A l’arrivée à la bibliothèque municipale, on est saisi dès la façade par quatre immenses silhouettes d’enfants en plein élan, noirs fondus dans la nudité blanche de grandes toiles où seuls subsistent le mouvement et le geste. Et puis dans le grand hall, à gauche, les murs sont couverts de très grands lavis, garçonnets et fillettes en contre-plongée, pirouettant, tournoyant, tassés contre le sol ou envolés dans un bond immobile. On éprouve à les regarder un surprenant sentiment de familiarité et d’étrangeté à la fois : familiarité de la silhouette, des gestes du jeu saisis dans la cour de récré, étrangeté liée à l’absence totale de décor qui laisse l’enfant se détacher seul sur la page, au point de vue en contre-plongée qui écrase les silhouettes, à l’absence de visages…
C’était encore plus saisissant hier soir à la nuit tombée, dans le hall où deux comédiens ont lu des textes sur l’enfance, au hasard Loti, Sarraute, Colette, Martine Rassineux elle-même, Peter Handke, Achim Von Arnim et bien d’autres… et puis les deux lourdes portes doublées de cuir rouge se sont ouvertes sur la salle de prêt et la petite salle d’expo qui la précède, et là, les mêmes silhouettes en petit format sur les murs, eaux-fortes cette fois, mais accompagnées, sur les vitrines, ou tendus sur des toiles, desdits textes magnifiquement typographiés en noir et rouge par le mari de l’artiste François Da Ros. Mélange des encres, des caractères, disposition des mots en vagues, en arc voire en colimaçon (sur un texte de Régine Detambel)… Vues à quelque distance, les eaux-fortes semblaient comme des idéogrammes mêlés à la danse des textes, à ces lettres-atomes infiniment combinables qui dans la parole fervente de François Da Ros sont depuis toujours les compagnes de l’homme dans sa quête de sens. J’ai pioché quelques images sur le site des éditions « Anakatabase », nom cocassement érudit de l’escalier du petit séminaire où le typographe a rencontré les textes qui ont fondé sa quête spirituelle et artistique.
Il y a la petite asiatique à la queue de cheval tournoyante, ou celle que j’appelle à part moi « la petite gitane », sans doute ma préférée, il y a ces enfants, garçons et filles, qui les bras ouverts, semblent saluer le ciel ou le soleil, il y a ce garçonnet de dos, le bras tendu avec une grâce élégante, il y a l’enfant à la cabriole, il y a l’extase de jouer et de vivre… Sur la grande table au centre de la galerie, les planches de Généalogies, , le dernier des livres composés à quatre mains par le couple. On en trouve quelques-unes sur le site d’Anakatabase : il y a de bien belles choses sur ce site allez-vous y promener. Les livres sont là. Une partie des eaux-fortes ici, juste pour vous ouvrir l’appétit. Surtout, allez à la bibliothèque Louis Aragon : cette expo d’enfants, de récrés et de lettres est littéralement inspirée.