Claudie Gallay – Dans l’Or du temps

Un livre qui m’a exaspérée. Je l’ai lu jusqu’au bout parce qu’il m’a été offert par une amie chère, sur les conseils de son libraire. Rien de pire que de lire avec déplaisir, reste à tenter de cerner pourquoi.
Voyons l’histoire. Un type à côté de ses pompes, prof, semble-t-il, quitte Montreuil avec sa femme Anna – belle et réservée – et leurs jumelles de sept ans pour leur maison de vacances, achetée sur un « coup de cœur » dans les parages de Varengeville près de Dieppe. La routine d’été, pluie, jeux, baignades, coquillages, lecture subreptice par les filles des « Martine », la collection d’albums pour enfants des années 60, réprouvée par Anna - sous le regard attendri et détaché du père, alors que s’installe dans le couple une insidieuse mésentente.
Le jour de l’anniversaire des filles, il oublie de rapporter les fraises requises pour le gâteau meringué. Une halte à l’épicerie ambulante est pour lui l’occasion de rencontrer Alice Berthier, une vieille dame acerbe qu’il aide à transporter un panier de poires jusqu’à sa demeure au bord de la falaise. Peu à peu, les visites chez Alice se multiplient, après la découverte au sommet d’une armoire de ''kashinas'', des masques hopi. Lui est le fils d’un marchand d’art, elle d’un photographe avec qui elle a vécu quelque temps chez les Hopis, en même temps qu’André Breton et sa femme Élisa. Au fil des visites chez Alice dont il tente de sonder les secrets et les mystères, son couple avec Anna se défait, et le lecteur progresse dans la connaissance des rites hopis et de la rencontre d’André Breton avec ce peuple et cette culture.

Le roman date de 2003. On l’aura compris, il répond à la vente et à la dispersion de la collection d’art de Breton cette année-là. Hommage documenté aux Hopis et à leur admirateur surréaliste, ce vieux despote capricieux et mystificateur.

Le style, à présent.

« Je buvais mon café. Les coudes sur la table. Contre la porte du frigo, les derniers dessins des filles. Les fleurs de la tapisserie. Des marguerites à pétales blancs. Huit pétales par fleur. Le motif répété. À l’infini.
Anna disait toujours, La répétition des choses, ça rassure.
On partait. Comme tous les étés. Nos deux mois en Normandie. (…)
Qu’est-ce qu’on avait oublié ?
On oublie toujours quelque chose

J’arrête là, parce que tout y est, dès la première page. La marotte des phrases en morceaux, avec des points à la place des virgules, on attraperait une crise d’asthme à les lire à haute voix. Les majuscules en plein milieu de la phrase pour marquer l’entrée dans le style direct, à la place des guillemets, trop ringards ?, le goût de la sentence neuneu, deux en quatre lignes, une pour chacun des conjoints, ça ne s’arrangera pas avec l’arrivée d’Alice, qui en a des réserves inépuisables à notre service. Ah non, il manque quelque chose : la plupart des dialogues sont introduits par « j’ai dit », ou « elle a dit », en incise. Il faut croire que l’inversion du sujet dans l’incise est éminemment répréhensible, dépassée, académique ? même s’il arrive à l’autrice de se laisser aller, par inadvertance, à l’employer quelquefois : – Ça quoi ? a demandé Anna.

– Je vais quitter Anna, j’ai dit.
Cela. Ces mots, exactement dans cet ordre-là.
(– ???? Je Anna quitter vais ? Anna vais je quitter ? Quitter je Anna vais ? Vais Anna quitter je ?)

Ça pue le post-Duras à plein nez. Sauf que Duras a entrepris d’écrire sa langue blanche et brisée il y a plus de cinquante ans, et que faire du Duras aujourd’hui, c’est ça, l’académisme. Sans compter que ce roman relève de ce que j’appelle la « chronique de gestes », tous ces textes qui ont pris au cinéma la manie d’énumérer à perte de vue les gestes les plus insignifiants. On en retirerait bien vingt pages sans rien y changer.

Il y a aussi les fautes d’orthographe ou de langue. Je ne nie pas que madame Gallay n’ait de l’imagination, et le talent louable d’inventer des histoires. Cela ne justifie pas qu’elle confonde une « tache », latin macula, marque salissante, avec une tâche, latin labor, un travail. Au moins trois fois dans le texte. Ni qu’elle confonde la curée, ruée vers un bien convoité que l’on se dispute avidement et la curie, lieu de réunion du Sénat romain (ou institutions ecclésiastiques papales). Surtout quand le mot constitue à lui seul un paragraphe définitif. Moi, j’ai pouffé. En tout cas, si tel est le cas (et tel est le cas), on peut se demander ce que fabrique son éditeur. Ils n’ont pas de relecteurs, chez Actes Sud ? parce que si les illustrations de couverture sont la plupart du temps très belles, et la collection joliment mise en pages, cela justifie-t-il de laisser aller la langue à vau-l’eau ? Il y a déjà eu l’épisode Millénium, la traduction la plus abominablement torchée qu’il m’ait été donné de lire dans une édition de prestige (ce n’est pas Le Masque !), truffée de façon croissante au fil des tomes d’approximations diverses et d’incorrections à la pelle, et pourtant ils s’y sont mis à deux !!! à croire qu’ils ont utilisé un traducteur automatique et à peine relu.

Madame Gallay, elle, écrit directement en français. Je croyais que l’éditeur d’un texte était là aussi pour conseiller l’auteur, lui faire des suggestions pas toujours ineptes. Lui éviter les bourdes du genre de celles citées plus haut. Bref, tout ça pour dire qu'entre les débuts d’Actes Sud, Hubert Nyssen éditeur, et aujourd'hui, le nom du fondateur a disparu. L’exigence est en route pour, et c’est dommage.

Commentaires

1. Le mardi, juin 23 2009, 19:39 par Nathalie Mercier

Ma chère Agnès,

Je ne prends guère le temps de t'écrire même si je te lis régulièrement. Aujourd'hui je partage ton coup de gueule pour Claudie Gallay. J'avais lu d'elle il y quelques années "Seule Venise", alléchée par ce beau titre elliptique et par le nom de Venise, o combien suggestif. Saumâtre roman, hélas. Avec des phrases du type Il y a beaucoup d'eau à Venise. Ma maigre mémoire déforme à peine la médiocrité des phrases. De l'eau à Venise? Sans blague! L'auteur confondrait-elle avec le désert de Gobi? Quant à l'histoire elle restait trop peu développée pour excuser la pauvreté du style.
Ta critique est bien sentie et les erreurs de l'"écrivain" me font autant rire jaune que toi. A se demander effectivement si parfois Actes Sud n'est pas tombé dans la dérive beau livre objet en soi.

Bon courage à pour l'épreuve de français.

Nathalie

2. Le mardi, juin 23 2009, 22:35 par Agnès

Coucou Nathalie,

merci de ton petit mot. Je me sens moins seule.
le bac va être terrible cette année. J'espère avoir le temps d'écrire quelques billets.
Read you anytime,
A.

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