Houellebest, Houelleberk....

Il y a un petit côté Balzac, décidément, chez Houellebecq : à l’image de son illustre prédécesseur, il (le personnage, attention, pas l’auteur !), étoile ses brouillons de corrections successives, signes manifestes du travail du style et de la puissance de travail dont l’œuvre est le produit : « Avec réticence, Houellebecq sortit quelques feuilles. Il y avait très peu de ratures, mais de nombreux astérisques au milieu du texte, accompagnés de flèches qui conduisaient à d’autres blocs de texte, les uns dans la marge, les autres sur des feuilles séparées. A l’intérieur de ces blocs, de forme grossièrement rectangulaire, de nouveaux astérisques renvoyaient à de nouveaux blocs, cela formait comme une arborescence. »

Il en ressort une œuvre foisonnante et inassignable, ironique, référentielle, savamment architecturée, dont notre effort s’est borné, en quelques relevés, à tenter de repérer quelques lignes de force, penchants, tendances :

  • Midinette : ''Ils se regardèrent alors, sans parler, pendant quelques secondes, et Jed n’eut plus de doute : le regard qu’elle plongeait dans le sien était bel et bien un regard de désir. Et, à son expression, elle sut aussitôt qu’il savait.''
  • Connaisseur :'' « Vous savez que vous êtes avec une des cinq plus belles femmes de Paris ? » Son ton était redevenu sérieux, professionnel, il connaissait visiblement les quatre autres. A cela, non plus, Jed ne trouva rien à répondre. Que répondre, en général, aux interrogations humaines ?'' [Moraliste du XVIIe pour la coda]

  • Gourou sociologico-gastronomico-endocrinologue : ''Les restaurants aiment les people, c’est avec la plus grande attention qu’ils suivent l’actualité culturelle et mondaine, ils savent que la présence de people dans leur établissement peut avoir un réel pouvoir d’attraction sur le segment de population abrutie-riche dont ils recherchent en tout premier lieu la clientèle ; et les people, en général, aiment les restaurants, c’est une sorte de symbiose qui s’établit, tout naturellement, entre les restaurants et les people.[admirez le savant tressage du chiasme et du parallélisme, et la façon dont le style incante et transcende l’observation sociologique](…) Olga opta pour un gaspacho à l’aragula et un homard mi-cuit avec sa purée d’ignames, Jed pour une poêlée de Saint-Jacques simplement saisies et un soufflé de turbotin au carvi avec sa neige de passe-crassane. Au dessert, Anthony vint les rejoindre, ceint de son tablier de cuisine, brandissant une bouteille de bas armagnac Castarède 1905. « Cadeau de la maison… » [il est pas chien] dit-il essoufflé, avant de remplir leurs verres. Selon le Rothenstein et Bowles, ce millésime envoûtait par son amplitude, sa noblesse et son panache. Le finale de pruneau et de rancio était l’exemple-type d’une eau-de-vie rassise, longue en bouche, avec une dernière sensation de vieux cuir. Anthony avait un peu forci depuis leur dernière rencontre, c’était sans doute inévitable, la sécrétion de testostérone diminue avec l’âge, le taux de masse graisseuse augmente, il abordait l’âge critique.''
  • Décidément solécisme : ''Sans que cela n’ait jamais réussi à la rendre heureuse''… p 241
  • Auto-célébration périphrastique (dans la tradition post homérique de la liste, ici celle des différents opus) : …''s’enthousiasma l’auteur de Plateforme, « Une seule bouteille ? » demanda l’auteur de La Poursuite du bonheur en allongeant le cou vers l’étiquette. Il puait un peu, mais moins qu’un cadavre [ça s'arrangera à la fin] ; «  On va aller dans la cuisine, quand même… proposa l’auteur de Renaissance. (…) », Il y avait dans la voix de l’auteur des Particules élémentaires quelque chose que Jed ne lui avait jamais connu''…
  • Référentiel : ''Elle avait deux ans de plus que lui ; il prit alors conscience qu’il allait avoir quarante ans le mois prochain. ils en étaient à peu près à la moitié de leur vie ; les choses avaient passé vite''. Merci Michel… Leiris. Châtelus-le-Marcheix, où JM fait retraite après la mort de son père, est le village natal de Pierre Michon, un autre type qui s’intéresse à la peinture. Mais beaucoup moins célèbre que JM et MH ! On a ainsi une idée des platebandes sur lesquelles « l’auteur de Plateforme » a envie de marcher : en matière de peinture comme de littérature, Pierre Michon, c’est quand même une pointure.
  • Il y a aussi, quelque part, une analyse de l’œuvre comme juxtaposition. Où le lecteur perspicace ne peut que voir une référence réflexive à l’œuvre elle-même, dont ce procédé indéniablement « élémentaire » est sans doute le ressort de composition le plus flagrant. Une manière de se justifier en anticipant l’éventuelle critique ? Mais je n’avais pas mon crayon quand je suis tombée dessus, et j’ai vraiment trop la flemme de le rechercher.
  • Comme Balzac, enfin, sans doute H. doit-il éponger ses dettes – que l’on ne peut que lui souhaiter moins abyssales - à grands coups de promotion  de produits en tous genres : marques d’appareils photo, d’ordis, d’imprimantes, adresses de restaus et autres super-marchés, vertus comparées du Casino, du Franprix et de la station Shell des boulevards Vincent Auriol et de l’Hôpital. Rien ne nous est épargné de cette vision hyperréaliste de notre monde en proie au capitalisme et au tout-technologique. Balzac se bornait à Buisson, son tailleur. Houellebecq érige son œuvre en agence de pub tous azimuts. Autres temps.

 Finalement, la carte que ce bouquin dessine, pour moi, c’est celle d’une psyché : celle d’un ex-petit garçon doué, de la façon dont les petits garçons (et les petites filles !) mettent frénétiquement le monde en mots rationnels pour essayer de le contenir dans des barrières. Si ce n’est que le petit garçon,

a) n’a jamais poussé son talent au point de se construire un style qui aille au-delà du collage et de quelques effets d’ironie ou de satire, et que les poncifs, les maladresses involontaires, les incohérences y sont légion, sans parler des procédés qui relèvent de l’enseignement bien oublié de la « rédaction », autrefois, à l’école primaire, genre les périphrases pour éviter les répétitions. C’est fatigant, c’est surtout terriblement ennuyeux. Avec les recopiages en pagaïe, ça fait devoir d’un paresseux brillant (ex-brillant) et roublard (sans trop de finesse), qui bénéficierait de la bienveillance attendrie des adultes. Parce que question satire, je ne sais pas mais Alan Bennett, par exemple, c’est quand même beaucoup plus marrant.

b) se sent vieillir grave, et que tout son bouquin met en fait en œuvre une réflexion sur le vieillissement - celui du père, qui ponctue le roman, lui conférant la seule épaisseur humaine qui sonne à peu près juste, celui d’Olga, que Jed quitte le lendemain de leur nuit de retrouvailles après s’être attardé sur les signes ténus de l’âge sur son corps dénudé, ceux du commissaire Jasselin et de sa femme, avec le couplet sur les seins siliconés, et enfin le sien (celui de Jed-Houellebecq) natürlich, qui conduit cahin-caha à l’ensevelissement final. Une méditation sur la grande révélatrice qu’est la mort, en somme, beau sujet classique, juste que dans le genre, il y a en a quand même pas mal – des contemporains aussi – qui s’y sont essayés avec talent.

Il est indéniable qu’au fil du roman l’irritation, pour peu qu’on ait réussi à passer les 150 premières pages, puisse s’atténuer quelque peu, parce qu’on y sent sourdre parfois quelque sincérité, une sorte de désir exhibé d’être aimé, auquel a répondu le Goncourt, me semble-t-il. Le jury Goncourt comme la bonne mère, ou la « mère suffisamment bonne », il fallait y penser. L’ensemble, somme toute, n’est guère plus que puéril.

Tout ça pour dire que je voulais comprendre, eh bien, je n’ai pas compris grand-chose, au moins à la « réception de l’œuvre » : je me suis trouvée renvoyée à mes impressions de lecture après les Bienveillantes : une irritation viscérale-mais-argumentée, face à un concert d’éloges, quelque chose comme une application générale, touchante, à ne pas vouloir rater le génie. Au prix me semble-t-il de la plus parfaite cécité, de l’absence la plus totale de sens de l’humour, d’une débauche de références culturelles appliquées à n’importe quoi. Ce sérieux plein d’opprobre avec lequel les autres vous objectent vos propres incompétence, aveuglement, parti-pris. Eh bien oui. Je trouve La Carte & le Territoire à peu près nul et même attendrissant de nullité. Ce n’est pas très confortable de se sentir seule ainsi, ou très peu accompagnée, mais tant pis. Finalement, ce qu’il y a de plus intéressant chez cet auteur éminemment commercial, c’est qu’il s’inscrit dans un penchant contemporain à la bassesse, celui qui fait s’apitoyer les foules sur l’infâme Stéphane Guillon, tartuffe manifeste de la rébellion et du bon droit, s’extasier sur l’esprit de tous ces types de télé et de radio qui violent à tout va les lois les plus élémentaires de l’hospitalité en ne cessant de brocarder des gens qu’ils ont invités sur leurs plateaux, qui font d’abjection vertu, et pensent nous faire oublier sous prétexte de vérité ou de bon droit que la dignité suppose quelque pudeur. Exhibition du corporel, scatologie, cruauté au sens étymologique du terme, facilité, sociologie sont les mamelles de ce qui se veut le réalisme contemporain.
C’est du flan. Et Houellebecq avec. S’il s’est voulu 'grand' écrivain, et quels que soient ses tirages, c’est raté.

Pour moi, en tout cas, c’est terminé. Pour lui aussi, j’espère. A présent qu’il s’est zigouillé lui-même, une vraie boucherie à Souppes (^^), espérons qu’il va passer  à autre chose (à la chanson, il paraît Seigneur !). On pourra toujours se rabattre sur Marc Lévy et ses gentils fantômes.

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