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vendredi, octobre 28 2011

Caquetages critiques

« Lorsque l’on étudie le latin et le grec à l’université, il peut arriver que le charme austère des langues anciennes – leur grammaire difficile et implacable, les exigences de la syntaxe, les contraintes de la métrique, qui n’admettent ni médiocrité ni à peu-près – finisse par forger un goût pour un certain type de rigueur, et cette rigueur devient une sorte de modèle, non seulement  pour les critères qu’en tant que critique, on se doit d’appliquer à son sujet (qu’il s’agisse d’art, de théâtre, de cinéma, de danse, de littérature ou de tout autre chose), mais également pour les qualités que l’on recherche dans les œuvres que l’on examine. A savoir, une cohérence riche de sens dans la forme comme dans le contenu ; le déploiement subtil mais précis de détails au service de ce sens ; de la vigueur et de la clarté d’exception ; et une rigueur dans la démarche. Ne voyant aucune raison de ne pas appliquer ces critères aussi bien aux produits de la culture populaire – du moins, ceux qui aspirent à quelque sérieux – qu’à ceux de la Culture avec un grand C (et de ne pas y rechercher ces mêmes qualités), je me suis efforcé de les intégrer et de les appliquer de la même manière à mes propres écrits critiques ».

Je n’ai pas eu le temps, hélas !, de chroniquer encore le dernier bouquin de Daniel Mendelsohn, recueil d’articles de critique littéraire et cinématographique, essentiellement, mais je pensais à ce texte un matin de la fin d’août (oui c’est du réchauffé, j’avais oublié cette chronique ! mais son sujet reste d’actualité, hélas), en écoutant à France Inter un fragment de l’émission « Microfictions », avec un échantillon de la « critique littéraire » parisienne. Insupportable exemple de micro-cosme verbeux, satisfait, vaniteux. Où j’ai appris, entre autres, que les lecteurs en avaient marre des pavés, et se jetaient sur les minces ouvrages qui correspondaient mieux à leurs attentes et à leur temps. J’avais pourtant entendu parler il y a peu du succès planétaire de la trilogie de Stieg Larsson (un bon millier de pages, au bas mot), ou de La Couleur des sentiments ici chroniqué, qui n’est pas un fascicule, ou encore de celui, inébranlable malgré les années, du Comte de Monte Cristo, autre bon millier de pages pour la vengeance d’un seul homme dans un seul roman ! sans parler d’Une Femme fuyant l’annonce, de David Grossman, à ma connaissance parmi les meilleures ventes de la rentrée. J’ai appris aussi que Joseph Macé-Scarron, qui officie sur FQ et partout ailleurs, avait été accusé de plagiat et avait reconnu avoir fait « une connerie » en pompant plus ou moins tel ou tel auteur mais ce n’est pas grave parce que c’est comme Houellebecq (que j’en ai marre de cette absolution donnée aux recopiages-remplissages houellebecquiens !!!), et que la rentrée littéraire française  était de qualité, en particulier pour ce qui concernait les premiers romans. Croyez-moi si vous voulez, la chose a été incantée par au moins trois ou quatre de ces bruyantes bonnes gens sans que jamais oncques auteur ne soit nommé. Moi qui avais repéré en vitrine Du Domaine des murmures, le nouvel opus de Carole Martinez, dont Le Cœur cousu, malgré longueurs et maladresses, m’avait touchée et séduite, j’en suis restée sur ma faim et sur ma rage. Bruyant small talk de pseudo-initiés, qui tous, en outre, se font à leurs heures auteurs et se renvoient consciencieusement l’ascenseur (le tapis-roulant ?). Foin de toute déontologie, foin du plaisir, foin de l’hommage éclairé. Dans sa mondaine basse-cour, la volaille satisfaite caquète, hélas trop indigeste pour que quiconque envisage de la mettre au pot ou à la broche.

lundi, septembre 28 2009

Mendelsohn - Les Disparus - Récit (?) polyglotte, cosmopolite et universel

« (…) la véritable raison pour laquelle je préférais les Grecs, par-dessus tous les autres, aux Hébreux, c’était que les Grecs racontaient les histoires comme les racontait mon grand-père. Lorsque mon grand-père racontait une histoirepar exemple, celle qui se terminait par Mais elle est morte une semaine avant de se marier il ne recourait pas au procédé évident de commencer par le commencement et de terminer par la fin ; il préférait la raconter en faisant de vastes boucles, de telle sorte que chaque incident, chaque personnage, mentionné pendant qu’il était assis là, sa voix de baryton déchirante oscillant sans cesse, avait droit à sa mini-histoire, à une histoire à l’intérieur de l’histoire, un récit à l’intérieur du récit, de telle sorte que l’histoire ne se déployait pas, comme il me l’a expliqué un jour) comme des dominos, une chose se produisant après une autre, mais plutôt comme des boîtes chinoises ou des poupées russes, chaque événement en contenant un autre, qui à son tour en contenait un autre, et ainsi de suite. D’où le fait, par exemple, que l’histoire qui expliquait pourquoi sa sœur superbe avait été obligée d’épouser son cousin laid et bossu commençait, nécessairement du point de vue de mon grand-père, par l’histoire de son père mourant brutalement, un matin, dans le spa de Jaremcze, puisque c’était après tout le début de la période difficile pour la famille de mon grand-père, des années terribles qui allaient en définitive forcer sa mère à prendre la décision tragique de marier sa fille au fils bossu de son frère, en paiement du prix du passage en Amérique pour commencer une nouvelle vie, mais tout aussi tragique au bout du compte. Bien entendu, pour raconter l’histoire de la façon dont son père était mort brutalement, un matin à Jaremcze', mon grand-père devait s’interrompre pour raconter une autre histoire, celle de lui et sa famille, à la période faste, passant des vacances dans certains spas magnifiques, à la fin de chaque été, par exemple à Jaremcze, sur les contreforts des Carpates, quand ils n’allaient pas au sud mais à l’ouest, dans les spas de Baden ou de Zakopane, un nom que j’adorais. Ensuite, pour donner une meilleure perception de ce qu’était la vie à l’époque, pendant cette période dorée d’avant 1912 et la mort de son père, il repartait plus loin dans le temps pour expliquer ce qu’avait été son père dans leur petite ville, quel respect il avait inspiré et quelle influence il avait exercée ; et cette histoire, à son tour, l’emmenait au tout début, à l’histoire de sa famille à Bolechow depuis que les premiers Juifs y étaient arrivés, depuis la période où Bolechow n’existait pas encore.
L’une après l’autre les boîtes chinoises s’ouvraient, et je restais assis à contempler chacune d’elles, hypnotisé. »

Tel est ce grand-père maître des histoires, de leur contenu, de leur forme, de leur marche déchirante et tortueuse, dont la prose sinueuse de Daniel Mendelsohn restitue le goût du détour. Fascinant grand-père à l’origine de toutes les histoires, de tous les héritages. C’est lui qui, par son récit de la sœur « épouse de la mort » a jeté son petit-fils sur les traces d’Antigone et des épouses-vierges, dont il devait faire son sujet de thèse, avant de découvrir au terme d’une longue exploration des archives familiales et publiques quelle « réécriture », ou relecture, l’histoire de la sœur Rachele-Ray avait subie (c’est l’objet de L’Étreinte Fugitive). C’est lui encore qui rend son petit-fils dépositaire de la quête de son frère Schmiel, disparu avec son épouse et leurs quatre filles, seuls de la famille à ne pas avoir émigré, disparu donc dans la tourmente de la guerre et des pogroms. « Les Disparus » narre par le menu cet autre versant de l’histoire familiale, les enquêtes et les détours à travers le monde, à la poursuite des traces les plus ténues des disparus, qui cinq ans après conduiront Daniel Mendelsohn, son frère Matt, photographe, et son amie Froma à l’intuition de magicienne à retrouver les lieux exacts où Shmiel et sa fille la belle Frydka, vécurent dissimulés avant d’être dénoncés et exécutés.
Mais ce livre est un pavé, et j’en reparlerai.

samedi, août 1 2009

Deux américains - Ellis, " The Turtle Warrior" - Mendelsohn, "The Elusive embrace"

Rien de plus radicalement divers, disparate, « antipodique », que les deux auteurs que je viens de lire. Tous deux américains, mais là s’arrête le lien. Mary R. Ellis est l’autrice d’un roman, Wisconsin, titre français pour 'The Turtle warrior, Le Guerrier tortue, titre beaucoup plus significatif, et ma foi efficace et mystérieux, pourquoi y avoir renoncé ? Daniel Mendelsohn a écrit un texte très atypique, d’inspiration autobiographique, L’Étreinte fugitive, The Elusive Embrace, comme il l’indique lui-même dans la préface qu’il a donnée à l’édition française. Un essai

Le premier est un grand roman de l’Amérique en son histoire avec familles, passé indien, nature sauvage et habitée d’esprits. Le second, une méditation sinueuse et érudite sur une identité, le « je » d’un homme issu de deux lignées de juifs polonais émigrés aux États-Unis à l’orée du XXe siècle, « gay *», New Yorkais, professeur de littérature classique, et « référent masculin » d’un petit garçon dont il n’est pas le père biologique, mais avec la mère duquel il en est venu à mener, en plus de ses autres vies, une relation quasi conjugale, en banlieue.

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