Mot-clé - Vallès

Fil des billets - Fil des commentaires

vendredi, août 17 2012

'Ecouter' un livre : Enfance de Nathalie Sarraute

Puis-je désormais dire que j’ai « lu » Enfance de Nathalie Sarraute ? C’est le problème avec les livres audio : on les a écoutés, on ne les a pas lus. J’ai déjà éprouvé ce sentiment inconfortable à l’écoute – j’allais écrire la lecture – de Lettre à une inconnue  de Zweig, que donc, je n’ai pas « lu ».
En tout cas, il y avait longtemps que j’éprouvais quelque honte de ne toujours pas avoir surmonté un ennui sans doute passager pour aborder entièrement Enfance. Un long voyage a donc permis l’écoute des 3 CD du livre audio où Béatrice Agenin et Francine Berger prêtent leurs voix aux deux Nathalie Sarraute : la « nouvelle-romancière » détachée de toute subjectivité et l’autrice très âgée en proie au désir de revenir sur ses années d’enfance, un comble du retour à soi. J’en connaissais des pages entières – peu, en somme – de celles qui sont devenues des classiques de la littérature-autobiographique-à-l’école, en particulier, précisément, le dialogue liminaire qui oppose les deux voix de la romancière. Je l’ai écouté avec plaisir, mais non parfois sans un certain agacement. A cause, d’abord, du ton trop doctoral, de la diction trop distillée, de la voix principale. Elle exalte le texte, au détriment sans doute d’un certain naturel, même si elle ne s’interdit nullement, au contraire, d’en transmettre les émotions vives. A cause, ensuite, des intermèdes musicaux, toujours trop longs, au point non plus d’accompagner le texte, mais de l’éteindre sous un commentaire redondant, allègre après les passages joyeux, discordant dans les moments douloureux, j’en attendais la fin avec impatience, pour que reviennent les mots. Après vérification, il ne s’agit pas d’une musique originale, mais de brefs morceaux de divers compositeurs contemporains. Je conçois que l’on n’ait pas voulu les interrompre. Leur atmosphère colle judicieusement à celle du texte. Mais le respect de la musique se fait, je le redis, au détriment du texte, qui a été coupé !  Peut-être faudrait-il composer pour les livres audio des musiques originales ? ce serait plus cher, sans doute, mais tellement plus juste !

Beau texte, indéniablement, par moments peut-être un peu complaisant dans sa quête de la vérité des infimes mouvements de l’âme de Natacha enfant.

Lire la suite...

mardi, avril 3 2012

Hector Malot - 'En famille', dans les marais picards

Un des livres qui a le plus fait rêver mon enfance. C’est une robinsonnade, au féminin. Je me demande pourquoi on ne l’étudie plus jamais, comme d’autres auteurs pour l’enfance du XIXe. Pourtant, la  langue en est riche et belle, sans être précieuse, et les sujets traités ne sont que discrètement édifiants. Pour l’héroïne d’En Famille, Perrine - du nom de la petite-fille d’Hector Malot m’apprend wikipedia - elle est métisse de brahmane (certes pas d’intouchable, mais quand même) et de picard, elle doit se débrouiller dans la vie grâce à son inventivité et à sa vitalité, et elle en voit des vertes et des pas mûres. Quant au complexe industriel de Vulfran Paindavoine (le nom m’était resté comme au temps de mes premières lectures), il tient plus à la fin du Familistère de Godin que des usines Saint Frères me semble-t-il.

Bref, j’aime ce livre, et voici le premier séjour de Perrine dans son « aumuche », après une nuit étouffante et malsaine dans une « chambrée » d’ouvrières de la mère Françoise, à Maraucourt, le nom romanesque de Flixecourt.

« L’aumuche était de forme carrée et toute tapissée jusqu’au toit d’un épais revêtement de roseaux et de grandes herbes : aux quatre faces étaient percées des petites ouvertures invisibles du dehors, mais qui donnaient des vues sur les entours et laissaient aussi pénétrer la lumière ; sur le sol était étendue une épaisse couche de fougères ; dans un coin un billot fait d’un troc d’arbre servait de chaise.

Ah ! le joli nid ! qu’il ressemblait peu à la chambre qu’elle venait de quitter. Comme elle eût été mieux là pour dormir, en bon air, tranquille, couchée dans la fougère, sans autres bruits que ceux du feuillage et des eaux, plutôt qu’entre les draps si durs de Mme Françoise, au milieu des cris de la Noyelle, et de ses camarades, dans cette atmosphère horrible dont l’odeur toujours persistante la poursuivait en lui soulevant le cœur.

Elle s’allongea sur la fougère, et se tassa dans un coin contre la moelleuse paroi des roseaux en fermant les yeux. Mais, comme elle ne tarda pas à se sentir gagnée par un doux engourdissement, elle se remit sur ses jambes, car il ne lui était pas permis de s’endormir tout à fait, de peur de ne pas s’éveiller avant l’entrée aux ateliers.

Maintenant le soleil était levé, et, par l’ouverture exposée à l’orient, un rayon d’or entrait dans l’aumuche qu’il illuminait ; au dehors les oiseaux chantaient, et autour de l’îlot, sur l’étang, dans les roseaux, sur les branches des saules se faisait entendre une confusion de bruits, de murmures, de sifflements, de cris qui annonçaient l’éveil à la vie de toutes les bêtes de la tourbière.

Elle mit la tête à une ouverture et vit ces bêtes s’ébattre autour de l’aumuche en pleine sécurité : dans les roseaux, des libellules voletaient de çà et de là ; le long des rives, des oiseaux piquaient de leurs becs la terre humide pour saisir des vers, et, sur l’étang couvert d’une buée légère, une sarcelle d’un brun cendré, plus mignonne que les canes domestiques, nageait entourée de ses petits qu’elle tâchait de maintenir près d’elle par des appels incessants, mais sans y parvenir, car ils s’échappaient pour s’élancer à travers les nénuphars fleuris où ils s’empêtraient, à la poursuite de tous les insectes qui passaient à leur portée. Tout à coup un rayon bleu rapide comme un éclair l’éblouit, et ce fut seulement après qu’il eut disparu qu’elle comprit que c’était un martin-pêcheur qui venait de traverser l’étang.

Longtemps, sans un mouvement qui, en trahissant sa présence, aurait fait envoler tout ce monde de la prairie, elle resta à sa fenêtre, à le regarder. Comme tout cela était joli dans cette fraîche lumière, gai, vivant, amusant, nouveau à ses yeux, assez féerique pour qu’elle se demandât si cette île avec sa hutte n’était point une petite arche de Noé. »

Malot a été le patient soutien et le relais de Vallès auprès des éditeurs pendant l’exil londonien du journaliste après la Commune. C’est lui qui a fait éditer L’Enfant. Séverine l’appelait semble-t-il Malot la probité, ce qui est un beau nom. J’ai plaisir ce soir à l’évoquer et à le citer.

dimanche, novembre 28 2010

François Dupeyron - Le Grand soir

                         Jo, la belle Irlandaise (1866, MoMA)

« Courbet restait à distance. Vallès lui avait fait un petit signe, il allait le rejoindre... il était plus journaliste que politique, le virus l’avait pris, c’est-à-dire qu’il ne marchait pas comme tout le monde, les deux pieds sur la terre, il flottait, dérivait sur un monde en perpétuel mouvement, parce qu’il n’en finit pas de bouger le monde des hommes. Alors Vallès notait chaque hoquet, soubresaut, clin d’œil, il lui fallait être dans le secret des dieux... c’est qu’il en retirait un sentiment très fort d’être plus vivant, plus au cœur, il savait ce que les autres ne savaient pas encore... comme Courbet, c’est au centre qu’il se voulait. Un point cependant les séparait, Courbet se méfiait du pouvoir, il n’en voulait pas pour lui, il était trop artiste... »

 Il a de la plume, François Dupeyron. Oui, François Dupeyron le cinéaste. Celui qui a fait Drôle d’endroit pour une rencontre et La Chambre des officiers. Je savais, pour l’avoir entendu un jour sur France Culture, qu’il était écrivain aussi, un écrivain advenu lentement et douloureusement à l’écriture.  J’ai oublié le détail, je n’en ai entendu qu’un bout, mais c’était une affaire d’extrême souffrance, comme de passer de l’aphasie à la parole.

Alors j’en ai sorti deux de la bibliothèque et j’ai commencé celui-ci – Le Grand soir – avec en couverture un gros plan en clair obscur sur le beau visage de Courbet jeune, L’Homme blessé, on voit la tache de sang sur la chemise blanche, à la place du cœur. Je l’ai commencé et, va savoir, la fatigue des journées, les allées-venues, d’autres livres, les cours, et le style aussi, haletant, jaillissant, célinien en quelque sorte, la lecture n’avançait pas. Je l’ai repris enfin, et terminé, d'un trait.

Lire la suite...

mardi, novembre 9 2010

Le decemfaminat littéraire

Il en avait de ces inventions lexicales, Vallès ! « decemfaminat », de decem, dix, et fama, la gloire, la renommée. Les « dix gloires de la littérature », ou les « dix faiseurs de gloire de la littérature » ? Ou les « dix qui attisent la famine » ? le mot n’a pas pris, trop précieux, trop ambigu, trop... amphigourique ? trop spécialisé - l’emploi en eût été très accidentel. Une fois par an, et encore. Je m'offre le plaisir de le ressortir, in contextu, parce les choix littéraires des dix vieillards de Drouant m’irritent presque chaque année, que je me demande toujours quelle sorte de lecteurs ils sont,  quelle sorte d’écrivains. Combien peu le plaisir de lire et de faire lire semble les occuper, le talent littéraire, l’inventivité narrative, le goût de la langue. Très français en cela, ils jugent sur l’idée : « l’idée, c’est que... », triste leitmotiv qui ouvre le moindre débat, le moindre exposé. Jamais plus loin que l’idée, et quant à l’élaboration requise par la pensée, on l’attend toujours. Cette année, l’idée devait être qu’on ne pouvait plus longtemps ignorer l’injustice littéraire qui avait autrefois frappé « l’ennemi public ». Le voilà, les voilà racheté(s).

 Le texte ci-dessous date de 1896, année de la publication du testament d’Edmond. Je l’ai retrouvé dans mon édition du Club Français du livre, introduction et notes de Gaston Gilles, 1953. La vision qu'il donne du métier d'écrivain est sans doute romantique, mais il y anticipe aussi avec lucidité bien des failles du système Goncourt...

 

Paris littéraire n’est pas encore revenu de l’impression de stupeur qu’a produite la divulgation du secret académique d’Edmond de Goncourt...

...........................................................................................................

Comment ! Il se moque de l’Académie des quarante et il veut fonder l’académie des dix !

Mais elle sera plus sotte et plus injuste, plus impuissante et plus lâche que celle qui loge devant le pont des Arts.

On reproche à cette vieille fille de recevoir, dans son sein, les notoriétés fades, les renommées médiocres, les gloires blettes. Elle est le thermomètre de la banalité publique. Ce n’est pas un crime.
D’ailleurs, si les crapauds du marais sont en majorité dans cette Convention endormie, on y voit aussi le spectacle des grands talents et, de temps en temps, dans des bandelettes de momie, la carcasse des gloires. On prend là sa retraite, quand on est las de la lutte et qu’on n’a plus le feu sacré. Les quarante sont les nez d’argent des littératures, des théories et des politiques finies !
Devant ce tombeau, Edmond de Goncourt a pensé à placer un berceau, sans deviner que sa  pensée allait encore plus à reculons que celle de l’Académie. Elle n’est qu’une écrevisse, - la sienne serait un vampire qui boirait le sang des vivants au lieu de manger la chair des morts.
Il offre une prime à la servilité. Il présente la pâtée des chiens aux loups. Il noue son bouchon de paille à la queue des pur-sangs, il émascule les forts, il abeilardise les virils, il promet le repos, la paix, à qui a besoin, pour avoir du feu et du sang, de traverser mille aventures basses ou nobles, d’avoir souffert mort ou passion.

Lire la suite...

vendredi, août 17 2007

Une trouvaille ? - Non, une curiosité...

"Lasse de lutter contre sa jeunesse, fatiguée de vingt ans d’extase, la tête chargée des odeurs de l’encens, le cœur noyé dans les rêves mystiques, servante de Jésus-Christ, fiancée de Maurice, esprit malade, corps sain, elle sentit tout d’un coup le désir naître et sa vertu crouler".
(J'aime bien la chute...)

J’ai exhumé en rangeant des livres un mince volume édité chez Ombres en 1996, et que j’avais laissé s’ensevelir sans l’ouvrir : Un gentilhomme, de Jules Vallès, roman feuilleton de 1869, préface de Roger Bellet, son éditeur dans la Pléiade. Joli petit livre (mauvaise reliure), mais quelle déconvenue que cette lecture ! C’est du Vallès avant Vallès. Le texte d’un auteur qui ne s’est pas trouvé.
Une sombre histoire de famille aristocratique d’Auvergne dominée par une grand-mère toute puissante dans sa méchanceté, qui impose ses volontés à sa belle-fille veuve et haïe, une bigote qui ne laisse elle-même à son fils, Maurice, le « héros », aucune liberté (c'est une "méchante" superlative !). Il grandit donc, gauche et blafard, étouffé par les femmes et la religion, jusqu’au jour où son état de santé oblige sa mère à le laisser séjourner chez l’oncle paria, François, qui a épousé une paysanne et vit en fermier. Suivent quelques pages vraiment vallésiennes, comme diraient les cuistres : la découverte des saveurs, des odeurs et des goûts de la campagne sous la conduite de sa cousine la ronde et radieuse Louise, la liberté, la réconciliation avec le corps et la nature, la joie physique. Maurice a trouvé son univers, oubliant ses prières et ses préjugés aristocratiques. Ce sont des pages lumineuses, qui rappellent les séjours à la campagne de l’Enfant, à Fareyrolles avec les cousines, ou chez l’oncle curé. Hélas, Maurice est rappelé par sa mère, il retrouve le château obscur et glacé, la nourriture sans saveur, les contraintes, l’absence d’affection. Jusqu’à la mort de la grand-mère (épisode très noir et très mélodramatique, mais raté) qui naturellement les a déshérités et les laisse à la charité de sa seconde petite-fille, une jeune vierge vieillissante et dévote, mais bonne fille, et gourmande. Naturellement, celle-ci s’éprend de son cousin, qui ignore ses maladroites coquetteries tant est vivace en lui le souvenir de Louise….

Je ne vais pas vous raconter la fin, qui est sanglante. Du pur mélo, digne de Pixérécourt au moins ! (ou de Nodier tel que le conte Dumas en ses Mémoires, dans un savoureux épisode de rencontre à la Porte Saint Martin). Pour le reste, on voit passer l’influence de Hugo – Babassou est une variété de Quasimodo - et du roman populaire de l’époque. Mais rien du souffle ironique de Vallès, de sa narration brisée et railleuse, ou lyrique. Un récit mal cousu, dans une époque où il avait sans doute bien d’autres chats à fouetter, même si ses journaux s’étaient cassé la figure. Un document intéressant – si l’on n’a pas lu la préface, qui dévoile tout ! -, à des années-lumière de l’allégresse narrative et stylistique, des portraits enlevés et des dialogues nerveux du Vallès-Vingtras de la Trilogie, à qui le temps, la mort et l’exil ont permis de trouver sa voix.
Sur Vallès, ce site.

NB : L'épisode Nodier est ici, il y en a cinq ou six chapitres :