Gyp - à fuir

Trop enrhumée pour lire quelque chose de consistant, j’ai attrapé hier sur un rayon de la bibliothèque un petit livre de poche que je n’avais jamais lu, quoique le titre me fît, depuis bien longtemps, de l’œil : Gyp, Le Mariage de Chiffon. Le nom de l’auteur aussi, un pseudo évidemment, et qui claque. J’ai donc lu. Avec un intérêt décuplé par la mention au dos du roman du nom réel de l’autrice : née Sibylle-Gabrielle Marie-Antoinette de Riquetti de Mirabeau, puis comtesse de Martel de Janville (1849-1932). Nom à rallonges s’il en est, mais surtout ascendance prestigieuse ! en fait, elle est l’arrière-petite-nièce du grand Mirabeau, et petite-fille du frère d’icelui, Mirabeau-Tonneau.

C’est donc un mince roman, qui s’ouvre, à Pont-sur-Sarthe, par un débat entre la jeune Chiffon et sa mère sur la perspective d’un mariage avec un duc. Mariage que la jeune fille, très garçonnière et qui n’a pas la langue dans sa poche - elle manie même l’argot avec brio et gouaille, où a-t-elle pu l’apprendre ? – refuse d’envisager, malgré sa sympathie pour le prétendant. Elle a seize ans, et aime ses fleurs, son chien Gribouille, ses tendres grands-oncle-et-tante qui l’ont partiellement élevée, son beau-père le Comte de Bray et le frère d’icelui, l’oncle Marc, sans parler de son nourrice le vieux domestique Jean, et du brave curé de la paroisse . Elle déteste les mondanités, l’hypocrisie, les Jésuites, la vie sociale pour le paraître. Et supporte difficilement sa mère, snob, tapageuse et tyrannique. Les dialogues sont vifs, assez enlevés, on se laisse cueillir. Et puis il y a quelques jolies trouvailles, comme celle-ci : « Grondée, secouée par sa mère dès l’âge où elle pouvait se souvenir ; soignée et caressée par le vieil oncle et la vieille tante dès qu’elle les avait connus, (…) Coryse, foncièrement gaie par tempérament, mais triste par réflexion, vivait dans une perpétuelle inquiétude ».

Las, le plaisir ne dure pas. Le tableau de la vie provinciale est tracé par une caricaturiste sans talent, qui n’aurait ni observé correctement le monde, ni surtout lu Maupassant (en 1894, ce n’est pas excusable). Les scènes s’enchaînent de façon assez pesante, sans véritable ressort dramatique, une fois que Chiffon a gentiment congédié le duc dont l’étreinte ne lui dit rien. On devine assez vite, quels que soient les prétendants ultérieurs sollicités par la narratrice, qui sera l’élu. Mais ce que l’intrigue aurait pu receler de tendresse et de délicatesse, voire de vrai chagrin (la mère indifférente qui utilise sa fille comme faire-valoir ou comme objet à exhiber sent son vécu) est noyé par la logorrhée de la donzelle, qu’on aimerait voir se taire un peu, l’abus des dialogues, le poids de la caricature sociale, le convenu des scènes (l’altesse nordique offrant le goûter aux ouvriers dans un chemin creux et militant pour le candidat socialiste franchit toutes les limites du paternalisme ridicule) et à la fin, une atmosphère de vaudeville à la limite du respirable. J’ai lu. Je ne lirai plus.

C’était intéressant quand même, parce que le personnage a dû inspirer Colette, il y a de la Claudine dans cette Chiffon-là, ou de la Chiffon dans les Claudine. De même que quelque chose des relations de l’oncle Marc avec sa « belle-nièce » se retrouvent dans celle de Gigi avec Gaston Lachaille. Mais là s’arrête le parallèle. La nouvelle de Colette est, comme ses pochades de jeune écrivain, habitée par une verve, un sens de la phrase, du rythme, de l’image, et de l’intrigue ! que n’atteignit sans doute jamais la trépidante Gyp.

Un tour sur Wikipedia révèle que la dame était d’un nationalisme et d’un antisémitisme débridés - ça se faisait, certes, à l’époque – même si elle recevait semble-t-il Proust, mais surtout qu’elle a été mêlée à une sombre histoire de persécution de Mirbeau, dont elle aurait jalousé la maîtresse Alice Regnault. Mirbeau qui rangeait Gyp dans les auteurs irrespirables :

« Quand, sur une route, je rencontre une ordure étalée, je l’évite ; quand je vois certains noms en tête de certains livres, je passe en me bouchant le nez : M. Catulle Mendès, (…) Mme de Martel (c’est Gyp) (..) ont le don de me faire prendre la fuite ».

Vitriolage, jalousie, procès, écrouelles… il est question de tout cela dans l’affaire Gyp-Mirbeau. Si c’est très romanesque, c’est en effet, aussi, très nauséabond. Désormais, nous passerons au large.

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