Divagation mentale, errance intérieure, vagabondage
littéraire intime…. Comment qualifier le dernier « roman » de
Vassilis Alexakis ? Le mot « roman », il faut le trouver, est
inscrit en tout petit dans le coin droit de sa sobre couverture bleu sombre. Appuyé
sur ses béquilles de convalescent, de retour de l’hôpital d’Aix-en-Provence où
il a séjourné après l’opération d’un anévrisme, l’auteur, (le « je »),
incapable de monter les cinq étages sans ascenseur de son studio parisien, habite
provisoirement l’hôtel Perreyve, rue Madame, près du Jardin du Luxembourg. Sa
démarche, entravée par l’accident et ses béquilles, libère en quelque sorte une
déambulation sinueuse à travers les lieux réels et rêvés qui servent de cadre à
ses promenades et à sa mémoire. Au passé grec dans le jardin et la remise de
Callithéa, où à travers leurs lectures de Dumas, Verne ou Stevenson, il rêvait
avec son frère et ses camarades une vie d’aventures, sa conscience juxtapose le
présent et le passé des hôtes du Jardin et du Sénat tout proche.
On croise donc
dans les allées du jardin et de l’imaginaire Jean Valjean et Cosette,
réincarnés en M. Jean, justement, bibliothécaire en retraite du Sénat, et sa
nièce aux yeux toujours baissés, les très romanesques marionnettistes du petit
théâtre de Guignol, Odile et sa sœur Georgette, le vagabond Gnafron-Ricardo-Karaghiozis.
Il y a des garçons de café, une dame pipi, des clochards et des princesses, la
Mort avec sa robe blanche et ses pattes de poule à moins que ce ne soit un
casque de motard, un cyprès insaisissable. Sous le Paris de la surface, il y a aussi
l’ancien Paris tout de galeries et de couloirs d’égouts, que parcourent les
étudiants de l’Ecole des Mines et les « cataphiles ». Les Enfers de
la ville, en quelque sorte, à portée de bouche d’égout. Il y a des enfants
abandonnés – le Rémi d’Hector Malot qui a fasciné mon enfance -, une
plantureuse et séduisante dame de bronze assise sur un banc devant l’Institut
Culturel Hongrois, les fils et le neveu de l’auteur, son frère mort, la
duchesse de Berry en ses débauches, Polichinelle / Pulcinella et Marie de
Médicis, Tarzan et Georges Azur, résistant grec…. Tant d’autres, et encore la
Grèce natale ostracisée en plein cœur de l’actualité européenne, et les
Compagnons de la Nuit, qui ouvrent aux errants et aux égarés leur local, rendez-vous
de toutes les solitudes, où l’on parle et où l’on écrit.
Il y a dans cet Alexakis nonchalant, hypocondriaque et habité
par tous ses « locataires chimériques » quelque chose du portrait de
Marcel Aymé par Topor. Quelque chose de Queneau, aussi, ne serait-ce qu’à cause
du finale du roman dont je ne dirai rien. Une sorte de monde où toute frontière
semble abolie, dans l’architecture du récit comme dans la syntaxe même de la
phrase. Et puis Hugo, bien sûr, dont le roman tire son titre. Loin de la claudication béquillarde du narrateur, la lecture va,
fluide, accompagnée in petto par la
voix douce, languide, un peu nasale, exotiquement accentuée de Vassilis Alexakis,
ex-papou canal historique, dont tant de fantaisies burlesques m’ont fait,
autrefois, rire aux éclats.
30/10 : Je lis que V.A. fait partie des "écartés" de la liste Goncourt. J'espère qu'il s'en fiche. Mais j'en suis désolée pour lui.