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mardi, avril 13 2010

Un diamant brut - Yvette Szczupak-Thomas

« Un coin de campagne caché dans le ventre de Paris ? La tanière d’un bûcheron, peut-être, à juger d’après les fûts de bois en grume ou pelard qui jonchent la cour-jardin, ces corps tronqués-grossiers contre lesquels se lovent ceux des fins écuissés dont les branches lèvent les bras au ciel en un sursaut d’espérance (…)
Dans la demeure au sol incertain de limaille, copeaux, escarbilles et mégots, un relent de tanin avec le poivre du métal brûlé, des établis, des étaux et un fauteuil. La couverture cendreuse qui le recouvre fait écrin à un ancêtre barbu blanc, épais, qui s’y ‘rencoigne’. Pas le temps de faire des politesses. Une luminescence phosphorique me tire vers la droite, vers une haute et large salle…une église ? Une jungle ? J’en ai les jambes coupées, et malgré l’appel, n’avance qu’à pas comptés. Des choses dans l’espace ouvert m’attaquent le corps à coups de poing intérieurs. (…) Avec la lenteur élégante d’une plume qui n’en finit pas de tomber en planant sans se presser, une exclamation s’inscrit dans ma tête, en zigzag, après méandres et tournoiements : quin-tes-sence-pureté-per-fec-tion. Ici, un geste séculaire a posé-réuni-accolé deux extrêmes : l’absolu archaïque, primaire et sans-gêne, de sculptures faites à la hache ou au silex dans le bois et la pierre (elles avalent la lumière dans leur puits sans fond) et, en ponctuation, le raffinement évocateur de la stylisation dans des marbres, des cuivres, des bronzes polis jusqu’à l’obsession. Ces formes allusives - splendeur stricte des ovales ! - reçoivent et renvoient plus loin la clarté du jour où s’inscrit le mirage changeant du monde…. Allégresse, euphorie ? oh combien ! mais aussi déférence et épuisement. L’extase déséquilibre.
« C’est si beau que ça m’affole », expliquai-je plus tard, ravie au sens fort du mot, à mes parents adoptifs qui m’avaient crue en proie à une de mes absences. »

C’est ainsi qu’Yvette Szczupak-Thomas raconte, au début de la seconde partie de son long récit autobiographique (II – Chez les Zervos), sa visite d’un atelier dont j’ai tout de suite reconnu quel devait être l’artiste évoqué. Brancusi, qui ne fait pas partie du cercle des artistes qui fréquentaient « chez les Zervos », mais dont l’empreinte esthétique sera sur elle si intense qu’elle « vol(a), sur son établi, un clou dont elle fit (s)on porte-bonheur, (qui) eut, pendant longtemps, le pouvoir de faire renaître en (elle) le bonheur –unique- de la beauté affolante dont l’artiste (lui) avait fait don ».
On lit dans ce texte le sens du portrait, le sens de la beauté, la singularité et l’acuité critique de celle qui n’est alors qu’une toute jeune fille débarquée de sa Bourgogne paysanne natale pour se retrouver plongée en plein cœur du tout-Paris artiste, bohème et intellectuel des années de l’immédiat après-guerre.
C’est dans « Un diamant brut », Vézelay-Paris 1938-1950, texte autobiographique très singulier, où l’auteur dans sa vieillesse retrace dans une langue à la fois précise et intensément poétique son parcours de fille de l’Assistance Publique, arrachée à neuf ans à une famille aimante pour être placée dans un des coins les plus brutaux et les plus arriérés de la Puisaye chez une famille où la violence et l’indignité règnent au point de lui faire désirer de mourir. Destin vraiment étrange d’une petite fille « unique » selon le mot plein d’amour de sa « maman Blanche » mère des histoires, de la lucidité, du respect de soi. J’y reviendrai car je n’ai pas le temps ce soir d’y consacrer une longue chronique. Je voulais seulement partager ce bel hommage à Brancusi, dont le travail est pour moi une expression de la beauté pure.