mardi, octobre 29 2013

Frédéric Verger - Arden

Bon, j'arrête avec la sélection du Goncourt. Je cale après plus de 100 pages d'Arden, de Frédéric Verger, et après avoir grappillé dans les 400 suivantes, sans véritablement tomber sur le « début » de l'action. Arden, la « révélation » de la rentrée littéraire, dont l'auteur était lui aussi présent à la rencontre de Lille. Un type peu disert, peu soucieux de répondre aux rares questions qui lui étaient posées, comme s'il ne s'adressait pas à son public. Que dire de son roman, pour le peu que j'en aie lu, et que j'en lirai, car pourquoi continuer à m'ennuyer ?
Encore un livre très écrit, très imprégné de Proust, et de Nabokov, qu'évoque d'emblée le titre Arden, pour les lecteurs d'Ada ou l'ardeur, avec son domaine d'Ardis, coupé du monde par une forêt aux airs de conte. Une forêt d'Ardennes (l' « Arden » d'As You Like It) mâtinée d'Ardis. Si l'on fait lisière de cette propension récente au pastiche tous azimuts dans une certaine littérature française – il y a ça aussi dans Il Faut beaucoup aimer les hommes de Darrieussecq, dès le titre, et ça continue comme du Duras, phrases et situations, mais j'ai très vite laissé tomber, à quoi bon, parce qu'alors question niaiserie prétentieuse, ce roman-là mérite le pompon ! -, c'est plein de bonnes idées, Arden, de personnages savoureux et excentriques au premier rang desquels « mon oncle », « Alexandre de Rocoule, rêveur, valseur et fornicateur », Irena son épouse fantomatique et neurasthénique, les maîtres du Grand Hôtel d'Arden. Et puis Salomon Lengyel, acolyte d'Alexandre en composition forcenée d'opérettes (52) toujours inachevées faute de pouvoir s'accorder sur une fin satisfaisante, sa fille la brune et fascinante Esther, et la farandole d'employés de l'hôtel aux airs de personnages d'opérette à moins que ce ne soit le contraire. Arden, forêt du territoire de Marsovie emprunté à La Veuve Joyeuse de Franz Lehár, dont les librettistes étaient juifs et qui essaya, en vain, de mettre à leur service sa popularité auprès du régime nazi. C'est à peu près ce qui se passe dans la seconde partie du roman – où commence-t-elle ? dans le bloc compact que constituent les 460 pages qui suivent le prologue « autobiographique » du narrateur, 460 pages sans pauses, sans sections, sans même de blancs typographiques, seulement ponctuées çà et là d'insertions telles que récit romancé traduit du yiddish de l'idylle d'Alexandre et d'Irena, ou arguments de nombre d'opérettes : Loth s'amuse, Harry & Cie, Chevalier Fantôme...
Bref, on l'aura compris, Arden est un roman très érudit, bourré de références et de clins d'œil à tous les étages. Une histoire placée sous le signe de la légèreté comme mode de résistance à la plus lourde des oppressions, et un hymne à un art désormais presque oublié alors qu'il était, dans ma jeunesse, si présent sur France Musique, avec par exemple les Concerts-Promenades d'Adolphe Sibert, et qu'il fut si représentatif d'une certaine gaité française, et peut-être même européenne. Pourquoi alors abandonner la lecture d'un ouvrage si allègre dans son propos, son regard sur le monde, sur l'histoire, les livres, la musique ? Eh bien, parce que c'est trop long. Parce qu'il y a trop d'allusions, trop de clins d'œil, trop d'effets et de virtuosité stylistique, architecturale, narrative. Et que le résultat en est, paradoxalement, pénible. Faute, me semble-t-il d'un éditeur exigeant, qui ait su obtenir de son auteur des coupes, que diable !, pour éviter au festin de se transformer en grande bouffe et au feu d'artifice de tourner à l'incendie. Tel qu'il est offert, infligé plutôt, à ses lecteurs, et c'est dommage, Arden est un pavé compact, une bavarde et interminable fantaisie.

mercredi, août 8 2012

Rohington Mistry - L’Equilibre du monde

Je viens de lire, d’une traite, L’Equilibre du monde, de Rohington Mistry, auteur canadien d’origine indienne. Près de 700 pages grand format, avalées entre hier et aujourd’hui. Et, je ne peux m’empêcher de le dire d’emblée, je termine ce roman tout imprégnée de tristesse, alors même que j’ai souri voire franchement ri aux moments les plus éclatants de l’histoire. Mais mon rire n’a pu surmonter tant d’horreur, de malchance et de douleur. À travers l’histoire des quatre personnages principaux, la belle veuve solitaire Dina, l’étudiant en réfrigération Maneck, et les deux tailleurs intouchables Ishvar et son neveu Omprakash dit Om, tous réunis au cœur du roman dans le modeste appartement de Dina, c’est tout un pan de l’histoire de l’Inde qui est conté, une sanglante histoire de crimes, de ténèbres et de corruption. Et tout ce que l’on pouvait avoir appris de façon théorique en classe sur cette part de l’histoire du XXe siècle, ou même vu en images documentaires ou de fiction, acquiert à travers les personnages une dimension de cruauté parfois insupportable, au point de m’avoir fait par moments interrompre ma lecture, le temps de respirer, de me préparer à la prochaine catastrophe. Il y a indéniablement une dimension mélodramatique dans les avalanches de malheurs qui ne cessent de frapper les malchanceux et misérables héros de l’histoire, et dans la façon dont les fils et les personnages se retrouvent et s’entrecroisent. Mais l’épigraphe, apostrophe au lecteur (au *narrataire ! souvenir d’oral…) empruntée aux premières lignes du Père Goriot (Ah ! Sachez-le : ce drame n'est ni une fiction, ni un roman. All is true.), place le roman sous le signe du réalisme et du désir de rendre compte du grouillement et de la complexité du monde.

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dimanche, février 5 2012

'Peut-on lui pardonner ?' Trollope again

Alice Vavassor a vingt-cinq ans, et elle est maîtresse de sa fortune, quatre-cents livres de rente par an, comme on l’apprend assez rapidement au début du roman. Un fameux pavé, 750 pages plus dix pages de notes, que Stephen King aurait rebaptisé « Can you finish it ?» - où ai-je lu cela ? (le titre anglais est : Can you forgive her ?) – ce qui est assez injuste quoique le début soit en effet un peu languissant, et que Trollope ne soit pas l’auteur le plus enclin à élaguer son propos, chaque fil de l’intrigue allant son train, avec ses personnages, ses détails, ses conversations, et les considérations de l’auteur sur lesdits.
Et des fils, il y en a ! il y a le fil principal, l’histoire d’Alice, jeune femme tellement soucieuse de liberté  et de sincérité qu’elle ne cesse de tergiverser sur ses fiançailles. Et fiancée, plus ou moins, elle l’aura été deux fois à son cousin germain Georges, un bien mauvais garçon, défiguré par une terrible cicatrice, et deux fois aussi à l’impeccable, l’irréprochable John Grey de Nethercoats dans le Cambridgeshire. Il y a le fil Glencora Palliser, la très gracieuse et très aristocratique cousine d’Alice, en proie elle aussi à toutes sortes de tempêtes intérieures, elle qu’on a mariée en son jeune âge au très sérieux, très laborieux Plantagenêt Palliser - l’homme qui a voué sa vie aux chiffres, et qui sera un jour chancelier de l’échiquier - pour lui éviter l’opprobre d’une union avec son grand amour, le magnifique et velléitaire Burgo Fitzgerald. Mais Burgo est toujours aussi splendide, et Plantagenêt est tellement ennuyeux et dépourvu d’imagination ! Ce sont les Palliser, et Glencora en particulier, qui assurent la cohérence de la somme romanesque appelée les Palliser novels (Glencora apparaissait, à l’occasion, dans Les Diamants Eustace, pour voler au secours de Lizzie. Mais Les Diamants Eustace sont postérieurs.) Il y a  la passion de Kate Vavassor pour son frère Georges, passion si intense qu’elle fait tout, y compris par l’intrigue, pour le réconcilier et le marier avec Alice. Il y a la tante aînée des trois cousins, Mrs veuve Greenow, encore fort verte, comme le suggère son nom, accorte, énergique et bienveillante dame au cœur de toute une petite comédie de prétendants : qui choisir, du capitaine Bellfield, bel homme fauché, un peu escroc sur les bords, ou du prospère fermier Mr Cheesacre, petit homme rondouillard et tellement terre à terre ! Il y a le triste château de Westmorelands habité par le colérique grand-père Vavassor, avec ses terres battues par les vents et ses paysages intensément romantiques (passe-t-il dans le personnage de Georges et dans les terres de Westmorelands un souvenir des Hauts de Hurlevent ? il me semble). Il y a les intrigues politiques autour de Plantagenêt Palliser (Planty Pall), et de Georges Vavasseur, candidat libéral des berges de la Tamise. Il y a l’infâme Mr Bott et l’affreuse Mrs Marsham, duègnes auto-proclamé(e)s de Lady Glencora, des agents électoraux, des financiers véreux, des notaires, des domestiques – valets et soubrettes -, des demoiselles sur le retour, de vieilles et (plus ou moins) respectables ladies, et naturellement, une chasse au renard avec vente d’un cheval à la clé. Il y a des tas de noms pittoresques et amusants, comme Mr Cheesacre et son acolyte Bellfield (beau gosse et matamore), Mr Tombe, Mr Grimes et Mr Scruby, ou lady Monk de Monkshade, qui me fait subodorer un clin d’œil, très atténué, au Moine de Lewis.

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lundi, novembre 21 2011

Trollope, obstinément : Quelle époque !

         La lecture d’un pavé tel que celui qui est photographié deux billets plus bas prend assurément beaucoup de temps – non, je n’écrirai pas qu’elle est ‘‘chronophage’’, quel affreux terme de jargonaute, selon l’expression reprise par Jacques A. Bertrand, papou, dans sa dernière livraison de Les Gens, c’est tous des sales types – beaucoup de temps nocturne, et avouons-le, diurne aussi : près de 800 pages grand format, cent chapitres, et une foule de personnages entre Londres, ‘‘Frisco’’ et, essentiellement, le Suffolk. C’est encore un Trollope - chez Fayard, cette fois - The Way We Live Now, heureusement traduit par Quelle Epoque ! et le roman grouille de personnages. Dans le monde des journaux – c’est par là que l’on entre dans le roman -, dans celui de la jeunesse dorée, dans celui de la campagne et de ses habitants, aristocrates ou paysans attachés aux valeurs de la vieille Angleterre, mais surtout dans le monde de la haute finance où triomphe Augustus Melmotte, pas moins : Augustus à l’impérial prénom, Melmotte, francisation transparente du Melmoth de Maturin, mais surtout, me semble-t-il, clin d’œil au Melmoth Réconcilié de Balzac, qui se situe dans le monde de la finance, et dont le premier personnage est le caissier de Nucingen. Or on trouve aussi, dans Quelle époque !, un personnage d’homme de confiance, Croll, allemand, dont l’auteur transcrit l’accent chuintant, ce qui ne manque pas d’évoquer le parler galimatiesque de Nucingen. Quant à Augustus, il est censé être français, et c’est un homme mystérieux, à l’identité incertaine, qui a parcouru, d’escroquerie en métamorphose, l’Europe et l’Amérique. Sorte de Protée errant, donc, à la parenté littéraire très marquée. Pour qui, comme moi, est totalement imperméable aux mystères de la finance, ce livre déploie avec une pédagogie rare les arcanes et les mystères de la spéculation, et les mécanismes de ce qui, me semble-t-il, s’appelle aujourd’hui une « bulle » spéculative, le mot apparaît à plusieurs reprises dans le texte. Et c’est autour d’actions de la Compagnie des Chemins de fer du Pacifique Centre et Sud des Etats-Unis, exportés à Londres par le bouillant et entreprenant Mr Fisker, dont le sens moral n’est pas la vertu première, que s’enfle et s’auréole de toute-puissance et chancelle la fortune déjà considérable d’Augustus Melmotte, bientôt promu aux plus grands honneurs politiques. Sa fille, la terne et discrète Marie, en devient un enjeu de choix pour les coureurs de dot de tout poil, parmi lesquels l’ignoble baronnet Sir Felix Carbury, magnifique spécimen de crapule sans cœur ni scrupule, au désespoir de sa mère, Lady Carbury, femme de lettres au petit pied mais aux grandes ambitions, qui le vénère, et tente à toute force de lui trouver une épouse fortunée pour sortir la famille de la dèche qui la menace.

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mercredi, octobre 5 2011

Thomas Hardy - Jude l'obscur

Monté à pied de son village jusqu’à la Maison Brune, une grange isolée sur la lande, Jude, âgé de onze ans, essaie d’apercevoir le lieu de tous ses désirs, Christminster semblable « à une Jérusalem céleste ».

« Le jour déclinait. La brume légère s’évaporait, excepté dans les coins les plus humides de la contrée environnante, et aussi le long des rivières. Jude pensa de nouveau à Christminster et souhaita, puisqu’il avait fait deux ou trois milles dans ce but, entrevoir au moins la cité enchanteresse dont on lui avait parlé. (…)

Il grimpa sur l’échelle afin de jeter encore un regard vers l’endroit que les hommes avaient désigné, et se pencha sur le dernier échelon, parmi les tuiles. Sans doute ne pourrait-il pas revenir si loin avant bien des jours. S’il priait ? Peut-être son désir de voir Christminster serait-il exaucé ? La prière est parfois efficace, mais parfois aussi, le résultat est nul. (…) se tournant sur l’échelle, Jude s’agenouilla sur le troisième échelon et, s’appuyant sur les degrés supérieurs, pria pour que le brouillard se levât. Puis il s’assit et attendit. Au bout de dix minutes environ, le mince brouillard sembla s’évaporer à l’est sur l’horizon, ainsi qu’il l’avait déjà fait partout ailleurs ; un quart d’heure environ avant le coucher du soleil, les nuages s’écartèrent à l’ouest, découvrant le soleil dont les rayons s’échappèrent entre deux nuages couleur d’ardoise. L’enfant regarda immédiatement dans la direction de Christminster.

Tout au bout de l’étendue des terres, quelques points lumineux brillaient comme des topazes. La transparence de l’air augmentait à chaque instant, et bientôt les topazes devinrent les girouettes, les fenêtres, les toits d’ardoise mouillée, des points brillants sur les clochers, les dômes, les édifices en pierres de taille et autres silhouettes qui se devinaient vaguement. C’était Christminster, sans aucun doute : soit la ville elle-même, soit une sorte de mirage dans cette atmosphère singulière.

Le petit spectateur resta perdu en contemplation jusqu’à ce que les fenêtres et les girouettes eussent perdu leur éclat, s’éteignant presque subitement, comme des chandelles qu’on aurait soufflées. La vague apparition se voila de brume. Se tournant vers l’ouest, l’enfant vit que le soleil avait disparu. Les premiers plans du paysage étaient devenus d’une obscurité funèbre, et les objets tout proches prenaient des teintes et des formes chimériques. »

Il y a dans le passage cité, outre une dimension poétique qui me donne envie de le lire en anglais - mais je ne l’ai pas trouvé sur la toile, si, ça y est, le voici :

He then seated himself again, and waited. In the course of ten or fifteen minutes the thinning mist dissolved altogether from the northern horizon, as it had already done elsewhere, and about a quarter of an hour before the time of sunset the westward clouds parted, the sun's position being partially uncovered, and the beams streaming out in visible lines between two bars of slaty cloud. The boy immediately looked back in the old direction.

Some way within the limits of the stretch of landscape, points of light like the topaz gleamed. The air increased in transparency with the lapse of minutes, till the topaz points showed themselves to be the vanes, windows, wet roof slates, and other shining spots upon the spires, domes, freestone-work, and varied outlines that were faintly revealed. It was Christminster, unquestionably; either directly seen, or miraged in the peculiar atmosphere.

 The spectator gazed on and on till the windows and vanes lost their shine, going out almost suddenly like extinguished candles. The vague city became veiled in mist. Turning to the west, he saw that the sun had disappeared. The foreground of the scene had grown funereally dark, and near objects put on the hues and shapes of chimaeras.”

il y a  donc aussi presque tout le destin de Jude : attiré par la ville universitaire qui incarne le savoir auquel, sur les traces de son maître M. Phillotson, il brûle d’accéder, il est la proie d’un mirage, lequel se dissout au profit d’un réel tout aussi fantomatique mais beaucoup plus inquiétant.

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jeudi, octobre 7 2010

Jean-Michel Guenassia - Le Club des Incorrigibles Optimistes

Imré, Tibor, Léonid et Michel...

mais aussi Igor, Werner, Tomasz, Pavel, Gregorios, Virgil, Victor, Wladimir...  et encore Sacha, Jef, et Jean-Paul. Difficile de psalmodier leurs noms sur l’air d’Anton, Ivan, Boris et moi de Marie Laforêt, quand c’est sur Blue suede shoes, Jerry Lee Lewis ou les Beatles  que s’exprime la vitalité rageuse du jeune (des jeunes) héros de ce roman. Ça pourrait faire aussi Claude Sautet, n’eût été la coloration exotique de ces noms essentiellement enracinés à l’Est, mais expliquons-nous.

La plupart des personnages sus-nommés, parmi lesquels le lecteur perspicace n’aura pas manqué de noter l’absence complète de femmes, sont les membres du Club des Incorrigibles Optimistes sis dans une arrière-salle du Balto, brasserie auvergnate, au coin de Denfer-Rochereau et du boulevard Raspail. Rompu aux baby-foot avec Nicolas - tous deux y sont champions, imbattables, infatigables - le narrateur va lentement glisser aux échecs avec Pavel, Igor ou Léonid, à l’occasion d’une partie mémorable, car personne ne bat Léonid, même pas pour une partie truquée....

Dès ses douze ans, Michel Marini, dont la famille s’est distendue entre le père insouciant, jovial et bonimenteur, fils et frère de cheminot communiste, et la mère - rigide bourgeoisie catholique commerçante avec repas dominicaux rituels -, dès ses douze ans donc, Michel, scolarisé en pointillés au Lycée Henri IV (il est passé maître dans la subtilisation des billets d’absence) est presque un pilier de bar. Mais pour y jouer, y observer, y écouter : pour y apprendre la vie, en ses facettes diaprées et inassignables, et des aphorismes pour faire face à toutes les tribulations en toutes circonstances. Des blagues aussi, car  ce roman en regorge, et c’est l’une de ses originalités jubilatoires que d’être aussi un recueil de blagues, essentiellement issues des pays communistes d’ailleurs !

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jeudi, août 26 2010

Anne-Marie Garat- Pense à demain

Pense à demain, c’est presque aussi bien que Splendeurs et Misères des Courtisanes ! Aussi démesuré dans la taille, et dans le projet. 711 pages pour ce dernier volume d’une trilogie qui aurait pu, à la manière de Zola, s’intituler Les Bertin-Galay, du nom de la famille racine en quelque sorte, dont au fil des épisodes grouillent les ramifications. 711 pages grand format, chez Actes Sud, un authentique pavé (LE pavé de l’été, je n’aurai pas le temps d’en lire un autre, tant pis pour Marcel devant qui j’ai renâclé, et qui se prête tellement moins bien à la lecture en train).

L’époque : du  jeudi 15 août au 29 novembre 1963, 3 mois et demi. Avec des flashes back qui renvoient jusqu’en 1910, époque des origines de la saga, lorsque est tourné le film Pluie ardente qui a déclenché, quelques milliers de pages plus tôt, le début de la quête de Gabrielle Demachy, héroïne de Dans la main du diable. Et des flashes forward jusqu’en septembre 2010, c’est hardi, c’est après la publication, dans le long épilogue qui enseigne au lecteur le destin ultérieur des personnages, principaux et annexes, et leur descendance.

Les personnages donc : une bonne quarantaine pour ce volume, au moins une petite centaine en tout, dirais-je. Outre la tribu Galay et assimilés, il  y a les Armand de la ferme, et, entre autres, des Hongrois, des Allemands, des Anglais – des Irlandais, aussi. Je m’aperçois que je n’ai pas chroniqué ma lecture du tome deux : L’Enfant des ténèbres, pourtant passionnant, dont Camille Galay, la « fille » de Gabrielle et de Pierre, était l’héroïne sur fond de restructuration de l’entreprise et de montée du nazisme.

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samedi, juillet 31 2010

Nabokov - Littératures... à titre thérapeutique, et tellement plus !

Style and structure are the essence of a book; great ideas are hogwash.
« Style et structure sont l’essence d’un livre. Les grandes idées ne sont que foutaise ».

C’est l’épigraphe des cours de littérature de Nabokov, où, après le pensum auto-infligé qu’a été la lecture ci-dessous chroniquée, j’ai remis le nez pour voir ce qu’il reprochait à Jane Austen, sur laquelle, dans mon souvenir, il avait eu la dent dure. Erreur : son étude de Mansfield Park est tout à fait caractéristique de la lecture minutieuse, sym-pathique, enthousiaste, intuitive, qu’il donne des auteurs qu’il commente. C’est dans la préface que l’éditeur mentionne les réserves préalables que Nabokov avait formulées au sujet de Miss Austen, lesquelles n’ont pas résisté à sa lecture. Ces cours sont un régal pour le lecteur : scrupuleux, attentifs, partiaux, ils éclairent les auteurs de l’intérieur tout en les replaçant dans une perspective historique et littéraire. Il y pratique la topographie, la géographie, le croquis de mode, l’entomologie spéculative, le croquis botanique (on y trouve, entre autres, le plan de Mansfield Park, une carte de l’Angleterre, la casquette composite à étages de Charles Bovary comme première apparition du motif des « strates, ou de la pièce montée » consubstantiel au roman, le catleya de Swann et Odette qui illustre la couverture de mon édition, et le « scarabée » qu’est devenu Gregor Samsa...).

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vendredi, juillet 9 2010

Ann Radcliffe – Les Mystères d’Udolphe

868 pages ! J’ai cru que je n’allais jamais arriver au bout. Et pourtant je lis vite. Mais malgré la traduction très réussie, très littéraire, de Madame Victorine de Chastenay – qui eut une vie passionnante, l’écrivit, discuta littérature avec Bonaparte et faillit épouser le fils du Marquis de Sade !!! – je me suis copieusement ennuyée (au moins dans les 400 premières pages, en attendant que ça démarre, et surtout, que ça se lie). Je ne dois pas avoir la fibre gothique : ce que j’ai aimé dans ce roman, ce sont les descriptions de paysages (de montagne, escarpés, sauvages, effrayants ; de côtes, mêlant plaines riantes et fertiles, et rochers déchiquetés où se brisent les vagues ; de vallées ombragées arrosées de rivières...) mais alors les châteaux gothiques avec remparts et tour du Nord, souterrains, passages dérobés, et terreur possible – mais souvent de courte durée – à chaque détour de couloir, ou de mur couvert d’un voile noir (et l’on n’aura la solution du mystère que 400 pages plus tard, en se disant que la jeune Émilie de Saint Aubert est bien inconséquente dans ses oublis), les papiers secrets que l’on trouve sous une lame de plancher et que l’on brûle mais en gardant le portrait qui leur était joint, lequel ne ressurgira que dans la quatrième partie, les itinéraires interminables intra et extra muros, et surtout ce mode de narration étrange (sans doute lié au fait qu’il s’agit des débuts d’un genre) qui fait que la solution des mystères apparaît presque toujours, et en particulier à la fin, sous forme d’un résumé rationnel et en quelque sorte plaqué, ou que les méchants sont expédiés sous forme de digression rétrospective, et pas du tout sous nos yeux avec révélations et de la sanglante manière qu’ils eussent méritée... et puis la jeune Émilie si raisonnable... ben j’ai eu du mal à comprendre l’engouement de Balzac, Gautier et consorts.

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lundi, avril 5 2010

Pat Conroy - Le Prince des marées

« J’avais dix ans lorsque je vis pour la première fois le marsouin blanc, connu sous le nom de Snow de Caroline, suivre notre crevettier comme nous rentrions au port après une journée passée à ratisser les plages qui longeaient Spaulding Point.
(…) - Je ne l’avais jamais vu d’aussi près, dit Savannah. Il est d’un blanc immaculé, comme une nappe.
Pourtant, ce n’était pas un blanc immaculé que nous avions devant les yeux quand il refit surface à vingt mètres de nous. D’imperceptibles marbrures de couleur miroitaient sur son dos comme il surgissait de l’eau, un fugitif éclair d’argent des nageoires, une évanescence de couleur impossible à cerner. On savait que jamais deux fois de suite il n’aurait la même couleur.
Nous le regardâmes tourner autour du bateau, passer au-dessous, se fondre dans l’eau comme du lait. Bondissant, il demeurait en suspens, et il avait alors la couleur des pêches et des hautes lunes, avant de s’enfoncer, retrouvant sa teinte laiteuse.
Tels sont les instants fugitifs de mon enfance dont je ne puis tout à fait reconstituer le souvenir parfait. Irrésistibles, emblématiques, je ne retrouve d’eux que des fragments, des frémissements de cœur. Je revois le fleuve, la ville, mon grand-père pilotant un bateau sur le chenal, ma sœur figée dans cet instant d’absolue béatitude qu’elle traduirait plus tard dans ses poèmes les plus puissants, le parfum métallique des huîtres cueillies, les braillements d’enfants sur le rivage…. Quand vient le marsouin blanc, tous ces éléments sont présents, plus leur transfiguration. En rêve, le marsouin demeure dans les eaux de la mémoire, pâle divinité qui nourrit le jeu et le fond glacial de toutes les eaux noircies de mon histoire. » 

1070 pages chez Pocket. Un pavé indiscutablement. Cela faisait bien longtemps que mon amie Isabelle me le disait : « Il faut que tu lises Le Prince des Marées, Agnès ». Et voilà que Sylvain me l’a offert. Merci à tous deux. Une bonne douzaine d’heures de lecture – presque – continue. Il fallait que je le lise d’une traite, pour ne pas m’arracher à cet univers torrentiellement romanesque, à cette puissance lyrique et narrative, à cette démesure du verbe. Il fallait que je le lise, et je suis bien contente de l’avoir fait car voici encore un grand roman qui va habiter en moi.
C’est une histoire de famille, infiniment douloureuse malgré les moments d’émerveillement ou d’extase suscités par la nature, comme l’épisode du marsouin blanc.

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mardi, septembre 15 2009

Quoi de neuf ? Delacroix, le Journal.

J’aime beaucoup la petite histoire de la jeune chèvre (Ah! qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin! Qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande! Et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l'écuelle. Un amour de petite chèvre!
J’ai dû déclamer cela il y a des siècles, debout sur un tabouret ? - Seigneur !...) la petite chèvre donc qui rentre à la fin de l’été, pâle et les yeux battus, et à qui sa copine, de retour de transhumance, demande ce qu’elle a fait pendant les vacances.
-J’ai bouquiné…

Sans vouloir pousser la comparaison ^^, moi aussi, j’ai bouquiné depuis cette fin d’août dont date mon dernier billet. Marie Ndiaye (pourquoi diable les gens – certains critiques compris – s’obstinent-ils à prononcer « N – Diaye », le N est ici un son, pas une lettre !) d’abord, puis, pavé considérable, Les Disparus de Daniel Mendelsohn, volet II de la trilogie dont L’Étreinte Fugitive était le premier. Deux ouvrages dont je veux prendre le temps de rendre compte, car l’un et l’autre sont riches et complexes.
En attendant, j’ai la joie et la fierté, car ce travail monumental est l’œuvre d’une vieille et chère amie, d’annoncer ici l’imminente parution (en octobre ?) de la nouvelle édition du Journal de Delacroix, destinée à devenir l’édition de référence, 2512 pages avec l’index, une étude introductive de près de 70 pages, et des dizaines de documents inédits, dont certains retrouvés dans des circonstances très romanesques, à la suite d’enquêtes minutieuses qui n’ont rien à envier au roman policier. Deux volumes dans un boîtier, chez José Corti. Édition de Michele Hannoosh, professeur de littérature française à l’université Ann Arbor du Michigan, qui est pour moi comme une lointaine grande sœur. Je salue ici l’issue d’un projet soutenu avec ferveur, opiniâtreté et quelle acuité ! à travers mille tribulations, et je me réjouis de n’avoir plus pour perspective que de plonger dans cette œuvre qui, par l’univers évoqué, tient de Balzac, et par sa forme, méditée, concertée et pourtant ductile et ondoyante, d’un Montaigne moderne.
Et voilà, c'est sorti : http://www.jose-corti.fr/titresromantiques/JournalDelacroix.html

samedi, novembre 22 2008

Anne-Marie Garat - Dans La Main du Diable

Impossible de résumer les 1270 pages en ''Babel'' de ce PAVÉ, que j’ai lu d’une traite, au fond de mon lit de douleur en ponctuant ma lecture de quintes de toux, dans une histoire où il est question d’épidémies de typhus…. Il m’avait été recommandé ici-même par Bergamote, merci à elle, il est tombé à pic en une période où je n’avais guère de goût à lire… ou guère de livres à goût ?
Donc : c’est une histoire d’un romanesque échevelé, dont l’héroïne, ''Gabrielle'', jeune femme mi-hongroise mi-française, a été élevée à Paris dans un esprit d’indépendance par sa tante Agota et sa nourrice Renée, dite Ninette. Habitée depuis toujours par l’amour de son ténébreux cousin Endre, disparu 5 ans auparavant, elle se lance sur ses traces à l’instigation d’un mystérieux et machiavélique prétendu petit employé du ministère de la guerre, où sa tante et elle ont récupéré les misérables effets du jeune homme, avec l’annonce de sa mort. L’enquête de Gabrielle l’amène à se présenter comme institutrice au sein d’une riche famille bourgeoise, les Bertin-Galay (alliance de grande bourgeoisie biscuitière et d’aristocratie rurale et esthète), menée d’une main de fer par Mme Mathilde, la douairière. Gabrielle a été embauchée pour s’occuper, dans la maison familiale isolée aux alentours de Paris, de Camille dite Millie, pauvre petite chose orpheline de mère, méprisée par le reste de la famille, et fille du docteur Pierre Galay, un immunologiste réputé dont la route a dû, autrefois, croiser celle d’Endre en Birmanie, et qui semblerait en savoir long sur sa mort.

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lundi, mai 19 2008

Albert Cohen - Belle du Seigneur

Roman haï des uns, adoré des autres. Ignorons à tout jamais l’approbation très officielle qu’il a un jour reçue d’un qui ne fraye guère avec les livres - encore moins avec les pavés, échos pour lui d’une époque honnie, celle justement, de la publication de cet énorme volume, par moi découvert huit ans plus tard, et d’emblée adoré. Parce qu'il déborde de toutes parts, parce que c’est un livre-univers, un livre-océan, un livre excessif.

Certes l’héroïne, Ariane, ne rayonne pas d'intelligence. Elle est même complètement idiote, dès le début, avec ses petites mignardises sur les animaux et les chéris et ses interminables monologues de baignoire – chers au cœur de quiconque lit dans son bain, ô l’art de tourner le robinet d’eau chaude avec les orteils !... Mais enfin, les idiotes courent les rues, et personne ne nous oblige à nous identifier à Ariane, pas plus qu'à Solal, grands dieux ! dont je ne crois pas que l'on puisse prendre les sempiternelles déclamations machos au pied de la lettre, et qui fait preuve d'une singulière incapacité à orienter autrement leur histoire perverse et pourrie. Qui l'oblige à venir remplir son devoir quand elle le convoque à coups de Voi che sapete?

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dimanche, mai 4 2008

Elizabeth Goudge : "Le Pays du Dauphin Vert" - pavé anglais

Une petite île d’enfance, puis, au bout du monde une deuxième grande île, celle de l’âge adulte. Deux fillettes, puis trois enfants que le fil de l’histoire voit s’épanouir en jeunes adultes puis vieillir jusqu’à l’âge installé. Deux, trois... une quatrième maison… et un couvent en nid d’aigle.
Un pavé : 792 pages rééditées par Phébus (encore, mais sans plus les érudites et passionnées préfaces de JPS – Jean-Pierre Sicre, et c’est dommage car que de questions cette lecture ne suscite-t-elle pas !).
Et un pays : les tribulations de William, de Marianne, d’Old Nick le perroquet, du tonitruant et bienveillant capitaine O’Hara, de Nat’, du fascinant Tai Hairuru (La Mer retentissante), vibrant et serein à la fois, trouvent leur unité dans le pays imaginaire né dans l’enfance de Marguerite, Marianne et William entre la rue du Dauphin Vert, sorte de rue-fée, « toujours joyeuse, car les gens qui y habitaient étaient toujours heureux, pas assez pauvres pour être privés de la joie de vivre, pas assez riches pour en être accablés », et le clipper du même nom, apparu à Marianne et William dans un matin étincelant, celui de leur rencontre avec le capitaine O’Hara.

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mercredi, avril 30 2008

Il y a un plaisir tout particulier à lire des pavés.

Cinq cents pages et plus. Ces romans-univers dont la lecture est aussi un défi. Parce qu’il faut trouver assez de temps – et de solitude – pour en avaler d’une traite le tout ou au moins une grande partie, parce qu’ils pèsent un âne mort dans le sac où on est obligée de les transporter partout pour ne pas perdre une miette de lecture à la moindre pause, parce qu’il faut trouver pour s’installer la position idéale sans qu’ils se referment sur le premier ou le dernier quart – comment diable font ceux qui ne cassent pas les dos des livres ? – assise devant une table, c’est une position trop austère pour la durée requise, adossée à des oreillers, ça va, mais couchée, c’est difficile, le livre se tord, les pages échappent… à plat ventre, le bouquin appuyé au mur, un oreiller bourré sous le menton, ce n’est pas mal – lire à plat ventre, vieille habitude de l’enfance…

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dimanche, novembre 4 2007

Une bio-pavé : Jean-Marc Hovasse : "Victor Hugo, avant l'exil" - tome I.

Puisque les vacances ne me permettent même pas de rattraper mon retard en matière de notes de lecture (au moins 5 romans dont je ne trouve pas le temps de rendre compte...), je recycle une note plus ancienne, qui pourra occuper ceux qui s'y risqueront au moins jusqu'à Noël ! Histoire de ranimer ce blog, en sommeil depuis plus de quinze jours.
Si jamais au demeurant Aurélie Abraham, qui m'a prêté cette bio, me lit, qu'elle sache que j'espère toujours la lui restituer !

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lundi, mai 28 2007

Romanesque, décidément

Il y a un roman dont je voudrais vous parler depuis un moment, sans jamais avoir pris le temps de le faire. Problème : il n'est naturellement pas à sa place, j'ai dû le prêter - à qui, je n'en ai plus la moindre idée - je vais donc devoir me fier strictement à ma mémoire.
C'est un pavé, et si j'ai hésité à en parler, c'est, absurdement, parce que c'est aussi une sorte de gigantesque conte de fées, d'un romanesque débridé, et que j'avais presque le sentiment de devoir m'excuser auprès des lecteurs *** avertis *** de leur recommander une histoire à ce point merveilleuse. Un produit parfaitement réussi de la pratique américaine des cours d'écriture : l'extrême et minutieuse documentation se fond dans la construction globale d'une intrigue rigoureusement construite et maîtrisée. Trêve de circonlocutions. Il n'y a pas à s'excuser : ce roman est une merveille, il se dévore, et se relit, avec un égal bonheur. On en sort "reconstitué". Il a quelque chose de puissamment tonique, dans la façon dont il construit, au fil de rencontres toutes providentielles, le destin de Claude Rawlings, musicien de génie né dans les sous-sols de New York, années 40.
C'est Corps et âme, traduction stricte de l'anglais Body and soul, de Frank Conroy, écrivain américain mort en 2005.

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