Il y a certainement à être fou un plaisir que seuls les fous connaissent. (Dryden, Le Moine espagnol, II, i)

C’est l’épigraphe de ce bouquin que j’ai avalé il y a peu, du crépuscule à la nuit, en riant tellement que j’ai failli réveiller la maison. Gérald Durrell, Ma Famille et autres animaux, chez Gallmeister, une maison d’édition qui a l’air spécialisée dans l’écolo militant, ce que n’est certes pas l’ouvrage en question. (1ère édition anglaise, 1956).
Gérald Durrell est le frère de Lawrence, l’auteur du Quatuor d’Alexandrie, pour ceux qui auraient lu (ce que je fis, il y a quelques années-lumière. Il me reste une impression d’exotisme et de lyrisme oriental). Il était naturaliste, et l’a, semble-t-il, été de naissance. L’ouvrage était donc à l’origine destiné à célébrer la faune et la flore de Corfou, où l’auteur séjourna avec sa famille de l’âge de 10 ans à celui de 15 ans. Mais comme il le dit lui lui-même dans le « plaidoyer pro domo » qui ouvre le livre, 

« je commis la grave erreur d’y introduire les membres de ma propre famille dès les premières pages. Une fois sur le papier, ils s’y installèrent et invitèrent divers amis à partager avec eux les chapitres suivants. C’est avec la plus grande difficulté et avec beaucoup d’astuce que j’ai réussi à leur arracher quelques pages et à les consacrer aux animaux. »

Ouvrage d’un naturaliste, le bouquin restitue donc avec le même regard mœurs animales et mœurs familiales, la sienne étant une authentique famille d’anglais excentriques, au sens … anglais du terme. Cela donne des moments intensément poétiques comme ses explorations dans les olivaies de Corfou avec son chien Roger à la découverte des pièges de mousse aux gonds de soie tissés par les mygales, les rites des mantes religieuses ou la description des rives du lac Antiniotissa à la saison des lys, et j’en passe ; depuis les mœurs de tortues locales jusqu’à celles des holoturies, il y a une évocation de la nature et de ses hôtes animaux qui mêle une sorte de familiarité essentielle à des connaissances très précises - alors en cours d’élaboration, avec l’aide de l’hésitant et calembourdeux docteur Stephanidès, un érudit local devenu son mentor et son ami.
Mais il y a aussi une mise en scène absolument désopilante de la vie familiale, des rencontres avec les corfiotes, (leur chauffeur et ange gardien Spiro, tonitruant et magnifique) et des dialogues à se tordre qui ponctuent les innombrables épisodes loufoques et catastrophiques survenus au cours de leurs cinq années sur l’île. Gerry ayant la manie de rapporter à la maison – l’une de leurs trois villas avec salle de bains, au fil de trois déménagements rocambolesques - le fruit de ses observations animales, il s’ensuit des avalanches de gags assortis d’échanges acides et drôles entre frères et sœur et l’inénarrable autant qu’inébranlable mère de cette tribu extravagante.

« Assemblée dans la véranda, la famille observa l’animal qui avançait vers elle en se dandinant dans l’allée, les yeux à fleur de tête, ses courtes pattes s’agitant frénétiquement, les oreilles battant furieusement l’air, et s’arrêtant de temps à autre pour vomir dans un massif de fleurs.

- Oh, qu’il est mignon ! s’exclama Margo.

- On dirait une holothurie, dit Leslie.

- Mère ! dit Larry, examinant Dodo avec répulsion. Où as-tu déterré ce Frankenstein ?

- Qu’a-t-il d’extraordinaire ? demanda Margo.

- Ce n’est pas « il », c’est « elle », dit Mère, regardant avec fierté sa nouvelle acquisition. Elle s’appelle Dodo.

- Dodo est un nom horrible, dit Larry, et introduire une femelle dans une maison où il y a déjà trois débauchés est aller au devant des pires ennuis. Et regardez-moi ça ! comment est-elle devenue ainsi ? A-t-elle eu un accident ou est-elle née comme ça ?

- Ne dis pas de sottises, mon chéri. C’est la race.

- Voyons, Mère, c’est un monstre. Qui songerait à laisser vivre un chien aussi difforme ?

Je fis observer que les bassets avaient la même forme et qu’ils avaient été croisés spécialement pour leur permettre de poursuivre les blaireaux dans leurs terriers. Il était probable que les Dandy Dinmont avaient été croisés dans le même but.

- Elle a surtout l’air d’avoir été croisée pour descendre dans les égouts, dit Larry.

- Ne sois pas grossier, mon chéri. Ce sont de gentils petits chiens, et très fidèles.

- J’imagine volontiers qu’ils soient fidèles à qui leur montre de l’intérêt, car ils ne doivent pas avoir beaucoup d’admirateurs. (…) »

C’est l’arrivée à la maison de la chienne Dodo, exceptionnellement amenée par « Mère », chienne sujette au mal des transports (d’où ses vomissements) et origine d’une suite inépuisable d’épisodes désastreux et burlesques. Voilà. Je vais ranger cet ouvrage dans la liste des « bouquins reconstituants » dont je voudrais que mon libraire fasse un rayonnage d’accueil en ces temps sombres. C’est un merveilleux hymne à la joie de vivre.

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