L’Homme hermétique, de Lionel-Edouard Martin

L’Homme hermétique, c’est l’histoire de Paul, telle qu’elle émerge de la polyphonie des débuts, des scènes de famille où les prénoms des uns et des autres (évoqués dans un  dramatis personae  initial incongru à l’orée d’un « roman ») sont comme des éclaboussures qui masqueraient le point central. C’est donc l’histoire de Paul, rejeton d’une famille de diabétiques, dévoré par le sucre dans son corps. La chronique d’un corps qui se défait, le corps lourd d’un homme qui « boit », qui stagne, et qui, toujours, se tait, pendant que l’écriture du « je », l’un des membres de la famille, essaie de saisir – avec une grande force d’évocation et cette belle langue charnue, nerveuse, incantée – la vie de l’homme au cœur de ce silence.

Un seul reproche, peut-être, que les mots et le rythme des voix du chœur familial soient trop proches - plus assez patois, mais trop français lettré – de ceux du narrateur. Pour le reste, il ne se passe rien ici encore, que la mort lente de Paul, autrefois maçon, puis menuisier, au fil des ans, de l’oisiveté, du corps pesant et du silence. Avec au début, cet étrange prélude qui observe un adolescent sans regard encapuchonné dans un sweat et les écouteurs d’un ipod ( ?), fendre la foule urbaine d’un seul élan indifférent. De l’ado d’aujourd’hui au Paul d’autrefois, de la fureur vive à l’affaissement dépressif, même hermétisme à l’autre, comme une image de l’homme contemporain que, par ses mots, l’auteur tenterait de retisser à la toile commune ?

J’ai emprunté ces deux livres de Lionel-Edouard Martin à la bibliothèque, après avoir découvert au hasard d’une errance sur la toile en quête de références aux Saisons de Maurice Pons - dont j’ai vu qu’elles avaient été rééditées - sur le site de Marc Villemain, un éloge appuyé et une interview chaleureuse, intéressante, littéraire de L. E. Martin. Il n’y avait que ces deux textes-là à la bibli, pas d’Anaïs ou les gravières, dont il était fait un éloge convaincu. Je cherchais dans la jungle des lettres autre chose que les auteurs de « bonnes feuilles » (cette antiphrase !) évoqués il y a peu, que les publieurs-d’un-bouquin-à-l’année ou tous les deux ans dont les noms reviennent régulièrement aux diverses rentrées littéraires. Lionel-Edouard Martin n’est pas un enfanteur de vastes histoires romanesques au souffle d’épopée. Mais c’est un amoureux des gens, des lieux, des langues, et sa musique discrète, déliée, délicate sans mièvrerie aucune, mérite qu’on la lise et qu’on l’écoute.

« J’écris pour ça, pour l’archéologie de la parole, celle qui doit bien, aux ébréchures, laisser filtrer un peu de matière occulte, puisque évoquer Paul et les autres, aller dans cette histoire, les rétablir dans l’existence, non pas comme ils furent mais comme les mots les concrétisent, les font passer de l’ombre au personnage, leur rendent un corps de souffle expiré par ma voix .»

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