En 1913 paraissait un texte à tout jamais insolite et neuf,

dans sa forme poétique comme dans sa forme matérielle, publié aux éditions Des Hommes nouveaux par l’auteur soi-même - génial, torturé, fauché - auteur, sujet et éditeur d’un ouvrage qui allait provoquer dans le petit milieu parisien un scandale dû avant tout à l’incompréhension, aux préjugés et à l’ignorance : « le premier poème simultané », annonçait le prospectus, mince bande de papier peinte au pochoir par Sonia Delaunay, née Terck, russe d’origine et amie de Blaise Cendrars. Car c’est de lui qu’il s’agit, et de sa Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Cet immense dépliant de 2m de long sur 36 cm de large, prévu pour être tiré à 150 exemplaires - l’édition originale atteignant ainsi la hauteur de la Tour Eiffel - offrait à droite le texte, imprimé en divers caractères colorés de tailles diverses, à gauche, un ruissellement de couleurs, une composition-transposition inspirée à Sonia Delaunay par le récit d’un voyage initiatique : la traversée en Transsibérien de la Russie à feu et à sang par un adolescent lui-même à feu et à sang - qui trouvera dans le poème son nom et son écriture.
J’ai découvert ce texte adolescente dans l’anthologie de Seghers. Depuis, il ne m’a plus quittée. J’ai eu la chance de le voir « en vrai » : immense dépliant, poème tableau, ruissellement de couleurs « bariolé / comme ma vie », dit le poète. 449 vers, si j’ai bien compté, cet accordéon rythmique est hanté par le rythme du train, du monosyllabe au verset de plus de 50 syllabes, de Moscou à Kharbine puis à Paris, de l’adolescence tourmentée à un âge d’homme plus apaisé. Livre à voir, livre à dire, je l’offre aussi souvent que possible à des générations successives de jeunes gens, sans jamais m’en lasser, heureuse de le partager avec eux. Il y a dans ce poème une puissance lyrique et un RYTHME qui touchent, sans doute, à l’essentiel.
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Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d'or,
Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches
Et l'or mielleux des cloches...
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
J'avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s'envolaient sur la place
Et mes mains s'envolaient aussi avec des bruissements d'albatros
Et ceci, c'était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.

L'illustration, issue de la bibliothèque Doucet, reproduit l'exemplaire de Sonia Delaunay, plus clair que celui de Cendrars.
Le portrait est de Modigliani.

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