Emmanuel Carrère : La Moustache... quelle barbe ! :-(

Encore un roman - offert gratuitement par Folio pour l’achat de deux autres volumes - d’autant plus irritant que je le lis pendant des vacances peu actives en ce domaine. Je n’irai pas jusqu’à la fin, tout m’y agace, du style à la façon de mener l’intrigue, et d’ailleurs j’ai déjà lu la fin, sur laquelle une quatrième de couverture racoleuse attire l’attention comme pour inviter précisément à enfreindre l’interdiction de la lire d’emblée. C’est La Moustache d’Emmanuel Carrère, livre dont j’ai mainte fois entendu l’éloge, et auteur célébré s’il en est, y compris par des proches ou moins proches, lecteurs avertis pour lesquels j’ai de l’estime.

Je ne pense pas que ma gêne vienne du prénom de l’héroïne ou plutôt de la femme du héros, Agnès, à laquelle rien sinon précisément cette communauté de prénom ne m’invite à m’identifier. Non, dès les premières pages, je n’ai pas marché : parce que c’est invraisemblable et bancal, cette histoire de type dont la moustache rasée ne saute aux yeux de personne. S’il la portait depuis dix ans, il avait forcément une pièce d’identité qui en attestait, et c’est je crois, avec les photos, la première chose à laquelle il aurait dû penser. L’attitude d’Agnès, à mi-chemin entre inquiétude et mystification, manque elle aussi de cohérence. En outre, j’ai du mal à imaginer que l’on puisse ne pas avoir, face à un homme qui a rasé sa moustache, de souvenir sensible de son contact. Un baiser à moustache n’est pas un baiser glabre, et induit forcément la perception sensible de son absence.

Qu’en est-il ? Est-ce le personnage – dont je m’avise qu’il reste anonyme tout au long du texte (de ce que j’en ai lu, ou aperçu) - qui est fou ? qui n’a jamais eu de moustache, qui a rêvé le rasage et toutes les preuves y afférentes? Ou est-ce sa femme qui le mystifie jusqu’à sa perte ? Si le trouble et l’incertitude sont la marque du fantastique, si le fantastique est comme le revers du réalisme, ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans La Moustache. Car si indécision il y a, elle n’est pas le mode d’une lecture qui ne saurait trancher entre explication rationnelle et irrationnelle, mais celui d’une écriture qui n’a pas su choisir entre le réalisme – interminable chronique de gestes, dialogues oiseux, scène de sexe contée dans ses moindres détails, toutes caractéristiques ressassées des « lettres » françaises d’aujourd’hui – et le fantastique. L’usage de la troisième personne, qui place en quelque sorte les personnages sur le même plan, alors même que le roman nous invite à lire à travers le regard du héros, égare. Et puis il y a trop de tout : trop de pensées du moustachu démoustaché (roman psychologique post Horla), trop de prénoms pour des personnages somme toute annexes, trop de gestes, d’allées et venues (jusqu’à Hong Kong et Macao), pour que l’on puisse jouir de l’histoire ou de l’écriture. On s’éparpille, on s’éclabousse, ça ricoche, et cette quête d’une identité perdue, dissoute dans le regard des autres (ici par poils interposés), ou à trouver, laquelle semble bien la question centrale dans l’œuvre d’Emmanuel Carrère, ressemble à la justification brouillonne d’une pulsion suicidaire, au mépris de toute économie de l’intrigue et de toute pensée esthétique rigoureuse. Ça ne tient pas debout, cette histoire, cette ragougnasse littéraire, et le simple fait d’essayer d’en démêler l’incohérence, c’est horripilant.

Seul attrait du volume : l’amusant Dieu des coiffeurs d’Otto Dix, qui illustre plaisamment la couverture.

Commentaires

1. Le jeudi, juillet 18 2013, 21:25 par S. Brice

Effectivement ce roman a l'air chiant. Vous le détruisez bien. Lisez Limonov, ça ira mieux !

2. Le jeudi, juillet 18 2013, 22:17 par Agnès

Tout le monde ne partage pas mon avis (Carrère est même assez universellement célébré). Mais, non merci, je crois que je vais m'abstenir.

3. Le jeudi, juillet 18 2013, 22:42 par S. Brice

:)

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