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samedi, février 23 2013

Charles Juliet - Lambeaux

     

Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière. Dans l’âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. À tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable, et fréquemment, tu songes à un départ, une vie autre, à l’infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude. Ces secondes indéfiniment distendues quand tu vacilles à la limite du supportable. Tes mots noués dans ta gorge. À chaque printemps, cet appel, cet élan, ta force enfin revenue. La route neuve qui brille. Ce point si souvent scruté où elle coupe l’horizon. Mais à quoi bon partir. Toute fuite est vaine et tu le sais. Les longues heures spacieuses, toujours trop courtes, où tu vas et viens en toi, attentive, anxieuse, fouaillée par les questions qui alimentent ton incessant soliloque. Nul pour t’écouter, te comprendre, t’accompagner. Partir, partir, laisser tomber les chaînes, mais ce qui ronge, comment s’en défaire ? Au fond de toi, cette plainte, ce cri rauque qui est allé s’amplifiant, mais que tu réprimais, refusais, niais, et qui au fil des jours, au fil des ans, a fini par t’étouffer. La nuit interminable des hivers. Tu sombrais. Te laissais vaincre. Admettais que la vie ne pourrait renaître. À jamais les routes interdites, enfouies, perdues. Mais ces instants que je voudrais revivre avec toi, ces instants où tu lâchais les amarres, te livrais éperdument à la flamme, où tu laissais s’épanouir ce qui te poussait à t’aventurer toujours plus loin, te maintenait les yeux ouverts face à l’inconnu. Tu n’aurais osé le reconnaître, mais à maintes reprises, il est certain que l’immense et l’amour ont déferlé sur tes terres. Puis comme un coup qui t’aurait brisé la nuque, ce brutal retour au quotidien, à la solitude, à la nuit qui n’en finissait pas. Effondrée, hagarde. Incapable de reprendre pied.

       Te ressusciter. Te recréer. Te dire au fil des ans et des hivers avec cette lumière qui te portait, mais qui un jour, pour ton malheur et le mien, s’est déchirée.

Ce très beau texte est le prélude d’un ouvrage que j’ai évoqué ici ou là et dont je n’ai jamais pris le temps de parler plus avant. Il s’agit de Lambeaux,  publié en 1995, après une genèse de douze années, par Charles Juliet, alors âgé de 61 ans.

 C’est un ouvrage inclassable, construit en diptyque, où les « autobiographies » de ses deux mères : la mère perdue dès la naissance, la mère adoptive, se tissent avec celle de l’auteur lui-même. Mêlant étroitement des « lambeaux » de souvenirs familiaux ou personnels à des récits plus réalistes, tissant fiction et souvenirs, prose et lyrisme, l’œuvre tente de renouer un lien rompu dès l’origine entre la mère perdue puis morte et l’enfant, à la recherche d’une sorte de commune « langue maternelle » que l’écriture offrira finalement au fils comme à la mère.

 

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samedi, avril 19 2008

"Passagère du Silence" de Fabienne Verdier.

Drôle de bouquin, récit autobiographique d’un voyage vers l’étrangeté radicale pour aller à la rencontre de soi.
Jeune femme exilée de sa propre famille scindée par un divorce, talentueuse étudiante aux Beaux Arts de Toulouse, dont elle conteste l’enseignement privé de toutes racines, et fondé sur une créativité factice, elle obtient à force d’obstination le droit de partir étudier la calligraphie chinoise auprès des vieux maîtres bannis par la Révolution culturelle, à l’institut d’Art de Chongqing dans le Sichuan. Arrachement complet, départ presque dénué de tout vers un ailleurs absolu.


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