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mardi, octobre 30 2012

L'art du bref

Trois grandes œuvres résumées en une phrase – c’est Alexakis qui m’a donné envie de les restituer ici :

Camus (rappelé samedi dernier par Jacques Ferrandez) : « J'ai résumé L'Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale : "Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort." »

Le frère de Pennac, à propos de La Mousson  de Louis Bromfield : « C’est l’histoire d’un mec : au début, il boit beaucoup de whisky, à la fin il boit beaucoup d’eau ! ». Certes, c’est un peu facile, mais c’est amusant. Et La Mousson est un si beau roman !

Et enfin, Alexakis, narquois : « A mon frère qui me demandait de lui résumer L’Idiot, j’avais répondu que c’était un épisode inédit de la vie de Jésus qui se passait chez les alcooliques russes

;-D

Vassilis Alexakis - L'Enfant grec

Divagation mentale, errance intérieure, vagabondage littéraire intime…. Comment qualifier le dernier « roman » de Vassilis Alexakis ? Le mot « roman », il faut le trouver, est inscrit en tout petit dans le coin droit de sa sobre couverture bleu sombre. Appuyé sur ses béquilles de convalescent, de retour de l’hôpital d’Aix-en-Provence où il a séjourné après l’opération d’un anévrisme, l’auteur, (le « je »), incapable de monter les cinq étages sans ascenseur de son studio parisien, habite provisoirement l’hôtel Perreyve, rue Madame, près du Jardin du Luxembourg. Sa démarche, entravée par l’accident et ses béquilles, libère en quelque sorte une déambulation sinueuse à travers les lieux réels et rêvés qui servent de cadre à ses promenades et à sa mémoire. Au passé grec dans le jardin et la remise de Callithéa, où à travers leurs lectures de Dumas, Verne ou Stevenson, il rêvait avec son frère et ses camarades une vie d’aventures, sa conscience juxtapose le présent et le passé des hôtes du Jardin et du Sénat tout proche.
On croise donc dans les allées du jardin et de l’imaginaire Jean Valjean et Cosette, réincarnés en M. Jean, justement, bibliothécaire en retraite du Sénat, et sa nièce aux yeux toujours baissés, les très romanesques marionnettistes du petit théâtre de Guignol, Odile et sa sœur Georgette, le vagabond Gnafron-Ricardo-Karaghiozis. Il y a des garçons de café, une dame pipi, des clochards et des princesses, la Mort avec sa robe blanche et ses pattes de poule à moins que ce ne soit un casque de motard, un cyprès insaisissable. Sous le Paris de la surface, il y a aussi l’ancien Paris tout de galeries et de couloirs d’égouts, que parcourent les étudiants de l’Ecole des Mines et les « cataphiles ». Les Enfers de la ville, en quelque sorte, à portée de bouche d’égout. Il y a des enfants abandonnés – le Rémi d’Hector Malot qui a fasciné mon enfance -, une plantureuse et séduisante dame de bronze assise sur un banc devant l’Institut Culturel Hongrois, les fils et le neveu de l’auteur, son frère mort, la duchesse de Berry en ses débauches, Polichinelle / Pulcinella et Marie de Médicis, Tarzan et Georges Azur, résistant grec…. Tant d’autres, et encore la Grèce natale ostracisée en plein cœur de l’actualité européenne, et les Compagnons de la Nuit, qui ouvrent aux errants et aux égarés leur local, rendez-vous de toutes les solitudes, où l’on parle et où l’on écrit.

Il y a dans cet Alexakis nonchalant, hypocondriaque et habité par tous ses « locataires chimériques » quelque chose du portrait de Marcel Aymé par Topor. Quelque chose de Queneau, aussi, ne serait-ce qu’à cause du finale du roman dont je ne dirai rien. Une sorte de monde où toute frontière semble abolie, dans l’architecture du récit comme dans la syntaxe même de la phrase. Et puis Hugo, bien sûr, dont le roman tire son titre. Loin de la claudication béquillarde du narrateur, la lecture va, fluide, accompagnée in petto par la voix douce, languide, un peu nasale, exotiquement accentuée de Vassilis Alexakis, ex-papou canal historique, dont tant de fantaisies burlesques m’ont fait, autrefois, rire aux éclats.

30/10 : Je lis que V.A. fait partie des "écartés" de la liste Goncourt. J'espère qu'il s'en fiche. Mais j'en suis désolée pour lui.