Un Diamant brut, suite

Je n’ai pas le temps de consacrer un long billet, comme je l’aurais voulu, à Un Diamant brut, l’ouvrage autobiographique d’Yvette Szczupak-Thomas, petite paysanne de l’assistance publique devenue la « fille adoptive non adoptée », selon la formule de Jean Hélion, de Christian et Yvonne Zervos, éditeurs des Cahiers d’Art. C’est un énorme bouquin puissamment original, et dont la faculté d’émouvoir tient, je pense, à un mélange d’intelligence aiguë, liée à un art du portrait incisif, avec une sensibilité poétique puissante et une capacité sans pareille à retrouver et à exprimer, à travers jeux de mots et images poétiques, les émotions intenses, confuses, douloureuses, d’une enfance ravagée suivie d’une adolescence bouleversée par la transplantation brutale dans un milieu intellectuel et artiste, où elle a rencontré en même temps que l’Art ce qu’il faut bien appeler l’inceste. Le livre suscite des figures profondément chaleureuses – reconstructrices - comme celle de Picasso ou d’Ida Chagall (et tant d’autres ! évoquées avec tendresse et reconnaissance), et d’autres plus ambiguës voire maléfiques, comme celle de René Char, « Bellérophon » (« il a bel air, au fond »), hôte-amant encombrant et somme toute infantile des Zervos dans l’après-guerre. Quelques icônes de l’art et de la pensée en prennent pour leur grade, sans fiel mais sans gants, avec une lucidité assez glaçante.



Il y aussi et heureusement l’empreinte des contes de maman Blanche, sa première mère d’adoption qui a su imprimer en elle l’amour, l’estime de soi, le goût de la langue et du dessin, qui a su voir en elle un être « unique », maman Phrasie et sa tendresse culinaire pour sa « pour’enfant », ou Paupiette, l’incroyable « bohémienne, nabote et obèse » aimée au premier regard, dans la boue d’une bagarre, pour sa vitalité, sa verve robuste, son honnêteté humaine.
Et puis la rencontre après-guerre avec Samuel-Alexandre Szczupak, « Napoléon » aventurier, souple, rigoureux, élégant, résistant, homme politique, avocat, pénétrant et perspicace, et pour Yvette à la dérive, « duègne », puis sauveur de celle qu’il avait rebaptisée tendrement et poétiquement « Air Bleu ». Et peu après, l’époux d’une vie. Leur fils Ariel a consacré deux sites à l’histoire et à l’œuvre de sa mère, peintre et poète. Auxquels j’emprunte ce beau portrait d’Yvette en héroïne à la Cocteau de l’unique film écrit par René Char et produit par Yvonne Zervos : Sur les hauteurs.

Comme aussi le bois gravé de 1970 où s’invente « la famille qui ne fut pas » et la réunion rêvée mais jamais accomplie des cinq enfants Thomas-Launay, rêve et douleur inapaisés qui sont, aussi, à l’origine de ce livre.

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