J’ai attrapé au vol, hier, dans l’émission Les Traverses du Temps de Marcel
Quillévéré sur France Musique, cette jolie tirade sur le rire, dite par Roland
Giraud, qui joue Alex, le nouveau Philinte d' Un Homme trop facile ? la comédie d’Eric-Emmanuel Schmitt :
« Ne riez pas, parce que votre rire n’est pas le mien. Votre rire blesse, condamne, méprise, un rire plein de vilaines humeurs ! tandis que moi, mon rire, il nous rapproche. Lorsque je m’esclaffe, je ne juge pas, je ne dénonce pas, je compatis, je m’attendris. Je ris de nous, des pauvres êtres maladroits et bornés que nous sommes. Mon rire ne m’exclut pas de l’humanité, il m’y plonge. C’est un rire plein d’affection. Il y a de la sagesse et de l’amour dans mon rire, dans le vôtre seulement de la distance et du mépris. »
Alceste est à la mode. Il est à bicyclette au cinéma, et c’est Philippe Le Guay – toujours pas vu, mais à Amiens, il faut viser, un jour sur deux à 17 heures –, il est à l’affiche au théâtre, bientôt aussi à Amiens, et encore à la Gaîté Montparnasse, où se joue Eric-Emmanuel Schmitt.
Je m’en réjouis. J’adore Le Misanthrope, j’adore cette comédie si élégante, si cruelle, si douloureuse, si cocasse. J’aime l’âpreté sincère d’Alceste, qui cède à l’occasion devant le fat Oronte (« Je ne dis pas cela » ...) avant de lâcher la bride à son ire, j’adore sa tirade sur le naturel avec « sa petite chanson ringarde » comme l’avait écrit il y a bien longtemps l’une de mes élèves. Je l’aime jusque dans sa muflerie répétée, avec Célimène qu’il ne cesse de quereller, qu’il assomme de leçons de comportement, qu’il soupçonne explicitement – hélas avec raison – , comme avec la gracieuse Eliante à qui il vient abruptement offrir les restes de son cœur dans un accès de dépit, avant de se dédire. Une chose me heurte : que jamais il n’appelle Philinte par son nom, que jamais il n’en reconnaisse l’amitié opiniâtre. J’aime sa classe, et ses ridicules, et cette hubris ou cette mania de la sincérité qui le font épingler à tous coups, et plus que tous par Célimène. J’adore la délectable scène de duel verbal entre Célimène et Arsinoé, où la vilaine prude se fait suavement déchiqueter par celle qu’elle a eu le tort de venir provoquer jusque chez elle. J’aime la composition et le rythme savant de cette comédie, la plus grande, la plus belle, la plus triste.