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dimanche, décembre 5 2010

Hanan el-Cheikh - Toute une histoire

Je ne connaissais pas Hanan el-Cheikh, même de nom. Je n’avais jamais entendu parler des cinq romans qu’elle avait publiés, chez Actes Sud principalement, depuis 1985. Ni de « Toute une histoire » - La Sauterelle et l’oiseau, The Locust and the bird, semble-t-il en anglais, (quant au titre arabe, je ne sais pas), en référence à l’histoire citée en épigraphe – avant de me le voir offrir, avec sur la couverture une belle photo sépia de Raymond Depardon où un couple enlacé vu de dos passe avec vivacité le long d’un front de mer. Je l’ai lu en deux fois, deux « nocturnes ». C’est un très beau texte, une « autobiographie de ma mère », écrite par une fille éloignée d’elle pendant des années par toutes sortes de réticences et une rupture après divorce, au Liban dans les années 50.
Histoire d’une femme pleine de vie, abandonnée dès l’enfance avec sa mère et son frère dans un village libanais du sud, orée d’une vie placée sous le signe de la débrouille et de la ruse. Fiancée à son insu à 11 ans, à Beyrouth, avec son beau-frère veuf, un homme confit en dévotion, et divorcée une dizaine d'années plus tard pour épouser son amant, un lettré et commis de l’état, elle l’analphabète. Histoire d’une vie qu’elle a voulu si ardemment confier à sa fille qu’elle a réussi à briser la barrière, faisant de la romancière une biographe, une généalogiste ? et en quelque sorte le confluent de plusieurs passions de conter : celle du grand-père maternel lettré, celle de la mère pleine de voix, de chants, d’histoires, d’une inventivité radieuse, et celle du beau-père Mohammed dont elle reçoit, après la mort de sa mère, ironique mélancolie, tous les écrits que celle-ci n’avait jamais pu lire, qu’elle avait toujours dû se faire lire. C’est un livre plein d’orient, si je peux l’écrire ainsi : misère, rages, passions, esbrouffe, intense vitalité, contraintes sociales et religieuses, chansons, poèmes, cinéma. On y sent battre le cœur vivant d’un Liban d’avant la guerre de 75, d’avant la destruction de Beyrouth, tout un monde mêlé de petites et moins petites gens, gravitant autour de cet incroyable couple d’amants, l’analphabète et le lettré. Plein d’amour aussi, et de justesse. D'une fille qui se borne à donner à la voix de sa mère sa plume, comme le disent si bien les dernières lignes :

« Je me suis mise à marmonner : « Et voilà Hanan en  train d’écrire sur sa mère. Sa mère  qui a souffert et aimé, s’est enfuie, a affronté les traditions et les mœurs de son milieu ; sa mère qui a fait du mensonge un jeu, une facétie, et de son imagination un acte de sincérité ».

J’ai écrit la première phrase : « je vois ma mère et mon oncle Kamel courir derrière mon grand-père ». mais je me suis tout de suite arrêtée. A moins que ce ne soit ma mère qui m’ait arrêtée. Je l’entendais insister pour dire elle-même son histoire. Elle ne voulait  pas de ma voix ; elle voulait sentir les battements de son cœur, ses angoisses et ses rires, ses rêves et ses cauchemars. Elle voulait revenir au commencement avec sa propre voix. Elle était si heureuse de pouvoir enfin être la narratrice...

C’est ma mère qui a écrit ce livre. C’est elle qui a déployé ses ailes pour prendre son vol. j’ai juste soufflé le vent qui l’a emportée dans ce long voyage. »