Ce livre me donne une telle impression de justesse, de perfection, de singularité absolues, que je ne sais pas comment l’aborder, ou plutôt en rendre compte. Je l’ai rangé, dans la synthèse ci-dessous, comme « roman ». Sinon que la mention ne figure pas sous le titre, et que la coïncidence entre le nom du héros et celui de l’auteur invite à lire l’ouvrage comme au moins d’inspiration autobiographique, à l’instar de nombre de ces objets littéraires sui generis, inclassables, qui sont parmi les œuvres les plus intéressantes d’aujourd’hui - il commence à y en avoir pas mal, ici. (D’autres manquent, comme Lambeaux de Charles Juliet, que je n’ai pas pris le temps de chroniquer, alors que j’en ai si souvent fait l’étude, avec mes élèves.)
J’aurais envie d’en citer des passages et des passages, tant le texte est beau (magnifiquement traduit, au passage, par Valérie Zénatti, que sa passion pour l’auteur qu’elle a élu a conduite à publier elle-même, chez L’Olivier aussi, un mince texte, Mensonges. Récit partiellement autobiographique qui construit entre l’auteur et sa traductrice un lien romanesque fictif, étrange effet littéraire d’une rencontre à la fois littéraire et humaine. Je ne sais pas où j’ai posé Mensonges…).
La voix narrative, le « je », est la voix de celui que les rescapés du ghetto, de la forêt, des camps, ont porté, contre vents et marées, épuisement et famine, jusqu’aux rivages éblouissants de Naples. Ils l’ont nommé « le garçon du sommeil ». Un adolescent au beau visage apaisé, qui échappe, dans un sommeil impossible à secouer, à tout ce que sa vie d’aujourd’hui peut avoir d’insurmontable : la séparation d’avec ses parents morts, l’arrachement à la Bucovine natale avec ses paysages sereins, le chaos des camps de réfugiés, l’ordre en somme factice instauré dans le camp des futurs pionniers de l’Etat d’Israël en devenir, le suicide de son compagnon Marc… Entre Europe et Moyen-Orient, le sommeil est le lieu des rêves qui permettent dans un va-et-vient sans à coups d’assurer le lien entre le passé et le présent, faisant par ricochet ressurgir sans cesse au cœur du présent des personnages tutélaires du passé.