Deux regards

L’un est plus théâtralisé, portrait pris pour la « vedette » d’un film jamais tourné* (avec elle, en tout cas), l’autre est véritablement saisi par un père « sur le vif ». La première est une adolescente en proie à de douloureuses épreuves, l’autre est une enfant de neuf ans avant le bouleversement absolu que sera la mort de ses deux parents asphyxiés dans une fuite de gaz. (J’ai laissé délibérément la photo d’Yvette Thomas avec la pliure, - récupérée sur le blog ouvert par son fils autour d’Un Diamant brut - parce qu'elle me semble témoigner d’une relation d’urgence avec les rares traces de son enfance).

Pourtant la gravité du regard sans fard d’Yvette m’évoque irrésistiblement le texte écrit par Anny Duperey dans Le Voile Noir en contrepoint de son portrait, justement. C’est pour moi l’occasion de citer ce texte et d’évoquer fugitivement cet ouvrage autobiographique inclassable, quête de soi dans un dialogue avec les très belles photos de son père. C’est un livre juste, et bouleversant.

Portrait intemporel

C’est le dernier portrait que mon père fit de moi, probablement pas très longtemps avant sa mort. Je le trouve extraordinaire.

C’est ma photo. Elle résume tout ce que je suis profondément, sans défense. Ces yeux-là sont ceux que je vois dans mon miroir trente-cinq ans après quand je suis seule avec moi-même, sans masque, sans effort pour paraître.

Ainsi parfois quand je vois mes enfants, dans des moments de grande fatigue ou d’abandon, je vois fugitivement – si fugitivement qu’il faut vivre l’appareil photo armé en main pour capter cela ! – leur visage intemporel se superposer à leur figure d’enfant. Regard, expression rassemblent en une seconde ce qu’ils sont profondément et tous les âges de leur vie. Leur visage.

Et puis cela fuit, l’abandon se casse, ils régressent, ils rient, ils trichent, ils réintègrent le moment.

Mon père m’a saisie dans une de ces secondes où l’être est rassemblé. Il a fait mon portrait intemporel. Or il date d’avant leur mort, et j’étais déjà cela....

* Le Soleil des eaux, de Char.

Commentaires

1. Le vendredi, novembre 19 2010, 14:36 par Céline

Quelle photo superbe ! Et quel texte émouvant ... Merci de nous les faire partager.

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