lundi, novembre 19 2012

Comment élire un président ....

L'actualité immédiate faisant écho à l'une de mes toutes récentes lectures, je ne résiste pas au plaisir de  proposer à la réflexion de mes lecteurs (-trices) le mode d'élection du président du Weldon Institute, club de respectables « 'ballonistes', discutant la question encore palpitante — même à cette époque ― de la direction des ballons», mode d'élection imaginé par l'un des très sagaces membres dudit club. Nous sommes à « Philadelphie, État de Pennsylvanie, États-Unis d’Amérique.»

Les faits se déroulent en 1889, dans le roman Robur le Conquérant, de Jules Verne. Voici:

«C’étaient deux hommes bien faits pour se comprendre, mais qui ne se comprenaient pas, et tous deux, il faut bien le dire, d’une extrême violence de caractère, l’un à chaud, Uncle Prudent, l’autre à froid, Phil Evans.

Et à quoi tenait que Phil Evans n’eût été nommé président du club ? Les voix s’étaient exactement partagées entre Uncle Prudent et lui. Vingt fois on avait été au scrutin, et vingt fois la majorité n’avait pu se faire ni pour l’un ni pour l’autre. Situation embarrassante, qui aurait pu durer plus que la vie des deux candidats.

Un des membres du club proposa alors un moyen de départager les voix. Ce fut Jem Cip, le trésorier du Weldon-Institute. Jem Cip était un végétarien convaincu, autrement dit, un de ces légumistes, de ces proscripteurs de toute nourriture animale, de toutes liqueurs fermentées, moitié brahmanes, moitié musulmans, un rival des Niewman, des Pitman, des Ward, des Davie, qui ont illustré la secte de ces toqués inoffensifs.

[...] Il résulta donc de la proposition de Jem Cip, appuyée par William T. Forbes et quelques autres, que l’on décida de nommer le président du club au « point milieu ».

En vérité, ce mode d’élection pourrait être appliqué en tous les cas où il s’agit d’élire le plus digne, et nombre d’Américains de grand sens songeaient déjà à l’employer pour la nomination du président de la République des États-Unis.

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dimanche, novembre 18 2012

Victor Margueritte - La Garçonne

La Garçonne, de Victor Margueritte. Emprunté(e) à la B.M., puis lu(e) en vitesse  dans un intervalle du Temps de l’innocence d’Edith Wharton, avant de le passer à deux de mes élèves pour cause de T.P.E. Je n’en connaissais que le parfum de scandale.

- Très éventé, ma foi. C’est un roman antipathique. Du post-Zola, avec une intention polémique et didactique très marquée, et pas un personnage pour lequel on puisse éprouver quelque sympathie tant ils relèvent tous de la charge, de la caricature ou de l’allégorie. Il y a donc Monique (dont je crains fort que la rime ne soit délibérée, on rencontre bien aussi un gynécologue nommé Hilbour !!!), née avec le siècle, élevée avec tendresse, le souci de la santé du corps et de la sincérité du cœur par sa vieille tante célibataire, tante Sylvestre, sur les rives de la Méditerranée, loin de ses parents richissimes et indifférents. L’évocation de l’enfance ne manque pas de justesse, et donne au personnage de Monique une certaine épaisseur dans la détresse, la joie de vivre ou la tendresse. Jusqu’à son retour dans le Tout-Paris de l’après-guerre, où elle s’éprend du beau Lucien Vigneret, justement le parti qui convient, pour affaires, à son père. Las, Lucien n’est qu’un viveur insincère, et après l’avoir plaqué de façon retentissante, Monique se lance seule dans la vie. Elle ouvre un magasin de décoration avec lequel elle s’impose comme l’un des esprits du temps, en même temps qu’elle se jette méthodiquement dans l’exploration des plaisirs de la chair : femmes, hommes, drogues, partouzes, dégringolade et dépressions. Moyen pour l’auteur de vilipender l’hypocrisie bourgeoise, si ce n’est que l’entreprise relève plus du potin égrillard à la Willy que de la verve assassine. Taraudée par le désir d’un enfant qui donnerait sens à sa solitude et à sa féminité, Monique finit par trouver un apaisement momentané dans une liaison avec l’écrivain Régis Boisselot, une sorte de faune athlétique et rageur, rattrapé par une jalousie rétrospective qui aura raison de leur amour.  - Régis, parce qu’il veut commander… Reste Georges Blanchet, héros de la guerre et ex-théoricien du mariage et d’une relative égalité des sexes, qui apportera à Monique, dans les circonstances dramatiques requises par le genre romanesque, l’amour et l’équilibre tant recherchés.

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jeudi, novembre 1 2012

Alexandre Astier - "Que ma joie demeure", ou Jean-Sébastien Bach version bidasse

Je ne sais plus quelle émission*  m’avait donné l’envie de voir Alexandre Astier en son dernier spectacle. Je l’avais trouvé intéressant, et sympathique. Ignorant tout de ce bouillonnant jeune homme dont certains de mes élèves prisaient fort la série Kaamelot, j’ai vu là l’occasion de découvrir son univers, en compagnie de Soizic, très enthousiaste. (*Sans doute n’était-ce pas Eclectik, que je suis en train de réécouter avec agacement).

Je n’ai rien compris à ce spectacle. Ni la démarche de l’auteur-acteur, ni les rires permanents de la salle. Alexandre Astier, vêtu XVIIIe d’une sorte de redingote bourgeoise, avec jabot et chaussures à talons, plus perruque épisodique, revendique devant son clavecin - dont il joue avec talent voire avec brio, comme aussi de la viole de gambe - une forme d’exactitude historique dans le costume et le décor. En revanche, il récuse toute légitimité des dialogues « historiques », dont il considère qu’ils font parler les personnages comme des livres. A cette recherche dans le décor et le costume répond donc un dialogue – un monologue – dans le français contemporain le plus relâché. Passons sur le « Chiotte ! » qui ouvre la pièce (écho du « Merdre ! » d’Ubu ?) et manifeste l’irritation de Bach de se voir imposer une « journée portes ouvertes » avec cours public de musique par les autorités de Leipzig, alors qu’il a d’autres chats à fouetter, mais quid de la suite ? Mais pourquoi un Bach continuellement vulgaire (truculent n’est pas vulgaire), et surtout méprisant au possible avec son public ? Si la correspondance du musicien témoigne de son irritation face à la pingrerie et à la stupidité de ses employeurs, si elle  mentionne la nullité de certains des élèves qui lui étaient infligés, elle est écrite dans une langue pour le moins châtiée, et pour être cassante, elle n’en est ni grossière, ni arrogante. Comme on le comprend au fil du spectacle – qui d’ailleurs comporte quelques longueurs – Bach est tourmenté par ses soucis professionnels, familiaux, ses enfants en bas âge et tous ses enfants morts. Il en résulte une tristesse – une mélancolie ? – vers la compréhension de laquelle le spectacle chemine, et qui en explique le titre.

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mercredi, octobre 31 2012

Molière - Le Bourgeois Gentilhomme, mis en scène par Denis Podalydès à la MCA

La semaine écoulée a été particulièrement endiablée. Le Bourgeois gentilhomme, mardi soir, mis en scène par Denis Podalydès à la Maison de la Culture d’Amiens, jeudi, balade à Beauvais pour les Photaumnales, et le soir, Que ma joie demeure, ou Bach selon Alexandre Astier, à l’espace Jean Legendre de Compiègne.

Le Bourgeois d’abord. Quel bonheur de voir Molière en costumes, Molière où l’on rit aux éclats, non pas des excroissances greffées par tel ou tel metteur en scène enragé à imposer au spectateur SA lecture de la pièce, mais de l’énergie d’une langue inventive, d’un regard acéré sur les « vices du temps », mis en œuvre par le jeu débridé de comédiens en pleine possession de leur métier. Que j’étais heureuse de voir mes élèves rire sans retenue, d’entendre la salle se gondoler aux balourdises de monsieur Jourdain postillonnant ses syllabes, « Daaa, da, Faaa, fa », découvrant éperdu la différence entre la prose et les vers, ou bondissant avec une grâce éléphantesque aux assauts du maître d’armes. Pascal Rénéric. J’ignorais tout de ce comédien qui allie avec brio lourdeurs ou boursouflure et la joie naïve de découvrir les beautés de l’Art et de la science.
Il y a de magnifiques costumes chatoyants et baroques de Christian Lacroix, des perruques à tout casser, un beau décor en étage à échelles et à rideaux, la musique de Lully par l’ensemble baroque de Limoges et Christophe Coin sur scène, et encore les chorégraphies sinueuses de Kaori Ito, qui gagnent jusqu’à la charmante scène de dépit amoureux qui oppose Cléonte et Lucile, auxquels font écho Covielle et Nicole.
J’ai regretté comme une baisse de folie au moment crucial de la turquerie qui voit l’adoubement de monsieur Jourdain en grand Mamamouchi. Le clin d’œil à Starwars était amusant, mais pourquoi si peu de costume justement à ce moment pour un Jourdain quasi en chemise ? regretté aussi à la fin le retour d’une musique trop bellement interprétée au détriment d’un rythme, d’une apothéose plus délirants. Regretté enfin les voix trop faibles – mal réglées sur les autres – des deux jeunes premiers, Cléonte et Lucile. Mais c’étaient des défauts véniels. Le spectacle, enlevé, chaleureux, jubilatoire nous a laissés hilares, béats, bienheureux, bien au-delà du bus du retour.

mardi, octobre 30 2012

Patrick Chamoiseau - Antan d'Enfance

J’ai lu, aussi, la semaine dernière, dans la même collection « Haute Enfance » chez Gallimard, Antan d’Enfance, de Patrick Chamoiseau. C’était la première fois que je lisais un texte de cet auteur au nom poétique et chatoyant, et qui depuis longtemps, me faisait signe. Les extraits que j’en ai tapés font un écho singulier à la lecture – postérieure – du roman d’Alexakis. La langue est belle et charnue, avec cette étrangeté à la lecture de ne pas tout reconnaître dans les vocables parfois inassignables ou insaisissables de ce français d’ailleurs, lyrique, inventif, suggestif. En voici quelques extraits :

La maison de l’enfance, cœur battant de tous les souvenirs :

« O mes frères, vous savez cette maison que je ne pourrais décrire, sa noblesse diffuse, sa mémoire de poussière. De la rue, elle semblait un taudis. Elle signifiait la misère grise du bois dans un Fort-de-France qui commençait à se bétonner les paupières. Mais pour nous elle fut un vaste palais, aux ressources sans saisons, un couloir infini, un escalier peuplé de vies comme une niche de crépuscules, une cour, des cuisines, des bassins, des toits de tôles rouillées où nous découvrîmes le monde en de secrètes magnificences. Située au mitan de la ville, elle nous filtrait la ville. Elle savait allier les lumières et les ombres, les mystères et les évidences. La tiédeur de son ancienne sève s’exhalait parfois dans le silence des jours de messe. Elle porte encore nos griffes et nos graffitis, elle a nos ombres dans ses ombres, et me murmure encore (mais des choses maintenant incompréhensibles) quand j’y pénètre parfois. »

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L'art du bref

Trois grandes œuvres résumées en une phrase – c’est Alexakis qui m’a donné envie de les restituer ici :

Camus (rappelé samedi dernier par Jacques Ferrandez) : « J'ai résumé L'Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale : "Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort." »

Le frère de Pennac, à propos de La Mousson  de Louis Bromfield : « C’est l’histoire d’un mec : au début, il boit beaucoup de whisky, à la fin il boit beaucoup d’eau ! ». Certes, c’est un peu facile, mais c’est amusant. Et La Mousson est un si beau roman !

Et enfin, Alexakis, narquois : « A mon frère qui me demandait de lui résumer L’Idiot, j’avais répondu que c’était un épisode inédit de la vie de Jésus qui se passait chez les alcooliques russes

;-D

Vassilis Alexakis - L'Enfant grec

Divagation mentale, errance intérieure, vagabondage littéraire intime…. Comment qualifier le dernier « roman » de Vassilis Alexakis ? Le mot « roman », il faut le trouver, est inscrit en tout petit dans le coin droit de sa sobre couverture bleu sombre. Appuyé sur ses béquilles de convalescent, de retour de l’hôpital d’Aix-en-Provence où il a séjourné après l’opération d’un anévrisme, l’auteur, (le « je »), incapable de monter les cinq étages sans ascenseur de son studio parisien, habite provisoirement l’hôtel Perreyve, rue Madame, près du Jardin du Luxembourg. Sa démarche, entravée par l’accident et ses béquilles, libère en quelque sorte une déambulation sinueuse à travers les lieux réels et rêvés qui servent de cadre à ses promenades et à sa mémoire. Au passé grec dans le jardin et la remise de Callithéa, où à travers leurs lectures de Dumas, Verne ou Stevenson, il rêvait avec son frère et ses camarades une vie d’aventures, sa conscience juxtapose le présent et le passé des hôtes du Jardin et du Sénat tout proche.
On croise donc dans les allées du jardin et de l’imaginaire Jean Valjean et Cosette, réincarnés en M. Jean, justement, bibliothécaire en retraite du Sénat, et sa nièce aux yeux toujours baissés, les très romanesques marionnettistes du petit théâtre de Guignol, Odile et sa sœur Georgette, le vagabond Gnafron-Ricardo-Karaghiozis. Il y a des garçons de café, une dame pipi, des clochards et des princesses, la Mort avec sa robe blanche et ses pattes de poule à moins que ce ne soit un casque de motard, un cyprès insaisissable. Sous le Paris de la surface, il y a aussi l’ancien Paris tout de galeries et de couloirs d’égouts, que parcourent les étudiants de l’Ecole des Mines et les « cataphiles ». Les Enfers de la ville, en quelque sorte, à portée de bouche d’égout. Il y a des enfants abandonnés – le Rémi d’Hector Malot qui a fasciné mon enfance -, une plantureuse et séduisante dame de bronze assise sur un banc devant l’Institut Culturel Hongrois, les fils et le neveu de l’auteur, son frère mort, la duchesse de Berry en ses débauches, Polichinelle / Pulcinella et Marie de Médicis, Tarzan et Georges Azur, résistant grec…. Tant d’autres, et encore la Grèce natale ostracisée en plein cœur de l’actualité européenne, et les Compagnons de la Nuit, qui ouvrent aux errants et aux égarés leur local, rendez-vous de toutes les solitudes, où l’on parle et où l’on écrit.

Il y a dans cet Alexakis nonchalant, hypocondriaque et habité par tous ses « locataires chimériques » quelque chose du portrait de Marcel Aymé par Topor. Quelque chose de Queneau, aussi, ne serait-ce qu’à cause du finale du roman dont je ne dirai rien. Une sorte de monde où toute frontière semble abolie, dans l’architecture du récit comme dans la syntaxe même de la phrase. Et puis Hugo, bien sûr, dont le roman tire son titre. Loin de la claudication béquillarde du narrateur, la lecture va, fluide, accompagnée in petto par la voix douce, languide, un peu nasale, exotiquement accentuée de Vassilis Alexakis, ex-papou canal historique, dont tant de fantaisies burlesques m’ont fait, autrefois, rire aux éclats.

30/10 : Je lis que V.A. fait partie des "écartés" de la liste Goncourt. J'espère qu'il s'en fiche. Mais j'en suis désolée pour lui.

lundi, octobre 29 2012

Pause littérature jeunesse

Je n’ai pas pour habitude de lire de la littérature jeunesse. Mais j’avais emporté dans le train Brise-Glace, de Jean-Philippe Blondel, prêté par Françoise. L’histoire d’une rencontre, celle d’Aurélien, dix-sept ans, en première L, qui s’efforce avec quelque succès de rester transparent aux yeux des autres. Jusqu’à ce que Thibaud, le séducteur de la classe, vienne le forcer dans ses douloureux retranchements.

C’est une histoire d’adolescents, d’amitié, de slam aussi, univers qui ne m’est pas très familier, évoqué ici avec le regard d’un observateur bienveillant. L’auteur est prof, on le sent à quelques notations ici ou là sur le rythme de la poésie anglaise, par exemple, mais je l’ai reconnu en un éclair en voyant passer la salle G 229, clin d’œil autobiographique à un ouvrage, pour adultes, du même auteur, que j’avais entendu parler à la radio et que Jérôme, un jour, avait évoqué avec chaleur. Et en effet, ce bref roman est écrit et composé avec talent.

dimanche, octobre 21 2012

La Lune dans le rectangle du patio - Régine Detambel

C’est Martine Rassineux qui a cité Régine Detambel parmi les auteurs qui l’inspiraient dans son travail sur l’enfance. Avec qui, même, elle a travaillé autour d’une réflexion sur la rythmique des jeux d’enfants. Avec l’expo, il y a tout un éventaire de livres sur le sujet à la BM, dont nombre de la collection « Haute Enfance », chez Gallimard – très joli titre de collection. Alors comme les bouquins que je veux emprunter sont toujours dehors, j’ai pioché dans la sélection. La Lune dans le rectangle du patio. En brefs chapitres qui sont autant de fragments se construit en quelque sorte le thriller d’une psyché enfantine. Au cœur d’une vie de petite fille, ce rectangle d’eau croupie du médiocre patio familial où se reflète la pleine lune, seul reflet dégradé du ciel dans sa chambre sous une avancée de toit. Éclats d’une vie familiale populaire, années 60, avec gifles faciles, secrets des parents épiés par les trous de serrure ou un conduit d’aération, téléphone gris marqué par les traces minuscules et écœurantes des corps, pellicules, rouge-à-lèvres, projections alimentaires dans la grille…. Et puis il y a la disparition inexplicable de Trop-se-mêle, sorte de double audacieuse, binoclarde, disgracieuse de l’enfant narratrice. Avec tous les bouleversements qu’entraîne cette disparition : enquête policière, installation de la mère et du frère de Virginie-Trop-se-mêle sur le canapé du salon pour cause de proximité du téléphone… tout le tissu incohérent de la vie prend alors sens autour de cette quête qui, pour être vaine, n’en colore pas moins les plus menus épisodes du quotidien. C’est l’écume d’une enfance qui s’exprime ici, grasse, hybride, hétéroclite, « louche », étoilée de quelques bribes de merveilles, achevée sur un suspens.

Régine Detambel a été papoue, il y a bien longtemps, à la fin du siècle dernier, sans doute.

Elle a un site, beau à regarder (j’y ai fait à peine un tour), organisé, plein de propositions, de textes d’elle et des autres. Une puissante réflexion aussi, semble-t-il, sur le(s) corps.

lundi, octobre 15 2012

Petit miracle de l’herméneutique modeste….

L’atelier de Vincent Josse, c’est souvent un moment de découvertes, artistes de tout poil, connus ou inconnus.

Samedi dernier, c’était Jacques Ferrandez, né en 1955 à Alger (un pays), illustrateur, et auteur d’un vaste cycle de Carnets d’Orient sur la période coloniale, avant la guerre d’Algérie, puis sur l’Algérie de la guerre. Un type chaleureux, pas idéologue pour un sou, passionné.

Bref, Jacques Ferrandez est en train de mettre en images L’Etranger de Camus (entreprise ambitieuse et pleine d’embûches, car comment rendre cette écriture blanche ?).

Quoi qu’il en soit, voilà l’illustrateur confronté à une question pratique : Lorsque Meursault se rend au cinéma avec Marie, le jour de la mort de sa mère, il va voir – et rire à - un film de Fernandel. Lequel ? Camus écrivait L’Etranger en 1938 : quels sont en 1938 les films de Fernandel ? Wikipedia en donne six, parmi lesquels Ferrandez en a cité deux : Barnabé, et Le Schpountz, de Pagnol.

Le Schpountz, où Irénée Fabre, le commis épicier, manifeste pour la première fois devant un public de gens de cinéma goguenards son talent de comédien. Comment ? en se livrant à un pur exercice de style à la Queneau, réciter sur différents tons – y compris « comique » - un article du code civil. « Le plus court et le plus net, je dirais presque le plus tranchant : ‘‘Tout condamné à mort aura la tête tranchée’’. » 

CQFD. Petit indice ironique dissimulé au cœur du texte, en attendant un herméneute minutieux et perspicace. Que voici venu. Merci à lui.

            Photo prise sur le site (en lien) du blog de Vincent Josse.

mercredi, octobre 10 2012

Quand Laclos s'intéressait au problème de l'éducation des femmes

« Malala Yousufzai, militante pour l'éducation des filles dans le Nord-Est du Pakistan, est dans un état critique après une attaque des talibans à la sortie de son l'école.»   AFP

« O ! femmes, approchez et venez m’entendre.

 Que votre curiosité, dirigée une fois sur des objets utiles, contemple les avantages que vous avait donnés la nature et que la société vous a ravis. Venez apprendre comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par votre longue habitude de l’esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux vertus plus pénibles d’un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé vous laisse de sang froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à vos occupations futiles. Le mal est sans remède, les vices se sont changés en mœurs[1]. Mais si au récit de vos malheurs et de vos pertes, vous rougissez de honte et de colère, si des larmes d’indignation s’échappent de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez plus abuser par de trompeuses promesses, n’attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils n’ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ; apprenez qu’on ne sort de l’esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C’est à vous seules à le dire puisqu’elle dépend de votre courage en elle vraisemblable. Je me tais sur cette question ; mais jusqu’à ce qu’elle soit arrivée, et tant que les hommes régleront votre sort, je serai autorisé à dire : 'Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation : dans toute société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n’est pas susceptible d’éducation'. Si les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra en nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage il ne puisse y avoir éducation, c’est une suite naturelle de la définition de ce mot ; c’est le propre de l’éducation de développer les facultés, le propre de l’esclavage c’est de les étouffer ; c’est le propre de l’éducation de diriger les facultés développées vers l’utilité sociale, le propre de l’esclavage est de rendre l’esclave ennemi de la société. Si ces principes certains pouvaient laisser quelques doutes, il suffit pour les lever de les appliquer à la liberté. On ne niera pas apparemment qu’elle ne soit une des facultés de la femme et il implique que la liberté puisse se développer dans l’esclavage ; il n’implique pas moins qu’elle puisse se diriger vers l’utilité sociale puisque la liberté d’un esclave serait une atteinte portée au pacte social fondé sur l’esclavage. Inutilement voudrait-on recourir à des distinctions ou des divisions. On ne peut sortir de ce principe général que sans liberté point de moralité et sans moralité point d’éducation » .

Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos - Traité sur l'éducation des femmes (1783)

Malala Yousufzaï est une jeune fille de quatorze ans, qui a commencé son combat pour l'éducation des filles à 11 ans. Je salue son courage et son sens de la liberté.

[1] Citation de Sénèque, Lettres à Lucilius  I, 39

dimanche, octobre 7 2012

Benny Barbash - Monsieur Sapiro

Elle est très jolie, la couverture quadrillée du dernier Benny Barbash, chez Zulma, as usual. Alors, je l’ai acheté, parce que j’avais tellement aimé My First Sony, et un peu moins Little Big Bang, plus désincarné. Eh bien, Monsieur Sapiro…. Le livre a beau être cousu, le papier crémeux et doux - plaisirs visuels et tactiles - le personnage central est tellement antipathique que j’ai eu bien du mal à en venir à bout.

Miki (Mickey ?) est dès les premières lignes du roman installé dans le lobby d’un hôtel de luxe (pour moi un lobby était un groupe de pression. J’ai compris à la lecture qu’ici c’était un hall d’accueil), dos au public y installé, et face à un vaste miroir. Il est venu là, un ouvrage sur les mystères de la réfraction en cours de lecture, pour y attendre un hypothétique nouveau tournant de son destin, tournant qu’il saurait, cette fois, saisir, plutôt que de vieillir, amer, auprès de son épouse Liat, directrice de galerie d’art - laquelle a perdu un sein. Et ce sein manquant est pour Miki une source infinie de réflexions, de frustrations, d’impossibilité à passer de l’indifférence hostile à la tendresse. C’est dans le reflet de ce miroir qu’il voit venir vers lui une bien jolie et désirable serveuse armée d’une ardoise, en quête d’un M. Sapiro.

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samedi, septembre 29 2012

Enfances - Martine Rassineux, François Da Ros

A l’arrivée à la bibliothèque municipale, on est saisi dès la façade par quatre immenses silhouettes d’enfants en plein élan, noirs fondus dans la nudité blanche de grandes toiles où seuls subsistent le mouvement et le geste. Et puis dans le grand hall, à gauche, les murs sont couverts de très grands lavis, garçonnets et fillettes en contre-plongée, pirouettant, tournoyant, tassés contre le sol ou envolés dans un bond immobile. On éprouve à les regarder un surprenant sentiment de familiarité et d’étrangeté à la fois : familiarité de la silhouette, des gestes du jeu saisis dans la cour de récré, étrangeté liée à l’absence totale de décor qui laisse l’enfant se détacher seul sur la page, au point de vue en contre-plongée qui écrase les silhouettes, à l’absence de visages… 

C’était encore plus saisissant hier soir à la nuit tombée, dans le hall où deux comédiens ont lu des textes sur l’enfance, au hasard Loti, Sarraute, Colette, Martine Rassineux elle-même, Peter Handke, Achim Von Arnim et bien d’autres… et puis les deux lourdes portes doublées de cuir rouge se sont ouvertes sur la salle de prêt et la petite salle d’expo qui la précède, et là, les mêmes silhouettes en petit format sur les murs, eaux-fortes cette fois, mais accompagnées, sur les vitrines, ou tendus sur des toiles, desdits textes magnifiquement typographiés en noir et rouge par le mari de l’artiste François Da Ros. Mélange des encres, des caractères, disposition des mots en vagues, en arc voire en colimaçon (sur un texte de Régine Detambel)… Vues à quelque distance, les eaux-fortes semblaient comme des idéogrammes mêlés à la danse des textes, à ces lettres-atomes infiniment combinables qui dans la parole fervente de François Da Ros sont depuis toujours les compagnes de l’homme dans sa quête de sens. J’ai pioché quelques  images sur le site des éditions « Anakatabase », nom cocassement érudit de l’escalier du petit séminaire où le typographe a rencontré les textes qui ont fondé sa quête spirituelle et artistique.

Il y a la petite asiatique à la queue de cheval tournoyante, ou celle que j’appelle à part moi « la petite gitane », sans doute ma préférée, il y a ces enfants, garçons et filles, qui les bras ouverts, semblent saluer le ciel ou le soleil, il y a ce garçonnet de dos, le bras tendu avec une grâce élégante, il y a l’enfant à la cabriole, il y a l’extase de jouer et de vivre… Sur la grande table au centre de la galerie, les planches de Généalogies,  , le dernier des livres composés à quatre mains par le couple. On en trouve quelques-unes sur le site d’Anakatabase : il y a de bien belles choses sur ce site allez-vous y promener. Les livres sont .  Une partie des eaux-fortes ici, juste pour vous ouvrir l’appétit. Surtout, allez à la bibliothèque Louis Aragon : cette expo d’enfants, de récrés et de lettres est littéralement inspirée.


dimanche, septembre 23 2012

Emmanuelle Guattari - La Petite Borde

J’ai entendu Emmanuelle Guattari à l’émission de Colette Fellous Carnet Nomade. Elle y évoquait d’une voix menue mais fervente le livre qu’elle vient de publier au Mercure de France, La Petite Borde, où elle évoque ses souvenirs d’enfance à La Borde, la « résidence psychiatrique » ouverte où elle a grandi, elle, la fille de Félix Guattari, philosophe et psychanalyste, compagnon du psychiatre Jean Oury dans cette aventure thérapeutique singulière. Je l’ai écoutée raconter ses souvenirs d’enfance parmi les « pensionnaires », comme ceux de « la chauffe » qui transportaient des grappes d’enfants en 2CV cahotante jusqu’à l’école, avec, je dois le dire, la nostalgie d’un temps où la sécurité ne dévorait pas la vie, et où régnait une forme d’humanisme généreux et inventif  dont je me sens moi-même le fruit, et dont le monde d’aujourd’hui semble avoir fait litière. D’où l’intérêt du récit d’Emmanuelle Guattari, né d’une requête de la garderie de La Borde, menacée de fermeture administrative et qui réclamait des témoignages d’anciens.
Je dois dire que j’ai préféré la tradition orale telle que contée à la radio au texte publié. Dans un souci infiniment respectable de retenue, l’autrice a limité ses récits à des éclats d’enfance, sur le mode de l’allusion et du suspens. L’expérience y perd un peu de chair, parfois même de clarté. Et puis, pourquoi ce mot de « roman » pour un texte qui relève si manifestement de l’autobiographie ? Il n’en reste pas moins un joli petit livre sobre dans sa forme matérielle, et qui touche par la justesse de son ton, et le mélancolique tissage qui le constitue de joies et de chagrins.

samedi, septembre 22 2012

Du vent dans mes mollets - Carine Tardieu

Il y avait eu la bande annonce au cinéma, où une petite fille au regard grave et qui n’en pensait visiblement pas moins récitait à sa mère – Agnès Jaoui, attentive, approbatrice - une diatribe contre les poupées Barbie ; et les bêtises enchaînées en cascade avec une autre petite fille à couettes brunes, délurée et pleine de vie. Il y a eu, la semaine dernière, la chronique du Toutologue, où Philippe Meyer faisait du film un éloge dithyrambique et convaincu (oui, parce qu’il y a des éloges dithyrambiques qui NE PEUVENT PAS être convaincus, voir infra, à moins que leur auteur ne soit frappé d’imbécillité. Peut-être, après tout ?). Et puis il y a eu l’urgence, puisque le Gaumont d’Amiens (l’un des plus chers et plus laids cinémas de France) ne l’affichait plus qu’à certaines heures, dont la dernière hier après-midi[1]. Je suis donc allée voir Du vent dans mes mollets, de Carine Tardieu, d’après le roman de Rafaëlle Moussafir, partie prenante dans l’adaptation.

Le genre de film selon mon cœur. Avec des gens foutraques, tourmentés et chaleureux, un couple sur le retour - Denis Podalydès et Agnès Jaoui -, la mère de madame - Judith Magre quasi muette, dévorée de rides, l’œil charbonneux sous ses cheveux teints en noir intense, la sentence rare et caverneuse - et la petite fille, Rachel comme il se doit, étouffée entre maman séfarade dont les boulettes de viande sont un poème gustatif, et papa ashkénaze, le seul de sa famille polonaise à être rentré d’« Osvitch ». Il y a encore Isabelle Carré « avec [ses] deux mains gauches et [sa] voix à tomber par terre », son sourire juvénile et chaleureux, sa hardiesse maladroite ; et puis Isabella Rossellini, incroyable en psychanalyste aux cheveux plats et au visage étrangement paisible et immobile, mais au regard pénétrant. « C’est pas le rôle le plus glamour que j’aie pu interpréter », a dit Agnès Jaoui lors d’une interview télé… c’est sûr !!! Colette Gladstein est une mère juive suffocante d’amour, de craintes et de certitudes. Entre ses robes mémère et son masque de nuit aux étranges yeux de quoi - de raton laveur ? et au regard de cocker, elle incarne avec une très grande justesse son personnage de mère paumée et bancale. A vrai dire, je la trouve merveilleuse. Mais tout le film est filtré à travers le regard des enfants et en particulier celui de Rachel, submergée par l’angoisse de la mort, qui dort avec son cartable et subit les retards incurables de sa mère, les remarques acerbes et cassantes de son institutrice et guette avec un miroir le souffle de sa grand-mère. Il y a encore un vieux monsieur noir qui a une tumeur à l’œil (Colette est ophtalmo), je ne sais pas qui est l’acteur mais il est épatant ; il y a surtout des dialogues cocasses et enlevés, un mélange toujours juste de rire et d’émotion, un rythme parfaitement mené, allègre, sans temps morts, et le sens du gag. La réalisatrice est modeste, sagace et charmante. L’ensemble, malgré la gravité du sujet et des moments très douloureux, est tout rayonnant de vie, de vitalité, d’amour.

Je m'aperçois que je n'ai pas écrit combien les deux petites filles (choisies parmi un casting de 500 candidates !) jouent juste et crèvent l'écran.


[1] Non, ça joue encore, mais à 11h et 14 heures !

jeudi, septembre 13 2012

Flagornerie - ou flingage ?

A la veille de la publication officielle de cet opus mémorable, je ne résiste pas au plaisir de vous proposer une petite promenade sur le web critique. Le premier article est issu des pages "culture (???)" de l'Express. Elle est sobrement signée, hélas ! "Lire". Dommage, j'eusse aimé connaître le nom d'un tel maître de la brosse à reluire. Mais les premières pages de La Jouissance, roman européen, y sont librement offertes. Abeilles lectrices, butinez ce nectar !

Le second, signé Claro et titré "Zeller : de rien", ce qui, je l'avoue, me fait pouffer, est une exécution en règle. Un peu trop féroce même, ça tournerait presque à l'acharnement sur un cadavre. Quelques bonnes âmes parmi les auteurs de commentaires s'en indignent. Moi, je comprends. A un certain degré de nullité imposée et encensée à longueur de pages et d'ondes, on s'énerve, et on se déchaîne. Et le lecteur hargneux rigole, soulagé. Le rire est une catharsis, un partage, et une jouissance, petit plaisir français.

dimanche, septembre 2 2012

La voix de Serge Joncour

Serge Joncour, c’est d’abord une voix. Et même une voix et une diction : une voix un peu voilée, un peu blanche, avec des aigus gouailleurs, une diction bègue, trébuchante, ponctuée de silences brefs, et des salves de pitreries verbales irrésistibles. C’est une star des Papous, Joncour. Aux publiques, il fait rire les salles aux éclats. La première fois où je l’ai vu, c’était à la SCAM, pour un hommage à Bertrand Jérôme, avec Bertrand et ses copains papous. Un immense type rouquin, plus ou moins rasé, l’air d’un Flamand (le peuple, pas l’oiseau), dépliant sa haute et gauche stature en même temps qu’Hélène Delavault, autre grande rouquine, pour aller lire son texte. Aux Papous, l’une de ses spécialités, c’est Les Grands airs des aires de repos, un jeu d’étymologie loufoque des aires d’autoroute, suivi d’une chanson. Et le jour des funérailles de Bertrand, il a lu un texte chaleureux dont je me souviens qu’il traitait de l’aire de repos « Repos ». Avec ses airs de ne pas être là, ou d’idiot à la Bourvil, il a quelque chose de profondément amical. Je l’aime beaucoup, et pourtant, je n’ai jamais lu aucun de ses livres. J’avais commencé Combien de fois je t’aime, un recueil de nouvelles qui me plaisaient bien, et puis il s’est égaré en voyage, et je ne l’ai ni repris ni retrouvé.

Et voilà qu’il est passé chez Rebecca Manzoni  ce matin (MERCI ! quelle bonne idée!), à l’occasion de son nouveau roman, L’Amour sans le faire, et de la sortie de Superstar, le film inspiré de son roman L’Idole, qui est sélectionné pour la Mostra de Venise - ce qui lui posait un problème de costume (comme je le comprends !). C’est drôle, ils n’ont pas parlé des Papous. Mais de lit à faire le matin et de Marguerite Duras, de Dewaere, de Ricoré, des enfants et des adultes, et de la bonne position pour écrire, question éminemment papoue. Du métier d’écrivain, avec ses poussées d’inspiration et le long labeur qui les relie. Des voix que l’on entend en soi pour ses personnages. Ça m’a donné envie de retrouver mon petit recueil, et d’essayer L’Amour sans le faire. Les deux titres s’emboîtent, et tous deux sont réussis. Et au moins, ça me fera aborder la « rentrée littéraire » en territoire ami.

En haut : L'hommage de Patrick Gromy pour les vingt ans des Papous en 2004.
En bas : Les Papous au salut, au Quai des Rêves de Lamballe en novembre 2011, photo ©Raphaëlle Rivière pour Radio France, prise sur le site des Papous. S. J. c'est le grand barbu tout de traviole, à côté de Françoise Treussart.

samedi, septembre 1 2012

Sweet tooth, 'Bec sucré' ? de McEwan

Sweet Tooth, le dernier McEwan, un roman d'espionnage et de littérature, vient de paraître en Angleterre. On trouve ici les liens vers les premiers articles critiques.

Et le dernier volet de la trilogie de Stefansson, c'est pour quand ????

Les livres à la radio

Je n’aime pas les mondanités. Clara Dupont-Monod a sévi longtemps sur France Culture à l’émission littéraire de Massé-Scaron, haut-lieu désormais disparu du small talk germano-pratin. Je l’ai entendue aux Affranchis d’Isabelle Giordano sur France Inter, émission vulgaire et ricaneuse remplacée en cette rentrée par une autre encore plus vulgaire. La voici à la tête d’une émission littéraire sur France Inter : Clara et les chics livres, inspirée quant à son titre par Clara et les chics types, un film des années 80, avec Adjani dans un de ses beaux rôles, et une brochette d’acteurs de choix, comme Thierry Lhermitte ou Daniel Auteuil. On est loin du film : j’ai écouté cinq minutes. C’est insupportable de fatuité minaudière. J’arrête. Heureusement – j’ai vérifié – il y a toujours Ça Peut pas faire de mal, petite merveille portée par le souffle passionné de Guillaume Gallienne, à 18 heures.

vendredi, août 31 2012

Emmanuel Carrère : La Moustache... quelle barbe ! :-(

Encore un roman - offert gratuitement par Folio pour l’achat de deux autres volumes - d’autant plus irritant que je le lis pendant des vacances peu actives en ce domaine. Je n’irai pas jusqu’à la fin, tout m’y agace, du style à la façon de mener l’intrigue, et d’ailleurs j’ai déjà lu la fin, sur laquelle une quatrième de couverture racoleuse attire l’attention comme pour inviter précisément à enfreindre l’interdiction de la lire d’emblée. C’est La Moustache d’Emmanuel Carrère, livre dont j’ai mainte fois entendu l’éloge, et auteur célébré s’il en est, y compris par des proches ou moins proches, lecteurs avertis pour lesquels j’ai de l’estime.

Je ne pense pas que ma gêne vienne du prénom de l’héroïne ou plutôt de la femme du héros, Agnès, à laquelle rien sinon précisément cette communauté de prénom ne m’invite à m’identifier. Non, dès les premières pages, je n’ai pas marché : parce que c’est invraisemblable et bancal, cette histoire de type dont la moustache rasée ne saute aux yeux de personne. S’il la portait depuis dix ans, il avait forcément une pièce d’identité qui en attestait, et c’est je crois, avec les photos, la première chose à laquelle il aurait dû penser. L’attitude d’Agnès, à mi-chemin entre inquiétude et mystification, manque elle aussi de cohérence. En outre, j’ai du mal à imaginer que l’on puisse ne pas avoir, face à un homme qui a rasé sa moustache, de souvenir sensible de son contact. Un baiser à moustache n’est pas un baiser glabre, et induit forcément la perception sensible de son absence.

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vendredi, août 17 2012

'Ecouter' un livre : Enfance de Nathalie Sarraute

Puis-je désormais dire que j’ai « lu » Enfance de Nathalie Sarraute ? C’est le problème avec les livres audio : on les a écoutés, on ne les a pas lus. J’ai déjà éprouvé ce sentiment inconfortable à l’écoute – j’allais écrire la lecture – de Lettre à une inconnue  de Zweig, que donc, je n’ai pas « lu ».
En tout cas, il y avait longtemps que j’éprouvais quelque honte de ne toujours pas avoir surmonté un ennui sans doute passager pour aborder entièrement Enfance. Un long voyage a donc permis l’écoute des 3 CD du livre audio où Béatrice Agenin et Francine Berger prêtent leurs voix aux deux Nathalie Sarraute : la « nouvelle-romancière » détachée de toute subjectivité et l’autrice très âgée en proie au désir de revenir sur ses années d’enfance, un comble du retour à soi. J’en connaissais des pages entières – peu, en somme – de celles qui sont devenues des classiques de la littérature-autobiographique-à-l’école, en particulier, précisément, le dialogue liminaire qui oppose les deux voix de la romancière. Je l’ai écouté avec plaisir, mais non parfois sans un certain agacement. A cause, d’abord, du ton trop doctoral, de la diction trop distillée, de la voix principale. Elle exalte le texte, au détriment sans doute d’un certain naturel, même si elle ne s’interdit nullement, au contraire, d’en transmettre les émotions vives. A cause, ensuite, des intermèdes musicaux, toujours trop longs, au point non plus d’accompagner le texte, mais de l’éteindre sous un commentaire redondant, allègre après les passages joyeux, discordant dans les moments douloureux, j’en attendais la fin avec impatience, pour que reviennent les mots. Après vérification, il ne s’agit pas d’une musique originale, mais de brefs morceaux de divers compositeurs contemporains. Je conçois que l’on n’ait pas voulu les interrompre. Leur atmosphère colle judicieusement à celle du texte. Mais le respect de la musique se fait, je le redis, au détriment du texte, qui a été coupé !  Peut-être faudrait-il composer pour les livres audio des musiques originales ? ce serait plus cher, sans doute, mais tellement plus juste !

Beau texte, indéniablement, par moments peut-être un peu complaisant dans sa quête de la vérité des infimes mouvements de l’âme de Natacha enfant.

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dimanche, août 12 2012

Cendrars vespéral

En ce moment même, la voix aiguë de Blaise Cendrars, un peu nasillarde, avec des roulements et des traînements suisses, lit la première laisse de La Prose sur France Culture. C'est émouvant.

Histoires, chansons, souvenirs...

je m'souviens ma mère m'aimait
Et je suis aux galères
Je m’souviens ma mère disait
Mais je n’ai pas cru ma mère
Ne traîn’ pas dans les ruisseaux
T’bats pas comme un sauvage
T’amuse pas comme les oiseaux
Elle me disait d’être sage

J’ai pas tué, j’ai pas volé
J’voulais courir la chance
J’ai pas tué, j’ai pas volé
J’voulais qu’chaque jour soit dimanche

Je m’souviens ma mère pleurait
Dès qu’je passais la porte
Je m’souviens comme elle pleurait
Elle voulait pas que je sorte
Toujours toujours elle disait
T’en vas pas chez les filles
Fais donc pas toujours c’qui t’plaît
Dans les prisons y a des grilles

J’ai pas tué j’ai pas volé
Mais j’ai cru Madeleine
J’ai pas tué j’ai pas volé
J’voulais pas lui faire de peine

Je m’souviens ma mère disait
Suis pas les bohémiennes
Je m’souviens comme elle disait
On ramass’ les gens qui traînent
Un jour les soldats du roi
T’emmèneront aux galères
Tu t’en iras trois par trois
Comme ils ont emmené ton père

Tu auras la tête rasée
On te mettra des chaînes
T’en auras les reins brisés
Et moi j’en mourrai de peine
Toujours, toujours tu rameras
Quand tu s’ras aux galères
Toujours, toujours tu rameras
Tu penseras p’t'être à ta mère

J’ai pas tué, j’ai pas volé
Mais j’ai pas cru ma mère
Et j’me souviens qu’elle m’aimait
Pendant que je rame aux galères *

 


J’adorais cette chanson que j’ai apprise en colonies de vacances. Elle fait partie des chansons qui m’habitent, avec L’Auvergnat de Brassens, un jour interprétée – j’avais six ans - par le groupe des ‘grandes’ vêtues de toges blanches (des draps, sans doute), à la fête de fin de séjour du « home d’enfants » François et Suzon, à La Bourboule, où je séjournais pour cause de rhino-pharyngites.


Je viens de lire - autre fascinant raconteur d’histoires – un volume de souvenirs de Joseph Kessel Ami entends-tu (encore un chant qui donne la chair de poule, et je me souviens d’Anna Marly, il doit y avoir une dizaine d’années, à l’émission matinale de Pierre Assouline sur France Culture, contant de sa voix passionnée les circonstances de sa composition : le livre de souvenirs qu’elle a écrit s’appelle : Anna Marly, troubadour de la Résistance), livre où Kessel raconte à son ami Jean-Marie Baron des épisodes de sa vie intense de journaliste et  d’aventurier. Il y a dans sa parole si vivante une absence totale de moralisme – mais non de sens moral – qui a par les temps qui courent a quelque chose, certes, de dangereux, mais d’infiniment salubre et
qui éloigne tout penchant au préjugé. C’est là que j’ai découvert aux petites heures du matin que ce Galérien était un chant d’origine russe traduit par Kessel et Druon. Mon carnet de chant en donne une version où manquent les bohémiennes, la version recopiée ci-dessus est peut-être un peu bancale. J’en ai écouté ce matin une version des Compagnons de la chanson (très belles voix) terriblement mélodramatique. Yves Montand, c’est mieux, mais je ne sais pas encore mettre de son sur ce blog, alors allez l’écouter par vous-mêmes !

* Paroles : Maurice Druon. Musique: Chant traditionnel russe, Arrangement: Léo Poll - 1942 Ed. Nuances 1950

Une interview de Kessel sur les archives de la télévision suisse romande. Et une photo de lui - ce merveilleux visage d'homme - trouvée sur le site de l'Internaute.

samedi, août 11 2012

Pierre Barouh - Encore la radio

J’adore les gens qui savent conter des histoires. Comme Jean Renoir, avec sa faconde et son accent parigot. Il y en a des heures enregistrées à l’INA et ça se trouve en CD. Ce matin, c’était Pierre Barouh, chez Philippe Meyer, La Prochaine fois je vous le chanterai. Pierre Barouh est quand même l’auteur, excusez du peu, d’A bicyclette, la célébrissime chanson d’Yves Montand, où l’on apprend qu’en studio Montand s’est trompé sur le texte :

« Quand le soleil à l’horizon / Profilait sur tous les buissons / nos silhouettes/ on revenait fourbus contents / le cœur un peu vague pourtant / de n’être pas seul(s ?) un instant /avec Paulette… » et Montand s’est trompé : « de n’être pas un seul instant » ce qui change beaucoup de choses : « Une erreur infime et l’image se rétrécit totalement », dit Pierre Barouh. Yves Montand a corrigé en public. Il y a une autre histoire de chanson avec Montand, avec Le Kabaret de la dernière chance. « J’la raconte ? Bon, eh bien voilà : » Ça s’écoute ici.

Un type généreux, passionné, humaniste jusqu’au bout des ongles. La suite sera samedi prochain, il y a de très belles chansons. De la belle ouvrage radiophonique. Et il y a un livre de souvenirs ! Les Rivières souterraines, 2011, chez A vos pages.

L’Homme hermétique, de Lionel-Edouard Martin

L’Homme hermétique, c’est l’histoire de Paul, telle qu’elle émerge de la polyphonie des débuts, des scènes de famille où les prénoms des uns et des autres (évoqués dans un  dramatis personae  initial incongru à l’orée d’un « roman ») sont comme des éclaboussures qui masqueraient le point central. C’est donc l’histoire de Paul, rejeton d’une famille de diabétiques, dévoré par le sucre dans son corps. La chronique d’un corps qui se défait, le corps lourd d’un homme qui « boit », qui stagne, et qui, toujours, se tait, pendant que l’écriture du « je », l’un des membres de la famille, essaie de saisir – avec une grande force d’évocation et cette belle langue charnue, nerveuse, incantée – la vie de l’homme au cœur de ce silence.

Un seul reproche, peut-être, que les mots et le rythme des voix du chœur familial soient trop proches - plus assez patois, mais trop français lettré – de ceux du narrateur. Pour le reste, il ne se passe rien ici encore, que la mort lente de Paul, autrefois maçon, puis menuisier, au fil des ans, de l’oisiveté, du corps pesant et du silence. Avec au début, cet étrange prélude qui observe un adolescent sans regard encapuchonné dans un sweat et les écouteurs d’un ipod ( ?), fendre la foule urbaine d’un seul élan indifférent. De l’ado d’aujourd’hui au Paul d’autrefois, de la fureur vive à l’affaissement dépressif, même hermétisme à l’autre, comme une image de l’homme contemporain que, par ses mots, l’auteur tenterait de retisser à la toile commune ?

J’ai emprunté ces deux livres de Lionel-Edouard Martin à la bibliothèque, après avoir découvert au hasard d’une errance sur la toile en quête de références aux Saisons de Maurice Pons - dont j’ai vu qu’elles avaient été rééditées - sur le site de Marc Villemain, un éloge appuyé et une interview chaleureuse, intéressante, littéraire de L. E. Martin. Il n’y avait que ces deux textes-là à la bibli, pas d’Anaïs ou les gravières, dont il était fait un éloge convaincu. Je cherchais dans la jungle des lettres autre chose que les auteurs de « bonnes feuilles » (cette antiphrase !) évoqués il y a peu, que les publieurs-d’un-bouquin-à-l’année ou tous les deux ans dont les noms reviennent régulièrement aux diverses rentrées littéraires. Lionel-Edouard Martin n’est pas un enfanteur de vastes histoires romanesques au souffle d’épopée. Mais c’est un amoureux des gens, des lieux, des langues, et sa musique discrète, déliée, délicate sans mièvrerie aucune, mérite qu’on la lise et qu’on l’écoute.

« J’écris pour ça, pour l’archéologie de la parole, celle qui doit bien, aux ébréchures, laisser filtrer un peu de matière occulte, puisque évoquer Paul et les autres, aller dans cette histoire, les rétablir dans l’existence, non pas comme ils furent mais comme les mots les concrétisent, les font passer de l’ombre au personnage, leur rendent un corps de souffle expiré par ma voix .»

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