache méditerranéen pour  la capitale picarde, où m’avait expédiée l’ordinateur du Ministère de l’éducation nationale. Aussi Serge Helluin est-il  le premier picard auquel j’aie vraiment parlé, qui m’ait chaleureusement accueillie. Une librairie à côté du marché, je ne dérogeais pas à mes habitudes, et j’y débarquais après ma récolte de nourritures terrestres.

Serge a commencé par me prêter sa collection d’Alexandre Dumas – j’étais en panne à la fin d’Ange Pitou, puis il m’a présenté à mon futur compagnon, Pierre Berthout, histoire dans laquelle il a joué le rôle d’un entremetteur actif et attentif ! Après quoi, il a vendu à Pierre sa collection de Dumas, alliant l’amitié au sens du commerce. Ces bouquins, qui me sont très chers, sont toujours là, à portée de regard et de main, dans ma bibliothèque. Il m’a offert Caquet Bon bec, la poule à ma tante, un tout petit livre charmant dont le titre devait selon lui me servir de sobriquet, et j’ai de lui, dans les trois volumes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qu’il a aussi vendus à Pierre pour me les offrir, un savoureux article « Agnès », rajouté à la place idoine, et rédigé de sa jolie écriture échevelée aux vrilles liseronnesques.

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dimanche, avril 21 2013

Westlake - Voleurs à la douzaine

« Ils pénétrèrent dans une longue construction dotée d'une large allée centrale en béton, parsemée de boue et de paille. Quelques ampoules de faible voltage pendaient des poutres en bois brut au-dessus de l'allée et des séparations en bois, à mi-hauteur, bordaient les deux côtés. C'étaient les stalles, occupées aux deux tiers.

En traversant cette première écurie, Dortmunder apprit plusieurs choses au sujet des chevaux : 1) Ils sentent mauvais. 2) Ils respirent, bien plus que tout ce qu'il avait rencontré jusqu'alors dans sa vie. 3) Ils ne dorment pas, même la nuit. 4) Ils ne s'assoient même pas. 5) Ils s'intéressent beaucoup aux gens qui passent. Et 6) ils ont des cous extrêmement longs. Quand deux chevaux qui se trouvaient de chaque côté de Dortmunder, chacun dans sa stalle, tendirent la tête vers lui en retroussant leurs grosses lèvres noires pour montrer leurs énormes dents carrées semblables à des pierres tombales, en reniflant et en soufflant avec leurs narines qui ressemblaient à des canons de fusil, et le mettant en joue, il s'aperçut que l'allée n'était pas si large que ça, finalement.

''Bon sang'', dit Kelp, ce qui ne lui arrivait pas souvent. »


Dortmunder à la campagne, sollicité pour voler « Le Mauvais cheval » - c'est le titre de la nouvelle -, un étalon du tonnerre de dieu, destiné à enrichir une lignée de claquettes par quelques saillies clandestines, vous y auriez pensé ?

Ce sont des nouvelles. Il y en a douze (le recueil s'intitule Voleurs à la douzaine – Thieves'dozen), et je les ai trouvées hier soir sur l'étagère de ma chambre de passage, juste avant de m'effondrer. Je n'en ai lu que quatre, mais je n'attendrai pas une minute (ni un ordinateur en état de marche, le mien ayant collapsé, alas!) pour témoigner de ma jubilation. Et dire que j'ignorais jusqu'à l'existence de ce recueil pourtant publié en 2004 par Westlake, en 2008 par Rivages, et en 2011 pour l'édition de poche, à croire que Stéphane-de-Pages-d'Encre aurait oublié mes monomanies, quant à Sylviane, la pauvre, qui connaissait son rayon poche comme le fond de la sienne, elle a été reléguée au rayon « livres scolaires » ! Si c'est pas du pur gâchis !!!

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dimanche, avril 1 2012

Livres...

Aujourd'hui est un triste jour pour les lecteurs et surtout pour les libraires, et ce n'est pas, hélas ! un poisson d'avril. Le prix des livres, soumis à la TVA, augmente. On en est consternés.

La nature morte au livre est de Laura Roucou, élève d’Agnès Guesdon au lycée Lamarck.

mardi, mai 24 2011

Eric Faye - Nagasaki

Je me suis laissé prendre ce matin à Nagasaki, d’Eric Faye, acheté aux vacances de la Toussaint au Pouzadou, la librairie du Vigan, car il est écrit que l’on ne peut entrer dans une librairie sans y acheter un livre, et que je n’avais hélas pas pu fréquenter le Pouzadou pendant l’été, puisque j’étais dans le Tarn. Il m’attendait depuis, avec d’autres, dans le cartable dont je ne l’avais pas tiré. Même pas une heure de lecture. Une impression bizarre, comme si l’élégance de la langue, celle prêtée à un météorologue célibataire, obsessionnel et vieillissant, avait quelque chose de dissonant. Le type s’aperçoit un jour que sa maison, en lisière de Nagasaki, face à la montagne, est visitée, jour après jour, par une menue présence qui y prélève des soupçons d’aliments ou de boisson. Ça serait presque Le Horla. Mais non. On entend les deux voix, et rien d’autre ne se tisse. C’est très désenchanté. Inachevé, plutôt que suspendu.

samedi, mai 21 2011

Hyacinthe et Rose, de François Morel

Je n’ai  pas l’habitude de chroniquer ici de la littérature jeunesse. J’en suis peu lectrice (on ne peut pas tout faire) et si j’en offre passablement aux jeunes gens qui me sont proches, comme j’en offris en leur temps à mes enfants, je me fie pour cela aux conseils éclairés de Soizic, qui depuis désormais dix ans anime chez Pages d’Encre le rayon littérature jeunesse, avec passion, éclectisme, et talent. Comme j’y passais aujourd’hui - c’est pour moi un rituel très ancien que de passer à la librairie le samedi pendant le marché, même si je n’y achète rien, même si ça se transforme, comme samedi dernier, en séance de karaoké dans la librairie heureusement quasi déserte (ma fille à l’autre bout, côté adultes, ‘non je ne connais pas cette dame’…, et LE client, j’espère que nous ne lui avons pas fait peur) à chanter avec Vanessa, la collègue de Soizic … MIKE BRANT, puis Joe Dassin, devant l’ordi pour les paroles, et qu’est-ce qu’on s’est marrées ! – comme j’y passais donc, elles m’ont toutes deux mis entre les mains avec un bel ensemble et un éloge à l’unisson un immense album jeunesse, magnifiquement illustré de fleurs géantes : Hyacinthe et Rose, de François Morel, illustré par Martin Jarrie. « François Morel, mais si tu sais le Deschiens ! – Ben non, désolée, je ne sais pas, moi, les Deschiens je ne les ai vus qu’au théâtre, je n’avais pas la télé, alors je ne connais vraiment que Yolande Moreau ». Bref. François Morel évoque dans cet album – que je dise tout de suite que j’ai sursauté d’horreur devant les marges de droite pas justifiées qui sont une verrue à chacune des pages illustrées d’une voire deux planches géantes de fleurs somptueusement colorées – la mémoire de ses deux grands-parents en sempiternelle guerre conjugale, Hyacinthe et Rose, donc.

Hyacinthe le coco, qui cultive dans son jardin pour les funérailles des camarades un rosier rouge toujours fleuri à contretemps, Rose qui le pille pour orner les autels aux fêtes de Marie et se nourrit des logorrhéiques paraboles horticoles du curé, le caquet d’icelui toujours sèchement rabattu par les sarcasmes d’Hyacinthe. Un couple en guerre, uni par sa passion commune des fleurs. Un récit où il est question d’enfance, de rituels, d’interrogations, de langage des fleurs, de transmission, de tendresse. D’amours, d’hostilités, de dépits, de catastrophes, de bonheurs. Et même si mon goût me porte plus aux portraits de fleurs à la mode impressionniste, ce beau livre-jeunesse-pour-adultes vibre du dialogue entre le texte et les images.


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jeudi, mars 17 2011

"Entre Ciel et terre", de Jón Kalman Stefánsson

Nous t’envoyons ces mots, ces brigades de sauveteurs désemparées et éparses….

C’est un émerveillement, chaque fois, de tomber sur un beau livre, un de ceux qui vous emportent, dès les premières lignes, et de se dire qu’il y en aura toujours et encore, qu’il y a toujours quelque part dans le monde de ces auteurs habités, dont les histoires et le style vous saisissent et vous attachent, et ne vous quittent plus.

J’avais vu l’an dernier chez Pages d’Encre Entre Ciel et terre, de Jón Kalman Stefánsson, un auteur islandais, dont Stéphane m’avait recommandé la lecture. Avec une assez belle photo vide, plage, mer, rochers, ciel gris immense. Que je n’avais pas lu, craignant d’une part une histoire trop sombre, et rebroussée en outre par la lecture de cette série branchouille de romans norvégiens d’Ann Ragde - réaction inepte car pourquoi y aurait-il quelque rapport entre un auteur islandais et une autrice norvégienne, pas plus proches que ça, même géographiquement ?

Erreur réparée, bouquin récupéré enfin après l’avoir suffisamment désiré à la bibliothèque, et lu sitôt qu’entamé.

Je l’ai lu d’un trait (la nuit est propice à ce genre de folie), tellement vite que je n’ai pas pris la peine même de noter les pages des passages que je trouvais les plus beaux, il y en a des tas : je n’avais pas sur la table de nuit mon « crayon de lecture », je me disais que je les retrouverais facilement - tu parles !.

 «Le café, l’effort qui les attend, Einar est un homme reconnaissant, il en viendrait presque à apprécier ceux qui sont assis sous les combles, à demi inclinés au-dessus de leurs gobelets presque vides ; il parvient même à regarder ces deux nigauds, Barður et le gamin, sans ressentir la moindre colère, parfois, ils le rendent complètement fou avec leur éternelle et satanée lecture, les citations perpétuelles de poèmes qu’ils s’adressent l’un à l’autre, quelle honte que de laisser cette pourriture se nicher dans votre âme et vous ramollir face à la vie, mais non, même cette pensée ne parvient pas à lui échauffer le sang qui, en ce moment, est un fleuve paisible. Einar sirote son café et la vie est douce.

S’en vient le soir
Qui pose sa capuche
Emplie d’ombre
Sur toute chose,
Tombe le silence,

lit Barður dans Le Paradis perdu, il incline le livre afin que la lampe y projette sa clarté, une lumière qui parvient à illuminer un vers bien tourné atteint probablement son but. »

«GeirÞruður  l’a écouté les yeux mi-clos, ses paupières haves reposaient sur la nuit de ses yeux, Helga fixait la couverture rouge car il faut bien avoir les yeux posés quelque part, ils ne sont pas comme les mains qui peuvent simplement s’endormir ou comme les jambes que personne ne remarque au bout d’un certain temps, les yeux sont en tout point différents, ils ne se reposent qu’à l’arrière des paupières, ce rideau à la surface des rêves. Les yeux échappent à tout contrôle. Nous devons réfléchir où et quand nous les posons. L’ensemble de notre vie s’écoule à travers eux et ils peuvent aussi bien être des fusils que des notes de musique, un chant d’oiseau qu’un cri de guerre. Ils ont le pouvoir de nous dévoiler, de te sauver, te perdre. J’ai aperçu tes yeux et ma vie a changé. Ses yeux à elle m’effraient. Ses yeux à lui m’aspirent. Regarde-moi un peu, alors tout ira mieux et peut-être pourrai-je dormir. D’antiques histoires, probablement plus vieilles que le monde, affirment que nul être vivant ne supporte de regarder Dieu dans les yeux car ils abritent la source de vie et le trou noir de la mort. »

On trouve dans ces deux passages le flux de cette écriture poétique, la justesse des observations, le sac et le ressac des points de vue qui font passer insensiblement de l’auteur, ou plutôt du conteur, au personnage, au lecteur, de la parole commune issue des plus anciennes traditions à la parole individuelle. Étrangement, on ne le comprend pas vraiment tout de suite, ce sont les morts d’autrefois qui, de leurs voix blanches, nous parlent  de l’enfer, de la puissance du désespoir, du goût de la vie et du paradis perdu, et de quoi ? du souffle, quel qu’il soit, qui les habite malgré tout pour que jusqu’à nous parvienne l’histoire de Barður et du gamin, d’Andréa et de Guðrun, de Pétur, d’Arni et Sesselja, de GeirÞruður, d’Helga et du vieux capitaine aveugle, et de tous les autres, marins, femmes, ivrognes, pasteurs… il y a quatre sections au livre, deux en italiques, la première et la troisième, où se fait entendre la voix des morts-conteurs. Les deux autres : Le gamin, la mer et le paradis perdu, puis Le gamin, le Village de pêcheurs et la trinité profane, content l’histoire du gamin.

Entre Ciel et terre fait partie de ces romans puissamment vocaux, sobres, sombres, où domine une nature immémoriale et tragique, éclairée cependant par le courage, l’obstination, la compassion, l’amour et l’amitié des hommes. Et la voix des livres. 

Je suis heureuse que mon trois-centième billet célèbre cet auteur-là. Et d'ajouter, je ne l'ai pas fait et  je m'en repens, que la traduction d'Éric Boury, qui est aussi le traducteur, entre autres, d'Indridasson, est magistrale. Je vois qu'il a un blog, j'irai y voir plus tard, voici le lien.

lundi, août 16 2010

Leïla Sebbar - L'arabe comme un chant secret

Tout me sépare de la mère et des sœurs de mon père. La langue, les gestes, les manières, les habitudes domestiques. Il faut manger assis sur des coussins autour d’une table basse, il faut manger tout ce qui est servi, faire honneur, les vieilles tantes nous parlent avec des plats inconnus longuement cuisinés, du pain cuit à la maison, des gâteaux au miel et aux amandes pour nous, les enfants du frère préféré, il faut manger, dire que c’est bon. Nous mangeons, nous mangeons, et les vieilles sœurs – elles n’étaient pas vieilles – nous regardent sans manger, attendries, étonnées de nos jupes trop courtes, des rubans écossais dans nos cheveux, de nos sandales de toile blanche, si blanches, de nos bavardages dans la langue inconnue. Elles sont grosses, elles portent des blouses à fleurs, des pantalons bouffants, des cheveux rouge carotte s’échappent de leurs foulards superposés. Les sœurs de mon père. Ainsi mon père a une mère et des sœurs, aussi vieilles que sa mère, qui ressemblent à Aïcha et Fatima quand elles ne seront plus jeunes. Elles nous prennent dans leurs bras, nous serrent contre leurs blouses moelleuses, nous embrassent en riant, elles prononcent en les déformant les prénoms français de mon frère et de mes sœurs. Elles sont heureuses de nous, si étranges sous le jasmin dans la cour de la vieille maison du vieux Ténès. Ma mère, la Française, assisse sur une chaise près de mon père, prête ses enfants à l’amour des sœurs privées d’enfants l’une et l’autre. Ma mère sourit, assiste à la scène maternelle multipliée par deux, aux gestes qui enveloppent  comme s’ils allaient engloutir, aux rires de cette après-midi d’été dans une cour fermée, protégée par l’odeur du figuier mêlée au miel des gâteaux que nous allons emporter pour le voyage dans la Peugeot 202 noire.

 

L’éditeur s’appelle Bleu Autour, drôle de nom jamais rencontré avant samedi dernier sur une  table de la librairie L’Odeur du temps, rue Pavillon à Marseille, en face de la pâtisserie orientale Journo où l’on boit la citronnade selon mon cœur : sur un fond de sirop de sucre je crois, pleine de petits glaçons fragmentés, avec la saveur pleine du citron, l’acidité avec la douceur, un goût de l’Orient - l’un des mes plus vieux souvenirs de Marseille. Elle était fermée, j’espère que c’était seulement pour cause de vacances, ou de shabbat, et pas pour cause de vieillesse, sans quoi ce serait une autre de mes racines dans cette ville qui s’arracherait ou qui mourrait, cette ville où, je m’en suis aperçue ce samedi, on peut pas s’asseoir, il n’y a pas de bancs. Ni sur le Vieux Port, ce paysage splendide, clos et ouvert, grouillant, antique, moderne, ciel, voiles, pierres et eaux, mêlé, ni ailleurs, sur l’immense Cours d’Estienne d’Orves décoiffé de son affreux parking Shell à deux étages, gris, sombre, mais autrefois illuminé par son marché quotidien - aujourd’hui immense espace ponctué de beaux réverbères à doubles cornettes comme envolées dans le Mistral,  - une agora idéale où manque un portique ombragé, ou une ponctuation d’arbres, quelle est  cette rage de ne pas donner d’ombre aux villes de la Méditerranée ??? Pas de banc non plus donc Cours d’Estienne d’Orves, seulement d’anonymes cafés.

L’Odeur du temps, une des ces vraies librairies pleines de livres avec un vrai libraire qui lit ses livres, et sur l’une des vastes tables, pour cet éditeur bleu, ce petit livre vert intense, le vert du drapeau algérien, un vert « arabe », et ce titre qui m’a imposé de prendre le livre, presque sans y penser : L’arabe comme un chant secret, avec les arabesques noires inversées des caractères arabes sous le titre français.

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dimanche, janvier 3 2010

Claude Roy - L'Amateur de librairies

« Comme j’habite au troisième, sans ascenseur, et que je ne peux plus porter de paquets trop lourds, comme mon itinéraire vers le marché de Buci est jalonné au départ de chez moi par la devanture de ''Couleur du temps'', le soldeur de livres, dont le magasin est rue Dauphine, puis par ''Actualités'', la librairie gaucho-soixante-huitarde-underground-B.D. pour adultes et science-fiction, et ensuite, à mi-route de la rue de Buci, par la caverne de livres d’occasion de M. Laffitte (où on se fraie un passage entre les bouquins en piles comme un explorateur dans un canyon hérissé de rochers), et comme mon point d’arrivée, à l’angle de la rue Bonaparte et de la rue de l’Abbaye, ce sera la vitrine en angle de ma librairie favorite (de neuf) ou de ma librairie préférée (comme vous voudrez), je réfléchis sérieusement à ce que j’acquiers en route qui risque de charger trop mon filet. Je remets à plus tard d’acquérir l’album de photos chez le soldeur ; je soupèse à Actualités la plaquette de Wittgenstein sur ''Le Rameau d’or'' de Frazer. C’est léger ? J’emporte ! J’achète chez Laffitte l’''Hermès Trismégiste'' de la collection Guillaume Budé, en bon état, avec les textes grecs et latins. C’est un peu lourd, mais évidemment indispensable. Les nourritures terrestres vont évidemment faire un bon poids : les yaourts achetés au Cambodgien de la Coop, les fruits à mon ami chinois M. Kan à l’angle Buci-Seine, le café (mon mélange habituel : un tiers Nicaragua, un tiers Moka, un tiers Colombie) à sa sœur, la fine Mlle Chan, au délicieux accent cantonais, qui travaille au magasin de thés-cafés à côté du restaurant vietnamien La Rose des Prés.

 

Arrivé à la librairie, je pose dans un coin mon marché qui sent le melon de Charente, le café moulu fin Melita, le pain de campagne de notre boulanger de la rue Dauphine (le meilleur de toute la rive gauche, mais sans se donner de grands airs, sans le style moulin rustique, fausses poutres apparentes et boulanger du bon vieux temps, le ''toc'' enfin), je pose à côté de ma baguette de vrai pain de campagne l’appenzell de chez Barthélémy et mes autres achats. Le parfum des choses bonnes à manger s’élève en offrande vers les tables et les rayons, où méditent les choses bonnes à savoir, le concile des livres.

 

Ainsi, pendant que je flaire sur les tables du jour l’arrivage des livres nouveaux, ou que je glisse le long des rayons, me laissant appeler par un titre inconnu, se poursuit l’entretien dans la librairie, où les voix des serviteurs des livres et celles des bouquins alternent et se couvrent, se répondent et se complètent. J’ajoute à mon filet à provision deux volumes qui d’une voix ferme m’ont dit : « Emmène-nous, nous serons heureux ensemble », j’embrasse Marie-Thérèse et Renée, je reprends mes melons, mes yaourts, les livres, mon pain de campagne, je fais en sens inverse le chemin qui m’a conduit de mon bureau au marché, des nourritures imprimées aux bonnes choses de saison, je passe chez Silvio acheter à Janine du fin jambon San Daniele italien pour manger avec les melons, et je rentre chez moi, avec, comme chaque jour, un peu plus de livres que ne peut en contenir ma maison. Mais l’amateur de librairies, c’est comme celui qui ne peut pas résister à inviter au repas impromptu un hôte inattendu : on se serrera, quand il y en a pour trois il y en a pour quatre. Morte est la demeure où n’entrent pas chaque jour un nouveau livre et un nouveau visiteur, de nouveaux amis. »

Claude Roy – L’Amateur de Librairies

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samedi, août 8 2009

Fottorino - L'Homme qui m'aimait tout bas

Encore un ouvrage ouvertement autobiographique, même s’il s’agit d’une sorte de chant funèbre. J’avais entendu Éric Fottorino évoquer avec une émotion retenue (sur France Culture ? un jour où une brève frange de cette radio livrée désormais au bavardage idéologique le plus bourdonnant devait être écoutable ?) le livre qu’il avait consacré à son père, celui qui un jour de sa dixième année lui avait offert le radieux privilège de l’appeler « papa ». J’ai trouvé le bouquin à l’excellente librairie Deloche à Montauban.

Quête pudique, angoissée et émue d’une figure essentielle, la colonne vertébrale de sa vie d’enfant et d’homme fait, récemment suicidé. C’est un beau texte, retenu, fragmentaire, un hommage nourri d’éclats de tendresse partagée. La figure de Michel Fottorino, masseur kinésithérapeute, né à Sfax, est en outre toute vibrante de ce qui en France passe pour un exotisme inquiétant, et rayonne dans ce livre d’une joie de vivre, d’une générosité et d’une attention à autrui dont le fils élu a retenu et su rendre toute la noblesse modeste. Livre de deuil, qui accomplit par les mots écrits à ce père disparu en silence – mais non sans avoir adressé un adieu à ceux qui lui étaient chers – l’itinéraire d’un garçon que l’amour, l’attention et le respect qui lui furent un jour accordés sans restriction ont construit comme homme et écrivain. Mots de deuil et d’amour d’une histoire singulière qui atteint à l’universel.

vendredi, avril 3 2009

Laurence Cossé - Au Bon Roman

Au mépris de tous mes devoirs, j'ai récemment passé une journée presque entière à lire un roman. Un bon roman donc, puisqu’il a fallu que je le finisse. Au Bon Roman est son titre, et son projet. La rencontre d’un libraire idéaliste un peu hagard égaré dans un sous-sol de station de ski et d’une héritière habitée par le désir de faire quelque chose de bien de sa vie désertée fait naître le projet d’ouvrir une librairie vouée aux seuls « bons romans ». Ceux qui accompagnent, réparent ou réconfortent, ceux qui n’éludent rien du tragique humain, rien des merveilles quotidiennes, des romans « bons », à l’exclusion des livres bâclés, écrits à la va-vite, pliés pour la rentrée littéraire.

Ivan, dit Van, et Francesca étudient rigoureusement leur affaire. Créent un comité de lecteurs constitués d’écrivains qui leurs sont chers, chargés de fournir chacun les six cents titres en langue française qui leur paraissent indispensables pour mettre en route le fonds. Et ouvrent un beau jour de septembre 2004, rue Dupuytren, au carrefour de l’Odéon, la librairie Au Bon Roman, un rêve de lecteurs, uniquement peuplée de romans charnus, de romans aimés de ceux qui les ont choisis, de romans composés avec amour. Lieu de rencontre immédiat, d’échanges, de vive voix ou sur la toile, avec les lecteurs éblouis et incontinent habitués - et nourri aussitôt des auteurs oubliés mentionnés par les uns et les autres…
Oui mais.

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jeudi, août 14 2008

Michèle Desbordes - La Demande

Après Les Petites Terres, de Michèle Desbordes, il y a eu La Demande, commandée, avant même de partir, au Pouzadou, la librairie du Vigan – ô le plaisir des villes où l’on peut enchaîner marché et libraire ! – et qui m’attendait à l’arrivée, petit bonheur de vacances.

Narration poétique et incantatoire, longues phrases sinueuses et sans cesse renaissantes, imparfaits obsédants, une sorte de fil des jours hors du temps, baigné de lumière et de silences – il n’y a pas un seul dialogue au style direct, comme si l’écriture était la transcription urgente et pourtant infiniment travaillée d’un courant de conscience qui unirait dans un réseau serré la créatrice et ses créatures : un vieux peintre exilé d’Italie sur les bords de la Loire, regard attentif sans cesse capturant la splendeur et la diversité du monde, et sa servante, active, discrète, taiseuse. Autre regard, qui finit par rencontrer le premier jusqu’à ce que se noue entre eux un pacte qui est aussi une méditation sur la mort.
Le texte s’annonce comme une « histoire ». Pas un roman, certes (que s’y passe-t-il, sinon les rites au fil des jours d’un quotidien qui tisse l’intimité muette du peintre et de la servante ?). Sorte de résurgence intense d’un lointain passé réinventé (sans qu’il soit jamais nommé, le peintre évoque Vinci), recomposé, qui éclaire une grande Histoire d’une « vie minuscule », animant comme sur une scène mentale nimbée de clarté silencieuse la rencontre ardente de deux êtres entre vie, art, et mort.