Alexandre Astier - "Que ma joie demeure", ou Jean-Sébastien Bach version bidasse

Je ne sais plus quelle émission*  m’avait donné l’envie de voir Alexandre Astier en son dernier spectacle. Je l’avais trouvé intéressant, et sympathique. Ignorant tout de ce bouillonnant jeune homme dont certains de mes élèves prisaient fort la série Kaamelot, j’ai vu là l’occasion de découvrir son univers, en compagnie de Soizic, très enthousiaste. (*Sans doute n’était-ce pas Eclectik, que je suis en train de réécouter avec agacement).

Je n’ai rien compris à ce spectacle. Ni la démarche de l’auteur-acteur, ni les rires permanents de la salle. Alexandre Astier, vêtu XVIIIe d’une sorte de redingote bourgeoise, avec jabot et chaussures à talons, plus perruque épisodique, revendique devant son clavecin - dont il joue avec talent voire avec brio, comme aussi de la viole de gambe - une forme d’exactitude historique dans le costume et le décor. En revanche, il récuse toute légitimité des dialogues « historiques », dont il considère qu’ils font parler les personnages comme des livres. A cette recherche dans le décor et le costume répond donc un dialogue – un monologue – dans le français contemporain le plus relâché. Passons sur le « Chiotte ! » qui ouvre la pièce (écho du « Merdre ! » d’Ubu ?) et manifeste l’irritation de Bach de se voir imposer une « journée portes ouvertes » avec cours public de musique par les autorités de Leipzig, alors qu’il a d’autres chats à fouetter, mais quid de la suite ? Mais pourquoi un Bach continuellement vulgaire (truculent n’est pas vulgaire), et surtout méprisant au possible avec son public ? Si la correspondance du musicien témoigne de son irritation face à la pingrerie et à la stupidité de ses employeurs, si elle  mentionne la nullité de certains des élèves qui lui étaient infligés, elle est écrite dans une langue pour le moins châtiée, et pour être cassante, elle n’en est ni grossière, ni arrogante. Comme on le comprend au fil du spectacle – qui d’ailleurs comporte quelques longueurs – Bach est tourmenté par ses soucis professionnels, familiaux, ses enfants en bas âge et tous ses enfants morts. Il en résulte une tristesse – une mélancolie ? – vers la compréhension de laquelle le spectacle chemine, et qui en explique le titre.

Je ne suis pas une spécialiste de Bach. Même pas toujours une amatrice, quoique La Passion selon Saint Matthieu fasse partie de mon panthéon. Mais je n’arrive pas à imaginer que la puissance de création de ce musicien si extraordinairement fécond se soit fondée sur le mépris. Or qu’y a-t-il dans ce spectacle ? un cours de contrepoint tellement expédié – sur le mode virtuose, certes – qu’il exclut toute compréhension possible du propos. Des salves de sarcasmes à l’endroit d’un public imaginaire que le dispositif scénographique assimile forcément au public réel du spectacle, en gros une assemblée d’imbéciles. Un dieu réduit à un crucifix clignotant. Et, pour racheter ? pour compenser ? ces flots d’amertume, quelques pincées de pathos sur quoi se clôt le spectacle.

L’origine de la pièce, a expliqué Astier, réside dans le sentiment d’admiration absolue mêlée d’incompréhension qu’ont suscitées chez lui la découverte puis la fréquentation du Kappellmeister. « Plus j’avance, moins je comprends » a-t-il dit à Rebecca Manzoni ; d’où l’idée d’endosser le rôle, pour comprendre de l’intérieur. Eh bien, je le crains fort, c’est Alexandre Astier qui a submergé Bach. Un type doué, très créatif, mais très infirme du côté de la « tendresse humaine », comme dirait l’autre. En public, au moins. Je ne sais pas quelle peut être – s’il y en a une - la tristesse intime de ce créateur bouillonnant, et si attaché à sa famille et à ses proches qu’il les fait jouer et travailler avec une fidélité qui l’honore dans l’ensemble de ses spectacles. Mais quelle cohérence y a-t-il à ce mélange de véracité historique et de laisser-aller narcissique ? ça ressemble à Marie Drucker expliquant Haydn. Un truc djeunze, qui renvoie à soi-même, en somme. Le rire que suscite le spectacle est un rire sans joie. Aigre. Une master class sans classe.


Quant à la salle ! cette exaspérante manie née de la télé qui fait applaudir le public à la moindre boutade, pour manifester que l’on a compris, au mépris de toute fluidité du spectacle. Le type d’à côté qui, à peine assis – il est 21 heures, il a eu le temps de manger un morceau – entreprend d’ouvrir son petit paquet individuel de Petit écolier au chocolat, craquements, froissements, un coup d’œil hostile n’y suffit pas, il faut y mettre des mots ; la petite fille quinquagénaire de devant, tout éblouie d’en être, ponctuant tout au long les répliques du rire et de l’applaudissement, avant de se dresser, toute fière, pour tenter de susciter la « standing ovation » finale, sans laquelle on n’en a pas pour son argent. Étrange expérience, que de rester en dehors de ce qui devrait être un partage, humaniste. « Pour ce que rire est le propre de l’homme »… le propre de l’homme contemporain n’est-il que dérision assaisonnée de quelques bons sentiments ? un rire de cour de récré, mécanique, méchant.

Tant pis pour Bach. Tant pis pour moi. En tout cas je n’ai vu dans ce Bach vitupérant de jeudi soir ni « hommage déglingué », ni offrande musicale. Pas même, malgré le talent, une offrande théâtrale.

Commentaires

1. Le dimanche, septembre 27 2015, 05:36 par dragonemma

Je comprends votre propos, mais je viens de découvrir la pièce, et moi qui n'avais que des connaissances rudimentaires en musique classique, j'ai été séduite par ce Bach. Ca m'a donné envie de découvrir le "vrai" et sa musique. Maintenant je l'écoute tous les jours. Donc un grand merci à Alexandre Astier pour ce "coup de lumière" dans ma vie !

2. Le dimanche, septembre 27 2015, 09:10 par Agnès

Merci de votre passage et de votre petit mot. Je me réjouis de votre plaisir à écouter Bach. Moi, je lis "Pas Pleurer" de Lydie Salvayre. C'est un beau livre.

A.O.

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