Patrick Chamoiseau - Antan d'Enfance

J’ai lu, aussi, la semaine dernière, dans la même collection « Haute Enfance » chez Gallimard, Antan d’Enfance, de Patrick Chamoiseau. C’était la première fois que je lisais un texte de cet auteur au nom poétique et chatoyant, et qui depuis longtemps, me faisait signe. Les extraits que j’en ai tapés font un écho singulier à la lecture – postérieure – du roman d’Alexakis. La langue est belle et charnue, avec cette étrangeté à la lecture de ne pas tout reconnaître dans les vocables parfois inassignables ou insaisissables de ce français d’ailleurs, lyrique, inventif, suggestif. En voici quelques extraits :

La maison de l’enfance, cœur battant de tous les souvenirs :

« O mes frères, vous savez cette maison que je ne pourrais décrire, sa noblesse diffuse, sa mémoire de poussière. De la rue, elle semblait un taudis. Elle signifiait la misère grise du bois dans un Fort-de-France qui commençait à se bétonner les paupières. Mais pour nous elle fut un vaste palais, aux ressources sans saisons, un couloir infini, un escalier peuplé de vies comme une niche de crépuscules, une cour, des cuisines, des bassins, des toits de tôles rouillées où nous découvrîmes le monde en de secrètes magnificences. Située au mitan de la ville, elle nous filtrait la ville. Elle savait allier les lumières et les ombres, les mystères et les évidences. La tiédeur de son ancienne sève s’exhalait parfois dans le silence des jours de messe. Elle porte encore nos griffes et nos graffitis, elle a nos ombres dans ses ombres, et me murmure encore (mais des choses maintenant incompréhensibles) quand j’y pénètre parfois. »

Poétique des injures :

« C’était un temps où la langue créole avait de la ressource dans l’affaire d’injurier. Elle nous fascinait, comme tous les enfants du pays, par son aptitude à contester, (en deux ou trois mots, une onomatopée, un bruit de succion, douze rafales sur la manman et les organes génitaux) l’ordre français régnant dans la parole. Elle s’était comme racornie autour de l’indicible, là où les convenances du parler perdaient pied dans la mangrove du sentiment. Avec elle, on existait rageusement, agressivement, de manière iconoclaste et détournée. Il y avait un marronnage dans la langue. Les enfants en possédaient une intuition jouissive et l’arpentaient en secret, posant leur être en face des grandes personnes, dans la particulière matrice de cette langue étouffée. C’est pourquoi malgré (et surtout grâce à) cette situation de dominée, la langue créole est bel et bien un espace pour les frustrations enfantines et possède un impact souverain de structuration psychique inaccessibles aux élévations établies de la langue française. »

Et enfin, l’enfance….

« On ne quitte pas l’enfance, on la serre au fond de soi. On ne s’en détache pas, on la refoule. Ce n’est pas un processus d’amélioration qui achemine vers l’adulte, mais la lente sédimentation d’une croûte autour d’un état sensible qui posera toujours le principe de ce que l’on est. On ne quitte pas l’enfance, on se met à croire à la réalité, ce qu’on dit être le réel. La réalité est ferme, stable, tracée bien souvent à l’équerre – et confortable. Le réel (que l’enfance perçoit en ample proximité) est une déflagration complexe, inconfortable, de possibles et d’impossibles. Grandir, c’est ne plus avoir la force d’en assumer la perception. Ou alors, c’est dresser entre cette perception et soi le bouclier d’une enveloppe mentale. Le poète – c’est pourquoi – ne grandit jamais, ou si peu. »

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