Helene Hanff, pour les amoureux des livres et des lettres

14e. 95th st.
nyc
4 jan. 1956

« je me suis cachée sous mon lit pour vous écrire, c’est là que le catulle m’a conduite.
franchement, ça DÉPASSE l’entendement.
Jusqu’à présent, le seul Richard Burton que je connaissais, c’était un jeune et beau garçon que j’ai vu jouer dans deux ou trois films britanniques. J’aurais préféré m’en tenir là. Le vôtre a été anobli pour avoir transformé Catulle – caTULLe – en mièvreries victoriennes.
quant au pauvre petit m. smithers, il a du avoir peur que sa mère ne le lise et il se donne un mal FOU pour l’expurger à fond.
enfin, disons que vous allez me trouver un beau Catulle en latin tout simplement, je me suis acheté un dictionnaire Cassel, je me débrouillerai moi-même pour les passages difficiles. 
(…) J’ai mis de l’argent de côté à la caisse d’épargne en prévision de l’été prochain : si la télé continue à me nourrir jusque là, je réussirai finalement à aller en Angleterre. Je veux voir la cathédrale Saint-Paul, le Parlement, La Tour de Londres, Covent Garden, l’Old Vic et la Vieille Mme Boulton.  Je joins un billet de dix dollars pour ce truc, ce catulle relié en toile blanche – avec des signets de soie blanche en plus ! frankie, où TROUVEZ-vous des trucs pareils ?!»

Je me suis fait violence pour respecter la mise en page, absence de majuscules ou majuscules intermittentes, qui est d’origine. Mais on ne corrige pas Helene Hanff, qui savait fort bien ce qu’elle écrivait, et comment elle l’écrivait.

Il s’agit d’une des lettres adressées par cette dramaturge et scénariste de la télé américaine, fauchée, excentrique, grognon, généreuse et passionnée, à Frank Doel, acheteur de livres anciens chez MARKS & CO, 84, Charing Cross Road, et tel est le titre du volume consacré à la correspondance que ces deux-là et quelques autres échangèrent entre le 5 octobre 49 et octobre 69, autour de l’amour des livres et de la littérature anglaise.

Elle répondait ainsi – c’est la première lettre du recueil - à une annonce trouvée dans le Saturday Review of Literature :

« Je suis un écrivain sans fortune mais j’aime les livres anciens et tous ceux que je voudrais avoir sont introuvables ici, en Amérique, sauf dans des éditions rares et très chères, ou bien chez Barnes & Noble, qui vend à des prix abusifs des exemplaires très défraîchis et ayant appartenu à des écoliers ».

Entre la scénariste un peu piquée et le libraire cérémonieux se noue une relation épistolaire de plus en plus familière (le « Monsieur » des débuts est devenu « frankie »), ponctuée entre Londres et New York d’envois réguliers de volumes dont les prix ridicules font aujourd’hui friser la défaillance, et entre New York et Londres d’envois réguliers de colis de vivres (œufs en poudre ou frais, conserves de langue, jambon…et aussi bas nylon pour les dames), la cliente s’étant très vite avisée qu’un rationnement sévère éprouvait encore les Anglais quatre ans après la fin de la guerre. La Vieille Mme Boulton évoquée dans le même mouvement que Saint-Paul et autres monuments prestigieux était la voisine des Doel, auteur d’une magnifique nappe brodée que le personnel de la librairie avait adressée en remerciement pour ses libéralités à leur grondeuse, fantasque et spirituelle correspondante.

C’est un bonheur que de lire ce recueil de lettres, sarcastiques, enjouées, enlevées, dont la publication vaudra à hh, comme elle signe, des milliers d’admirateurs, une adaptation cinématographique (1987- David Jones, avec Anne Bancroft et Anthony Hopkins. Pas vu.) et un voyage ébloui à Londres et dans ses environs, en 1971, sur les pas de Shakespeare et John Donne (deux de ses favoris), avec dîners chics et rencontres excentriques à foison. Frank Doel était mort brusquement, mais sa veuve, sa fille et toute une galerie d’Anglais bienveillants ou chevaleresques s’étaient mis en quatre pour l’accueillir dignement. De ce voyage si longtemps attendu et si ardemment désiré est sorti un autre volume, sous forme de journal : La Duchesse de Bloomsbury Street, comme elle se désigne plaisamment, son hôtel donnant sur ladite rue. On y retrouve les auteurs aimés – et cela donne à l’ignare que je suis en lettres anglaises, car qui ai-je lu à part quelques Shakespeare, Dickens et autres poètes pré ou post-romantiques ?) un sentiment de familiarité avec ses auteurs les mieux aimés comme Donne, justement, libertin converti par l’amour puis devenu doyen de Saint Paul, ou Q. (pour Arthur Quiller-Couch) son maître en littérature, ou Isaak Walton (l’auteur du Parfait Pêcheur à la ligne – je VEUX lire ce bouquin !). À force de l’entendre – de la lire – les évoquant, on finit presque par les connaître.

Errances dans Londres, considérations sur les parcs et les squares anglais, sur la manière de descendre des bus ou de confectionner un martini ou sur la morgue de la Upper Class dans les grands restaurants, pèlerinages divers d’églises en collèges ou en théâtres, ce second volume est un délice où l’on pouffe sans cesse, et d’où l’on sort radieux (-se) et régénéré(e).

Le premier était chez Autrement (79 F, 12 € 04 !!!), le second chez Payot (12€ 50…)

J’ai relu ce bouquin dans la foulée du Cercle des Amateurs d’épluchures de patates et de La Reine des lectrices. J’en recommande la lecture à tous les amoureux des livres, au double sens du terme, objet et ouvrage.

Et je laisse la parole à hh (commentant un tableau ici reproduit, à propos de la bio de Branwell par Daphné du Maurier - je pourrais recopier des DIZAINES de passages !) :

« Nous avons déjeuné chez Panzer puis nous sommes retournées à la National Portrait Gallery. J’ai vu Jane Austen, Leigh Hunt, Willie Hazlit et le portrait des Brontë, qui donne le frisson : les trois sœurs, et au beau milieu, une tache grise recouvrant le visage de Branwell.
Selon la légende, il se serait peint aux côtés de ses sœurs avant de se faire disparaître dans un accès de haine dirigé contre lui-même. Bien sûr, j’ai été incapable de me concentrer sur les trois femmes, le tableau est dominé par cette tache grise ; on ne peut s’empêcher de se demander si Branwell savait qu’il en serait ainsi. »

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