« Lorsque l’on étudie le latin et le grec à l’université, il peut arriver que le charme austère des langues anciennes – leur grammaire difficile et implacable, les exigences de la syntaxe, les contraintes de la métrique, qui n’admettent ni médiocrité ni à peu-près – finisse par forger un goût pour un certain type de rigueur, et cette rigueur devient une sorte de modèle, non seulement pour les critères qu’en tant que critique, on se doit d’appliquer à son sujet (qu’il s’agisse d’art, de théâtre, de cinéma, de danse, de littérature ou de tout autre chose), mais également pour les qualités que l’on recherche dans les œuvres que l’on examine. A savoir, une cohérence riche de sens dans la forme comme dans le contenu ; le déploiement subtil mais précis de détails au service de ce sens ; de la vigueur et de la clarté d’exception ; et une rigueur dans la démarche. Ne voyant aucune raison de ne pas appliquer ces critères aussi bien aux produits de la culture populaire – du moins, ceux qui aspirent à quelque sérieux – qu’à ceux de la Culture avec un grand C (et de ne pas y rechercher ces mêmes qualités), je me suis efforcé de les intégrer et de les appliquer de la même manière à mes propres écrits critiques ».
Je n’ai pas eu le temps, hélas !, de chroniquer encore le dernier bouquin de Daniel Mendelsohn, recueil d’articles de critique littéraire et cinématographique, essentiellement, mais je pensais à ce texte un matin de la fin d’août (oui c’est du réchauffé, j’avais oublié cette chronique ! mais son sujet reste d’actualité, hélas), en écoutant à France Inter un fragment de l’émission « Microfictions », avec un échantillon de la « critique littéraire » parisienne. Insupportable exemple de micro-cosme verbeux, satisfait, vaniteux. Où j’ai appris, entre autres, que les lecteurs en avaient marre des pavés, et se jetaient sur les minces ouvrages qui correspondaient mieux à leurs attentes et à leur temps. J’avais pourtant entendu parler il y a peu du succès planétaire de la trilogie de Stieg Larsson (un bon millier de pages, au bas mot), ou de La Couleur des sentiments ici chroniqué, qui n’est pas un fascicule, ou encore de celui, inébranlable malgré les années, du Comte de Monte Cristo, autre bon millier de pages pour la vengeance d’un seul homme dans un seul roman ! sans parler d’Une Femme fuyant l’annonce, de David Grossman, à ma connaissance parmi les meilleures ventes de la rentrée. J’ai appris aussi que Joseph Macé-Scarron, qui officie sur FQ et partout ailleurs, avait été accusé de plagiat et avait reconnu avoir fait « une connerie » en pompant plus ou moins tel ou tel auteur mais ce n’est pas grave parce que c’est comme Houellebecq (que j’en ai marre de cette absolution donnée aux recopiages-remplissages houellebecquiens !!!), et que la rentrée littéraire française était de qualité, en particulier pour ce qui concernait les premiers romans. Croyez-moi si vous voulez, la chose a été incantée par au moins trois ou quatre de ces bruyantes bonnes gens sans que jamais oncques auteur ne soit nommé. Moi qui avais repéré en vitrine Du Domaine des murmures, le nouvel opus de Carole Martinez, dont Le Cœur cousu, malgré longueurs et maladresses, m’avait touchée et séduite, j’en suis restée sur ma faim et sur ma rage. Bruyant small talk de pseudo-initiés, qui tous, en outre, se font à leurs heures auteurs et se renvoient consciencieusement l’ascenseur (le tapis-roulant ?). Foin de toute déontologie, foin du plaisir, foin de l’hommage éclairé. Dans sa mondaine basse-cour, la volaille satisfaite caquète, hélas trop indigeste pour que quiconque envisage de la mettre au pot ou à la broche.