samedi, janvier 5 2013

Balzac - Pierrette

Drôle de roman – de novella, plutôt – que Pierrette de Balzac. C’est le premier volet du triptyque des Célibataires, et si les deux autres sont du même tonneau, il n’y a certes pas de quoi s’esbaudir. Le début est mortel. Après la charmante scène liminaire où le jeune Jacques  Brigaut réveille Pierrette en lui chantant une « chanson de mariée » de leur Bretagne natale, Balzac se lance dans des pages d’explications généalogico-économiques. Mais l’ignorance où l’on est des personnages et des situations a pour double effet d’égarer (quasi impossible de s’y retrouver sans un crayon) et de susciter un profond ennui. Les choses s’améliorent pour le lecteur persévérant avec l’entrée des deux horribles Rogron, les « célibataires » : la sœur aînée, Sylvie, le frère, Jérôme-Denis, de merciers parisiens revenus en leur Provins natal asseoir leur position dans la société et pompeusement restaurer leur maison de la place.

Ces deux  hideux imbéciles, aussi secs de cœur et d’intelligence que laids de physionomie, habilement manipulés par le machiavélique avocat libéral Vinet – la « scène » se déroule entre 1827 et 30, au moment de la chute du ministère Villèle, jusqu’à l’instauration de la monarchie de Juillet – vont jouer pour la malheureuse Pierrette, leur gracieuse demi-cousine bretonne, le rôle du plus sinistre des destins. 



                             Guido Reni - Portrait de Béatrice Cenci

Lire la suite...

mardi, juillet 31 2012

Eté balzacien ?

Je renoue aujourd’hui avec Convolvulus, qui a connu ces derniers jours une assez longue éclipse, due à une panne. Que mes lecteurs veuillent bien m’en excuser.

Est-ce l’été ? plutôt une sorte d’antichambre de l’automne, avec prunes en train de mûrir, et poires, mais guère de pommes et pas l’ombre d’un coing. Il y en avait plein les arbres dans le Tarn, riche en cognassiers de bornage, où la chaleur était intense, et les fleurs des champs nombreuses, que, las !,  je ne pus photographier, mon appareil est en réparation.

Le mois d’août est devant vous. Vous le passez dans la moitié nord de la France, où la Manche est à 14 degrés, où les étés sont « tièdes voire frais ». Le ciel est gris, le temps venteux. Le soleil se lève à 7h du soir et se couche deux heures plus tard. Ne vous laissez pas décourager, et lisez Balzac ! et si les grands romans et les prétendues descriptions interminables vous effraient, plongez dans les brefs romans et les nouvelles. Les Etudes Philosophiques ne sont pas mes préférées, il y a souvent en elles quelque chose d’explicitement démonstratif, encore que j’aie déjà fait ici l’éloge sans réserve d’El Verdugo. Mais j’ai lu cet après-midi Melmoth réconcilié, conte ‘fantastique’ dont l’incipit ironique, consacré à l’ « espèce hybride » du caissier, « que l’on ne peut reproduire ni par semis ni par bouture », « arrosé par les idées religieuses, maintenu par la guillotine, ébranché par le vice, et qui pousse à un troisième étage entre une femme estimable et des enfants ennuyeux »  laisse d’emblée supposer la dimension parodique. Car si Balzac a emprunté à l’Irlandais Maturin le personnage de John Melmoth, l’Anglais inquiétant qui surgit devant la caisse de Castanier occupé à préparer sa première et ultime escroquerie, le sort de son pouvoir surnaturel, transmis au caissier indélicat car amoureux, puis progressivement dévalué par diverses transactions en bourse, prête à sourire, voire à pouffer.

Lire la suite...

jeudi, juin 21 2012

Anthony Trollope back ! Le Docteur Thorne

Le Docteur Thorne a été acquis par la bibliothèque municipale sans doute début mai. Le temps que je m’en aperçoive et qu’il soit enregistré – on ne peut pas réserver une ‘nouveauté’ - il était sorti ! je ne sais pas qui est mon (ma) rival(e) en Trollope à Amiens… Le fait est que ce roman ardemment attendu n’est revenu qu’à la date dite – le 15 juin ! -. Aussitôt lu, 507 pages plus les notes, terminé ce matin. C’est chez Fayard, février 2012.

Le Docteur Thorne est le troisième volume des Barchester novels, après Le Directeur et Les Tours de Barchester chroniqués autour de Noël dernier. Je m’étais arrêtée en pleins Palliser novels, mais pour l’instant pas d’Antichambres de Westminster (Phineas Redux), ni de Premier Ministre disponible à l’achat – du moins à la bibli, parce que Trollope, c’est une rente !). Retour donc dans le Barsetshire, et d’ailleurs, le duc d’Omnium fait deux brèves apparitions, et l’on aperçoit le docteur et Mrs Proudie, et la belle Eleanor devenue Mrs Arabin, à la toute fin du roman.

Il paraît que Le Docteur Thorne (1858) a été du vivant de Trollope l’un de ses plus grands succès, trente-quatre fois réimprimé entre 58 et 82, date de la mort de l’auteur. Je crois que je ne partage pas cet enthousiasme. Non que le roman m’ait déplu, puisque je l’ai lu d’une traite ou presque. Mais il me semble que Trollope n’y est pas au mieux de sa forme : le début  - la situation des familles Gresham et Thorne à la majorité de Frank, le jeune héros - est trop long, un peu filandreux, et somme toute pas très utile. On sent pointer le dénouement beaucoup trop longtemps à l’avance, sans qu’il y ait de péripétie ou de rebondissement, et surtout, et quel que soit mon goût pour la verve satirique de Trollope, il y a trop de scènes comiques en quelque sorte ‘collées’ dans le fil de l’action, et qui la ralentissent en vain. Des figures caricaturales aperçues dans d’autres romans de la série y prennent à mon avis une place excessive, sans pour autant y acquérir d’épaisseur : le docteur Fillgrave au nom si suggestif (‘Combletombe’ ?) fait sourire si on le croise au détour d’une allusion. S’il devient un personnage à part entière, et qu’on le croise à plus d’une reprise, il y a conflit entre la caricature et le personnage. D’autant qu’il est flanqué d’une cohorte de confrères aux noms tout aussi cocasses comme les docteurs Century (‘Siècle’), ou Omicron Pie.

Lire la suite...

dimanche, février 26 2012

Un peu de vaudeville littéraire

Je relisais dans la bio-pavé de Jean-Marc Hovasse (que je n’ai toujours pas rendue à Aurélie A., croisée par hasard il y a deux ans, et plus depuis. Aurélie ? ça doit faire six ans que tu me l’as prêtée !!!) l’épisode des amours adultères de Victor Hugo avec Léonie Biard, amours surprises par huissier (le 5 juillet 1845 au matin ? le 3 au soir ?) à la requête du mari. En cette année qui suit la mort de Léopoldine, le poète, devenu pair de France, rôle qu’il assumait avec le plus grand sérieux, avait alors trois ménages : le foyer conjugal, place des Vosges, aujourd’hui Maison de Victor Hugo, le foyer de la maîtresse ‘‘officielle’’, Juliette Drouet, 12 rue Saint Anastase (IIIe arrondissement, métro Saint Sébastien) et une chambre du passage Saint Roch (Ier arrondissement, métro Pyramides). Les deux premiers étaient très proches, le troisième à environ 3/4h d’heure à pied. 
Léonie était une toute jeune femme devenue, à peine sortie du couvent ou à peu près, la maîtresse, puis l’épouse d’un « peintre quasi officiel de la monarchie de Juillet », Auguste-François Biard, prolifique auteur de croûtes. Hugo, qui l’aurait rencontrée en 1841 « J’avais trente-neuf ans quand je vis cette femme./De son regard plein d’ombre il sortit une flamme,/Et je l’aimai. (Océan, fragment) », devint son amant au printemps de 1844, et la liaison dura jusqu’à l’exil, où Juliette prit le parti de Victor (et fit suivre sa malle aux manuscrits en Belgique), et Léonie se rangea du côté du pouvoir. C’est donc l’Histoire avec sa grande hache qui se chargea de trancher ce nœud gordien conjugal et adultère.

Mais revenons à l’épisode. Protégé par son titre de pair, Hugo ne fut pas inquiété. Léonie, quant à elle, fut d’abord « incarcérée à Saint Lazare, maison d’arrêt pour prostituées et femmes adultères », puis condamnée à trois mois d’emprisonnement dans une maison de correction, dans deux couvents successifs, en l’occurrence. La loi était dure avec  la « femme tombée ». Si la presse se fit l’écho de l’épisode avec une discrétion – ou une publicité – relative, c’est Balzac qui, dans La Cousine Bette, donna à l’épisode une ironique transposition littéraire. En scène, le baron Hulot et l’infâme Valérie Marneffe.

Lire la suite...

mardi, janvier 17 2012

Euh.... Trollope, encore ! La Vendée (dans le texte)

J’ai eu du mal à venir à bout de La Vendée (titre anglais, l’article a sauté en français, pourquoi ?), premier (seul ?) roman historique, et troisième opus de Trollope, alors âgé de 35 ans. C’est un terrible pavé (577 pages grand format), que des lectures nocturnes ne m’ont pas permis de mener à bien rapidement. Et puis, ce n’est certes pas un chef-d’œuvre, comme le reconnaît avec esprit son auteur dans son Autobiographie :

« L'histoire est certainement inférieure à celles qui ont été publiées auparavant [les Macdermots de Ballycloran (1847) et Les Kellys et les O'Kellys (1848)] - principalement parce que je ne connaissais... en vérité, rien de la vie en pays vendéen et aussi parce que mes talents de conteur sont plus accordés avec les faits du présent qu’avec ceux du passé .... La  conception des sentiments des gens est, me semble-t-il, juste. Les personnages sont bien individualisés. Et l’histoire n’est pas ennuyeuse. Pour autant que je me souvienne, ce morceau de critique est le seul qui ait jamais été écrit sur ce livre. »

L’action commence en 1793. Il s’agit, sur fond de mort de Louis XVI, de l’évocation des premières guerres de Vendée, autour des personnages tout à fait historiques d’Henri de la Rochejacquelein, de Charles (en réalité Louis-Marie) de Lescure, et de Cathelineau, tous trois généraux en chef de l’armée vendéenne. Les deux premiers étaient cousins, et aristocrates, le troisième un jeune roturier au charisme puissant. Surnommé le Saint de l’Anjou à cause de sa grande piété, il fait pendant au Saint du Poitou, Charles de Lescure. Dans une brève préface, Trollope cite la source de son inspiration : les « délicieux Mémoires de Mme de la Rochejacquelein », épouse dans le roman – comme dans l’Histoire – de Charles de Lescure.

C’est un drôle de bouquin. Plein d’aventures, de batailles, d’héroïsme et de piété, dont les aristocratiques protagonistes sont tout auréolés de perfections diverses, physiques et morales. Malgré la multitude des morts et des blessés, on y respire souvent un air un peu trop pur, en particulier dans le voisinage d’Agathe de La Rochejacquelein, sœur fictive du jeune et héroïque Henri (qui fut en effet généralissime des armées vendéennes, stratège génial, et mourut à 21 ans !), jeune fille au teint d’albâtre dont la douceur, la piété et la fermeté ont parfois quelque chose d’un peu minéral…

Henri de La Rochejacquelein par le baron Guérin sur Wikipedia

Lire la suite...

lundi, novembre 21 2011

Trollope, obstinément : Quelle époque !

         La lecture d’un pavé tel que celui qui est photographié deux billets plus bas prend assurément beaucoup de temps – non, je n’écrirai pas qu’elle est ‘‘chronophage’’, quel affreux terme de jargonaute, selon l’expression reprise par Jacques A. Bertrand, papou, dans sa dernière livraison de Les Gens, c’est tous des sales types – beaucoup de temps nocturne, et avouons-le, diurne aussi : près de 800 pages grand format, cent chapitres, et une foule de personnages entre Londres, ‘‘Frisco’’ et, essentiellement, le Suffolk. C’est encore un Trollope - chez Fayard, cette fois - The Way We Live Now, heureusement traduit par Quelle Epoque ! et le roman grouille de personnages. Dans le monde des journaux – c’est par là que l’on entre dans le roman -, dans celui de la jeunesse dorée, dans celui de la campagne et de ses habitants, aristocrates ou paysans attachés aux valeurs de la vieille Angleterre, mais surtout dans le monde de la haute finance où triomphe Augustus Melmotte, pas moins : Augustus à l’impérial prénom, Melmotte, francisation transparente du Melmoth de Maturin, mais surtout, me semble-t-il, clin d’œil au Melmoth Réconcilié de Balzac, qui se situe dans le monde de la finance, et dont le premier personnage est le caissier de Nucingen. Or on trouve aussi, dans Quelle époque !, un personnage d’homme de confiance, Croll, allemand, dont l’auteur transcrit l’accent chuintant, ce qui ne manque pas d’évoquer le parler galimatiesque de Nucingen. Quant à Augustus, il est censé être français, et c’est un homme mystérieux, à l’identité incertaine, qui a parcouru, d’escroquerie en métamorphose, l’Europe et l’Amérique. Sorte de Protée errant, donc, à la parenté littéraire très marquée. Pour qui, comme moi, est totalement imperméable aux mystères de la finance, ce livre déploie avec une pédagogie rare les arcanes et les mystères de la spéculation, et les mécanismes de ce qui, me semble-t-il, s’appelle aujourd’hui une « bulle » spéculative, le mot apparaît à plusieurs reprises dans le texte. Et c’est autour d’actions de la Compagnie des Chemins de fer du Pacifique Centre et Sud des Etats-Unis, exportés à Londres par le bouillant et entreprenant Mr Fisker, dont le sens moral n’est pas la vertu première, que s’enfle et s’auréole de toute-puissance et chancelle la fortune déjà considérable d’Augustus Melmotte, bientôt promu aux plus grands honneurs politiques. Sa fille, la terne et discrète Marie, en devient un enjeu de choix pour les coureurs de dot de tout poil, parmi lesquels l’ignoble baronnet Sir Felix Carbury, magnifique spécimen de crapule sans cœur ni scrupule, au désespoir de sa mère, Lady Carbury, femme de lettres au petit pied mais aux grandes ambitions, qui le vénère, et tente à toute force de lui trouver une épouse fortunée pour sortir la famille de la dèche qui la menace.

Lire la suite...

jeudi, septembre 29 2011

Balzac - Le Réquisitionnaire

Une journée et une nuit de novembre 1793, à Carentan, paisible ville de province sise à l’entrée du Cotentin. La soirée s’ouvre chez Mme de Dey, noble et douce figure de jeune femme devenue l’égérie des hommes de pouvoir dans la ville, dont le maire et l’accusateur public. Habitée par une unique passion, celle de son fils Auguste, jeune émigré auquel la lie une singulière « amitié d’homme à homme », son seul désir est de lui préserver la fortune familiale au-delà des troubles révolutionnaires. Les caquets locaux s’en donnent à cœur joie ce soir-là sur la défection de l’hôtesse les deux jours précédents : malaise ? raison secrète ?

Tandis que s’exacerbe l’angoisse de la mère et que se déploient l’inventivité et la générosité de deux de ses soupirants, un jeune réquisitionnaire fait route, en avant de sa colonne, vers la ville.

Narration très sobre, dialogues enlevés, théâtraux ; tout est suggéré plutôt que dit dans ce bref drame dont la toile de fond tacite est la bataille de Granville, qui verra la déroute de l’armée vendéenne. Dans la lignée d’El Verdugo, voici une autre « étude philosophique », nerveuse, prenante, très réussie.

lundi, juillet 18 2011

Balzac - La Femme abandonnée

Entre Bayeux (1) et Genève, et retour, cette brève nouvelle embrasse en une trentaine (?) de pages (quinze dans mon édition double colonne), dix années, de 1822, début de l’histoire, à 1832, sa fin, qui est aussi l’époque de la rédaction et de la première publication. Dix années où se joue le destin de l’une des plus belles figures de La Comédie Humaine, Claire de Bourgogne, madame de Beauséant, reine du Faubourg Saint Germain retirée et recluse depuis Le Père Goriot et l’abandon du marquis d’Ajuda Pinto au fond de la campagne normande.

Commencée sur un mode plaisamment satirique, cette Scène de la Vie Privée s’ouvre par un très amusant tableau des mœurs fossilisées de la province : le romancier  vient de faire descendre au lecteur les différents échelons de l’aristocratie provinciale, tableau qui se conclut ainsi :

« Puis enfin deux ou trois ecclésiastiques sont reçus dans cette société d'élite, pour leur étole, ou parce qu'ils ont de l'esprit, et que ces nobles personnes, s'ennuyant entre elles, introduisent l'élément bourgeois dans leurs salons, comme un boulanger met de la levure dans sa pâte.

La somme d'intelligence amassée dans toutes ces têtes se compose d'une certaine quantité d'idées anciennes auxquelles se mêlent quelques pensées nouvelles qui se brassent en commun tous les soirs. Semblables à l'eau d'une petite anse, les phrases qui représentent ces idées ont leur flux et reflux quotidien, leur remous perpétuel, exactement pareil : qui en entend aujourd'hui le vide retentissement l'entendra demain, dans un an, toujours. Leurs arrêts immuablement portés sur les choses d'ici-bas forment une science traditionnelle à laquelle il n'est au pouvoir de personne d'ajouter une goutte d'esprit. La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d'habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.

Un étranger est-il admis dans ce cénacle, chacun lui dira, non sans une sorte d'ironie : -- Vous ne trouverez pas ici le brillant de votre monde parisien ! Et chacun condamnera l'existence de ses voisins en cherchant à faire croire qu'il est une exception dans cette société, qu'il a tenté sans succès de la rénover. Mais si, par malheur, l'étranger fortifie par quelque remarque l'opinion que ces gens ont mutuellement d'eux-mêmes, il passe aussitôt pour un homme méchant, sans foi ni loi, pour un Parisien corrompu, comme le sont en général tous les Parisiens. »

            C’est dans ce monde que tombe, pour raisons de santé, le jeune Gaston de Nueil, 23 ans. C’est dans ce monde, où il avait commencé à s’endormir qu’il va d’abord rêver à, puis rencontrer la blonde et royale recluse, qu’il saura suivre jusqu’à Genève.

Quelque intuition bienvenue m’a fait lire la préface après la nouvelle, sans quoi j’en eusse connu trop tôt le dénouement. C’est un texte magnifique, ponctué de longues lettres, qui, chacune à son tour, expriment en quelque sorte l’âme des deux amants, tout en jouant leur rôle dramatique dans l’intrigue. Texte bref, sobre, sans gras. Portrait déchirant - et classique - d'une amante, et d'une femme libre.


(1) : C'est à Bayeux, je m'en avise, lieu donc peu propice au bonheur, que le malheureux Roger de Granville courtise et épouse son amie d'enfance Angélique Bontemps, devenue une indécrottable bigote. Roger et Angélique, comme dans Le Tasse. Mariage malheureux évoqué dans Une Double famille.

samedi, juillet 16 2011

Balzac - La Vieille Fille

Je sais désormais – question posée il y a plus d’un an – pourquoi Du Croisier ne pouvait pas avoir d’enfant. C’était dans Le Cabinet des Antiques, et « toute la ville le s[av]ait ». La ville, restée anonyme dans L C d A, c’est Alençon, clairement nommée et décrite dans La Vieille Fille, que je viens de terminer. On y retrouve Du Croisier, ou plutôt on l’y trouve, puisque l’épisode est antérieur, mais sous le nom de Du Bousquier. Et toute l’intrigue tourne autour du mariage de la riche et prospère, et assez sottement naïve, et vieillissante et plantureuse – ô combien ! -  mademoiselle Cormon (Rose-Marie-Victoire). Qui l’emportera du chevalier de Valois, coquet vieillard très Ancien Régime, du tartuffe républicain du Bousquier, ou d’Athanase Granson, le jeune homme à l’ironique prénom et aux rêves impossibles ? Qui l’emportera de l’Ancien Régime ou du monde neuf, ou de l’artiste étouffé dans l’œuf par la province étriquée qui l’a vu naître ? Car l’intrigue sentimentale (si peu - et si terriblement charnelle, à mots couverts) se double d’une intrigue férocement politique, et l’issue sardonique de ces manigances intéressées laissera derrière elle quelques cadavres, dont celui de la fidèle jument Pénélope (!). Autre « étude de femme », et Scène de la Vie de Province.

Drôle de bouquin. Encore un bref roman ou une longue nouvelle, dont la particularité est d’avoir été le tout premier « roman feuilleton », publié dans La Presse, d’Emile de Girardin (23 octobre – 4 novembre 1836, puis en volume en 1837, 39, et enfin, en 1844, intégré à La Comédie Humaine). On a du mal à imaginer qu’il ait fait vendre le journal, tant l’intrigue y est statique, souterraine, à demi-mot. Rien à voir avec un roman d’aventures, comme on imagine ordinairement les romans feuilletons. L’héroïne y apparaît au bout d’une bonne vingtaine de pages, qui ont servi à poser les trois rivaux et leurs intrigues, et la comparaison avec la spirituelle Suzanne, future « du Val-Noble », charmante grisette dont les manœuvres du premier chapitre vont retentir sur toute la suite de l’histoire et qui s’esquive alors à Paris, terrain de ses débuts dans la vie, la comparaison avec Suzanne donc n’est certes pas à son avantage.

Je n’en dirai pas plus. Il est formellement déconseillé d’entrer en Balzac par ce roman, qui affermirait sa réputation (très surfaite) d’auteur ennuyeux. Je poserai seulement, aux amateurs de contrepets, une question : voient-ils dans le patronyme de la vieille fille le même contrepet, si tristement expressif, que moi ? Et est-ce mon esprit mal tourné ou l’abus de ce sport qui me fait l’y voir, ou bien Balzac, lecteur de Rabelais et amateur de jeux de mots en tous genres, l’a-t-il attribué à dessein à son héroïne ? La question est ouverte.

jeudi, juillet 14 2011

Balzac - La Muse du département

Ça  y est, j’ai enfin lu La Muse du département, depuis le temps que je voulais le faire. Très étrange « novella », bref roman, pourtant plein de longueurs mais aussi de surprises et de drôlerie. C’est en somme une variété de vaudeville, où le ménage à trois, tardif, se prélude et se prolonge en éclaboussant de nombreux personnages, provinciaux et parisiens. Il y a dans cette centaine de pages la matière de scènes de la vie de province, de la vie privée, de la vie parisienne, et Balzac a dû bien s’amuser à l’écrire.

L’héroïne, Dinah Piedefer, amie de pensionnat d’Anna Grossetête ^^(épouse de Fontaine), huguenote convertie par calcul – et par influence maternelle - au catholicisme, y devient en la bonne ville de Sancerre célèbre par ses vins la jeune et brillante épouse d’un petit avorton avare mais ambitieux, Polydore de La Baudraye, je ne résiste pas au plaisir de citer le portrait de l’époux :

« Monsieur de La Baudraye dont les jambes étaient si grêles qu'il mettait par décence de faux mollets, dont les cuisses ressemblaient au bras d'un homme bien constitué, dont le torse figurait assez bien le corps d'un hanneton, eût été pour le bailli de Ferrette une flatterie perpétuelle. En marchant, le petit vigneron retournait souvent ses mollets sur le tibia, tant il en faisait peu mystère, et remerciait ceux qui l'avertissaient de ce léger contre-sens. Il conserva les culottes courtes, les bas de soie noirs et le gilet blanc jusqu'en 1824. Après son mariage, il porta des pantalons bleus et des bottes à talons, ce qui fit dire à tout Sancerre qu'il s'était donné deux pouces pour atteindre au menton de sa femme. On lui vit pendant dix ans la même petite redingote vert-bouteille à grands boutons de métal blancs, et une cravate noire qui faisait ressortir sa figure froide et chafouine, éclairée par des yeux d'un gris bleu, fins et calmes comme des yeux de chat. Doux comme tous les gens qui suivent un plan de conduite, il paraissait rendre sa femme très-heureuse en ayant l'air de ne jamais la contrarier, il lui laissait la parole, et se contentait d'agir avec la lenteur mais avec la ténacité d'un insecte ».

Dinah, variété locale de femme de tête et de lettres touchée par l’aile du « sandisme », selon le terme même forgé par Balzac qui consacre un chapitre au phénomène, jeune fille belle, intelligente et ambitieuse que son intelligence et son appétit de savoir font tourner dans l’étroite société de province au bas-bleu ridicule, à la « serinette », à la « tabatière suisse » musicale, Dinah, flanquée d’abord d’un brave curé qui lui tient lieu de mentor, puis de soupirants nombreux mais sans charme sinon sans constance, Dinah donc finit, après neuf années à sécher sur pied dans un univers qui l’étouffe et l’étiole, par succomber au charme fabriqué d’Etienne Lousteau que l’approche de la quarantaine met en quête d’élévation sociale et qui se laisse prendre, bon gré mal gré, à Sancerre, puis à Paris, par les charmes physiques et pratiques de la jeune femme devenue, dans l’intimité, Didine.

Lire la suite...

jeudi, juillet 7 2011

Une petite merveille éditée par la maison de Balzac

Avant de partir, et puisqu'il convient de ranger un poil, il faut que je montre aux éventuels amateurs, ne fût-ce que fragmentairement, cette absolue merveille qu'est la Généalogie de La Comédie Humaine. Réalisé à partir de la proposition, considérablement amendée, d'un balzacophile amateur, Philippe Denizot, par Anne-Marie Meininger (tout est expliqué dans le rabat), ce vaste dépliant est un voyage plein de merveilles dans les liens familiaux et adultères de l'œuvre. C'est intellectuellement très excitant, c'est beau pour l'œil, moi, ça me délecte.

Lire la suite...

lundi, juillet 19 2010

La littérature envisagée du point de vue des fleurs

Je n’ai jamais compris – ou disons, interprété – le fait que ce soit un bouquet de ces modestes fleurettes, de talus et de caillasse, que Balzac ait fait cueillir à Lucien de Rubempré en route pour son suicide, au moment où il se jette dans un champ pour éviter de rencontrer la diligence d’Angoulême. Il en ressortira son bouquet à la main, pour foudroyer, tel un nouveau dieu de l’hymen, l’abbé Carlos Herrera, réincarnation espagnole et infernale de Vautrin, descendu quant à lui de sa voiture pour l’alléger avant la côte. Quasi rapt du jeune suicidaire, consentant, puis pacte avec le diable : Lucien vend à Vautrin, pour la gloire et la fortune, son âme ... et son corps. Chose qui apparaît plus explicitement dans la version Furne corrigée (la dernière de la main de Balzac, non publiée avant sa mort) que dans la Furne, reconnue comme seule version de référence sur le site de la maison de Balzac, jugez-en ci-dessous.

Quoi qu’il en soit, il s’agit du sedum, dont on trouve une version d’un jaune plus orangé, mais pas sur les talus du Tarn où je les ai photographiés, et où ils poussent en foule. Du sedum, pour un Chardon, autre fleur de caillasses.

Lire la suite...

dimanche, juin 6 2010

Balzac, un petit coup de revenez-y

Le blogue « Lire à Vouvray » dont j’ai plusieurs reprises fait l’éloge (il faudrait tout de même que j’apprenne à faire un lien cliquable !) publie un intéressant article de synthèse sur les noms de Gaudissart (l'illustre) et de Margaritis (le fou), avec des références bibliographiques très alléchantes (quand aurai-je le temps de lire ???). En attendant que revienne cet heureux temps et avec lui, des chroniques de lecture dignes de ce nom, allez donc faire un tour par chez les Vouvrillons  !
http://bibliotheque-vouvray.over-bl...

Merci à Bernard Cassaigne !
6 JUILLET : ça y est, je sais faire les liens cliquables, comme en témoigne le lien ci-dessus !!!!


mercredi, mai 12 2010

Recherche, suite

Contrairement à ce qu'un lecteur naïf pourrait croire, et même si les choses s'améliorent, le moteur de recherche ne marche toujours pas(1) : si je tape Harper Lee (auteur du génial Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur chroniqué l'année de l'ouverture du blog), la recherche ne donne rien. Or il y a un billet, du 7 août 2007. Et si je tape Balzac, il y a HUIT réponses, alors qu'il doit y avoir au moins vingt billets. Las, je n'ai pas le temps de chercher le pourquoi du comment, mais tout ceci est fort irritant, d'autant plus que je n'ai pas lu une ligne de roman depuis quelques lustres... Tant pis. Le joli mai s'ouvre maussade.

(1) : Le problème, comme en témoignent les liens, a depuis été résolu...

vendredi, février 19 2010

Une Fille d’Eve, donc.

 

 

C’est une longue nouvelle, ou un bref roman, riche, magistralement composé, et, dans la chronologie de la Comédie Humaine, c’est une des œuvres tardives. Non pas l’une des plus tardivement écrites – elle date de 1838 -, mais l’une de celles qui se déroulent après la révolution de Juillet, quand l’ordre social et politique élaboré par la Restauration s’est effondré. On y voit mourir de Marsay, dont Nathan prononce doublement – en privé, puis en public dans les colonnes de son journal – l’oraison funèbre.

On est donc en 1833-34, et la jeune Marie-Angélique de Vandenesse née Granville y fait en quelque sorte son éducation sentimentale. Le lecteur connaît, par Une Double famille, l’éducation sinistrement bigote qui a été celle des deux filles de Mme de Granville à laquelle leur père, le magistrat austère et intègre, les a abandonnées, se réservant celle de leurs deux frères. Les deux jeunes Marie, Marie-Angélique et Marie-Eugénie, ont donc poussé comme deux fleurs étiolées, avec pour seule joie leurs cours de musique, dispensés par l’excellent Schmucke, futur héros du Cousin Pons, dont l’antre sis à l’angle du Quai Conti et de la rue de Nevers fait l’objet d’une très savoureuse – voire odorante – description vers la fin de la nouvelle. Bref, pour échapper à l’emprise mortifère de leur mère, les deux sœurs, tendrement liées l’une à l’autre, se sont mariées jeunes. La cadette avec le banquier du Tillet, le complice de Nucingen, qui n’a rien d’un paladin ni d’un sentimental, l’aînée avec Félix de Vandenesse, « jeune vieillard'» sceptique et tendre, qui s’est fait, outre le mari, le mentor de sa femme dans les méandres du monde. Félix de Vandenesse est le héros du Lys dans la vallée, mais il a connu, depuis sa jeunesse ardente et romantique, des liaisons qui l’ont désillusionné, et son mariage sans nuages avec une jeune femme devenue une des reines de la bonne société leur vaut à tous deux l’inimitié sourde et néanmoins active de quelques grandes dames - sœur et belle-sœur : la marquise de Listomère (objet de l’Étude de Femme contée par Bianchon et que j’ai tant prisée), Emilie de Kergarouët née de Fontaine (l’héroïne du Bal de Sceaux), qui a épousé Charles de Vandenesse, mais aussi d'ex-maîtresses et autres venimeuses « bonnes mauvaises » reines du Faubourg Saint Germain comme l’inévitable madame d’Espard, Lady Dudley ou Natalie de Manerville (à qui s’adressait la très longue lettre autobiographique qu’est en fait Le Lys dans la vallée). Les barrières sociales qui régissaient strictement le monde avant 1830 ayant cédé, Marie, involontairement ennuyée par son bonheur uniforme et piquée par la curiosité, va pouvoir rencontrer chez madame de Montcornet puis chez la complaisante madame d’Espard le ténébreux bohème Raoul Nathan, dramaturge, critique, journaliste, compagnon de l’actrice Florine, soudain saisi par le démon de l’ambition politique et le rêve d’un amour pur. La romance s’amorce, accompagnée d’un chœur de commentaires, dans les salons comme dans les sphères du journalisme, de la finance et de la politique.

Lire la suite...

jeudi, février 18 2010

La Vendetta - Histoire corse en plein Paris

Une de ces nouvelles assez brèves que l’on peut trouver en édition séparée. Le début en est très réussi.

Première scène, en forme de prologue. En 1800, le premier consul accorde son silence et de quoi vivre à son ami Bartolomeo di Piombo, venu à Paris sans un sou après avoir exterminé par vendetta les sept membres de la famille rivale des Porta. Avec lui, sa femme et sa petite fille de neuf ou dix ans.

Scène II : quinze ans plus tard, dans l’atelier du peintre Servin, qui tient une école de peinture pour les jeunes filles de la bonne société. Deux clans s’y affrontent à bas bruit : les ultras, entraînées par une de nos connaissances, alors toute jeune, Amélie Thirion, fille d’un huissier de Louis XVIII et future épouse intrigante du juge Camusot, et les libérales, issues de milieux plus roturiers. Parmi elles, hautaine, lointaine et génialement douée, Ginevra di Piombo, devenue une très belle jeune femme. Le tableau de cette ruche de jeunes artistes est particulièrement vivant et expressif : portraits, scènes de genre, Balzac peintre s’y est surpassé. Mais voilà que Ginevra, bientôt démasquée par la malveillante Amélie, a découvert que son maître cachait un proscrit (l’action se déroule juste après les cent jours), très beau jeune homme dont elle s’éprend.
Scène III : La présentation aux parents. C’est là que l’on entre dans la tragédie, ou le mélodrame, c’est selon. Le père, qui voue à sa fille, élevée dans la plus grande indépendance, un amour excessif, exclusif et presque incestueux, reçoit très mal le jeune homme, d’autant plus mal que… je n’en dirai pas plus. La suite, et la fin, sont terriblement mélodramatiques. Beaucoup moins efficaces, dans le genre corse, que le Mateo Falcone de Mérimée, antérieur d’une année (1829), suffocante histoire d’honneur dont j’ai pu, à maintes reprises, tester l’effet – intact - sur des jeunes gens d’aujourd’hui. La Vendetta est une histoire macabre, excessive, romantique en diable. C’est aussi une de celles (1830), qui marquent l’entrée de la couleur locale corse, et de son lexique (vendetta, maquis) dans la langue française. Mais si Ginevra di Piombo est au début de la nouvelle une intéressante figure de jeune femme libre, elle perd dans le malheur et le pathos une partie de son génie et de son style.

mercredi, février 17 2010

Du côté de chez ... Wann

La conservatrice de la bibliothèque d’Amiens (merci à elle) et la collection des Lettres de Picardie aux Editions du Trotteur Ailé sises à Cuise-la-Motte m’ont offert l’occasion de lire Wann-Chlore, roman de jeunesse publié en 1825 par Horace de Saint-Aubin, futur Honoré de Balzac. Horace est l’un des prénoms-hétéronymes de prédilection de Balzac, qui l’a accordé à l’un de ses doubles favoris, le médecin Horace Bianchon, chez qui l’on retrouve ses initiales et cette « blancheur » (aristocratique ?) qui assure le lien entre différentes projections de l’auteur (Bianchon – Saint-Aubin < ''albinus''). C’est encore un Horace que le héros de cet abondant roman tout nimbé de blancheur : celle des deux jeunes filles puis jeunes femmes qui l’encadrent telles deux caryatides : Wann-Chlore ou Chlora ainsi nommée dès sa naissance (arrachée aux entrailles de sa mère morte) à cause de sa pâleur, et Eugénie d’Arneuse sur qui s’ouvre le roman dans le bourg de Chambly (Oise, d’où les Lettres picardes).

Le titre, il faut l’avouer, sonne étrangement de nos jours. Entendre un beau jeune homme se pâmer en évoquant le souvenir d’une infidèle au nom de molécule verdâtre prête à sourire (j’ai vérifié : découverte en 1774, elle a reçu son nom définitif en 1809, en plein déroulement de l’action du roman). Quant au préfixe, il évoque à la fois l’é-van-escence et peut-être aussi le cygne ? Évanescentes, elles le sont, ces deux anges aimées d’Horace, aussi pâles que les créatures atalesques ou ossianiques de Girodet, l’une blonde, l’autre brune, l’une pianiste, l’autre – la fille du barde - harpiste. Toutes deux sublimes.


Ossian recevant les ombres des généraux français dans ses palais aériens (1801) - pas moins - au Musée Girodet de Montargis.
(L'atmosphère y est, Horace est justement un officier des armées napoléoniennes.)

Lire la suite...

lundi, février 15 2010

La Fausse Maîtresse

Quelle étrange histoire que celle de La Fausse Maîtresse !

Clémentine du Rouvre, devenue par son mariage avec le souffreteux mais aristocratique Mitgislas Laginski Comtesse Laginska, a voyagé avec son mari en Italie et en Europe. Rentrée à Paris dans son charmant hôtel particulier décoré selon le dernier cri de la mode Louis-Philipparde rue de la pépinière, elle découvre un mystère dans sa propre vie : l’alter ego silencieux et discret de son mari, son « ami à la vie à la mort », le beau et pauvre comte – à Paris capitaine - Paz (Paç, précise Balzac), polonais d’origine florentine, intendant et factotum par reconnaissance. Entre ces deux-là, Clémentine et Paz, se dessine une étrange relation qui n’échappe pas aux regards aigus du père et de la tante de la jeune femme (madame de Sérisy, qui aima à la passion Lucien de Rubempré). D’où Malaga.
Vous saurez en lisant comment c’est Paz (« fou » en italien, quand même) qui a lancé Malaga (Marguerite Turquet, la Malaga, maîtresse du notaire Cardot, chez qui l’on fume le cigare en contant des histoires dans Un Homme d’affaires, voir ici-même début janvier). C’est une Scène de la Vie Privée, publiée en 1842, qui abonde en petites scènes de la vie publique et privée des années 1830, croquées sur le vif. C’est une histoire très romanesque. En une époque bourgeoise, une histoire d’amour fou, chevaleresque et mystérieux. Une histoire de Polonais aux passions italiennes. À peine croyable, tellement moyenâgeuse de sentiment, mais si bien contée qu’il serait vraiment dommage de ne pas la lire. Moi, je me suis régalée.

mercredi, février 10 2010

Modeste Mignon

Oui je sais, j’avais dit que je parlerais d'abord de Modeste Mignon. Mais j’ai lu Une Double famille sur ses talons, et l’impression en était si vivace que je l’ai évoqué tout de suite.
Alors Modeste. Vaste roman. C’est une jeune fille, au patronyme charmant et au nom trompeur. Car elle est d’origine aristocratique : son père, issu de la noble famille provençale de La Bastie (de la Basti–e! avé l’accent^^) a fait, sur les ruines de sa famille, carrière sans états d’âme dans les armées révolutionnaires puis dans la Grande Armée. Officier, négociant richissime puis ruiné au Havre où se déroule l’action, il est absent pendant les trois-quarts du texte : parti en Orient renflouer sa fortune, il a laissé ses filles à la garde de la douce Bettina, fille du baron Wallenrod-Tustall-Barstenstild, banquier, épousée par amour au détour d’une campagne de Prusse, et de deux familles d’amis chers et fidèles : les Latournelle - Madame, physique de momie, « taille de tambour-major », âme de rosière, Monsieur, qui avait su en reconnaître « les grandes qualités » et l’« épouser à l’âge anti-matrimonial de trente-trois ans », leur fils Exupère – et les Dumay – un breton et alter ego de Mignon dans les soubresauts de l’Histoire, son associé, Anne de son prénom, et Madame, ramenée d’Amérique. Ces deux-là, faute d’enfants, ont cristallisé tout leur amour sur les filles Mignon. J’allais oublier le premier clerc de Latournelle, le bossu Butscha, « ver de terre amoureux d’une étoile », perspicace, spirituel, sardonique ange gardien autoproclamé de la belle, sans mandat paternel.

Hélas, quand le roman démarre, alors que Mignon père a quitté sa famille depuis trois longues années, l’aînée, Bettina-Caroline (Goethe, que je n’ai pas relu, est sourdement présent en filigrane de tout le roman) séduite et abandonnée par l’infâme Georges d’Estourny, a rendu l’âme, en laissant à sa sœur un anneau gravé de l’avertissement suivant : « Pense à Bettina ». Car les deux filles ont hérité de leur père un sacré carafon, et l’âme aventureuse.

Lire la suite...

mardi, février 9 2010

Une Double famille

Outch ! je sors d’Une Double Famille. Longue nouvelle en deux volets et une conclusion. D’où l’on émerge peu enclin(e) à la philanthropie. Au centre un magistrat, M. Roger de Granville, au fil d’une carrière brillamment conduite sous l’Empire, puis sous la Restauration, et d’une vie personnelle vouée au naufrage intérieur, pour avoir épousé, par naïveté, par légèreté ? dans son Bayeux natal une dévote, fille d’un jacobin sanguinaire et d’une mère confite en religion. Comment la seconde vie, heureuse – celle qui ouvre le premier volet de la nouvelle – qu’il avait entrepris de construire avec sa famille idéale quoique clandestine, a-t-elle chaviré après l’intervention fielleuse de l’abbé Fontanon, inquiétante figure de tartuffe provincial incrusté à Paris ?

La nouvelle ne le dit pas. Elle passe bien des choses sous silence, mais le tableau de la vie conjugale en compagnie d’une bigote est un avertissement assené à quiconque pourrait en éprouver la tentation, et résonne de façon terriblement actuelle car on trouve encore chez les dévots d’aujourd’hui, qui ne sont plus seulement papistes, la même attitude mortifère face à la vie dans sa richesse et sa liberté.

La suite de l’histoire se trouve entre autres dans une jolie « novella » que je n’ai pas encore relue : Une Fille d’Ève, dont l’héroïne est l’une des filles de M. de Granville, Marie-Angélique (Angélique comme sa mère), mariée à Félix de Vandenesse (l’ex-jeune homme du Lys dans la vallée) et confrontée aux dangers de la vie mondaine, et aux séductions romanesques d’un amour bohème pour le critique Nathan. Comme un pied-de-nez, une génération plus tard, à l’éducation déplorable de la mère, au sombre couple des parents.
Revenons à Une Double famille. Encore un de ces textes nerveux, efficaces, sardoniques, malgré, dans l'épilogue, une touche de mélo. Du grand Balzac.

lundi, février 8 2010

Balzac - un peu de recul, quelques éclaircissements

Peut-être faudrait-il que je revienne sur un certain nombre d’éléments mentionnés dans les derniers billets à Balzac consacrés, sachant que ma monomanie n’est pas arrivée à son terme – et que pour l’heure, je n’en suis qu’au tome I de mes sept volumes. J’espère de tout cœur susciter des vocations de lecteurs de Balzac, et entamer quelque peu sa réputation d’interminable descripteur, pas toujours usurpée, certes (voir La Grenadière), mais largement surévaluée. De même que celle d’auteur d’ouvrages académiques, d’une littérature sclérosée en quelque sorte, alors que c’est l’un des créateurs – de formes aussi – les plus féconds du XIXe.
Parlons d’abord de La Comédie Humaine. Le projet en est conçu dès les premières années 30. Il s’agit d’un très vaste édifice, une sorte de palais ? qui aurait un rez-de-chaussée et deux étages. Le rez-de-chaussée, la plus vaste partie de l’édifice, est constitué des « Études de mœurs ». Au-dessus, les « Études philosophiques », qui rassemblent les récits dans lesquels une idée « plus forte que la matière » est à l’œuvre, enfin, couronnant la pyramide, car le nombre des titres se raréfie au fur et à mesure que l’on escalade l’œuvre, les « Études analytiques », qui donnent de façon beaucoup moins romanesque, plus théorique et plus désincarnée en quelque sorte, une vision des « principes » de telle institution (« Physiologie du mariage ») ou de tel corps social (« Anatomie des corps enseignants », restée à l’état de projet).

Revenons donc aux Études de mœurs, les seules à être à nouveau subdivisées en « scènes », rubrique qui, après le titre global, dit l’influence du théâtre sur la conception de l’œuvre. Il y en a six catégories : les scènes de la vie privée, de la vie de province, de la vie parisienne, de la vie politique, de la vie militaire, de la vie de campagne. Au cœur du dispositif, la trilogie dite « de Vautrin », sulfureux et polymorphe personnage de bagnard échappé, et l’une des figures majeures, - cela donne à réfléchir – de l’ensemble. Vautrin apparaît dans :

- Une scène de la vie privée : première « incarnation » dans Le Père Goriot où il est l’un des initiateurs de Rastignac dans sa découverte des arcanes de la société.
- Une scène de la vie de province : Illusions Perdues, où, devenu le fascinant Abbé Carlos Herrera, il apparaît à la toute fin de ce vaste roman, pour sauver et « racheter » Lucien de Rubempré du suicide.
- Enfin, une scène de la vie parisienne : Splendeurs et Misères des Courtisanes, énorme et grouillant roman noir qui mène le tandem Herrera – Rubempré au terme de leurs quêtes respectives de puissance occulte et d’identité.

Lire la suite...

dimanche, février 7 2010

Balzac, suite... Albert Savarus

Disons-le tout de suite, le plus gros défaut de ce roman est que la nouvelle enchâssée est trop longue ! on y perd, à lire par-dessus l’épaule de Rosalie les tribulations sentimentales de « L’Ambitieux par amour », l’atmosphère feutrée de mesquineries et de méchancetés provinciales qui fait tout le charme grinçant des premiers chapitres d’Albert Savarus, car les titres des chapitres figurent dans mon édition du « Furne corrigé », et c’est bien agréable. Il y a donc dans le très aristocratique et bisontin Hôtel de Rupt une mère, encore jeune et dévote, la blonde et sèche Mme de Watteville, son vieux mari décati et entiché de tournage sur bois, et leur fille Rosalie, dix-sept ans, visage de sainte allemande période archaïque, élevée dans une parfaite ignorance, ce qui ne l’empêchera nullement de cristalliser d’intenses aspirations romanesques sur la personne de leur voisin, l’avocat parisien Albert Savarus de Savaron, dès son succès dans le procès qui a opposé l’archevêché de Besançon à la municipalité libérale. Je m’aperçois à lire les Scènes de la Vie privée dans l’ordre de leur publication dans l’édition Furne que les premières œuvres de La Comédie Humaine présentent nombre de figures de jeunes filles « modernes », habitées par une sorte de violente liberté et le désir impérieux, qu’elles soient ou non dévoreuses de romans, de fonder leur vie d’épouses sur le grand amour, pour le meilleur et pour le pire.

Lire la suite...

dimanche, janvier 31 2010

La Messe de l'athée

C’est l’une des plus belles nouvelles de Balzac, selon moi. Intrigante, dès son titre – qui offre en outre à l’amateur un riche vivier de contrepets possibles et néanmoins honnêtes : la masse de l’étai, la tasse de l’aimé, les tasses de la mée… :-( - provocant, paradoxal, comme l’histoire qu’elle conte. Le héros en est Desplein, le grand chirurgien et maître de Bianchon, lequel joue d’ailleurs dans cette histoire le double rôle d’enquêteur et d’inquisiteur. Entre 1823 et 1830, le jeune médecin observe trois fois son maître, athée militant devant l’éternel, se coulant dans l’église Saint Sulpice pour s’y abîmer devant l’autel de la Vierge, lisez plutôt :

« Un jour, en traversant la place Saint-Sulpice, Bianchon aperçut son maître entrant dans l'église vers neuf heures du matin. Desplein, qui ne faisait jamais alors un pas sans son cabriolet, était à pied, et se coulait par la porte de la rue du Petit-Lion, comme s'il fût entré dans une maison suspecte. Naturellement pris de curiosité, l'interne qui connaissait les opinions de son maître, et qui était Cabaniste en dyable par un y grec (ce qui semble dans Rabelais une supériorité de diablerie), Bianchon se glissa dans Saint-Sulpice, et ne fut pas médiocrement étonné de voir le grand Desplein, cet athée sans pitié pour les anges qui n'offrent point prise aux bistouris, et ne peuvent avoir ni fistules ni gastrites, enfin, cet intrépide "dériseur", humblement agenouillé, et où ?... à la chapelle de la Vierge devant laquelle il écouta une messe, donna pour les frais du culte, donna pour les pauvres, en restant sérieux comme s'il se fût agi d'une opération.
- Il ne venait, certes, pas éclaircir des questions relatives à l'accouchement de la Vierge, disait Bianchon dont l'étonnement fut sans bornes. Si je l'avais vu tenant, à la Fête-Dieu, un des cordons du dais, il n'y aurait eu qu'à rire ; mais à cette heure, seul, sans témoins, il y a, certes, de quoi faire penser ! »

C’est une réflexion, hardiment menée, sans graisse ni temps morts, sur la singularité ou l’universalité du génie, sur la bonté et la reconnaissance. Le personnage singulier et excentrique de Desplein a été inspiré par Dupuytren (Dupuy, dans une première version du texte), d’où sans doute la présence dans la nouvelle des porteurs d’eau auvergnats, objets d’une bienfaisance particulière de la part du chirurgien (la maladie dite de Dupuytren, dont il n’est pas question ici, affectait particulièrement les porteurs d’eau). Sommé par son disciple et ami Bianchon de s’expliquer, Desplein conte un épisode fondateur de sa jeunesse misérable.

« Enfin, à sept ans de distance, après la révolution de 1830, (…) quand l'Incrédulité, côte à côte avec l'Emeute, se carrait dans les rues, Bianchon surprit Desplein entrant encore dans Saint-Sulpice. Le docteur l'y suivit, se mit près de lui, sans que son ami lui fît le moindre signe ou témoignât la moindre surprise. Tous deux entendirent la messe de fondation.
- Me direz-vous, mon cher, dit Bianchon à Desplein quand ils sortirent de l'église, la raison de votre capucinade ? Je vous ai déjà surpris trois fois allant à la messe, vous ! Vous me ferez raison de ce mystère, et m'expliquerez ce désaccord flagrant entre vos opinions et votre conduite. Vous ne croyez pas en Dieu, et vous allez à la messe ! Mon cher maître, vous êtes tenu de me répondre. »

Quant à moi, je ne vous en dirai pas plus. Allez-y voir. En un douzaine de pages, les deux médecins et le porteur d’eau Bourgeat ressuscité par le récit de son protégé d’autrefois (et par la transcription de l'accent auvergnat... Ah, Balzac et les accents !) acquièrent bien plus d’humanité et d’épaisseur que le falot Victurnien d’Esgrignon dans un roman entier. C’est une belle histoire à la chute sibylline, pas si éloignée dans ce qu’elle suggère du propos de L’Envers de l’Histoire contemporaine.

Scène de la vie privée, au demeurant, après avoir beaucoup voyagé dans le lacis de l’œuvre.

samedi, janvier 30 2010

Le Cabinet des Antiques

Le Cabinet des Antiques, c’est un titre incisif, accordé à une noblesse fossilisée dans des principes et des idées d’un autre âge. C’est Diane de Maufrigneuse à vingt-six ans, vaporeuse et lunaire figure d’« ange », dangereuse croqueuse de millions, en sa liaison avec le produit splendide et veule de ce cabinet provincial, Victurnien d’Esgrignon. C’est un court roman, de ces romans d’idées où Balzac interdit dès l’ouverture au lecteur toute aspiration au « romanesque » : une dizaine de pages de considérations historico-généalogico-sociologiques pour brosser avec précision le contexte dans lequel se consommera la ruine domestique et morale d’une des plus anciennes, des plus aristocratiques, des plus légitimistes - et des plus aveugles familles de France. Le contraire du Comte de Fontaine.

Il y a donc trois vieillards : le Comte et sa sœur, la noble et poétique mademoiselle Armande, tante-mère de l’orphelin Victurnien, et le vieux notaire Chesnel, dont le patronyme dit la fidélité inébranlable à ceux qui furent ses maîtres et ne seront jamais ses clients. C’est la province, les luttes de position et les haines sociales s’y enracinent dans un riche terreau. On a envoyé le jeune héritier jeter sa gourme à Paris, et c’est entre Paris et la province que se jouera le destin du personnage auquel ni sa beauté, ni sa vanité, ni ses aventures ne confèrent véritablement de chair. Victurnien est un type, un avatar de tous les jeunes gens de province jetés dans le monde parisien, une sorte de sous-Lucien-de-Rubempré sans la faille roturière, un dandy et même un lion, un homme spirituel et séduisant, mais trop cristallisé dans un nom et une origine pour que l’on puisse en quelque manière s’y attacher.

Lire la suite...

mercredi, janvier 27 2010

La Grenadière

Je n’ai pas raffolé de La Grenadière, nouvelle écrite en une journée dans les intervalles d’une partie de billard, selon le témoignage de l'amie angoumoise de Balzac, Zulma Carraud. Balzac quant à lui a prétendu l’avoir rédigée en une nuit, ce qui correspond à l’atmosphère crépusculaire de ce texte où meurt lentement une grande dame solitaire sous le regard de ses deux enfants adultérins et adorés. Dans la splendeur de la vallée de la Loire aux environs de Tours, la Grenadière, charmante maison perchée sur les contreforts du fleuve, est une sorte de paradis terrestre, objet d’ une évocation lyrique de la part du narrateur.

Mais l’intrigue est trop mince et trop allusive me semble-t-il pour soutenir l’intérêt, et puis je n’ai jamais vraiment aimé ce Marie-Gaston au nom étrangement féminin qui sera l’évanescent second mari de l’ardente Louise de Chaulieu des Mémoires de deux jeunes mariées.

C’est donc un texte bizarre, et qui relève un peu, comment dire, de la méthode Coué ? Les rares événements surgissent tout à coup au détour d’une phrase, comme accomplis par leur simple mention, sans que rien n’ait semblé les annoncer auparavant, ainsi des progrès scolaires de l’aîné Louis-Gaston ou de ses relations dans la marine, ou de la subite détérioration de la santé de la belle Mme Augusta Willemsens. C’est étrange, inconfortable, on se dit, « tiens, j’ai loupé ça » ? ou « cinq mois seulement ? J’avais l’impression d’y être depuis des lustres ! ».

Plutôt qu’une nouvelle, ce texte est presque une élégie en prose. Il en a le décor agreste, l’éloge d’une nature féconde et proche de l’âge d’or, et la figure féminine centrale. On se croirait dans Tibulle, malgré les enfants, encore que l’aîné entretienne avec sa mère une relation quasi amoureuse sinon conjugale. On ne saura rien de la faute de Mme W, ni de celle de son mari, Lord Brandon, à qui elle pardonne, quoi ? et le reste de la Comédie Humaine, me dit ma préface, n’est guère plus explicite. Comme si le ressort de la nouvelle n’était pas dans l’œuvre, comme s’il s’y accomplissait quelque chose d’autre que ce qui est narré ? L’union d’un fils aimé et de sa mère coupable ? laquelle les voue, à terme, tous trois à la disparition : Augusta meurt à la fin du texte, Louis dans Les Mémoires de deux jeunes mariées, et Marie risque de ne pas faire long feu après la disparition de son épouse à la fin du roman.
Aussi bien, les personnages m’ont laissée indifférente. Seul m’a touchée l’amour de la maison, où Balzac séjourna avec Mme de Berny, sa première maîtresse et initiatrice, la dilecta, et qu'il envisagea d'acheter. Élégie en prose sur l'automne d'une femme et d'une passion ?

- page 1 de 2