Il arrive comme ça que l’on ait des accès de masochisme.

Comme de lire pendant une insomnie Le Moral des ménages d’Éric Reinhardt.

Un type qui a indéniablement du talent. Celui en particulier de conjuguer en un monologue intarissable (intérieur ? j’espère parce que si c’est ce genre de propos qu’il tient à ses innombrables et anonymes – quoique prénommées – conquêtes, on comprendrait qu’elles se sauvent, même s’il baise comme un dieu) une évocation fulminante de la vie médiocre d’une famille de la classe moyenne – celle de Manuel Carsen – et la conjoncture économique des années Giscard et après. Fureur du rejeton envers ses parents dévorés par le souci de l’épargne et la terreur du danger, récit rageur des échecs professionnels du père (petit, écrasé, servile), de l’obsession morose de la mère pour le ménage, le commifaut, le camembert plâtreux de la semaine, délires fantasmatiques : l’assassinat à petit feu de Michel Delpech pour avoir commis ''le Loir et Cher'' (la mélodie m’est revenue à lire les paroles du refrain, j’ignorais même que tel en fût le titre), l’enfermement kafkaïen du père dans un placard, et les pages et les pages de branlettes et / ou de rencontres sexuelles imaginaires ou réelles. Un art du catalogue, de l’énumération, de l’invective, savant dosage de Céline et de Lautréamont, frappé au coin d’un indéniable sens de l’observation fielleuse et de la formule idem.

D’où il ressort que la vie d’une famille de la classe moyenne réduite à des préoccupations strictement professionnelles et économiques n’est pas la vraie vie. Qu’elle empêche l’éclosion harmonieuse de ses enfants, qui poussent courbés, boutonneux, exclus, invisibles, acrimonieux. Obsédés par la baise, celle de leur femme (une charmante, généreuse, amoureuse, qui a quand même fini par se tirer au bout de vingt ans) et celle de toutes les autres, d’où d’interminables listes anatomico-érotiques. Seule issue, pour qui a été frustré de vie : le sexe, consommé et raconté. Qu’elle empêche même, en une sorte de malédiction socio-économique, la reconnaissance du talent de ses héritiers : devenu chanteur de rock, artiste, quoi, du vrai côté de la vie, le « héros » (le « personnage » ?) reste obscur, ignoré même des érudits du genre, avec ses cinq mille disques vendus en tout. Si bien que l’on accueille avec reconnaissance la diatribe – certes non moins fictive que le reste – de sa fille devenue adulte, pratique, pleine d’affection pour ses grands parents méprisés, contre son père dont elle partage au demeurant la capacité de rejet et l’art de l’invective.

Ouf ! j’ai fini. Pourquoi ai-je lu jusqu’au bout ? à cause du brio sans doute. Mais avec une question derrière la tête : l’art d’assaisonner le moi avec l’économique justifie-t-il une catharsis si amère pour le lecteur ? quand un bouquin colle la nausée au seul prétexte de manifester l’humeur et le talent conjugués de son auteur, est-il bien nécessaire ? Il y manquerait quelque chose. De la générosité, peut-être.

Commentaires

1. Le mardi, août 5 2008, 13:37 par odile

dans le genre maso, je viens de terminer "Moi, Charlotte Simmons", de Tom Wolfe, ce play-boy américain qui a pris là un malin plaisir à décrire la société d'une université prestigieuse américaine, où l'on apprend plus à entrer dans la norme qu'à devenir des hommes (ou des femmes)... j'avais lu avec un relatif plaisir il y a longtemps "Le Bûcher des Vanités", ici, c'est un peu cette même veine: pourfendeur de snobismes et de faux-semblants, M. Wolfe n'est pas tendre avec ses compatriotes. mais que c'est déprimant...

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