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mardi, février 19 2013

Philippe Le Guay - Alceste à bicyclette

Ça y est.  Je suis allée voir Alceste à bicyclette, au MK2 Bastille, une petite salle avec sortie sur la rue, on ne voit plus ça, en province... Il y a eu une avalanche de bandes-annonces, telle qu’on en perd aussitôt le souvenir et le désir de voir les films. Mais pas de pubs. La salle était modérément occupée, avec à l’ouest des rangées centrales une femme qui, au cours de la projection, protestait bruyamment à chaque éclat de rire !!! – C’est une comédie, madame...

Je me suis régalée pendant les 8/10èmes du film. Les visages et les silhouettes des deux acteurs, puis de l’actrice sont filmés avec amour, et même le petit rôle de Zoé, la jeune actrice de porno, est transfiguré par sa lecture, d’abord hésitante, puis affermie, du texte de Molière.

Mais la jubilation vient du texte. Le Misanthrope, acte I, scène 1, dit, répété, modulé, ressassé, distillé, sur tous les tons, dans toutes les postures, dedans, dehors, sur fond de planches bleu délavé ou de vieux murs, de jardin ou de plage, à pied ou à bicyclette.... une incantation du texte, qui court dans les veines jusqu’à l’enchantement, celui des comédiens, celui du spectateur. La danse des alexandrins, l’allégresse de la misanthropie.

Gauthier Valence (Lambert Wilson), à la télévision le docteur Morange (!) est venu débusquer de sa retraite de l’île de Ré son ami Serge Tanneur, comédien en rupture de ban, retiré dans la vieille maison léguée par son oncle, où refoule une fosse septique défaillante. Un misanthrope déjà retiré en son désert, où pour meubler sa solitude, il peignotte des culs et des cuisses de femmes en noir et blanc, mi-B.D., mi-croûtes. Mais un furieux de Molière, imbibé de Jouvet, qui va pousser son alter ego à distiller comme lui l’alexandrin en des duos toujours plus fluides, plus ardents, plus virtuoses. C’est une ivresse de Molière, communicative, électrisante, au milieu de laquelle vient se prendre Francesca, une belle Italienne en rupture de mariage.

L’entrain, la légèreté comique, et surtout une forme de fraternité par le dire du texte – car le défi est, non seulement que Serge revienne à la scène, mais que les deux comédiens alternent les deux rôles principaux comme ils le font à pile ou face à chaque nouvelle répétition – l’entrain donc, la légèreté et la fraternité vont croissant tandis que se lève sur les paysages lumineux de l’île un printemps qui libère les corps, les cœurs et les sourires.

C’est pourquoi je suis tellement déçue par la chute du film, car c’en est une, brutale. Lucchini y reprend le rôle – le cabotinage, avec ce sourire de requin – non plus d’Alceste, ni même d’un Serge misanthrope, mais de lui-même. Et sa victoire finale, au désert, sur la plage solitaire, est pour moi une défaite. Car tout se passe comme s’il dérobait à un Lambert Wilson lui aussi toujours plus habité, plus animé par le texte, le pouvoir de le transmettre. Comme si la rupture d’amitié-par-le-texte que cette joute d’egos devenue duo avait construite, avait coupé au second comédien l’herbe sous le pied. Ce Serge-Alceste-Fabrice final est fat et mesquin. Il n’est pas blessé, il blesse. Nulle élégance en lui, nulle fragilité, mais un grincement péremptoire que soulignent les aigus criards de la voix de Lucchini. Jouvet n’avait pas joué Alceste par passion du rôle. Lucchini le refuse, se le refuse, nous le refuse par vanité. Il répudie le théâtre au profit de la vie en ce qu’elle a de plus étriqué, éteint l’émulation jubilatoire qu’il avait lui-même suscitée. Et l’on se dit que Lambert Wilson, qui semble souvent gêné aux entournures par la place qui lui est faite - ou non - dans le film, a donné ici au réalisateur et au comédien et co-scénariste une sacrée preuve d’amitié et de modestie. Car c’est là que le bât blesse. Si le film est né d’une idée de Lucchini, Philippe Le Guay n’a pas su in fine y imposer sa propre marque. Le Misanthrope quintessencié qu’il avait fait naître, ce film à la gloire d’un théâtre échappé de la scène pour s’ébrouer sur les routes et le ciel, accompagné par  les notes alertes de la chanson de Pierre Barouh, ce Misanthrope comique au sens le plus noble du terme s’effondre, réduit au silence, dans le dernier quart d'heure du film, d’Alceste devenu histrion.

mardi, février 12 2013

" Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde..."


J’ai attrapé au vol, hier, dans l’émission Les Traverses du Temps de Marcel Quillévéré sur France Musique, cette jolie tirade sur le rire, dite par Roland Giraud, qui joue Alex, le nouveau Philinte d' Un Homme trop facile ? la comédie d’Eric-Emmanuel Schmitt :

« Ne riez pas, parce que votre rire n’est pas le mien. Votre rire blesse, condamne, méprise, un rire plein de vilaines humeurs ! tandis que moi, mon rire, il nous rapproche. Lorsque je m’esclaffe, je ne juge pas, je ne dénonce pas, je compatis, je m’attendris. Je ris de nous, des pauvres êtres maladroits et bornés que nous sommes. Mon rire ne m’exclut pas de l’humanité, il m’y plonge. C’est un rire plein d’affection. Il y a de la sagesse et de l’amour dans mon rire, dans le vôtre seulement de la distance et du mépris. »

Alceste est à la mode. Il est à bicyclette au cinéma, et c’est Philippe Le Guay – toujours pas vu, mais à Amiens, il faut viser, un jour sur deux à 17 heures –, il est à l’affiche au théâtre, bientôt aussi à Amiens, et encore à la Gaîté Montparnasse, où se joue Eric-Emmanuel Schmitt.

Je m’en réjouis. J’adore Le Misanthrope, j’adore cette comédie si élégante, si cruelle, si douloureuse, si cocasse. J’aime l’âpreté sincère d’Alceste, qui cède à l’occasion devant le fat Oronte (« Je ne dis pas cela » ...) avant de lâcher la bride à son ire, j’adore sa tirade sur le naturel avec « sa petite chanson ringarde » comme l’avait écrit il y a bien longtemps l’une de mes élèves. Je l’aime jusque dans sa muflerie répétée, avec Célimène qu’il ne cesse de quereller, qu’il assomme de leçons de comportement, qu’il soupçonne explicitement – hélas avec raison – , comme avec la gracieuse Eliante à qui il vient abruptement offrir les restes de son cœur dans un accès de dépit, avant de se dédire. Une chose me heurte : que jamais il n’appelle Philinte par son nom, que jamais il n’en reconnaisse l’amitié opiniâtre. J’aime sa classe, et ses ridicules, et cette hubris ou cette mania de la sincérité qui le font épingler à tous coups, et plus que tous par Célimène. J’adore la délectable scène de duel verbal entre Célimène et Arsinoé, où la vilaine prude se fait suavement déchiqueter par celle qu’elle a eu le tort de venir provoquer jusque chez elle. J’aime la composition et le rythme savant de cette comédie, la plus grande, la plus belle, la plus triste.

samedi, avril 30 2011

Du ciné, aujourd'hui - Les Femmes du 6ème étage

Je n’ai pas l’habitude de parler cinéma sur Convolvulus, je n’ai aucun goût particulier pour Fabrice Lucchini qui en général m’exaspère (pas cette fois), mais Les Femmes du 6ème étage de Philippe Le Guay est une si aimable comédie, enlevée, légère, composée avec tant de brio et de virtuosité - les dialogues y sont épatants, la bande son inspirée - et l’actrice principale (Natalia Verbeke) si illuminée par la grâce, sans parler de la tapageuse joie de vivre de ses compagnes d’exil dans leur sordide sixième des chambres de bonnes, que je fais une entorse. Si ce film passe dans vos parages, allez le voir. C’est une comédie, au vrai sens du terme, ancrée de façon très contemporaine (enfin, 1962) dans les plus anciennes racines du genre.