Un romancier-conteur ....

Pierre Magnan : Laure du bout du monde.

J'ai vu pour la première fois Pierre Magnan à la télé il y a bien longtemps. C'était à Apostrophes, avec entre autres Anne Garretta, qui présentait Sphinx, intéressante entreprise purement cérébrale : une contrainte superlative : que rien de grammatical, participes passés entre autres, ne permette de deviner le sexe du narrateur. (Colette avait déjà fait ça avec une nouvelle, Nuit Blanche, in Les Vrilles de la vigne, où elle rompt la contrainte tout à la fin. Il y a d'ailleurs, pour autant que j'en puisse juger, une version hétéro et une version homo du même texte.)
Pierre Magnan, donc, très beau visage buriné de paysan bas alpin, cheveux blancs - Il présentait ce jour-là Les Courriers de la mort  (Je dois dire tout de suite que PM a souvent des titres vraiment pas terribles, en voici un exemple.) - mais surtout, un talent de conteur extraordinaire : on l'écoutait, suspendus, raconter l'anecdote qui avait déclenché le roman (Dans la porte du cimetière de Barles, il y a une boîte aux lettres. - De mémoire.)

Puis comment cette boîte aux lettres avait disparu au moment où il avait été question de faire la jaquette du roman. Bref, le lendemain, nous avons acheté Sphinx et Les Courriers de la mort. Sphinx a disparu de la maison, j'ai dû le donner, après lecture de quelques pages, pas plus. Les Courriers de la mort a été le premier d'une longue série de romans du même, dévorés, de préférence pendant les vacances, de préférence en haute Provence mais ce n'est pas obligatoire. Vous avez peut-être entendu parler de La Maison assassinée, dont il a été tiré un film avec Patrick Bruel (mais Séraphin Monge est BLOND !!!), passionnant roman qui s'ouvre à la fin du XIXe sur une sinistre salle d'auberge battue par la tempête au bord de la Durance, et reprend 20 ans plus tard avec le retour sur les lieux de l'unique rescapé du massacre de l'ensemble des membres de la famille ce soir-là, le nourrisson, Séraphin Monge, à la recherche de son passé et de la vérité : ça se déroule entre Forcalquier, Ganagobie, Peyruis et Lurs, pour ceux qui connaissent, le pays est admirablement décrit, avec un lyrisme ample et une certaine préciosité inspirés de Giono, que Magnan a connu, admiré et côtoyé dans sa jeunesse, les gens sont croqués plus vrais que nature avec un regard de moraliste, les noms des personnages sont des poèmes à eux tous seuls : le Didon Sépulcre, le Célestat Dormeur, la Charmaine Dupin et j'en passe. C'est une enquête sur le passé, pleine de silences et de pièges (la maison assassinée s'appelle La Burlière, ie si je ne me trompe "la trompeuse", justement), avec quelques meurtres supplémentaires qui témoignent d'une imagination macabre pour le moins débridée - enquête qui amènera le taciturne Séraphin à retrouver une vérité plus retorse que celle des apparences. Pierre Magnan a donné une suite fleuve et tout aussi passionnante à ce roman (avec un titre raté : Le Mystère de Séraphin Monge). Depuis j'en ai lu des tonnes, avec des fortunes diverses : les enquêtes du commissaire Laviolette, petit fils du douanier des Charbonniers de la mort, titre raté mais quel roman !!! , - Le Sang des Atrides, Le Commissaire dans la truffière etc... - sont en général très réussies (le commissaire neurasthénique, sensuel et gourmand aussi). Pour saluer Giono est un bel hommage à un homme et à une époque (celle de débuts des auberges de la jeunesse, entre autres).

Pour en revenir à Laure du bout du monde, son dernier opus (été 2006), c'est le récit d'une enfance, celle de Laure, née à 750g et à Éourres, dans une ferme isolée de ce pays déshérité. À part une bizarrerie que je n'ai toujours pas élucidée dans le 1er chapitre, le récit emporte. Je ne vais pas prétendre que ce soit un chef d'œuvre, mais la découverte du monde, des hommes et de la lecture par cette petite fille détestée de sa mère et aimée de ses grands parents se lit d'une traite. Il y a de la rudesse en pagaille, des moutons, de la lavande, des bûcherons italiens, des haines de famille, des roubines (sortes d'éboulis de roche pourrie sur lesquels rien ne pousse et sur lesquels il ne faut surtout pas s'aventurer, j’ai testé), Virgile, Bach et Le Grand Meaulnes, une géode et la petite Laure aux cheveux blonds et au regard aigu. Ça donne le sentiment d'un hommage (à sa compagne morte récemment ? pure hypothèse) puisqu'il n'y a rien d'autre que le récit des débuts de cette vie, l'histoire d'une enfant qui s'arrache à une famille et une tradition pour devenir elle-même. Pierre Magnan est un écrivain conteur revenu sur le tard à l'écriture, et il conte avec un grand talent.

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