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mercredi, avril 7 2010

Ru - Kim Thuy

Ru, disposé verticalement, c’est le titre sibyllin de ce bref ouvrage. Récit ? roman ? le nom de la narratrice Nguyēn An Tįnh, est différent de celui de l’auteur : Kim Thúy. Il y a donc distance, si mince soit-elle, entre ce qui est conté par le « ''je'' » du texte et son auteur.
Ru donc. Cette syllabe fait vibrer ensemble le mot vietnamien qui signifie « bercer», « berceuse' », et le mince ruisseau qu’elle évoque en français. « Écoulement de larmes, d’argent, de sang », précise le Robert Historique cité en épigraphe. Tout y est, ou presque.
Il est très difficile de donner une idée de la singularité essentielle de ce livre. Sous forme de brefs chapitres dont les plus longs font moins de deux pages, et le plus bref, me semble-t-il, quatre lignes, de Saïgon à Granby (Canada), New York, Paris, Hanoï, l’auteur construit sur trois générations et même au-delà le kaléidoscope cohérent d’une expérience de la guerre et de l’exil. Non seulement la sienne, mais celle de ses parents, de ses proches, et des « gens du pays » auxquels est dédié le livre.
Par petites touches sobres s’y reconstituent des fragments de mémoire, mêlant l’évocation crue et sans pathos ni complaisance de scènes vécues par les « boat people » à des scènes d’avant et d’après l’exil qui a conduit une famille de notables saïgonais jusqu’à Granby, son lac, son zoo, ses bénévoles accueillants. Les boat people, c’est la fin de mes années de lycée. Je ne crois pas avoir jamais lu des horreurs physiquement dégoûtantes comme celles qui sont narrées ici (l’enfant galeux ''bercé'' par sa mère à la lueur d’une unique ampoule dans la cale surpeuplée d’un bateau où circule un pot de pisse, l’invasion grouillante des vers blancs surgis les jours de pluie d’une immense fosse septique dans un camp surchauffé en Malaisie) racontés avec une telle neutralité comment dire ? poétique ? élégante ? courtoise ?

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