Comment peut-on définir ce texte ?
- comme le journal, attentif et aimant, d’une conscience qui se défait, de la
défaite d’une conscience. Un fils devant sa mère, non plus auprès d’elle, ni à
ses côtés, faute d’en être même reconnu.
C’est extrêmement bien écrit,
dans une langue riche, souple, puissamment analytique. Une langue d’après
Proust, pour une méditation sur le temps et la conscience, la parole et le
corps, la solitude et la vieillesse, la langue – les langues : le
russe, le français, le yiddish – et la mémoire. Tentative de mettre en mots, de
faire advenir à la connaissance ce mystère d’un être familier devenu étranger,
mais familier quand même. D’un être pour qui l’on est un autre, voire plusieurs
(mon fils et un ami, Pierre Pachet), voire absent, ce qu’exprime cet
intertitre de section, par exemple : « Comment elle (me) regarde ».
« Exercices d’écriture et de
piété » qui inlassablement tentent de retenir, retisser du sens face à l’effilochement
d’une charpie de langage, d’ « une parole désormais à la dérive et
en voie de dislocation ».
Ces notations minutieuses, et restituées au fil de la réflexion sur un mode non-chronologique, on pourrait les penser cliniques, détachées, « abstraites ». Il n’en est rien. Devant cette mère privée de temps, d’espace, de parole construite, de liberté et de dignité physique, de la cohérence d’un passé et donc du sens d’une vie, ce vers quoi mène le livre, c’est à une réflexion sur la fidélité, sur l’humanité, sur le rire comme partage, « pour ce que rire est le propre de l’homme », entend-on en profond écho.