mardi, avril 16 2019

The shop around the corner : un délice !

Mr Kralik-James Stewart est jeune et irrésistible en vendeur modèle de la maroquinerie Matuschek & Cie, longiligne et super chic avec ses vestons croisés. Il entretient une correspondance avec une inconnue raffinée et romanesque qui comme lui a envie de se cultiver - il cite « Zola’s Mme Bovary », :-) -, et il ne cesse de se chamailler avec Klara Novak, la nouvelle employée, qui méprise le vendeur terre à terre, mesquin et matérialiste qu’elle le soupçonne d’être, alors qu’elle entretient une correspondance avec un inconnu raffiné, cultivé, plein de tact !…. Deux porcs-épics se lardant sans mesure ni précautions de piquants à la moindre conversation. Il y a un employé servile et flagorneur (Vadas), deux demoiselles de magasin (Flora et Ilona) pleines de compassion, le fidèle et bienveillant Pirovitch - avec sa femme, son fils et son bébé, et qui disparaît dès que le patron demande « un avis sincère et honnête » -, Pepi le coursier qui est un vrai Gavroche, un lot soldé de boîtes à cigarettes-boîtes à musique en simili cuir repoussé qui jouent Ochy Tchornya (Les Yeux noirs), des portes qui s’ouvrent, se ferment, qui battent, qui claquent, des conversations sur le coût d’installation d’un ménage, un rendez-vous avec œillet et Anna Karénine (Rendez-Vous est le titre français du film), et Mr Matuschek dont l’humeur se dégrade au fil du film et qui se met à traiter très mal le pauvre Mr Kralik dont la dignité et la loyauté sont mises à rude épreuve.

Dialogues enlevés, très théâtraux, clins d’oeils à la littérature française (Hugo et Corneille sont mis à contribution, l’insatisfaite Mme Matuschek s’appelle Emma) photo magnifique, sentiments subtils et fraternels chez des petites gens menacées par le chômage qui rôde dans les rues de Budapest,  rien n’est caricatural. Quant à oser la dernière scène !!! C’est du cinéma absolument revigorant, humaniste jusqu’au bout des ongles, beau, gai, adorable. Merci Lubitsch.

samedi, octobre 11 2014

Pride, without prejudice

On commence à sourire dès les premières images, lorsque Mark, saisi d’une brusque inspiration en regardant les infos, quitte son appart un seau à la main, en quête d’autres seaux – what for ? – et qu’il rive son clou avec esprit et désinvolture au vieux… compère ? - quel est le masculin de commère ? - qui, penché à sa fenêtre, s’en prend à ses mœurs sexuelles. C’est un jour de gay pride, 1984. Et les 20 ans de Joe, le blondinet bien propre sur lui, qui au sortir du métro se trouve enrôlé sans le vouloir comme porteur de banderole. Avec lequel le spectateur se trouve, lui aussi, embarqué dans cette histoire de gays, puisque tel est le terme, décidés à apporter leur soutien à la grève des mineurs de 84-85, sous le « règne » de Thatcher.

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Ce film est d’un entrain irrésistible. D’une drôlerie profonde, jamais lourde, toujours spirituelle. C’est une histoire de fraternité humaine sans une ombre de mièvrerie, d’où irradie à chaque image – belle image, paysages et gens sont filmés avec amour – une joyeuse énergie. Les femmes y sont merveilleuses, aussi bien Steph la lesbienne à la crête carotte  (« I am the L in LGSM[1] ») que les meneuses du club des mineurs gallois en grève, Siân, Hefina et Gwen. Il y a dans ce film inspiré par des faits bien réels un tel élan de vie que, toute réticence remisée, on rit à pleine gorge (on rit « avec », et non pas contre !), on se laisse parfois submerger par l’émotion, en particulier dans la scène magnifique – bande-son peut-être un poil tonitruante – où la communauté des mineurs en grève chante en chœur « Bread and roses ». La catharsis par le rire joue à plein dans cette comédie au meilleur sens du terme, qui interroge notre rapport au monde, aux autres, à la politique et à la morale, à la sexualité évidemment, sans une once de militantisme. Les femmes galloises ont une telle santé bienveillante, une telle inventivité malicieuse que c’est sans doute cela le plus étrange du film (le plus queer, puisque le film a reçu la Queer Palm à Cannes), le meilleur signe, envers et contre tout, de l’échec de Thatcher, du fait qu’elle n’a – malgré les désastres sociaux qu’elle a engendrés – pas réussi à réduire, à uniformiser ni à asservir les gens.

Pourquoi les Anglais ont-ils un talent si singulier pour les comédies sociales ? Les acteurs – il y a une bonne douzaine de rôles principaux, et sans doute n’est-ce pas étranger à l’énergie communicative du film, cet esprit d’équipe, sans star – sont tous magnifiques. Citons, parce qu’ils sont tout jeunes, Ben Schnetzer, qui incarne Mark avec une présence rayonnante, tout comme Faye Marsay incarne Steph. Et puis le timide Joe, que l’aventure révèle à lui-même. Mais je pourrais aussi bien citer le casting complet, avec ses stars, Bill Nighy ou Dominic West, sans oublier la bande son, qui donne une terrible envie de chanter – et de danser.

Et les seaux, dites-vous ? Pourquoi les seaux ? Courez-y, et vous saurez.

Pride de Matthew Warchus, scénario de Stephen Beresford, musique de Christopher Nightingale (2014).

Une interview du scénariste et du réalisateur ici.



[1] Lesbians and Gays Support the Miners

mardi, décembre 31 2013

Pour clore l'année

Pour clore cette année si triste, si peu féconde, l'abondance des fruits et des douceurs de l'hiver, convoqués pour les fêtes, où l'on se réchauffe de concert.

Et un conseil : si vous ne l'avez pas encore vu, si vous avez la chance qu'on le projette encore dans vos parages, allez voir The Lunch box. Une histoire de saveurs, justement, à Bombay, nowadays, et un authentique "film épistolaire". Saveurs, couleurs, odeurs, visages, désillusions, désirs, amours et illusions. J'en reparlerai plus longuement, L’ANNÉE PROCHAINE. Mais je veux dire aujourd'hui combien, à tous les sens du terme et le sourire aux lèvres, je m'y suis régalée.

A l'an que ven, se siam pas mai que siguem pas mens, du fond du cœur.

samedi, novembre 30 2013

William Wyler - Vacances Romaines (1953)

Dans Vacances Romaines, la princesse Ann rêve de "pajamas", avant de revêtir, quelques heures plus tard, ceux de Gregory Peck. Ça m'a beaucoup surprise, j'avais appris "pyjamas"...



Je n'avais pas écrit ici que j'avais regardé Vacances Romaines. Roman Holiday. Deux fois, en anglais. Avec Audrey Hepburn, irrésistible en jeune princesse d'un pays non répertorié, que sa tournée européenne a conduite à Rome - et au-delà de la contrainte supportable : interminables stations debout sur escarpins, interminables saluts et formules de politesse ressassées, interminables bals protocolaires avec fossiles divers, inlassable surveillance de la Comtesse et du Général, sempiternelle chemise de nuit vieillotte et collet monté, verre de lait et cracker du soir...... la voilà enfuie nuitamment, et retrouvée endormie sur un bord de mur le long du forum - temple de Saturne, temple de Vespasien, arc de Septime Sévère - par un Gregory Peck amusé, ému, irrité, perplexe, et charitablement obligé de l'embarquer en taxi jusqu'à son perchoir, via Margutta 51, volées d'escaliers, plantes grimpantes le long des rampes. Bougainvillées ? plumbagos ?

Dans l'appartement, perché sur les toits de Rome, voix pâteuse : "- Is this the elevator ? - It's my room."

Et un peu plus tard : "- This is very unusual. I have never been alone with a man before, even with my dress on. With my dress off, it's most unusual. (Petit rire). I don't seem to mind ! Do you ?"
Plus tard encore, cette merveilleuse réplique de la prétendue Anya, toujours cérémonieuse, à Gregory Peck – Joe Bradley la quittant pour aller boire un café, le temps qu'elle revête les fameux "pajamas", geste altier, pirouette chancelante : "You have my permission to withdraw."
Jupe dansante (c'est une jupe "soleil", je pense, un rond parfait), taille de guêpe, cheveux longs sagement tenus par des barrettes mais bientôt ratiboisés (- All Off ? demande deux fois le sémillant coiffeur que l'on retrouvera sur un bal flottant au bord du Tibre, - All off, répond la princesse déterminée). La sage écharpe nouée autour du cou bientôt remplacée par un un petit foulard de vichy, voici la princesse lancée dans l'exploration de la vraie vie – une vie rêvée -, en compagnie de Bradley, jambes interminables, sourcil gauche en accent circonflexe, et de son copain Irving, armé de son briquet photographique, car le journaliste a fini par comprendre qui était son invitée nocturne et mitonne son scoop. La cavalcade en Vespa, à travers une Rome de cartes postales allègrement filmée, comme passagère puis comme chauffarde radieuse, en est le pont d'orgue.

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samedi, septembre 21 2013

More Lubitsch

Depuis j’ai vu deux autres Lubitsch : Le Ciel peut attendre (1943), avec Don Ameche et Gene Tierney, et One Hour with you, avec Jeanette MacDonald et Maurice Chevalier, film réalisé en collaboration avec Cukor, qui se serait très mal entendu avec l’acteur français (1932). Le second, c’est-à-dire le premier dans le temps, en noir et blanc, est, sinon une comédie musicale, du moins une comédie avec pauses chantées.

Eh bien, ce sont des films très enlevés, réalisés au petit poil, mais les personnages masculins sont si falots, si veules, malgré leur passion, dans un cas des femmes, dans le second de sa femme, et les femmes si dépendantes (quoique Gene Tierney, malgré des robes atrocement monochromes et surchargées de dentelles et autres froufrous, et une coiffure ahurissante, soit particulièrement chic à tous les sens du terme) que je n’ai pas adopté l’histoire, comme j’avais pu le faire pour Sérénade à trois. Il y a dans ces films du rythme, de l’esprit, une science vaudevillesque, mais elle se borne à répéter une sorte d’immoralité sociale figée depuis le XIXe, réduisant à une mécanique somme toute désuète et peu engageante les histoires de trios qu’elle met en scène.

Une raison majeure sans doute à cette différence de ton, et de philosophie : les scénarios des deux films que je viens d’évoquer sont de Samson Raphaelson – un scénariste d’une longévité extrême, mort à 99 ans ! - alors que celui de Sérénade à trois est de Coward, habité, semble-t-il, par un mordant bien plus acerbe que son collègue new-yorkais. Il n’empêche, ce Raphaelson devait être un type cultivé et amateur de littérature française. L’épouse d’André Bertier-Maurice Chevalier se nomme Colette, et sa garce de « very best friend » Mitzi. Cela évoque furieusement le personnage scandaleux de Colette et sa longue liaison avec la baronne Mathilde de Morny, dite Missy. Il y a aussi une scène presque inutile et très amusante où le « meilleur ami » d’André, Adolphe, amoureux de Colette, s’aperçoit que le bal auquel il est invité N’EST PAS un bal masqué et qu’il doit donc se dépouiller de sa tenue de Roméo. Interpellé avec hargne à ce sujet, le maître d’hôtel auteur du canular s’incline suavement en disant « Le collant va si bien à Monsieur ». Il s’appelle… Marcel.^^

Voilà. J’ai raté me dit-on un Billy Wilder merveilleux de légèreté, passé dimanche sur Arte, Ariane (Love in the afternoon, 1957), avec Gary Cooper, Audrey Hepburn et Maurice Chevalier, excusez du peu ! Wilder est un digne héritier de la « Lubitsch touch ». Je vais me mettre en quête, et vive la comédie !.

 

mercredi, septembre 18 2013

Ernst Lubitsch - Sérénade à trois... une idée de la grâce

Regarder Sérénade à trois de Lubitsch, emprunté presque par inadvertance à la médiathèque, un soir de mélancolie, où le soleil picard, selon son habitude, se lève pour une petite heure vers 7h du soir… soleil dehors, donc, lumière chaude sur les arbres jaunissants, et sur l’écran, en noir et blanc, le rythme, la légèreté, le charme d’une comédie qui très vite, fait sourire de bonheur. Je n’avais, je crois, jamais vu Miriam Hopkins, ingénue libertine émouvante de naturel, de grâce, d’une sorte de saisissante aisance physique, une manière d’habiter son corps délié sans la moindre afféterie, d’adresser son sourire lumineux à faire fondre de reconnaissance. Aussi les deux inséparables amis que sont George (Gary Cooper) et Tom (Fredric March), artistes dans la dèche (un peintre, un dramaturge), tombent-ils sous le charme dès leur rencontre – ensommeillée -  dans un wagon de troisième classe entre Marseille et Paris. Inspiratrice, pomme de discorde, impresario improvisée non moins que sourcilleuse de la carrière de l’un comme de l’autre, Gilda Farrell s’installe et les installe dans un trio amoureux parfaitement licencieux qui, malgré les tribulations inhérentes à ce genre de situation, apparaît comme la seule issue possible, et, presque, morale. Il y a aussi le sentencieux  et bien-pensant Mr Plumket, homme d’affaire américain qui se voudrait le protecteur, le  mentor de Gilda, à défaut de mieux… il y a des dialogues en français avec un accent irrésistible, des gamins de Paris, des logeuses et des cabaretières, et cette histoire, libertine au meilleur et au plus libre sens du terme, entre trois « hooligans » (voyous), selon les critères et les termes de Mr Plumket, et qui se réclament comme tels. C’est encore, comme Easy Virtue, un film adapté d’une pièce de Noël Coward, où une immoralité spirituelle, élégante, insoucieuse du qu’en dira-t-on apparaît en somme comme la seule attitude possible face aux embûches et aux difficultés de la vie et de l’amour, un art de vivre. Une histoire, sans flonflons ni discours, de femme et d’hommes profondément libres.
Juste une question : comment comprendre – au-delà de la simple évidence, Gilda fait du dessin publicitaire -  le titre anglais, Design for living ?

samedi, septembre 14 2013

Sarn - Webb, Santelli

Voilà, j’ai enfin regardé Sarn (1968), l’adaptation du roman par Claude Santelli, commandée il y a bien longtemps sur le site de l’INA.

Je l’ai regardée sans déplaisir. Mais avec distance. C’est une adaptation fidèle, mais il lui manque le souffle de passion, l’obscurité ardente et amère, la brume omniprésente, et le lyrisme, qui baignent le roman. Les acteurs sont bons – c’est la Raymone de Cendrars qui joue la plaintive mère Sarn, Anny Duperey (encore orthographiée avec deux ‘r’) y fait une jolie apparition en châtelaine arrogante, et Henri Virlojeux campe un Beguildy convaincant. Mais Dominique Labourier aux yeux de velours est une Prue trop enfantine, et ses cheveux manquent tant de  naturel ! Gédéon aussi, avec son corps délié et adolescent, n’a pas la passion rude, abrupte, que j’imagine à ce personnage tragique. Et puis la campagne  - les alentours de Paimpont - est trop propre, trop claire, et les scènes de foule trop policées… tout y manque de bruit et de fureur.  Bref, il faut que je relise Sarn, pour l’obscur et puissant mystère qui en émane, sans que, je l’espère, les images de Claude Santelli, cette fois, n’y interfèrent.

mardi, août 27 2013

Georges Franju - Les Yeux sans visage

Eh bien, Les Yeux sans visage, ce n’est pas du tout un film pour le soir, encore moins pour la nuit. J’ai dû arrêter, tant j’étais angoissée. J’ai regardé la fin ce matin, au jour levant, ça faisait mieux passer le chirurgien habité par l’hubris (Pierre Brasseur, épais, dévoré par son obsession paternelle et scientifique) et les terrifiantes images de jeunes filles prêtes à être … dé-visagées. 

Comme le dit Edith Scob dans le documentaire qui accompagne très bien le film dans le DVD – vieillie, ridée, mais avec la même grâce intense que dans sa jeunesse -, ce n’est rien, un simple trait de crayon autour d’un visage, mais la charge de violence que porte la scène la rend insupportable, au moins pour les gens à l’imagination trop vive. Il est très bien, cet hommage documentaire à Franju : Les Fleurs maladives de Franju, de Pierre-Henri Gibert, avec des interviews de Jacques Champreux, le petit-fils de Feuillade et assistant de Franju, qui a travaillé sur Judex et contribué à la restauration des Vampires – il y a dans la bibliothèque derrière lui un carte postale représentant Irma Vep renversée dans un fauteuil rouge sur fond or -, de Mocky, de Chabrol dans un énorme fauteuil club au bras recollé avec du scotch de déménageur !, d’un autre assistant nommé Bernard Queysanne et d’Edith Scob soi-même.
Ils y évoquent à la fois des anecdotes sur Franju, sa façon de travailler, son rapport d’étrangeté au monde, sa complicité avec ses acteurs et ses collaborateurs, son indifférence absolue à des exigences autres que celles de son esthétique, de son « film intérieur », sa façon minutieuse de rédiger ses scénarios.Sur sa technique, sa façon d’étirer insensiblement le temps, de s’attarder sur des images décalées, apparemment inutiles, essentiellement poétiques, son usage de la lumière (« à trois dimensions », avec des effets d’ombre et de lumière alternée), sur la différence entre la peur et l’angoisse. Sur la façon dont il filme  l’« épouvante », comme on disait alors, l’épouvante qui suggère, et non « l’horreur », qui montre.

Inspiré par un roman publié au Fleuve Noir avec chirurgien esthétique paranoïaque, alcoolique, assistant morphinomane, meurtrier et nécrophile et jeune fille défigurée, le film est quasi épuré de toute trace de sang (remplacé par ces traits de crayon noir qui préfigurent la défiguration des jeunes filles) et l’enquête policière est réduite à sa plus simple expression, et à une équipe d’une rare absence d’intuition ! L’assistant dingue est remplacé par une assistante amoureuse du professeur, Alida Valli, visage immobile, regard inquiet, triple rang de perles en collier de chien à la base du cou, son âme soumise et damnée. Il est fascinant de voir comment les visages des jeunes filles enlevées cristallisent en quelque sorte ceux d’Edith Scob et de Valli. Edith Scob, son masque blanc inexpressif plaqué sur le visage, la grâce aérienne et trébuchante de sa démarche, la clarté de ses yeux effrayés. Il y a des chiens, encore, enfermés dans des cages, et des colombes aussi. Il y a la musique discordante de Maurice Jarre, dès le long trajet nocturne de Louise/Valli au volant de sa 2CV, sur une route interminablement bordée d’arbres dénudés aux bras griffus. Que l’on retrouve, à peine verdissants, dans une scène finale étrangement porteuse d’espoir, où Christiane/Scob, vêtue d’un vaste peignoir d’organdi ? s’éloigne, environnée de colombes, dans le clair de lune.

C’est un univers singulier, terriblement beau.

lundi, août 26 2013

Georges Franju - Judex

En quelle année ai-je vu Judex-de-Franju ? sans doute dans les années 70 ou 72, au ciné club du Lycée Montgrand, Marseille, dans la « salle de cinéma » aux fauteuils de bois qui nous servait parfois de salle d’étude. Il m’en était resté un souvenir vivace de mystère, d’angoisse, de fascination inquiète. J’y ai repensé, je l’ai écrit, en regardant l’autre jour Les Vampires de Feuillade, étonnantes associations de la mémoire inconsciente. Car Feuillade – ce que j’ignorais -  a tourné un Judex, en 1912, avant Les Vampires, et le film de Franju, 1963, est un hommage explicite à son prédécesseur, dont l’univers avait nourri son imaginaire d’enfant. Hommage à son Judex, donc, dont le DVD donne au fil du trop bref entretien avec Jacques Champreux (le petit-fils de Feuillade et co-scénariste du film avec Francis Lacassin, comme il a été aussi le restaurateur des intertitres des Vampires), des extraits – film infiniment plus réaliste et en quelques sorte rationnel que celui de Franju.

Ce que j’ignorais, aussi, en tout cas ce que je ne savais pas consciemment, c’est que le film de Franju était aussi un hommage appuyé à Irma Vep. Pourtant, dans les réserves mêmes que j’ai formulées l’autre jour, il devait bien m’en rester quelque chose. 

Il y a deux femmes, dans Judex. : Jacqueline Favraux, la fille du banquier, incarnée dans la blondeur éthérée, aiguë, émouvante d’Edith Scob. Et Marie Verdier devenue Diana Monti, la méchante, l’intrigante, la meurtrière et l’amante sulfureuse, incarnée avec génie par la brune Francine Bergé, magnifique de souplesse, de brutalité et d’autorité, avec ses yeux de biche intensément soulignés d’eye liner, le très léger strabisme qui lui confère sa dimension inquiétante, et son corps vigoureux et sinueux, si érotique dans son maillot noir moulant et ses chaussons d’acrobate, ou dans un costume d’homme, ou un déguisement ailé de religieuse à la vaste cornette  ! C’est en somme un film de cape et d’épée (« a cloak and dagger story »), qui partagerait la cape et la dague entre les deux personnages principaux : le poignard fixé sur la cuisse de Diana-Marie, petite croix étincelante dans le noir de la tenue et l’obscurité de la nuit, la cape de Judex, le justicier, incarné par Channing Pollock, un très bel homme au visage impénétrable, imperceptiblement indolent, avec de vagues airs de Roger Moore sous son large feutre noir. C’était en fait un magicien professionnel, et il multiplie au cours du film les métamorphoses, et les apparitions de colombes sorties d’un foulard, en particulier au cours de la merveilleuse scène du bal des oiseaux, au début du film. Ça aurait un air de Cocteau, mais beaucoup plus fort, plus resserré, plus suggestif que les féeries un peu affectées de Cocteau.

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mardi, août 20 2013

Louis Feuillade, Les Vampires, Musidora

Qui poursuit qui, de Philippe Guérande et de son acolyte Mazamette (Oscar-Cloud. Os-car-Cloud-Mazamette ! quel scénariste est allé chercher un nom pareil ???) ou du Comte de Kerlor, de Satanas ou de Vénénos et de leur bande ? Il y a encore la charmante Fleur-de-lys, mais surtout il y a Irma Vep. Cela ne vous dit rien ?  L’amie de Colette et l’objet de tous les fantasmes des surréalistes cinéphiles, moulée dans son collant noir…

Irma Vep, anagramme de Vampire. C’est l’héroïne féminine sulfureuse, maléfique, des Vampires de Louis Feuillade, feuilleton cinématographique en dix épisodes aux titres croustillants : L’Homme aux poisons, Le Maître de la foudre, Les Noces sanglantes… Irma Vep, c’est Musidora, presque nue dans son maillot noir moulant dessiné par Paul Poiret - quel dommage qu’il ne lui ait pas associé des ballerines ou chaussons de cirque comme chaussures, parce que ses bottines à talons alourdissent sa silhouette et sa tenue, au demeurant un peu décevante en notre temps de latex et d’élasthane.

1915, en pleine guerre, dix épisodes de vols, de meurtres, d’enlèvements, d’escalades des toits de Paris, de voitures brimbalantes, de chevaux, de vélos … de grands hôtels et de beuglants, de melons et de huit-reflets, de soubrettes et de grisettes, de magnats et de malfrats, de jeunes et de vieilles gens, gens de maison, gens d’église, gens sans foi ou gens d’honneur, gendarmes et gens de plume, car Philippe Guérande est journaliste, et s’est voué à traquer les Vampires.

C’est une bande de criminels de haut vol, sans aucun scrupule. Sous la conduite du docteur Nox (clin d’œil à Jules Verne), des comtes de Noirmoutier ou de Kerlor, ou du baron de Mortesaigues – puis des susdits Satanas et Vénénos ^^ - ,  ils jouent de la gâchette, du poignard, du poison, du canon ou du gaz comme aussi de la prunelle. Car en travers de leur route, avant de se rallier à leur bande, s’est jeté Moreno, occasionnel amant d’Irma Vep, l’homme aux « yeux qui fascinent ». Bijoux et magots volés (avec enregistrement de voix sur rouleaux de cire !), tête coupée, cadavres et victimes enfermés dans des malles ou des placards, les Vampires sont suivis à la trace par le coriace Philippe Guérande, mimiques et postures expressives, la raie médiane et le cheveu horriblement plaqué (très difficile à gober comme jeune premier aujourd’hui), qui les démasque, les débusque, les harcèle de ses articles et de ses plaintes en justice. C’est lui qui dès le premier épisode devine en Mazamette (Oscar/Cloud/Mazamette !) le voleur de son dossier d’enquête. Lequel, de Vampire devenu honnête homme (croque-mort, puis richissime philanthrope) et ami de tous les instants, est doté avec son nez interminable d’un flair à toute épreuve pour tous les coups tordus et se mue souventes fois en sauveur providentiel.

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jeudi, mars 14 2013

Agnès Jaoui - Au bout du conte

Nous sommes allés voir Au Bout du conte dès sa sortie, mercredi dernier. J’en avais très envie, parce que j’aime beaucoup Jaoui, et plus encore Bacri dont les mimiques, la voix, la diction, sont pour moi une sorte de cristallisation et de quintessence de l’« homme méditerranéen » (l’expression, je crois, est de Camus). J’avais vu la bande-annonce et en particulier cette scène cocasse où il est le moniteur d’auto-école d’une Agnès Jaoui épouvantée, gourde et penaude. J’ai regardé ce film avec le sourire, ri à certaines situations ou certaines répliques. J’ai trouvé très belles certaines images, admiré la façon dont était filmée Agathe Bonitzer, d’une jeune femme lumineuse à un fragile petit chaperon rouge, jusqu’à devenir parfois presque laide. J’ai trouvé le début trop long et languissant, puis je me suis prise à l’histoire et aux personnages. D’où vient alors que le souvenir que me laisse ce film ait quelque chose d’amer et de franchement réticent ?

Si j’y réfléchis, j’y vois plusieurs raisons, à la fois formelles et de contenu. Il me semble que les décors « de conte » -  qui font par instants du film comme un livre illustré dont on pénétrerait les pages - trop répétitifs, finissent par avoir un côté kitch, assez agaçant. Il y a dans ce film trop d’intention, trop d’insistance, tout est trop souligné. Trop de puérilité aussi. Et c’est là, surtout, que le bât blesse. Pourquoi les enfants y sont-ils si laids ? les fillettes y sont-elles si laidement filmées ? serait-ce le regard porté sur elles par le personnage de Bacri, qui n’aime pas les enfants ? Non, puisqu’il en va ainsi aussi de la fille de Marianne, une gamine silencieuse au visage inexpressif, saisie à la suite de la séparation de ses parents d’un accès de mysticisme. Les deux autres sont les fillettes de la nouvelle compagne de Bacri, et franchement, elles ne sont guère favorisées ni par l’intrigue, ni par la caméra.

Marianne. Je me suis demandé pourquoi ce prénom républicain, jusqu’à ce que je m'avise, en le tapant - que c’était une quasi anagramme de « marraine ».

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mardi, février 19 2013

Philippe Le Guay - Alceste à bicyclette

Ça y est.  Je suis allée voir Alceste à bicyclette, au MK2 Bastille, une petite salle avec sortie sur la rue, on ne voit plus ça, en province... Il y a eu une avalanche de bandes-annonces, telle qu’on en perd aussitôt le souvenir et le désir de voir les films. Mais pas de pubs. La salle était modérément occupée, avec à l’ouest des rangées centrales une femme qui, au cours de la projection, protestait bruyamment à chaque éclat de rire !!! – C’est une comédie, madame...

Je me suis régalée pendant les 8/10èmes du film. Les visages et les silhouettes des deux acteurs, puis de l’actrice sont filmés avec amour, et même le petit rôle de Zoé, la jeune actrice de porno, est transfiguré par sa lecture, d’abord hésitante, puis affermie, du texte de Molière.

Mais la jubilation vient du texte. Le Misanthrope, acte I, scène 1, dit, répété, modulé, ressassé, distillé, sur tous les tons, dans toutes les postures, dedans, dehors, sur fond de planches bleu délavé ou de vieux murs, de jardin ou de plage, à pied ou à bicyclette.... une incantation du texte, qui court dans les veines jusqu’à l’enchantement, celui des comédiens, celui du spectateur. La danse des alexandrins, l’allégresse de la misanthropie.

Gauthier Valence (Lambert Wilson), à la télévision le docteur Morange (!) est venu débusquer de sa retraite de l’île de Ré son ami Serge Tanneur, comédien en rupture de ban, retiré dans la vieille maison léguée par son oncle, où refoule une fosse septique défaillante. Un misanthrope déjà retiré en son désert, où pour meubler sa solitude, il peignotte des culs et des cuisses de femmes en noir et blanc, mi-B.D., mi-croûtes. Mais un furieux de Molière, imbibé de Jouvet, qui va pousser son alter ego à distiller comme lui l’alexandrin en des duos toujours plus fluides, plus ardents, plus virtuoses. C’est une ivresse de Molière, communicative, électrisante, au milieu de laquelle vient se prendre Francesca, une belle Italienne en rupture de mariage.

L’entrain, la légèreté comique, et surtout une forme de fraternité par le dire du texte – car le défi est, non seulement que Serge revienne à la scène, mais que les deux comédiens alternent les deux rôles principaux comme ils le font à pile ou face à chaque nouvelle répétition – l’entrain donc, la légèreté et la fraternité vont croissant tandis que se lève sur les paysages lumineux de l’île un printemps qui libère les corps, les cœurs et les sourires.

C’est pourquoi je suis tellement déçue par la chute du film, car c’en est une, brutale. Lucchini y reprend le rôle – le cabotinage, avec ce sourire de requin – non plus d’Alceste, ni même d’un Serge misanthrope, mais de lui-même. Et sa victoire finale, au désert, sur la plage solitaire, est pour moi une défaite. Car tout se passe comme s’il dérobait à un Lambert Wilson lui aussi toujours plus habité, plus animé par le texte, le pouvoir de le transmettre. Comme si la rupture d’amitié-par-le-texte que cette joute d’egos devenue duo avait construite, avait coupé au second comédien l’herbe sous le pied. Ce Serge-Alceste-Fabrice final est fat et mesquin. Il n’est pas blessé, il blesse. Nulle élégance en lui, nulle fragilité, mais un grincement péremptoire que soulignent les aigus criards de la voix de Lucchini. Jouvet n’avait pas joué Alceste par passion du rôle. Lucchini le refuse, se le refuse, nous le refuse par vanité. Il répudie le théâtre au profit de la vie en ce qu’elle a de plus étriqué, éteint l’émulation jubilatoire qu’il avait lui-même suscitée. Et l’on se dit que Lambert Wilson, qui semble souvent gêné aux entournures par la place qui lui est faite - ou non - dans le film, a donné ici au réalisateur et au comédien et co-scénariste une sacrée preuve d’amitié et de modestie. Car c’est là que le bât blesse. Si le film est né d’une idée de Lucchini, Philippe Le Guay n’a pas su in fine y imposer sa propre marque. Le Misanthrope quintessencié qu’il avait fait naître, ce film à la gloire d’un théâtre échappé de la scène pour s’ébrouer sur les routes et le ciel, accompagné par  les notes alertes de la chanson de Pierre Barouh, ce Misanthrope comique au sens le plus noble du terme s’effondre, réduit au silence, dans le dernier quart d'heure du film, d’Alceste devenu histrion.

lundi, février 18 2013

Haifaa Al-Mansour - Wadjda

On est arrivées au Gaumont Mistral, à Alésia, dix minutes trop tard pour Alceste à bicyclette. Alors, pour ne pas repartir bredouilles, et pour rester dans une histoire de vélo, on est allées voir Wadjda.


C’est une fillette de dix ans, ensachée comme toutes ses camarades dans une ignoble robe aussi noire que les blouses d’écoliers d’autrefois en France, mais sous cette robe, en jeans et chaussée de ‘Converses’ grisâtres. Une petite fille dégingandée, gauche et gracieuse à la fois, avec ses cheveux longs crêpelés et son grand nez un peu de traviole, ses yeux vifs. Elle a un copain, Abdallah, tout de blanc vêtu quant à lui, avec sa petite toque, Abdallah le taquin, qui passant à vélo lui pique son sandwich et lui arrache son voile. D’où le défi : avoir elle aussi un vélo, pour lui montrer qu’il ne serait pas si faraud, si elle jouait à armes égales. Qu’elle saurait le battre, à vélo. Mais les vélos ne sont pas pour les filles, car c’est à Ryad, Arabie Saoudite, que se déroule l’histoire. Une ville de poussière et de bâtiments en construction, où dans les rues presque désertes du quartier de Wadjda passent quelques voitures, le taxi qui transporte en commun les femmes qui travaillent, des garçonnets en djellaba blanche jouant au foot. Et puis Wadjda, à pied, courante, sautante, et quelques messieurs d’âge curieusement bienveillants, comme le marchand de vélos, ce vélo si attirant, si désirable, avec sa couleur verte et ses franges colorées au guidon. Wadjda n’est pas très bonne élève, elle est distraite. Mais puisque sa mère refuse de lui acheter un vélo – ce n’est pas pour les filles, cela risquerait de la rendre stérile – elle augmente le prix de ses bracelets de laine tressés aux couleurs des équipes de foot locales, vendus en catimini à ses copines. Et tout service, désormais, sera monnayé, car si elle n’a pas le goût de l’étude, elle a indéniablement la bosse du commerce.

Il y a trois lieux essentiels : la maison où Wadjda vit avec sa mère, une belle femme coquette et sensuelle qui, dès qu’elle doit quitter la maison – toujours en retard – s’ensevelit dans son « abaya » noire. Le père, séduisant et affectueux avec sa fille, n’est pas souvent là. Il y a la rue et les terrains vagues, avec Abdallah et les boutiques, et puis il y a l’école, sous la coupe de la belle et élégante Mme Hessa, si sèche, si rigoriste, si intransigeante, qui fait pleuvoir sur la troupe de ses élèves interdits et punitions, sans pouvoir empêcher les transgressions, les secrets, les potins. Mais rassembler les 800 riyals nécessaires à l’achat du vélo n’est pas une mince affaire, et Wadjda se découragerait presque, lorsque survient l’annonce du concours de récitation coranique, récompensée d’un prix de 1000 riyals.

C’est un film délicieux. Tous les acteurs y sont excellents, et il y souffle un vent de vitalité qui fait voler la poussière des interdits sociaux. On a beau savoir théoriquement comment les choses se passent dans ce pays où les femmes n’ont ni le doit de conduire, ni celui de se conduire, on ne peut s’empêcher de bouillir à les voir circuler partout dans la chaleur complètement emballées dans leurs grandes « tentes » individuelles noires, où il doit faire une chaleur à crever. A voir marier une camarade de classe de Wadjda, une gamine. A voir brider tout désir, toute vivacité, toute fantaisie. Et pourtant, Wadjda va jusqu’au bout de son projet, avec le soutien des siens. C’est une fable, peut-être, ce n’est pas un film révolutionnaire, sans doute. Mais enfin, c’est un film tourné avec finesse et talent par une femme dans un pays d’hommes (le premier paraît-il), un film où l’on voit des femmes se débrouiller avec l’aide des enfants pendant que d’autres défendent leur fragile et relative liberté par le despotisme et le mensonge, un film sur les rêves d’affranchissement d’une fillette imaginative qui parvient à ses fins, un film où même la psalmodie du Coran devient libération d’un rythme et d’une voix, une merveilleuse histoire de vélo comme accès à l’existence.

La bande-annonce est ici.

samedi, septembre 22 2012

Du vent dans mes mollets - Carine Tardieu

Il y avait eu la bande annonce au cinéma, où une petite fille au regard grave et qui n’en pensait visiblement pas moins récitait à sa mère – Agnès Jaoui, attentive, approbatrice - une diatribe contre les poupées Barbie ; et les bêtises enchaînées en cascade avec une autre petite fille à couettes brunes, délurée et pleine de vie. Il y a eu, la semaine dernière, la chronique du Toutologue, où Philippe Meyer faisait du film un éloge dithyrambique et convaincu (oui, parce qu’il y a des éloges dithyrambiques qui NE PEUVENT PAS être convaincus, voir infra, à moins que leur auteur ne soit frappé d’imbécillité. Peut-être, après tout ?). Et puis il y a eu l’urgence, puisque le Gaumont d’Amiens (l’un des plus chers et plus laids cinémas de France) ne l’affichait plus qu’à certaines heures, dont la dernière hier après-midi[1]. Je suis donc allée voir Du vent dans mes mollets, de Carine Tardieu, d’après le roman de Rafaëlle Moussafir, partie prenante dans l’adaptation.

Le genre de film selon mon cœur. Avec des gens foutraques, tourmentés et chaleureux, un couple sur le retour - Denis Podalydès et Agnès Jaoui -, la mère de madame - Judith Magre quasi muette, dévorée de rides, l’œil charbonneux sous ses cheveux teints en noir intense, la sentence rare et caverneuse - et la petite fille, Rachel comme il se doit, étouffée entre maman séfarade dont les boulettes de viande sont un poème gustatif, et papa ashkénaze, le seul de sa famille polonaise à être rentré d’« Osvitch ». Il y a encore Isabelle Carré « avec [ses] deux mains gauches et [sa] voix à tomber par terre », son sourire juvénile et chaleureux, sa hardiesse maladroite ; et puis Isabella Rossellini, incroyable en psychanalyste aux cheveux plats et au visage étrangement paisible et immobile, mais au regard pénétrant. « C’est pas le rôle le plus glamour que j’aie pu interpréter », a dit Agnès Jaoui lors d’une interview télé… c’est sûr !!! Colette Gladstein est une mère juive suffocante d’amour, de craintes et de certitudes. Entre ses robes mémère et son masque de nuit aux étranges yeux de quoi - de raton laveur ? et au regard de cocker, elle incarne avec une très grande justesse son personnage de mère paumée et bancale. A vrai dire, je la trouve merveilleuse. Mais tout le film est filtré à travers le regard des enfants et en particulier celui de Rachel, submergée par l’angoisse de la mort, qui dort avec son cartable et subit les retards incurables de sa mère, les remarques acerbes et cassantes de son institutrice et guette avec un miroir le souffle de sa grand-mère. Il y a encore un vieux monsieur noir qui a une tumeur à l’œil (Colette est ophtalmo), je ne sais pas qui est l’acteur mais il est épatant ; il y a surtout des dialogues cocasses et enlevés, un mélange toujours juste de rire et d’émotion, un rythme parfaitement mené, allègre, sans temps morts, et le sens du gag. La réalisatrice est modeste, sagace et charmante. L’ensemble, malgré la gravité du sujet et des moments très douloureux, est tout rayonnant de vie, de vitalité, d’amour.

Je m'aperçois que je n'ai pas écrit combien les deux petites filles (choisies parmi un casting de 500 candidates !) jouent juste et crèvent l'écran.


[1] Non, ça joue encore, mais à 11h et 14 heures !

vendredi, juin 29 2012

Ken Loach, The Angels' share


Allez voir La Part des Anges ! C’est un film aussi savoureux que l’excellentissime whisky qui détend les visages et allume les regards, et devient l’enjeu de la réhabilitation sociale de Robbie, le jeune délinquant balafré au visage en lame de couteau et au regard d'un bleu si profond. C’est, en plus ancré socialement sans doute, et dans une réalité encore plus brutale et chaotique, un pur Westlake. Les dialogues sont enlevés, quoique littéralement criblés de « fucking », avec un accent et une diction qui donnent le sentiment d’entendre parler un dialecte d’Océanie ou de qui sait quelle contrée exotique. La bande de bras cassés dont Ken Loach a fait ses héros m’évoque irrésistiblement Dortmunder, ses plans, ses complices, sa poisse….

 La Part des Anges  est une comédie au meilleur sens du terme, rythmée, cocasse, inventive, et qui, au détour d’une réplique ou d’une mimique, en dit bien plus long sur la confusion de certaines vies que bien des films à message. Après l’excentricité gentiment ennuyeuse (défaut de rythme !!!) d’Adieu Berthe,  ce film-ci conte sur un mode fort peu orthodoxe le retour à l’humanité d’un voyou. Une histoire tout sauf bien pensante. Parfaitement anar’, en fait.

mardi, mai 29 2012

Pause ciné : Un mariage de rêve

Easy Virtue (Un mariage de rêve), directed by Stephan Eliott. Un monument de délectation perfide. Avec deux monstres sacrés, Colin Firth, le père, sombre, désabusé, sardonique, intérieurement détruit par les séquelles morales de la guerre de 14, et Kristin Scott Thomas, la mère, amère, blessée, tyrannique, fielleuse, dressée dans l’obsession de perpétuer la propriété familiale, contre vents et marées. Je ne connaissais pas les deux jeunes gens : Jessica Biel, radieuse, provocatrice, voluptueuse, et Ben Barnes, charmant et attendrissant, naïf, un peu désarmé, dans les rôles de Larita et John Whittaker, les jeunes mariés. Ces deux-là se sont rencontrés au Grand Prix de Monte Carlo, dont Larita aurait été déclarée vainqueur (- queuse ? –crice ? – queure ? Aargh !) si elle n’avait pas été une femme. L’accueil fait à l’aventurière dévoyeuse de fils de famille dans la demeure familiale est glacial, à tous les sens du terme. Outre madame mère, flanquée de Poppy, sa chihuahua teigneuse, il y a les deux sœurs de John, (alias Panda^^), Hilda et Marion, toutes deux sérieusement menacées de devenir vieilles filles. Il y a aussi Sarah, fille du lord et ami voisin, qui aima John et lui était tacitement promise. Très classe, quant à elle. Et puis Furber, l’inénarrable ‘butler’.

Le réalisateur est canadien*, mais le film terriblement anglais. C’est une adaptation récente d’une pièce de Noël Coward datant de 1924, qu’Hitchcock avait déjà transposée à l’écran en 1928, un film muet.

Dans cette version-ci tout sauf muette, les dialogues sont éblouissants et il y a aussi beaucoup de musique, dès le sirupeux générique de début sur fond de soleil couchant dégoulinant. Très dansante - et très dansée, entre rocks et tango - elle est au petit poil, et certains des airs sont interprétés par les acteurs eux-mêmes.  « Let’s misbehave », «Conduisons-nous mal» ou  «Soyons inconvenants !», telle pourrait bien être la devise de ce film allègrement – et pourtant mélancoliquement – immoral.

NB : Surtout ne pas regarder la bande-annonce. C'est une vérole, elle contient, comme toujours, les meilleurs moments du film, et surtout ses surprises ! Haro sur les bandes-annonce, qui sont au film ce que sont désormais les quatrièmes de couv' aux livres, pour le plus grand désespoir de l'amateur.

* Non, Australien.

samedi, février 25 2012

'A funny thing', unfortunately unknown

Qui connaît même le titre (consternant en français, et qui fait craindre le pire) du film de Richard Lester, Le Forum en folie ? un film de 1966, d’inspiration latine comme le suggère le titre. Je l’ai quant à moi découvert – MERCI à eux ! - grâce aux élèves et anciens élèves de la rue d’Ulm fondateurs des Journées ‘Découverte de l’Antiquité’ à destination des collégiens et des lycéens. Il s’agit de la version filmique d’une comédie musicale jouée à Broadway en 1962, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum, combinaison particulièrement réussie de trois (au moins !) pièces de Plaute soi-même, (Titus Maccius Plautus, IIIe – IInd siècle avant Jésus-Christ) : Pseudolus, l’esclave trompeur, la Mostellaria, la comédie du fantôme, et Miles Gloriosus, le soldat fanfaron, le matamore.

L’histoire est un imbroglio invraisemblable d’ingrédients traditionnels de la comédie latine : un jeune benêt décoratif, Hero dans le film, est tombé amoureux d’une courtisane du bordel voisin, Philia, laquelle, encore vierge, a été achetée par un général triomphant, Miles Gloriosus, auquel elle doit être remise incessamment. En échange de sa liberté, l’esclave d’Héro, Pseudolus, se fait fort de récupérer et d’enlever la belle et d’organiser la fuite des deux amoureux. Mais la situation se complique rapidement avec le retour des parents d’Héro, l’acariâtre Domina et son époux Senex qui n’est pas insensible aux charmes de Philia, celui du voisin depuis longtemps absent, Erronius, incarné par un inénarrable Buster Keaton vêtu de violet et coiffé d’un fort seyant chapeau rond, sorte de plat à barbe sans l’encoche, lequel est en quête de ses deux enfants depuis longtemps perdus. S’y ajoutent le maquereau, Marcus Lycus, l’intendant de Senex, Hysterium, des soldats, des gladiateurs et une pléiade de prostituées très appétissantes parmi lesquelles une géante muette à laquelle Pseudolus est particulièrement sensible. Les péripéties s’enchaînent et se multiplient, assorties de travestissements et de quiproquos en cascades (Lycus et Hysterium en blondes à perruques…), d’une maison à l’autre, dans les rues et les bains, les marchés et les temples d’une Rome de fantaisie passablement syncrétique mais qui s’en soucie ? le rythme est endiablé, sans le moindre temps mort, les dialogues brillants et drôlissimes, les décors et costumes très réussis, les clins d’œil érudits foisonnent. On y rit aux éclats, par salves, on voit pointer les gags et on se délecte à les voir advenir. Quant à l’acteur principal, Zéro Mostel ( !), il porte génialement le film, et il faut le voir imiter la grimace du masque de comédie, il mériterait l’oscar de la mimique ! il y a une course de chars à faire pâlir Ben Hur, et - j’allais oublier – la musique et les « lyrics » sont de Steven Sondheim, excusez du peu. La version française, dialogues et chansons, est excellente. Même le générique est une merveille graphique, où s’immobilise, en motif de fresque mauve sur rouge et or délavés, Buster Keaton en son ultime course.

samedi, octobre 29 2011

Michel Schneider : Marilyn, dernières séances

528 pages. Au moins 200 de trop.

Sujet passionnant : la dernière année de Marilyn Monroë, entre dépendance absolue aux tranquillisants  et à l'alcool, engluement dans des films douloureux qu'elle n'arrive pas à mener à leur fin, et relation exclusive et aliénante avec son psychanalyste Ralph Greenson, dont elle est devenue quasi la seule patiente, tandis qu'il s'est métamorphosé en son unique mentor, artistique, financier, sentimental …

Le titre joue habilement sur l'ambiguïté, le lien consubstantiel entre psychanalyse et cinéma, à travers la violente déchéance de Marilyn. On y apprend des tas de choses sur Hollywood, sur la psychanalyse et les acteurs, sur l'aspect quasi institutionnel qu'elle avait à Hollywood – les psys ramenant les actrices en rupture de rôle sur les plateaux, ainsi de Marilyn pendant le tournage des Désaxés – sur les héritiers de Freud, de Vienne à Londres, New York et sur la côte Ouest. Anna Freud a elle-même suivi pour quelques séances Marilyn, à la demande de Greenston, avec qui elle a entretenu une correspondance à son sujet. Fort bien tout cela. J'ai découvert un univers. Alors ? - Alors, c'est sec. Cela se veut brillant, c'est construit selon un étoilement savant de fragments chronologiques et biographiques entre aujourd'hui et hier, derniers moments de Marilyn ou ses années de formation, entre L.A., New York et Londres. Mais on se noie dans les noms, d'acteurs, de psys, d'amants, de réalisateurs, de lieux…. On perd et on retrouve le fil sans que la composition y soit pour quelque chose, mais surtout, plus on avance, et plus on perd Marilyn et son Romi (Ralph Greenston était né Romeo Greenschpoon.). On sent Schneider fasciné par ce type qui a lâché tous les garde-fous de la psychanalyse jusqu'à se perdre dans sa relation avec l'actrice, jusqu'à se laisser égarer dans sa folie, mais la documentation l'emporte sur la création. L'auteur a beau affirmer en préambule que la fiction est le seul mode d'approche du réel, on est content quand Marilyn meurt – enfin. Quant au sort de Greenston, il est touchant, sans plus.

vendredi, octobre 28 2011

George Sanders - Mémoires d'une fripouille

Lu aussi Mémoires d’une fripouille, de George Sanders. Petite chronique autobiographique de la vie d’un fils de famille russe devenu comédien en Angleterre puis à Hollywood. Spécialiste des rôles de « cad », le titre anglais est Memoirs of a Professional Cad, ce que le traducteur a rendu par « fripouille », alors qu’il s’agirait plutôt d’un « mufle professionnel », rôles auxquels il fut, il s’est, cantonné. J’ai un vif souvenir de lui dans le Rebecca de Hitchcock, géniale adaptation – intrigue, esprit, atmosphère - du roman de Daphné du Maurier, avec Lawrence Olivier et Joan Fontaine. Il interprétait le cousin et amant de Rebecca, et complice de la terrifiante Mrs Danvers, Jack Favell. Un maître chanteur sensuel, insinuant, sardonique. Présence physique massive, charnelle, vulgaire. Détestable, et imposant.

Les premiers chapitres sont voués aux souvenirs de l’enfance russe et de la maison de vacances en Finlande, avec les bains de mer alternés des dames et des messieurs en tenue d’avant la chute, et les sujets d’observation subséquents offerts par la nudité des premières aux seconds armés de jumelles ; puis la fuite après la révolution, puis l’Angleterre et deux pensionnats aussi dissemblables que possible, le premier sorte d’éden du flirt et de l’indépendance, le second voué à l’ennui et aux coercitions en tout genre. Après quoi, débuts chaotiques dans le commerce international – scènes de bordel à Buenos Ayres, d’hospitalité chez les gauchos – puis le bouquin se voue essentiellement aux mœurs d’Hollywood.

Le récit est mordant, et quelques scènes sont irrésistiblement drôles. Mention particulière pour la séance chez l’hypnothérapeute, en un moment de dépression insurmontable, avec relaxation muscle par muscle, chevilles comprises, et la perplexité subséquente du novice en hypnose détourné dans son effort de détente, si je puis me permettre l’oxymore, par la tentative de repérage des muscles concernés. On y trouve ce qui fait tout le charme de ces souvenirs : la vivacité, le sens du dialogue et de la scène, et affleurant sous l’apparent détachement désinvolte, la sincérité et le désarroi.

Sanders a été le mari de Zsa Zsa Gabor, dont je lis encore le nom exotique sur une affiche à demi-arrachée dans une scène de La Soif du mal. Brève vie dans l’ombre d’une star à l’ego flamboyant avec laquelle il a gardé, après divorce, de cordiales relations. Elle nous vaut entre autres quelques tableaux savoureux de l’Hollywood mondain. Il y a aussi le tournage de Salomon et la reine de Saba, en Espagne, avec la mort soudaine de Tyrone Power, l’ami très cher, et son remplacement par un Yul Brynner hiératique et creux, flanqué de ses cinq satellites et serti dans ses costumes de cuir blancs ou noirs, tous identiques. Ou le tournage chaotique du Voyage en Italie de Rossellini, papillonnant, irresponsable, et obsédé par la plongée sous-marine - avec Ingrid Bergman.

Sous le scepticisme, le cynisme apparent et le goût de la formule, c’est un ouvrage empreint d’une mélancolie désabusée. Un livre de moraliste, brillant, sincère, sans illusions.

mercredi, juillet 20 2011

Dans La Vie, de Philippe Faucon


Quel plaisir j’ai eu, nous avons eu, à regarder Dans La Vie de Philippe Faucon et Yasmina Nini-Faucon, emprunté hier à la médiathèque !

Porté au début par la grâce de Sabrina ben Abdallah, l’essentiel de ce bref film (2008, 1h 13) est illuminé par l’aura des deux personnages principaux, toutes deux comédiennes improvisées pour la circonstance, dans le film Halima et Esther. L’histoire, très sobrement contée, d’une bourgeoise juive impotente prise en charge par une femme du peuple, illettrée, musulmane ; avec tout ce que cet attelage improbable en pleine crise entre Israël et le Hezbollah, peut créer de remous dans l’entourage d’Halima, accusée de ne pas être une bonne croyante.

Avec la cuisine, la musique, la danse, et l’amour du verbe, du mot qui épingle, cet humour méditerranéen tellement plus efficace contre les préjugés que tous les discours édifiants qui nous submergent.  Qu’on ne se méprenne pas : ce que donne à voir le film avant tout, me semble-t-il, c’est une fraternité (sororité ?) dans l’exil. Le regret commun d’un « là-bas » fait de partage malgré les barrières entre communautés, qui devient « ici » reconnaissance mutuelle d’un art de vivre partagé et retrouvé. Une histoire de langue(s) aussi, arabe ponctué de français, français parlé avec cet accent entre tous reconnaissable, et signe de reconnaissance. Une comédie, au meilleur sens du terme, par petites touches, sans insister, sans souligner, rayonnante de générosité, nimbée d’une belle lumière dorée.

samedi, mai 7 2011

Nous, Princesses de Clèves, est un film que j’ai eu d’emblée le désir d’aller voir,

après une émission sur France Culture à laquelle participaient le réalisateur et deux des jeunes gens qui avaient joué dans le film, le documentaire plutôt. J’y suis allée hier. Séance en présence du réalisateur, Régis Sauder, venu en TGV de Marseille, au Studio Orson Welles de la Maison de la Culture d’Amiens.

C’est un film bouleversant, qui m’a touchée au cœur de multiples manières. Avant tout, pour la beauté du texte dit sobrement, intensément, par les jolies voix de ces jeunes filles et jeunes gens, dont les visages sont filmés au plus près. Rien n’est déguisé ou gommé des imperfections de l’adolescence, du grain des peaux, et pourtant dès l’ouverture les visages sont éclairés par la ferveur, la justesse avec laquelle sont dits (et non lus, seulement) les mots austères et subtils de madame de La Fayette. Il y a des dizaines et des dizaines d’heures de travail là derrière, pour que les voix sonnent juste, que la diction soit claire, que les accents ne se fassent pas entendre de façon caricaturale, que le texte soit « incarné », - et il l’est, ô combien ! - et je salue la qualité du travail de leur jeune professeur, Anne Tesson, et épouse du réalisateur, si discrète qu’on ne la voit qu’à deux ou trois reprises, et dont l’énergie et la générosité, la passion de transmettre portent évidemment le projet. Quoi qu’on pense du roman de madame de La Fayette, il est extrêmement touchant, troublant, de voir des adolescents, de jeunes adultes, s’approprier un texte qui leur est aussi lointain, au point de le mêler à la substance de leurs vies, d’en nourrir leur réflexion, non seulement sur l’amour dans le couple, mais aussi sur l’amour filial. L’une des plus belles scènes du film, l’une des plus profondes, est sans doute celle qui est tournée dans le petit appartement de l’une des jeunes élèves, de parents musulmans. Sous le regard muet et expressif de la mère – yeux fardés de kohol, beau visage encadré d’un voile blanc élégant – le père lit et commente les propos de madame de Chartres, la très pieuse, très rigoureuse mère de la princesse, sur les dangers du monde. Un père musulman, lisant avec aisance un texte écrit au XVIIe par une femme, et mis dans la bouche d’une femme, et s’y retrouvant avec une telle sincérité que l’on ne peut pas le juger, même si l’on s’interroge sur le silence de son épouse, et si l’on comprend le sentiment d’étouffement éprouvé par leur fille. Cette scène dit sans aucun commentaire la complexité des choses et la façon dont le roman la filtre et y fait écho, et combien il est inutile et néfaste d’être manichéen. Combien est lourd l’amour des parents aussi, parfois. Autre scène de famille, exactement symétrique, celle des parents d’Abou, qui a écrit un texte pour les présenter, père maigre, digne et silencieux sous son fez, mère ronde et enjouée, en tailleur sur son divan (elle a perdu un pied, apprend-on), mais tendrement vouée à aider ses fils à trouver leur place dans la société. Abou qui parle avec passion de monsieur de Clèves, et veut perpétuer son idéal d’honnête homme.

 

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samedi, avril 30 2011

Du ciné, aujourd'hui - Les Femmes du 6ème étage

Je n’ai pas l’habitude de parler cinéma sur Convolvulus, je n’ai aucun goût particulier pour Fabrice Lucchini qui en général m’exaspère (pas cette fois), mais Les Femmes du 6ème étage de Philippe Le Guay est une si aimable comédie, enlevée, légère, composée avec tant de brio et de virtuosité - les dialogues y sont épatants, la bande son inspirée - et l’actrice principale (Natalia Verbeke) si illuminée par la grâce, sans parler de la tapageuse joie de vivre de ses compagnes d’exil dans leur sordide sixième des chambres de bonnes, que je fais une entorse. Si ce film passe dans vos parages, allez le voir. C’est une comédie, au vrai sens du terme, ancrée de façon très contemporaine (enfin, 1962) dans les plus anciennes racines du genre.

mardi, août 24 2010

[Becoming ?] Jane, de Julian Jarrold

Elle a un très joli minois, Anne Hathaway, elle est gracieuse, elle joue bien. Et James McAvoy est lui aussi un beau et séduisant jeune homme et un acteur convaincant, même s’il incarne dans le film un garçon passablement arrogant. J’ai donc regardé le film jusqu’au bout – et en français, parce que le DVD beuguait et que je n’arrivais pas à le mettre en anglais, je n’y ai réussi qu’un fois le film fini, mais je n’allais pas le regarder à nouveau, pas envie. Pourquoi ? Précisément parce que si tout là-dedans est bien fait, léché, paysages, jeu des acteurs, histoire, couleur locale, danses et robes... eh bien, je n’y ai pas cru. C’est trop surfait, trop convenu, trop romantique. Cela fait litière de l’un des charmes essentiels de la lecture de Jane Austen, cette piquante ironie toujours teintée de raison. Jane Austen N’EST PAS un auteur romantique, c’est précisément ce que lui reprochait Charlotte Brontë, qui, sur ce coup-là, a manqué de perspicacité et de « sororité ? », je pense. En tout cas, outre le fait que si j’en crois mes lointains souvenirs, l’histoire de Jane avec le jeune Lefroy n’a duré que très peu de temps, et très peu d’illusions (ils étaient tous les deux fauchés), il est proprement INIMAGINABLE que Jane ait pu même ébaucher une fugue avec un  jeune homme. Donc si nourri soit-il de l’œuvre de JA (on y voit passer des dialogues de Darcy avec Lizzie, et l’envahissante personnalité de la lady de Bourgh d’Orgueil et Préjugés), le film, qui fait d’elle une donzelle un peu effrontée (elle joue en public au cricket avec les garçons, elle les regarde se baigner à poil), la trahit. Et ce Becoming Jane, devenu va savoir pourquoi sur la jaquette Jane-tout-court, ce pourquoi je n’arrivais pas à le trouver à la médiathèque, n’a vraiment rien de nécessaire, ni pour l’amour de Jane, ni pour celui du cinéma - je n’ai même pas pris la peine, on voudra bien m’en excuser, de chercher quelques infos dessus. Mieux vaut la lire, elle, et se trouver une bonne bio ?

mardi, avril 6 2010

Le Prince des Marées, suite : le film

J’ai regardé le film que Barbra Streisand a tiré du Prince des marées, sur un scénario auquel Pat Conroy lui-même a prêté la main.
C’est affreux.
À peine le squelette de l’histoire. Avec beaucoup trop de musique guimauve ; et Nick Nolte : trop vieux ! parfois charmant, mais lorsqu’il est gominé pour sortir le soir … terrible. Quant à Barbra Streisand, elle n’est PAS Loewenstein.
Trop de New York et pas assez de Colleton, de fleuve, de crevettes, de la liquide beauté de la nature. Quant à l’intrigue, elle est émasculée. Je n’aurais pas dû le regarder. Tant pis. J’en ai relu des passages pour me soigner, toujours touchée par le mélange de lyrisme, de lucidité noire, et la virtuosité des dialogues. C’est un signe, que la force du roman surmonte la médiocrité du film. (J’ai un souvenir épouvanté de la version 1939 - Clarence Brown, avec Georges Brent, ridicule dans le rôle de Ransome - de La Mousson de Louis Bromfield. Un des romans les plus chéris de mon adolescence défiguré au cinéma de minuit par un mélo débile. J’ai eu du mal m’en remettre. Éternel problème de l’adaptation de la littérature au cinéma, des images plaquées sur l’imaginaire.)